Les bouchers

« Boucher » est un des métiers le plus vieux de l’humanité. Il faut remonter très loin dans la Préhistoire. Au début, l’homme, nomade, se contente de la cueillette et de la chasse pour se nourrir, puis, petit à petit, il va se sédentariser, cultiver et élever des animaux.
Les Égyptiens, s’alimentent de pain mais aussi de fruits et légumes qui ont une place prépondérante. Le poisson tient une place plus importante que la viande.
Il faut attendre l’époque romaine pour que soient créées les premières boucheries publiques. On distingue plusieurs catégories. Certaines sont chargées de l’approvisionnement en bestiaux, du soin de les faire préparer et d’en débiter les chairs. Les « suari » n’achètent que les porcs ; les moutons, les veaux et les bœufs sont fournis par les pecuarii ou boraii. Les lanii ou carnifices travaillent pour le compte des précédents : chargés de tuer les bestiaux, de préparer la viande et de la mettre en vente, ils œuvrent dans un local qui leur est attribué, tous soumis à l’autorité du préfet.
L’organisation des communautés de bouchers établies à l’époque romaine était sans doute depuis longtemps détruite lorsque serait apparue dans la capitale, celle que d’aucuns considèrent comme la première boucherie publique, établie au Parvis Notre-Dame, consistant en un seul étal, et dont un cartulaire de l’Église de Paris daté de 815 mentionnerait le renouvellement du bail.
Le terme de boucher apparaît au XIIe siècle et viendrait de « bochier », lui-même venant de bouc et signifierai tueur ou vendeur de bouc.
Dès l’époque des premiers Capétiens, se trouvent à la « Porte de Paris », entre les halles et la forteresse du Grand Châtelet, les étaux à bouchers, à côté des abattoirs. Ils sont les seuls jusqu’en 1155. La maison de Guerri le Changeur, transformée en boucherie par les moines de Saint-Martin-des-Champs, est agrandie à la fin du XIIe siècle par les religieuses de Montmartre et louée à la corporation des bouchers.
Au Moyen Age, Paris avait plusieurs groupes de bouchers, répartis dans la ville mais aussi dans les faubourgs à l’extérieur. Toutefois, pendant longtemps, seuls les bouchers installés dans la Grande boucherie, à proximité du Châtelet et ceux des bourgs indépendants de la ville (Sainte Geneviève et Saint Germain des prés notamment) étaient organisés en communauté et jouissaient de ce fait de privilèges. Aussi, les autres bouchers qui étaient établis dans la ville librement devaient se soumettre aux visites des jurés de la corporation et n’avaient aucun privilège : ils étaient donc ainsi soumis au desiderata des bouchers privilégiés.
Au début du XIIe siècle, les terrains situés derrière le Châtelet appartenait au roi. Charles le Chauve décida alors de les donner notamment à l’Abbaye de Montmartre fondée en 1134. A cette époque, il y avait déjà sur place des étaux de boucherie. Toutefois, la location était signée à chaque fois pour une année : aussi le loueur risquait régulièrement de devoir quitter les lieux.
Au début du XIIIe siècle, les établissements des bouchers englobent les terrains environnants entre les murs du Grand Châtelet, la rue Saint-Denis, la rue Saint-Jacques de la Boucherie et le quartier de l’Écorcherie.
Louis VII le Jeune concéda les premiers privilèges dans une charte rendue en 1162 et exposée en 1182. Ils furent ensuite confirmés par Philippe Auguste en 1182 et en 1212, par Philippe le Hardi en 1282, Philippe le Bel en 1297, Charles IV en 1324, Jean II en 1358.
Philippe-Auguste est amené également à régler un litige entre la corporation des bouchers, des ordres religieux (Templiers, Religieuses de Montmartre) et de bouchers indépendants.
