LA BUÉE OU LA GRANDE LESSIVE

La « buée » ou la lessive d’autrefois




 

 

Afin de lutter contre les épidémies de choléra, variole, typhoïde, une loi du 5 février 1851 demande aux communes l’édification de lavoirs publics ; ces lavoirs couverts facilitent le travail des lavandières : elles peuvent laver et rincer le linge par tous les temps. Les lavoirs ont aussi un rôle social, c’est un lieu de rencontre et d’échange.

 

Lavandières au bord de Drôme

 


Quatre lavoirs ont été construits vers 1890 sur la commune d’Aouste

 

 

 

 

Lavandières

 

 

 

 

 

 

La buée

 


La lessive est de nos jours une opération banale que l’on pratique quotidiennement, sans même y réfléchir. Rien qu’en France, c’est environ 20 millions de lessives qui sont effectuées au quotidien ! Et pourtant, cette tâche simple a été longtemps le cauchemar de générations de femmes, corvée à la fois pénible, malsaine et bien plus polluante qu’elle ne l’est aujourd’hui

De tout temps la lessive fut l’apanage des femmes : laveuses, lavandières, blanchisseuses et repasseuses. Corvée autrefois longue et pénible, malsaine, le lavage du linge s’est transformé en une tâche quotidienne simple, rapide et relativement bon marché, et moins polluante qu’elle ne le fut autrefois, suite aux nombreux progrès technologiques qui se sont opérés au cours du siècle dernier. La lessive est devenue, de nos jours, une opération banale, pratiquée quotidiennement.

Le lavage du linge de corps et des vêtements de travail avait lieu toutes les deux ou trois semaines, plus souvent si on avait de jeunes enfants. Mais plus fréquemment les petites lessives avaient lieu une fois par semaine, généralement le lundi, pour de petites quantités de linge, essentiellement des vêtements. Il s’agissait bien souvent d’un simple trempage sans savonnage dans l’eau de la rivière ou de la mare, faute de ressources.

La buée, (« buga » en occitan), « bua » (en occitan du nord), « buec » (Die) signifie la lessive. Jusqu’au début du siècle. Faire la lessive se disait « faire la buée » ou « faire la bue », termes à l’origine de l’étymologie de buanderie.

 

La grande lessive ou grande buée

 

Il s’agissait de la grande lessive de l’année du linge de maison (rudes draps de lin) et des vêtements (chemises en chanvre, bonnets de nuit, bouses…). Cela se passait une, deux ou trois fois par an, au printemps (préparation du linge pour les fêtes de métier organisées lors de la semaine sainte), en été avant la moisson ou après la fenaison pour profiter de la belle saison, voire en automne. Selon l’aisance de la famille, il y avait soit une bonne réserve de linge, soit peu de changements. Il s’agissait d’un travail collectif assuré par les femmes car chaque famille ne possédait pas le grand chaudron de fonte (ou la chaudière) posé sur quatre pieds. Les voisines s’entraidaient à cette occasion où les familles plus aisées faisaient appel à une lavandière professionnelle.

Les premières opérations se pratiquaient dans les foyers. Le linge était trié : d’un côté le linge blanc, et de l’autre les lainages et le linge fin. Le blanc était lui même trié en fonction de son degré de saleté et de sa finesse : cela conditionnait sa place dans le cuvier.

La buée avait lieu à l’extérieur ou dans une pièce spécialement préparée (chambre à four, fournil, appentis ou coin de grange). La lessive durait trois ou quatre jours, voire une semaine suivant la quantité de linge. Une grande buée comptait en moyenne 70 draps et autant de chemises, des dizaines de torchons et de mouchoirs.

Le premier jour avait lieu le trempage : le linge était mis à macérer dans des cuviers en terre ou grands baquets de bois cerclés de fer. Les pièces de linge de la famille y étaient disposées en couche sur lesquelles on arrosait avec de l’eau froide pour éliminer les premières tâches. L’opération consistait à décrasser à l’eau, sommairement, pour en faire tomber les matières peu adhérentes et solubles (poussières, boues), le linge que l’on avait amassé. Ainsi, la crasse était-elle dissoute dans l’eau froide alors que les matières qui la constituaient auraient coagulé dans l’eau bouillante.

L’opération appelée aussi « essangeage » correspondait au prélavage. Le linge était sommairement décrassé à l’eau. Les saletés les plus tenaces étaient frottées à la brosse sur une planche à laver striée ; les pièces délicates, les cols et poignets de chemises, étaient lavées à l’eau tiède avec du savon de Marseille. Pour les taches les plus rebelles, chaque femme avait ses secrets. Il y avait toute une variété de procédés, dont certains passablement curieux, pour ôter les taches.

