L’ENNOYAGE

L’ ennoyage




 

 

Les origines de la noix sont assez obscures. Certains botanistes affirment qu’elle proviendrait de nos contrées, reliquat des productions végétales de l’ère tertiaire. Des études sur des pollens fossiles montrent que le noyer était présent en France bien avant l’arrivée des Romains. En Ardèche, une découverte a validé cette hypothèse : une noix de plus de 8 millions d’années a été retrouvée lors de fouilles archéologiques. Elle était consommée par l’homme de Cro-Magnon dans le Périgord il y a 17 000 ans !

Après sa disparition de nos contrées, le noyer aurait été réintroduit grâce à des souches venues des Balkans ou de la zone himalayenne.

Il se dit que les Romains auraient réimplanté le noyer en Gaule. Au gré des migrations et des colonisations, la noix serait donc partie de son berceau d’Asie mineure pour arriver en Grèce et à Rome. Quoi qu’il en soit, c’est au cours des cinq siècles avant Jésus-Christ que le noyer se domestique sur notre territoire.

On retrouve des traces de sa culture durant l’époque Gallo-romaine dans le Dauphiné.

Au XIe siècle, certaines redevances étaient déjà payées en setiers de noix et aux XIVe et XVe siècle, des châtelains font figurer dans leurs comptes des recettes provenant des récoltes de noix

Au XIIIe siècle, la noix prospère de nouveau dans le Dauphiné et le Périgord. Elle fait d’ailleurs la prospérité de cette dernière région. L’huile de noix, aussi précieuse que l’or, sert aussi bien à éclairer les modestes logements que les gigantesques cathédrales. Elle fournit également les peintres et les élégantes, qui soignent leur corps avec.

Le commerce de la noix prospère à partir du XVe siècle et ne s’est pas encore tari jusqu’à aujourd’hui.

Ce fruit d’hiver a toujours fait partie de la nourriture paysanne alors qu’on le rencontrait peu sur les tables bourgeoises.

Avant d’utiliser d’utiliser les noix pour leur consommation personnelle ou industrielle, il convient de les débarrasser de leur coque rigide afin d’en extraire les cerneaux.

L’ennoyage (on parle aussi d’énoisage ou mondée) est une pratique qui a toujours été au cœur de la tradition populaire, bien qu’elle disparaisse peu à peu. Au cours des longues soirées d’hiver, en famille, souvent avec l’aide des voisins, on cassait et on triait les noix près du « cantou », tout en s’accompagnant de chansons, de contes, et de légendes. C’était une source de revenus non-négligeable pour la famille. Cette activité instaurant une économie à caractère familial est encore pratiquée dans la région par quelques rares agriculteurs qui prolongent leur activité et arrondissent ainsi leur retraite.

Traditionnellement, l’ennoyage avait lieu durant l’hiver, au cours de longues veillées, dont le souvenir est encore bien vivace dans nos campagnes. La famille, les amis et les voisins, se réunissaient autour de l’âtre où brûlait un feu de bois fort apprécié. De ces foyers rougeoyants et sans flamme, une odeur âcre se répand qui influe sur les yeux, la gorge, les papilles , pénètre les vêtements. Dehors, le froid et le gel paralysait la campagne. Le silence extérieur contrastait avec l’intensité des voix mêlées au harcèlement des petits maillets de bois.

Une fois que les noix ont été ramassées, elles étaient répandues sur une claie ou sur le plancher des greniers pour qu’elles puissent sécher. Elles été mises à sécher, à l’abri de la pluie, mais à l’air. Il fallait qu’elles soient à l’air. Elles y restaient parfois deux mois. Une fois par semaine environ, on les retournait pour que la coquille soit uniformément sèche.

 

 

Grenier à noix


Ensuite, elles étaient mises en sacs et dirigées vers le lieu d’ennoyage. Une fois récoltées et séchées, lorsque les noix ne sont pas vendues en coque, elles sont ennoyées pour être vendues en cerneaux.

La technique de l’ennoyage est théoriquement simple mais complexe à maîtriser, car il ne faut pas écraser la noix lorsqu’on la casse.

L’ennoyage se déroule en trois étapes : le cassage des noix, le décorticage et le triage des cerneaux.

On casse tout d’abord les noix avec une massette, sur une lauze ou un morceau de bois dur, buis ou noyer ou même une tuile creuse retournée sur la cuisse, d’un coup sec et bien dosé, puissant et léger à la fois, pour casser net la coquille, en son centre, sans pour autant écraser le cerneau. Pour ce faire, le maillet de bois dur, traditionnellement du buis, il fallait pourtant le limer de temps à autre pour le remettre plan.

L‘ennoyage est une chose sérieuse… On n’a pas le droit à l’erreur et il faut une dextérité, une rapidité, qui ne s’obstinent que par un long apprentissage, pour dégager les cerneaux et les séparer sans qu’ils se cassent, avec un couteau à ennoyer dont la lame n’était pas affûtée pour ne couper ni les cerneaux ni les doigts. On les utilisera ensuite en pâtisserie et dans des préparations culinaires. Nulle innovation technologique n’est venue supplanter cette habileté manuelle ancestrale. On peut bien mécaniser le ramassage des noix, on ne saurait mécaniser leur décorticage.