En France, le premier texte d’origine royale date de 1162, édicté par Louis VII le Jeune, dans lequel les bouchers héritiers de père en fils sont dits « naturels ». Ne protégeant pas la profession contre la concurrence, il incite les bouchers à demander un texte plus précis, proposé à Philippe-Auguste qui l’approuve en 1182. Cette charte ne comporte que 4 articles, et, à priori, ne fait que confirmer des textes plus anciens :
1° Les bouchers de Paris peuvent vendre et acheter les bêtes vives et mortes, et tout ce qui appartient à la boucherie, sans avoir à fournir aucun impôt ou péage, dans la banlieue de Paris, de quelque part qu’ils les tirent ou quelque part qu’ils les envoient, s’il y a lieu. Ils peuvent acheter et vendre de la même manière les poissons d’eau douce et de mer ;
2° Item. Nul ne peut être reçu boucher à Paris qu’il ne paye aux autres bouchers à boire et à manger, à moins que ceux-ci, de leur propre et libre volonté, ne lui fassent remise de ces droits ;
3° Dans l’octave de Noël, chaque boucher payera à nous par chaque an douze deniers ; et dans l’octave de Pâques et de Saint-Denis treize deniers à celui qui tiendra de nous ce droit à titre de fief ;
4° Chacun des bouchers, chaque dimanche qu’il coupe de la viande de porc ou de bœuf doit à l’officier préposé par nous une obole pour l’étal et nous doit à nous, chaque, le haubens du vin au temps de vendanges. (« Haubans est uns propres nons d’une coustume asise, par la quele il fu establi anciennement que quiconques seroit haubaniers, qu’il seroit plus frans et paieroit mains de droitures et des coustumes de la marchandise de son mestier que cil qui ne seroit pas haubaniers »)
Au XIVe siècle, bien qu’à l’origine en dehors de la ville, le quartier des bouchers se retrouve en pleine ville situé rue Saint Denis, derrière le Châtelet, suite à la construction du mur de Philippe Auguste en 1190. Nommé « la Grande Boucherie », c’est un vaste bâtiment, assez peu homogène, d’au moins deux étages avec un toit de tuiles, contenant trente et un étaux, une chapelle et une salle de réunions et entouré de « bauves » ou échoppes, c’est le cœur d’un quartier des bouchers, écorcheurs, tanneurs, tripiers, parcheminiers, chandeliers de suif… On y vend alors la de la viande provenant d’animaux égorgés sur place. Autour d’elle, se retrouve en effet l’ensemble des professions utilisant les carcasses d’animaux d’élevage et leurs dérivés. Elle était le symbole de la puissance des bouchers au Moyen Age. Toutefois, l’odeur du lieu est particulièrement horrible : les restes d’animaux, les excréments sont accumulés dans cette zone et finissent par être rejetés dans la Seine.

Plan dressé selon le rapport du voyer de Paris, Henri Bricet, en 1416 – Crédit photo : http://grande-boucherie.chez-alice.fr/Grande-Boucherie.htm
Étant au cœur de l’approvisionnement de viande de la ville, les bouchers avaient acquis au fil des siècles de nombreux privilèges. Ceux-ci se retrouvaient dans l’opulence de la Grande Boucherie. En effet, les parisiens médiévaux consommaient beaucoup de viande. Ils se chargeaient de l’élevage des animaux à l’extérieur de la ville et organisaient l’abattage, le découpage et la commercialisation des carcasses. Des ouvriers, les écorcheurs étaient payés à la pièce pour tuer les bêtes. Progressivement les autorités décidèrent de déplacer l’abattage des animaux à l’extérieur des remparts, dans le faubourg Saint Honoré.


Une ordonnance de police du roi Jean II, de 1350, précise certains droits et, surtout, devoirs ;
– l’article 139 porte défense aux bouchers et autres personnes d’acheter ou vendre le bétail ailleurs qu’à la Place aux pourceaux et après heure de midy ; cependant les bouchers et les détailleurs pourront acheter bestail et lard devant ladite heure pour vendre à destail et estail et non autrement.
– l’article 140 précise les devoirs des valets : Nuls valets à bouchers ne pourront achepter denrées à quelque lieu que ce soit s’il n’est tailleur et expert, ayant savoir et pouvoir d’achepter et payer.
– l’article 142 : « Toutes manières de bouchers de la ville prévosté et vicomté de Paris jureront et affirmeront par leurs serments que loyaument et véritablement, ils mettront en somme tout ce que les bestes qu’ils tueront et vendront à estal leur auront cousté et que de chascun vingt sols, rabattu tout le profit des dites bestes leur demeurera, ils prendront pour leur acquest tout seulement deux sols parisis pour livre et non plus. Et qui sera trouvé faisant le contraire, il sorsera le mestier , et sera puni d’amende volontaire. Et au cas où les bouchers de la ville de Paris seroient de ce refusants, et ne le voudroient faire, ils seront privés du mestier, l’on donnerait congé à toutes manières de gens de faire et eslever boucherie en quelque lieu qu’il leur plairoit en la ville de Paris, mais [pourvu] qu’ils vendront chairs bonnes, loyaux et suffisans ».