Le lendemain, une femme procédait au « coulage » . Une fois rempli, le cuvier était recouvert d’une grosse toile de chanvre (charrier ou cendrier) ou d’un drap appelé « cendrier » car sur ce tissu de grosse toile était répandu un lit épais de cendres de bois tendre qui faisaient office de savon grâce à leur richesse en carbonate de potassium (On y ajoutera à la fin du XIXe siècle des seaux de cristaux de soude fondus avec des copeaux de savon ). Les coins de la toile étaient ramenés sur les cendres et on versait sur le tout une soixantaine de litres d’eau bouillante parfois parfumée avec des plantes aromatiques (lavande, thym,  iris, etc…). Ce jour durait une bonne demi-journée. Les sels de potasse contenus dans les cendres se dissolvaient et l’eau de lessive, solution alcaline, était recueillie au bout d’une heure à un trou à la base du cuvier et l’on réchauffait l’eau. On reversait la lessive sur le charrier à l’aide d’un récipient,. On recommençait l’opération pendant des heures. Des vapeurs étouffantes se dégageaient du linge bouilli et touillé de temps à autre à l’aide d’un solide bâton. On laissait macérer toute la nuit.

Le troisième jour, le linge refroidi et alourdi était chargé dans des corbeilles ou des bassines sur la brouette ou la remorque. Il était conduit au lavoir pour y être battu, rincé et essoré. Le linge retrouvait sa blancheur. Les laveuses procédaient alors au savonnage, au dégorgeage et au rinçage. Elles prenaient leur battoir (le battoir permettait d’extraire le maximum d’eau de lessive), leur pain de savon, leur brosse de chiendent. Elles tendaient le linge à bout de bras, le laissaient flotter dans l’eau froide, le frottaient et le pressaient sur la pierre avec la brosse. Elles le rinçaient en le tordant et en le frappant avec le battoir pour le débarrasser de l’eau de lessive. Parfois, elles plongeaient dans l’eau de chaque baquet de rinçage un sac de bleu contenant une poudre bleue provenant de l’indigotier ou de l’outremer, pour rendre le linge encore plus blanc.

À l’issue de ces journées, le linge subissait un séchage, selon le temps, à air chaud (devant le poêle ou la cheminée), couvert (dans un grenier) ou à l’air libre (au jardin sur un fil, sur des haies ou pour les grandes pièces de linge étendu sur l’herbe, ce qui favorisait son blanchiment) pour les grandes pièces telles que les draps. Enfin les draps étaient pliés dans les grandes armoires de ferme.

Après la Première Guerre Mondiale, le coulage fut simplifié. Les femmes utilisaient « les lessiveuses à champignon galvanisé ».

La lessiveuse à champignon, qui permettait de faire circuler l’eau chaude, a libéré la femme du travail long et fastidieux de coulage de la lessive, puisque le nouvel instrument, plus léger et moins encombrant que le lourd cuvier de bois, remontait automatiquement le  » lessif  » sur le linge et la cendre végétale fut remplacée par du perborate acheté à la pharmacie, puis par le savon et les premiers produits détergents.

Ensuite, on savonnait, on brossait en insistant sur les dernières taches et on rinçait.

Les femmes se dirigeaient ensuite au lavoir. Le linge est battu avec un battoir pour faire rentrer le savon dans les textiles, puis rincé à l’eau froide dans le bassin, essoré par tordage à la main pour faire sortir l’eau restant. Ensuite il est t installé au soleil pour sécher.

La lessiveuse fut longtemps considérée comme l’ultime progrès réalisable en fait de lessive domestique.

Elle mit du temps à s’implanter, commercialisée vers 1870 et surtout vers 1880, elle atteignit les campagnes vers 1900, son usage, en milieu rural,  se généralisant après la première guerre mondiale. On en trouvera encore en action dans les années 1960, bien après la venue de la boule, apparue, elle, après la seconde guerre mondiale, et de la machine à laver moderne.

On l’offrait souvent comme cadeau de mariage. La plupart des livres d’enseignement ménager recommandaient encore, dans les années quarante, l’usage de la lessiveuse.

 

Lavoirs

 

Les lavoirs sont des bassins publics, construits par les municipalités, alimentés par une source ou un ruisseau. Ils étaient utilisés par les femmes pour rincer le linge qui demandait des quantités d’eau propre très importantes.

