LA VIE AU VILLAGE DANS LES ANNÉES 1950

Vie au village dans les années 1950

 



Que sont-elles devenues nos campagnes, et tous ces paysans du siècle dernier, partagés entre leur attachement viscéral aux traditions établies et un mode de vie en pleine mutation, plus individualiste, et confrontés à l’inexorable marche du progrès ?

Sans succomber à la nostalgie, ceux qui ont connu les villages d’autrefois ne seront plus jamais les même, imprégnés à jamais de ces scènes villageoises bruyantes, bruits des métiers artisanaux, réminiscences de beuglements d’animaux, de roulis d’essieux de charrettes, d’odeurs d’étables, de rituels ancestraux, de cris et de rires d’enfants, de paysages campagnards en perpétuel mouvement, saison après saison. « C’était le bon temps ! » affirmeront certains, mais qui serait prêt aujourd’hui à vivre, comme dans les années 1950, sans eau courante, sans téléphone, sans télévision … et sans internet ?

Les contraintes collectives, enracinées depuis le XVIIIe siècle, avaient développé la vie communautaire dans ces sortes de longues cours collectives formées par les rues. Hommes, animaux domestiques, volailles s’y rencontraient presque journellement. Pour aller aux champs, il fallait y passer en raison de l’absence de chemins derrière les maisons. Le berger y rassemblait le troupeau de porcs ou d’oies au son de la trompette. Au moment des pluies , la rue prenait l’aspect d’un bourbier : boue et excréments d’animaux abondaient.

En 1950, bien sûr, les choses avaient changé. Les routes étaient goudronnées, l’aménagement de caniveaux permettait un meilleur écoulement des eaux usées et la rue était toujours animée alors qu’aujourd’hui les rues des villages sont désertes. Les gens s’y rencontraient, parlaient de leurs bêtes, comparaient leurs récoltes. Souvent, un banc rustique leur permettait de se retrouver, après le travail, pendant la belle saison. Lavoirs à ciel ouvert ou couverts, abreuvoirs et fontaines constituent de nos jours des éléments décoratifs. Mais, dans les années 1950, quand on ne disposait pas d’un puits chez soi, on s’y retrouvait pour y puiser de l’eau. À Aouste, par exemple, les habitants ne disposeront de l’eau courante qu’en 1956 pour la première tranche bien que la première mention de l’eau des fontaines date de 1629.

L’essor de l’industrie locale – moulinages, cimenteries, papeteries … – fut le point de départ d’une ère nouvelle qui se traduisit principalement par l’abandon progressif de l’agriculture dans nos villages. En offrant des salaires élevés, les usines attiraient une grande majorité d’hommes et de femmes. Ceux-ci, toutefois, ne renoncèrent pas brutalement à leurs activités précédentes et conservèrent leurs cultures et leurs champs. 1950, c’était l’époque de « l’ouvrier-paysan « . Les hommes travaillaient à l’usine mais conservaient des champs et des animaux : presque tous avaient une ou ou deux vaches laitières, des bœufs, des chevaux des mulets, des cochons, des lapins, des poules. En effet, la volaille, la saucisse, le lard et le jambon salé constituaient la principale réserve de viande pour l’année . On n’achetait du bœuf que pour préparer le traditionnel « pot-au-feu » les dimanches et jours de fête.

Peu de femmes exerçaient une profession hors du village; elles étaient presque toutes « mères au foyer » et s’occupaient du ménage, des  » buées « , des enfants mais aussi des animaux de l’étable. Une invention qui aidera beaucoup les ménagères dans leurs tâches, la machine à coudre. Certaines femmes étaient employées dans les usines locales ( moulinages, tissages ou papeteries ). En été, elles participaient activement aux travaux des champs et leur tâche n’était pas la plus aisée. À l’époque de la moisson, des battages, des vendanges, du glanage ou du tuage du cochon, les travaux voyaient se réunir et s’entraider plusieurs familles, tout un hameau, un village parfois, dans une convivialité non feinte. Au moment de la rentrée des foins et des céréales, on faisait appel à ses voisins pour décharger les charrettes. Il fallait être à quatre ou cinq personnes pour passer les gerbes, à l’aide d’une fourche, de la grange jusque sous le toit. La solidarité n’était pas un vain mot.