– l’article 145 : « Nul boucher ne vendra chair sursemée, ne aussi gardera chair tuée plus de deux jours en hyver, et en esté jour et demi au plus. Et au cas où il fera le contraire, il l’amendera chaque fois de vingt sols ».
– l’article 146 : « Pour visiter ledit mestier des bouchers et celuy des chandeliers, seront établis quatre prud’hommes qui jureront par leur serment que loyaument et justement, sans déport aucun, ils visiteront et verront ès hostels, celiers et maisons et autres lieux desdits bouchers et chandeliers, et que toutes les deffautes qu’ils trouveront, sans déport aucun, ce jour mesme que trouvé l’auront, ils rapporteront par devers le presvot de Paris ou l’un des auditeurs, le procureur du roy et le receveur de Paris, qui en ordonneront ainsi comme raison sera. Et seront ledits jurez renouvelez chacun an de leurs serments…, et auront lesdits jurez, pour leur salaire, le tiers des amendes et forfaitures qui en issiront ».
Le roi récidive en 1363 à l’encontre des bouchers de la montagne Sainte-Geneviève suite à des plaintes pour usages non-conformes. Étrangement, ces ordonnances n’évoquent pas la façon de vendre la viande.
» aux observances des autres boucheries, tant de la bonne ville de Paris comme des autres bonnes villes du royaume de France contre les registres et ordonnances anciens faiz en l’église de Saint-Geneviève sur l’état et le gouvernement de ladicte boucherie ». Désormais, « Défenses leur sont faites
1° d’acheter ou de vendre des animaux ailleurs qu’en leur boucherie ;
2° de tuer la veille des jours auxquels on ne mange point de viande, excepté les vendredis, depuis la Saint-Remi jusqu’à caresme-prenant ;
3° de tuer des bestes élevées dans les maisons des huiliers ou des barbiers, ou dans les maladreries ;
4° de faire fondre dans leurs boucheries les suifs des bestes qu’ils y auront tuées ;
5° et 6° d’avoir éviers ou égouts pour faire couler ou d’avoir des fosses pour y garder le sang des bestes tuées : ils seront obligés de porter et de vider chaque jour, hors des murs de Paris, et dans les lieux écartés des chemins, le sang, la fiente et les lavures des bestes ;
7° ils ne tueront pas les bestes qui aient le fy [verrue des bovins et des chevaux]
8° les contrevenants payeront une amende de six livres dont la moitié appartiendra au roi et l’autre moitié à Sainte-Geneviève ».
Un nouvel article oblige les bouchers :
« à tuer dorénavant leurs bestiaux hors Paris, sur la rivière, et d’apporter ensuite leurs viandes à Paris pour les vendre sur peine de dix livres d’amende ».
« Ledit concierge a et doit avoir, à cause de ladite conciergerie, toutesfois que l’on fait un nouveau boucher en la boucherie de Paris, devant le Châtelet, trente livres et demie, la moitié d’un quarteron et la moitié de demi-quarteron pesant de chair, moitié bœuf et moitié porc, la moitié d’un chapon plumé, demi septier de vins et deux gasteaux : et doit donner celui qui les vaquerre, au chanteur qui est dans la salle aux bouchers, deux deniers… S’il advenait que ledit concierge voulsist envoyer lettres à Gonesse pour faire venir des bleds ou autre chose au grenier du Roy, les escorchers de la Boucherie de Paris les doivent porter ou envoyer à leurs propres coûts et despens ; et s’ils le refusent, ils sont tenus de l’amender à nostre dit seigneur et au concierge dessus dicts ».
En 1381, une nouvelle ordonnance royale suivante signée par le roi Charles VI, elle comporte 42 articles et sera applicable jusqu’en 1587 !