C’était presque l’unique occupation pour les femmes et les hommes les rejoignaient l’hiver quand ils n’avaient plus de travail dans les terres. Quant aux enfants, ils s’y mettaient activement dès l’âge de 9 ou 10 ans. Les plus petits également désiraient participer et voulaient travailler comme les grands. On les installait sur une petite chaise et devant eux on disposait un petit tas de noix déjà cassées.

Sur les planchettes, au fur et à mesure que le travail progressait, s’empilaient les noix cassées. On les repoussait d’un revers de main vers le centre de la table. Ce sont les femmes qui, en général, extrayaient les cerneaux des coquilles, tandis que d’autres les mettaient dans des sacs qui iraient au moulin.

Et pour finir, on trie les cerneaux : les beaux pour la pâtisserie, les autres et les brisé pour faire de l’huile.

 

 


Lors de l’ennoyage, rien n’est jeté : les cerneaux entiers servent à la pâtisserie, les brisures à faire de l’huile de noix, les pourris pour la peinture et les coquilles étaient utilisées jadis pour se chauffer, jetées au feu, elles se consument lentement et les cendres blanchissaient la lessive. Pulvérisées, les coquilles servaient de fleurage aux boulangers, maintenant comprimées, elles forment une pâte qui sert de lubrifiant pour le matériel de forage pétrolier.

Il faut environ 2 à 3kg de noix en coque pour obtenir 1kg de cerneaux.

L’ambiance était propice à parler de la famille, des voisins, des amis, à raconter des histoires, des galéjades, mais aussi des légendes et des contes qui nourrissaient l’imaginaire. La grand-mère remplissait à ras-bord les verres. C’était la soirée de la bonne humeur, du travail bien fait.  Cependant, on avait fini d’ennoyer, et on mettait les cerneaux dans les sacs, et les coquilles dans des paillassons pour les monter au grenier ; ça sert à allumer le feu l’hiver. Quand tout fut ôté, on appareilla la grande table pour souper. Il était onze heures et demie, il était temps. Comme d’habitude, lorsqu’on ennoie, il va sans dire que la soirée se terminait par un bon casse-croûte, après l’effort, le réconfort: un repas terroir : cochonnailles et autres, de la saucisse sèche, un peu de fromage et pâtisseries, le tout bien arrosé ! Et si l’on a la chance d’avoir un musicien….

Les cerneaux de noix ne sont pas seulement utilisés en préparation culinaire – assaisonnement ou gâteaux – mais on en fait surtout de la précieuse huile de noix obtenue après broyage des cerneaux pour en faire une pâte. Ensuite la pâte est malaxée, chauffée et pressée pour en extraire une huile.

A Aouste, en 1724, les noyers de la communauté ont produit 28 hectos d’huile de noix utilisés pour les besoins locaux (alimentation, éclairage, maçonnerie …)

 


Aperçu de la production des noix à Aouste de 1900 à 1934

Années

En quintaux

  

1900

150

1904

40

1917

50

1918

50

1919

60

1920

20

1921

10

1922

80

1923

95

1924

92

1925

95

1926

30

1927

35

1928

35

1929

?

1930

10

1931

10

1932

40

1933

?

1934

25


Bien que le moulin à blé et à huile d’Aouste existait depuis le Moyen Age, ce n’est qu’à partir de 1592 que des traces écrites existent dans les archives municipales disponibles.

Avec les quelques délibérations consulaires, on peut suivre l’activité de ce moulin, plus particulièrement pour le contentieux avec les habitants.

Le 25 juillet 1582, les consuls doivent vendre les moulins à Antoine de La Baume, afin de pallier aux faibles recettes et aux dettes chroniques de la communauté.(Guerres de religion période 1560-1587, emprunts….)

 

Moulin à huile de noix

 

Anecdotes

 – D’après une tradition , lors de ces veillées, de petites noix étaient cachées dans les tas de noix. Lorsque les messieurs en trouvaient une, ils pouvaient, dit-on, embrasser la demoiselle de leur choix puis la faire danser toute la nuit sur l’air d’une chanson . La tradition rapporte également que, lorsqu’un jeune garçon ou jeune homme trouvait cette petite noix, il la faisait passer discrètement à la jeune fille qu’il rêvait de séduire. Si la jeune fille l’ouvrait ou la cassait, c’était une fin de non-recevoir ; par contre, si elle gardait le précieux présent, alors l’espoir était permis…

 – Il était d’usage d’offrir aux jeunes mariés revenant de l’église une noix fraîche. Ce présent symbolisait l’attachement que le couple devait avoir l’un pour l’autre durant leur vie commune, comme les deux parties de la coquille étroitement scellées. Les deux parties de la noix représentaient également l’union du féminin et du  masculin.

 – Une croyance populaire dit qu’il est dangereux de s’assoupir sous un noyer. Les racines de l’arbre dégagent en effet une substance toxique pour les autres plantes, qui donnerait des maux de tête à celui qui dort à son pied. Les Gaulois s’en méfiaient pour son caractère solitaire en lien avec la juglone, substance chimique émis par l’arbre qui empêche les graines alentour de germer. La superstition populaire dit que se coucher sous un noyer est dangereux au risque d’être visité par le diable ou en contact avec des sorcières !

 

Une autre utilisation bien agréable de la noix verte

 

Avec quelques noix vertes cueillies sur l’arbre, un bon vin rouge, de l’eau de vie et quelques épices, le tout bien macéré, vous avez un apéritif très populaire du Dauphiné : le « vin de noix » !

 

 

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