Si les femmes se sont toujours déplacées près des points d’eau de leur village pour laver le linge, on ne peut dater le début de la démocratisation des lavoirs qu’au milieu du XIX° siècle.

Les lavoirs aménagés existent depuis la nuit des temps et consistaient parfois en une simple pierre plate posée au bord de la rivière. Le début du XIXe siècle voit apparaître les premiers aménagement des fontaines, des sources, en bordure d’un ruisseau, d’un canal, d’une rivière, de véritable bassins et constructions pour laver le linge.

La création des lavoirs résulte d’une prise de conscience collective de l’importance de la salubrité publique et des principes élémentaires d’hygiène.

A partir des années 1850, les épidémies de choléra, variole ou typhoïde faisaient de nombreuses victimes en France. On a bien compris que les épidémies ne sont plus des punitions du ciel et l’on commence à chercher comment prévenir leur apparition. Le fait que l’eau soit propagatrice de maladies est scientifiquement prouvé et veiller à sa pureté devient un impératif. Or, la cause de son insalubrité réside en ce qu’un même point d’eau sert à de multiples usages. Les fontaines publiques ne suffisent plus à satisfaire les besoins des populations. L’édification des lavoirs s’impose donc guidant avec elle le progrès de l’hygiène individuelle.

Suite à ces nombreuses épidémies, et avec la prise de conscience de l’hygiène, une loi votée le 3 février 1851 ouvre un crédit pour encourager les communes à aménager des lavoirs publics. Le 3 février 1851, l’assemblée législative de Napoléon III vote un crédit spécial de 600 000 francs destiné à subventionner à hauteur de 30% la construction des lavoirs dans les communes et prévoit que « c’est au lavoir commun que la laveuse trouvera une distribution commode d’eau chaude et d’eau froide, des appareils de séchage qui lui permettent une économie de temps, et qui lui évite d’effectuer (le blanchissage) dans l’habitation »

Les travaux étant mis en adjudication sur rabais à la chandelle (vente à la bougie) expliquent chez les entrepreneurs une certaine similitude de conception et de matériaux.

 

Organisation

 

La lessive dans l’habitat même posant de nombreux problèmes (vapeur humidifiant les murs, écoulement de l’eau), le linge n’est alors lavé que deux fois par an (la lessive devient mensuelle dans les années 1900 et hebdomadaire dans les années 1930), les moins fortunés gardant leurs vêtements jusqu’à complète utilisation. Ces « grandes lessives », appelées « buées », durent généralement trois jours : le premier, le linge est immergé dans d’énormes baquets de bois pour un premier décrassage ; le deuxième, le linge est lessivé dans ces mêmes baquets ou d’autres cuves, recouvert d’une toile sur laquelle on pratique le coulage, c’est-à-dire le versement de l’eau bouillante à l’aide d’un récipient à long manche sur une épaisse couche de cendres dont le carbonate de potasse constitue un excellent agent nettoyant ; le troisième, le linge est rincé et essoré au lavoir.

Au lavoir, un rude labeur est réservé aux femmes ! Les mains dans l’eau froide en toutes saisons, courbées ou agenouillées, le travail est éreintant : tremper le linge, le savonner, le brosser jusqu’à obtenir une propreté parfaite, le jeter dans l’eau, le rincer, le tordre en le pliant plusieurs fois et le battre avec un battoir en bois sur la pierre afin de l’essorer le plus possible. jusqu’à épuisement du tas avant le retour pénible en brouette ou remorque vers le lieu de séchage.

Lorsque les femmes y lessivaient également leur linge, elles le frottaient le brossaient avec du savon parfois fabriqué artisanalement, puis le rinçaient en ajoutant quelques boules de bleu (poudre à base d’indigo) pour l’éclat.

 

Rôle social

 

Les lavoirs avaient une importante fonction sociale. Ils constituaient en effet un des rares lieux où les femmes souvent confinées dans leur foyer ou dans leur ferme pouvaient se réunir et échanger.

Réputé pour être un lieu de médisance il n’exclut pas la solidarité, ne serait-ce que pour tordre le linge à deux en sens inverse. En outre, si la quantité de linge apportée au lavoir témoigne de la prospérité de sa maison, le fait d’exposer son linge est aussi, d’une certaine façon, une manière de révéler une intimité.

 Le lavoir n’est pas seulement un bâtiment où la femme lave son linge ; c’est aussi un espace public, rempli de vie, de bruit et de cancans, un lieu de vie réservé aux femmes, une sorte de double du café de village pour les hommes. « Au lavoir, on lave le linge, mais on salit les gens » dit-on ! Les lavoirs résonnaient souvent des discussions et rires des femmes.