« Art. 1 à 5 (résumé) : À la mort du chef du métier, ses fonctions sont exercées par quatre jurés du corps ; ceux-ci doivent assembler tous les bouchers dans le délai d’un mois et les bouchers choisissent douze d’entre eux pour nommer à la majorité des suffrages le chef de la corporation ; les fonctions de greffiers et de sergents sont remplies par trois écorcheurs, qui font tous les actes de procédure relatifs à la juridiction dont est chef le maître élu. Tout boucher sommé de comparaître devant le maître et les jurés sera tenu, s’il fait défaut, à payer une amende de dix-sept sous six deniers, à moins de circonstances atténuantes : auquel cas il est condamné pour le premier défaut à douze deniers, pour le second à deux sous, pour le troisième à dix-sept sous six deniers ; après récidive, le métier lui peut être défendu. Que s’il continue malgré la défense, les trois écorcheurs-jurés, que nous avons vu nommer, appellent à leur aide d’autres écorcheurs comme eux, lui enlèvent et font brûler ses viandes et peuvent aller jusqu’à jeter à l’eau son étal. Les profits des amendes reviennent un tiers au maître de la boucherie, et les deux autres tiers à la communauté, qui peut en user pour payer les gens de loi dont on peut avoir parfois à prendre conseil.
Art. 6 : Ledit maistre ne pourra faire ne recevoir bouchier ni escorcheur senz l’accord et assentement des quatre jurez et d’aucuns prudes-hommes du mestier. Les jurés feront toutes les recettes de sommes appartenant à la communauté, et les porteront, le jour même, en la huche [coffre] du mestier ; ledit maistre ne fera mise [dépense] ne recepte par sa main.
Art. 7 à 11 (résumé) : Les articles suivants prescrivent au maître et aux jurés de remplir avec zèle leurs fonctions ; de pourvoir la communauté d’un sceau, et enfin aux bouchers qui sont cités devant eux par des étrangers, de comparaître en personne.
Art. 12 : Que le bouchier qui vendra mauvaise char sera puniz de soixante sols d’amende, et de foirier [faire férie ou fête chômer] huit jours ou quinze, selon le regard du maistre et des jurez tant seulement ; et son voisin qui l’aura vu, se il ne l’encuse, se il ne peut faire foy souffisant que rien n’en sçavoit foirera aussi selon le regard des susdits…
Art. 20 : Que nul bouchier ne die villenie à personne qui vieigne acheter chars en la boucherie combien qu’elles soient despéciés, sur peine de son mestier perdre par un mois ou plus selon le ragard du maistre et des jurez…
Art. 22 (résumé) : Si un boucher prend une femme débauchée ou publique sans la permission du maître et des jurés, il sera exclu pour toujours de la Grande Boucherie ; mais il pourra avoir un étal à la boucherie du Petit-Pont.
Art. 23 à 39 (résumé) : outre le repas et l’abreuvement qu’il devait à ses nouveaux confrères, le postulant devait encore au maître et à sa femme, au prévôt et au voyer de Paris, au prévôt du Four-l’Evêque, au célerier et au concierge du parlement…
Art. 40 (résumé) : les fils de maîtres étaient seuls reçus dans la profession héréditaire des bouchers ; ils sont exemptés de droits. »
En 1381 Charles VI conforte la corporation des bouchers aux dépens des bouchers libres. Cette nouvelle version des statuts pour la corporation des bouchers lui donne une importance majeure dans la ville.

Boucherie des années 1950
La profession des bouchers étaient dirigé par un chef, élu à vie. Le titre de « maître » apparaît en 1146. Il était assisté par deux maîtres délégués, un maire, quatre jurés et trois sergents écorcheurs. La corporation disposait d’une juridiction dédiée, un domicile, une arche, un sceau et des registres. Suite à des contrôles, le maître en chef pouvait imposer des amendes pour infraction aux règlements pouvant aller jusqu’à la fermeture de l’étal. Chaque année, le vendredi suivant la Saint Jacques et la Saint Christophe (à l’époque le 25 juillet), l’assise des étaux était alors réunie. On y adjugeait alors les étaux et les jurés étaient élus. Ces derniers étaient alors chargés de fixer le prix du loyer et d’en obtenir son paiement par les maîtres. Il est à noter que les bouchers ne pouvaient pas sous louer son étal : ils devaient l’exploiter lui même ou par ses domestiques. D’après les statuts de 1381, seuls les fils de maîtres pouvaient aspirer à devenir maître à leur tour.