On travaillait dès l’âge de quatorze ans jusqu’à la retraite prise à soixante-cinq ans et ce, au moins huit heures par jour, six jours sur sept. L’activité économique très soutenue de cette période d’après guerre faisait que le chômage n’existait pratiquement pas.

Chaque village avait son café, sa petite épicerie, parfois sa boulangerie, commerces qui contribuaient à l’animation des lieux et qui, pour la plupart, ont totalement disparu aujourd’hui.

En 1950, les maisons n’offraient pas, bien sûr, le confort des maisons d’aujourd’hui. En l’absence d’eau courante, il n’y avait pas de chauffage central, ni de salle de bain ou de toilettes. Les W.C. étaient à l’extérieur – « la cabane au fond du jardin » – . Il n’y avait souvent qu’un fourneau ou un poêle pour chauffer toute la maison et il n’était pas rare, en hiver, de voir les fenêtres des chambres se couvrir de glace. D’où l’utilité de la brique chaude emballée dans du papier journal que l’on glissait dans son lit au moment de se coucher. Par contre, on accordait une grande importance à la salle à manger où se trouvaient les plus beaux meubles, pièce que l’on était fier de montrer aux visiteurs mais que l’on n’utilisait que très rarement.

En 1950, dans les villages, c’est aussi la période de la reconstruction, mais l’on ne fait guère appel aux entreprises extérieures. Pour limiter les frais, « l’ouvrier-paysan » fait lui-même les travaux de terrassement, on construit avec l’aide d’amis, chacun dans sa spécialité mais souvent aidé par les artisans locaux plus spécialisés.

Pour communiquer avec ses administrés, le maire confiait au garde-champêtre et à son tambour le soin de transmettre les informations aux villageois. Celui-ci passait dans les rues et, s’arrêtant aux carrefours en haussant la voix, annonçait les nouvelles.

Les voitures étaient encore très rares dans les rues de nos villages. Le curé, l’instituteur comme la très grande majorité des habitants se déplaçaient à bicyclette. Un jour par semaine, généralement le samedi, on prenait le bus pour aller au marché à Crest pour acheter ce qu’on ne trouvait pas dans les épiceries du village. Les premières automobiles achetées par les villageois les plus aisés étaient considérées comme un signe extérieur de richesse.

En 1950, dès la dernière bouchée avalée après le repas du soir, toute la famille ne se retrouvait pas agglutinée devant le poste de télévision, et ceci pour une simple raison : la « télé » ne commencera à se développer dans nos campagnes qu’à la fin de la décennie. S’il n’y avait pas de télévision, il y avait la radio, encore appelée TSF à cette époque. Dans certains foyers trônait un imposant récepteur à lampes dans la pièce principale qui sera supplanté par l’arrivée des  » transistors « . Lorsque la température était clémente, on se rendait visite entre famille et amis. La soirée se passait autour d’un verre ou d’un café, avec d’interminables discussions pour parler de tout et de rien. Pendant ce temps, les enfants jouaient à cache-cache dans les rues du village animées par leurs cris et leurs rires. Lorsque la mauvaise saison faisait son apparition les soirée devenaient des veillées au coin du feu. C’était aussi le temps de l’ennoyage.

Il y avait dans toutes les maisons, souvent dans l’armoire de la chambre à coucher ou bien cachée à la cave, une ou plusieurs bouteilles de « gnole », une eau-de-vie transparente, distillée dans un alambic à partir des « draches » de raisins pressés, dont le taux d’alcool varie de 40 à 55 %. On prêtait à la « gnole » des vertus médicinales et on le disait efficace contre toutes sortes de maux. En ce temps-là, les gens consultaient beaucoup moins les médecins qu’aujourd’hui. Les remèdes de  » grand-mère  » semblaient suffire à maintenir une bonne santé. Quoique !