Les lavoirs deviennent très vite des lieux de rencontre où les laveuses se rejoignent transportant avec elles, brouette, remorque, baquet plein de linge, brosse et savon , pour s’échanger les derniers potins du village, commérer.

L’activité de nettoyage du linge était physiquement très difficile. A longueur de journée, ce lieu retentit des coups de battoir, du dégoulinement de l’eau, du choc sur la pierre des lourds draps mouillés Aussi, le fait de la pratiquer de façon collective la rendait plus facilement supportable : les femmes pouvaient discuter entre elles (on y entend « le journal parlé de la commune »), plaisanter, chanter…. On arrivera même à appeler les lavoirs « radio-lavoirs », « hôtels des bavardes » ou encore « moulins à paroles ».

Des conflits surgissaient également parfois. Que ne s’est-il pas dit dans ces lavoirs ! Là où on lavait le linge on salissait le monde.

 La fréquentation des lavoirs était exclusivement féminine (elles pouvaient toutefois y emmener leurs enfants quand elles n’avaient personne pour les surveiller. Le lavoir est le domaine réservé des femmes. Certaines femmes s’y rendaient à titre personnel tandis que d’autres y exerçaient pour d’autres.

 

De la lessiveuse au lave-linge. La fin des lavoirs

 

La lessiveuse à champignon, qui s’intégrait plus aisément dans la cuisine ou la buanderie, avait amorcé une véritable révolution domestique en libérant la ménagère des tâches de l’essorage et occasionnellement, du savonnage du linge ; mais elle n’avait pas contribué à rompre le lien social que constituait encore la pratique du rinçage.

Après la seconde guerre mondiale, les machines à laver, qui se sont répandues simultanément avec les textiles synthétiques et l’usage des poudres détergentes, ont dispensé du passage au lavoir, puisque la poudre remplaçait le frottage mécanique et que la machine rinçait le linge. « L’acceptation, essentiellement privée du lavage, entraînera la fin de la défense du lavoir public considéré longtemps comme un véritable service public à protéger ». L’installation de la machine à laver dans l’appartement ou la maison, a conduit à l’abandon corrélatif des espaces traditionnels de lavage.

Dés le milieu du vingtième siècle, les adductions d’eau combinées avec l’équipement en machine à laver ont condamné les lavoirs à l’obsolescence et peu à peu abandonnés.. Ces anciens lieux de vie sont devenus des lieux de silence. Les lavoirs sont condamnés à l’inutilité ; souvent, même le clapotis de l’eau a disparu. Certains lavoirs tombent en ruine, le toit s’effondre, les ronces et les orties font le reste. De nombreuses communes sont, aujourd’hui, plus respectueuses de ce petit patrimoine, elles s’efforcent de l’entretenir, de le « tenir prêt à fonctionner » : le(s) bassin(s) et les pierres à laver sont conservées en place, l’arrivée d’eau est maintenue… Le lavoir mérite, en effet, cette conservation respectueuse, il a abrité le travail banal, harassant, ans gloire mais indispensable des laveuses, c’est un lieu de mémoire.

Leur entretien n’a  plus été une priorité pour les communes et nombre d’entre eux tombent en ruine ou ont disparu. On redécouvre aujourd’hui les lavoirs, ces lieux et ces bâtiments constituent une des richesses du patrimoine rural. Beaucoup de communes ont à cœur de les sauvegarder ou de les remettre en état.  Le bruit des battoirs de nos aïeules a cessé, sans doute à jamais, comme se sont tus leurs bavardages. Mais celles qui partaient avec leur brouette chargée du linge qu’elles allaient laver dans l’eau froide de nos ruisseaux ont bien mérité qu’on leur rende un hommage.

 

La machine à laver

 

La machine à laver est une invention de Jacob Christian Schäffer (1718 -1790), mais le premier brevet relatif à une machine à laver a été déposé le 31 mars 1797 par l’Américain Nathaniel Briggs dans le New Hampshire

La laveuse à rouleaux est inventée en 1843 par John E. Tarnboler à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. En 1866 apparaissent, en Angleterre, les premières machines à laver mécaniques fonctionnant à manivelles. L’américain Alva John Fisher dépose un brevet concernant une machine à laver à moteur électrique en 1910. En France, on présente à la Foire de Paris de 1930 la première machine à laver à moteur électrique dont l’utilisation se développe dans les années 1960.

 

Des publicités d’époque …


 

 


Des photos d’objets obsolètes…


 

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