L’apprentissage commençait à dix-huit ans pour les fils de maîtres, et à vingt-quatre ans pour les autres qui pouvaient accéder, par lettres de maîtrise, au rang de maître. Pour ceux-ci, le chef-d’œuvre exigé consistait alors à habiller, c’est-à-dire à tuer, dépecer et parer la viande d’un bœuf, d’un mouton ou d’un veau. La réception de nouveaux membres s’accompagnait de longues cérémonies. Le récipiendaire devait donner « un aboivrement (abeuvrement) et un past ». ( statuts grande boucherie).
Toutefois, pour accéder à la maîtrise, ils en effet devaient s’acquitter des “droitures de past” : une maille d’or pour le roi, un septier de vin et quatre gâteaux aux prévôt de Paris, au maître des bouchers, au prévôt du Four l’Évêque, au voyer, au cellérier, ainsi qu’au concierge de la cour du roi. Ensuite, au cours de sa première année de maîtrise, il devait donner au prévôt de Paris 61 livres de viande et à chacun des autres personnages 30,5 livres de viande. Il chargeait le jongleur de la salle des bouchers d’apporter le fruit de ces taxes, moyennant 2 deniers. Les membres de la profession devaient également fournir pour les assemblées de jurés, du vin, des gâteaux et de la cire. En effet, un cierge était allumé devant le maître en chef le temps des délibérations. Le « past » devient une somme de quarante livres tournois à la fin du XVIe siècle. L’âge de la réception est fixé à sept ans et demi ou à quatorze ans. Ce « past » fut source de nombreux procès, surtout au début du XVIe siècle.
La profession avait établi sa confrérie dans l’église de la Merci et avait pour fête le jour du Saint Sacrement.
Les fonctions des officiers et les assemblées étaient soit :
- administratives. – Les quatre jurés représentent la communauté, avec le maître-chef, dans les contrats ; ils sont élus, annuellement, à l’assemblée du métier. Ils sont inspecteurs de la police des boucheries et rédigent des procès-verbaux de leurs visites.
- financières. – Le receveur paye les rentes dues et administre les revenus du métier ; il est élu par une assemblée des maîtres et dépose son bilan devant eux.
- judiciaires. – Le conseil de la Grande Boucherie, composé d’avocats au Châtelet, est une sorte de délégation de ce tribunal ; à sa tête est un « maire » qui le préside.
La juridiction est autonome. La garde du conseil est composée de trois, puis six écorcheurs jurés. La communauté a une prison spéciale. Les causes jugées sont : les infractions aux règlements, les tromperies sur la marchandise, les injures, coups et blessures entre bouchers ou entre bouchers et clients. Tous les membres du métier relèvent de la juridiction, mais les causes graves sont portées au Châtelet. Les sanctions sont l’amende jusqu’à soixante sous parisis et la prison de quelques jours. Des procès sont évoqués également devant ce tribunal pour toutes les atteintes aux privilèges de la communauté. A côté de ce rôle purement judiciaire, il faut voir le rôle d’enregistrement du conseil : lettres de création, statuts, ordonnances du métier.
À la fin du XIVe, le « Mesnagier de Paris » (livre manuscrit d’économie domestique et culinaire rédigé au XIV e siècle ) détaille les affaires de la Grande Boucherie : « 19 bouchiers vendent pour le sepmaine (…) 1900 moutons, 400 beufz, 400 pourceaulx, et 200 veaulx… ». Ce paragraphe pointe le mouton, comme l’herbivore le plus consommé.
Dès les origines, les bouchers ont été des commerçants influents. Au Moyen Âge, les corporations de bouchers de Paris sont très riches et puissantes, notamment impliquées dans la révolte des Cabochiens en 1413.
Sous l’Ancien Régime, parmi ces membres de la corporation des bouchers (appelés mangons ou mascliers) se distinguent :
Les écorcheurs. Ils forment une communauté spéciale, dès le XIIIe siècle ; les maîtres choisissent dans leur sein les sergents qui font la police du métier. Ils visitent les chairs, dépècent les bestiaux et nettoient les échaudoirs. Leur salaire est fixé, au début du XVIe siècle, à deux sous parisis par bœuf appareillé et écorché. En 1513, leurs statuts et coutumes sont rédigés.
Les tueurs de porcs et les langueyeurs.Ils dépendent également de la juridiction de la Grande Boucherie. A côté d’eux, les vendeurs de bestiaux ont des rapports constants avec la communauté.