Avec le printemps s’annonçait un évènement qui faisait la joie des enfant, la transhumance des moutons que nous appelons  » le passage de la beille «

Sauf événement majeur, du lundi au samedi la vie quotidienne s’écoulait selon un rythme bien établi, ne laissant que peu de place à l’imprévu. Mais comment occupait-on les dimanches ? Il était quasiment obligatoire pour tous d’assister à la messe. On mettait pour l’occasion ses « habits du dimanche ». À Pâques, qu’il fasse beau, qu’il pleuve ou qu’il neige, les femmes devaient porter leur meilleurs habits. Après la messe, ou même avant, les hommes se retrouvaient au café du village pour y prendre l’apéritif tandis que les femmes rentraient préparer le repas un peu plus copieux qu’en semaine. L’après-midi, parfois, des bals étaient organisés ou des parties de boules. Quand il n’y en avait pas au village, les jeunes gens n’hésitaient pas à faire des kilomètres à vélo pour aller au bal dans un village voisin. populaires. Chaque année, à la fin août, la fête votive du village,  » la vogue  » voyait revenir la fête foraine avec ses manèges, baraques de loteries et autres festivités. Vers le milieu de l’après-midi, la quasi-totalité de la population y convergeait. Après avoir dépensé un peu d’argent chez les forains, à la buvette montée sur place et tenue par les conscrits de l’année, les jeunes gens et, même les plus anciens, allaient au bal animé par un groupe musical local. On bavardait, on prenait un dernier verre et les jeunes gens raccompagnaient les jeunes filles chez elles avant de retourner à la maison. Beaucoup de mariages se sont concrétisés à la suite de ces bals. Et puis, au dernier jour de la fête, le feu d’artifice, servi par les pompiers du village, était tiré, les exclamations et les cris de joie fusaient.

Chaque année dans la nuit du 30 avril au 1er mai, les jeunes hommes célibataires des villages installaient des arbres (appelés les mais) devant la porte ou contre le mur du domicile des jeunes filles à marier pour les honorer. Parfois cette tradition finissait en charivari qui consistait, en principe, pour les jeunes garçons à ramasser ce qui traîne dans les rues du village et à déplacer sur la place du village généralement, un assemblage d’objets variés. A l’origine, il s’agissait essentiellement du déplacement d’un matériel agricole plus ou moins léger laissé négligemment par certains agriculteurs au bord de la chaussée, mais devenait au fil des ans un déplacement de bancs, bacs à fleurs et autres.

Avec la création de la conscription est apparue une tradition selon laquelle, dans la commune, les jeunes gens âgés de vingt ans qui formaient  » la classe de l’année  » se réunissaient et faisaient la fête, avant de partir à l’armée. Cette tradition marquait en quelque sorte l’entrée dans le monde adulte.

Octobre, généralement le 1er voyait venir la rentrée scolaire pour les enfants. La raison est que les enfants pouvaient participer aux travaux des champs. Puis progressivement, la rentrée s’est faite de plus en plus tôt. Les écoliers n’appréciaient pas spécialement ce jour-là. Il fallait vérifier le cartable, les crayons et les cahiers, voir si tout était en ordre pour le grand jour. Finis les beaux jours à folâtrer dans la campagne ou dans les rues du village, mais les retrouvailles avec les camarades gommaient ces inconvénients.

Nos jeunes d’aujourd’hui ont beaucoup de mal à imaginer que leurs grands-parents aient pu vivre heureux dans les années 1950 sans télévision, sans consoles de jeux, sans smartphones et savaient aussi s’amuser à cette époque malgré les difficultés de la vie quotidienne, que les villages étaient beaucoup plus animés qu’aujourd’hui et qu’il existait entre les habitants une solidarité qu’on ne trouve plus guère de nos jours.

 

 

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