Les tanneurs et les chandeliers, clients du métier, sont installés non loin de la Grande Boucherie.
Et une quantité de ces métiers secondaires, groupés autour de la communauté centrale, en fait ressortir l’importance. Les cabareteurs, hôteliers et rôtisseurs, qui tiennent des maisons où se cuisent à la broche des viandes, volailles et gibiers mais qui ne peuvent tuer les bêtes. Ce règlement permet d’empêcher la vente de viandes malsaines, dont la cuisson aurait atténué ou caché les défauts.
En 1476 la profession des charcutiers apparaît. Le charcutier prend toute son importance quand la profession des « cuisiniers-oyers » est coupée en deux, d’une part les rôtisseurs, d’autre part les vendeurs de viande cuite, c’est-à-dire les charcutiers dont la corporation est reconnue par l’édit royal de 1476. Les rôtisseurs vendaient des oies dans la rue aux Oies devenus depuis la rue aux Ours. Les charcutiers sont initialement obligés de se fournir de chair crue chez les bouchers, et ce n’est qu’en 1513 que les charcutiers obtiennent définitivement l’autorisation de s’approvisionner directement.
La bonne application de nombreuses ordonnances devrait suffire à pérenniser la profession, mais, le corps des bouchers va disparaître, pour des raisons sociales, financières et politiques.
Armés de masse et de couteaux, les bouchers parisiens se révoltaient très souvent et cette corporation faisait peur au pouvoir local.
La création de nouveaux impôts mal employés est à l’origine d’une première révolte de « maillotins » donné aux émeutiers.
Profitant des états généraux de 1413, les bourgeois de Paris demandent une réforme profonde de l’administration du royaume. N’obtenant pas ce qu’ils souhaitent, les bouchers de Paris, sous la direction de Simon Caboche, l’un d’entre eux, se soulèvent : Ils arrêtent des officiers royaux, dont Pierre des Essarts, le prévôt de Paris en février, agressent le dauphin et ses proches en avril et envahissent l’hôtel de la reine en mai. Ils obtiennent alors de nombreux postes de gardes aux portes de Paris et une ordonnance organisant l’État est promulguée en mai. Toutefois, au milieu de l’année, la population de Paris lasse de ces évènements d’une part et choquée par l’exécution de grands dignitaires dont Pierre des Essarts, et la levée d’un nouvel impôt d’autre part, cesse de soutenir les bouchers qui se retrouvent isolés. En juillet, Caboche et ses partisans doivent fuir s’ils ne veulent pas être exécutés à leur tour.
Après la révolte des cabochiens, la Grande Boucherie fut démolie en 1416. On prit comme prétexte son état de délabrement et la découverte d’un complot contre les Armagnacs au pouvoir. Le retour des Bourguignons permet, en 1418, la reconstruction d’une nouvelle Grande Boucherie moins vaste que l’ancienne de quinze toises carrées, mais plus régulière. Elle est élevée de l’automne 1419 au printemps 1421. Le roi créa quatre boucheries royales la remplaçant : la halle de Beauvais, près de l’église Saint Leufroy, au Petit Pont, et à Saint Gervais. Ainsi, 40 étaux furent constitués remplaçant les 31 de la grande boucherie. Propriétés du roi, les étaux étaient loués et disposaient du monopole de ce commerce dans la ville. Fini l’abattage dans la ville : les bêtes devaient être tuées et écorchées en dehors de la ville, près des Tuileries. Finis également les privilèges, le sceau et les droits. Le roi prit des mesures draconiennes et autorisa seulement une corporation avec des jurés, soumis à l’autorité du prévôt de Paris. La corporation de La Grande Boucherie devint ainsi la propriété du roi pendant 5 ans.
Après le retour des Bourguignons au pouvoir, les étaux de la grande boucherie furent rétablis en 1418. On conserva toutefois les boucheries de Beauvais, du Petit Pont et de Saint Gervais. Mais le roi refusant l’obligation d’entretien rend aux bouchers leurs anciens privilèges, à condition de prendre en charge les travaux à exécuter.
En 1551, Henri II profita de la difficulté de l’élection du maître des bouchers pour supprimer la fonction. Il créa alors un office héréditaire.
De son côté en 1586, la boucherie de Beauvais proclame ses propres statuts. Aussi, en réaction en 1587, la boucherie près du Châtelet modifia ses statuts, ne faisant plus état du maître : des étaux pouvaient se constituer qu’à la condition de se soumettre à l’autorisation et aux jurés de la profession.
En 1650, l’ensemble des bouchers de Paris acceptèrent de se regrouper devant un notaire pour reconnaître les statuts de 1587 : ils déclarent alors vouloir partager une maison commune et subir une enquête de trois mois pour être acceptés définitivement.
A partir de cette époque, différents offices furent créés :
- union des offices des jurés en 1691,
- l’office d’auditeurs de comptes en 1694,
- le trésorier payeurs des deniers communs en 1704,
- et les visiteurs des poids et des mesures en 1706.
Entre le XVe et le XVIIIe siècle, la multiplicité des édits et ordonnances vont régentés la corporation des bouchers. Cette succession de réglementations montre l’importance des bouchers pour l’alimentation de la population. Entre autres réglementations, certaines relatent les modalités d’abattage ou encore, en 1790, précisent les obligations de la profession : heures de fermeture, interdiction de vendre de la viande où il n’y a pas de paroisse, conditions de changement de maître pour un compagnon.
Toutefois la profession de bouchers en province était moins perturbée par ces réglementations, à la différence de Paris, la loi n’était pas la même pour tous. Les bouchers de la plupart des villes de France sont ainsi sous la dépendance d’ordonnances royales, et donc pas toujours locales, mais toutes ont un point commun : la salubrité.
Dans le but de développer la concurrence pour obtenir une diminution des prix, le ministre Turgot dissout toutes les corporations en 1776. En 1782, le roi signe des lettres patentes qui ne font que reprendre les textes déjà promulgués au fil des dernières décennies. Quatre types de commerces sont distingués : la boucherie pour la vente de viande crue de bœuf, de veau et de mouton, la charcuterie pour la vente de viande de porc crue ou cuite, la triperie et la vente de suif. En 1791, loi Le Chapelier supprime à nouveau les corporations pour les mêmes motifs.
Avec l’interdiction de l’abattage dans les locaux du boucher, Napoléon, en 1808, crée cinq abattoirs publics dans les faubourgs parisiens. Il ne reste plus que deux catégories de bouchers, les grossistes, dits chevillards qui achètent et tuent les bêtes, et les détaillants qui découpent et vendent la viande au détail.
Les ruelles infectes du quartier de l’Écorcherie disparaissent au début du XIXe siècle pour faire place au croisement de l’avenue Victoria et du boulevard Sébastopol.
Enfin, en 1858, un décret établit à Paris la liberté de la boucherie comme elle existait déjà dans le reste de la France et dans les pays voisins.

En 1867, l’ouverture des abattoirs généraux de La Villette entraîne la fermeture d’abattoirs périphériques.
Le métier de boucher reste essentiel dans l’alimentation française, mais le nombre de boucheries artisanales a fortement diminué au cours des dernières décennies. On comptait environ 15 000 boucheries indépendantes en 2023, contre plus de 30 000 dans les années 1980. Ce déclin s’explique par plusieurs facteurs, dont la concurrence accrue des grandes surfaces qui proposent des rayons boucherie bien fournis, souvent à des prix inférieurs ; une consommation de viande en France est en baisse, un phénomène observé depuis plusieurs années. ( en 2020, la consommation moyenne de viande par habitant était de 84 kg par an, contre environ 93 kg en 2007) ; de nouveaux modes de consommation.
Même si le métier de boucher a connu de profondes mutations depuis le XIXe siècle, il n’en demeure pas moins que la profession a longtemps conservé des formes de sociabilités spécifiques, un fonctionnement corporatif et paternaliste prégnant et, parfois, des comportements politiques originaux.
Sources :
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- www.heses.chartes.psl.eu/document/ENCPOS_1926_10
- www.histoires-de-paris.fr/bouchers/
- www./books.openedition.org/editionsmsh/9962?lang=fr
- www.fr.m.wikipedia.org/wiki/Boucher_(métier)
- www.arcoma.fr/fr/metiers-d-antan/215-metiers-de-bouche/boucher/467-histoire-des-bouchers
- www.histoires-de-paris.fr/grande-boucherie/
- www.shs.cairn.info/revue-hypotheses-2004-1-page-109?lang=fr
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