LE TUAGE DU COCHON

Le tuage du cochon

 

 

« Dans le cochon tout est bon ! »

Encore une tradition qui a tendance à disparaître : tuer le cochon. Autrefois dans toutes les fermes on élevait des cochons destinés à être tués en fin d’année, pour le fermier bien sûr mais aussi pour la famille et des habitués. Dans nos campagnes autrefois il n’était guère de famille qui n’élevait pas son cochon. Pendant des siècles le cochon fut la base de l’alimentation dans la majorité des campagnes françaises. Il était courant de sacrifier une moyenne de deux cochons par famille. Cette tradition ancestrale était un moment de convivialité où voisins et amis se retrouvaient durant deux jours pour s’entraider certes, mais aussi pour festoyer.

Aujourd’hui il ne s’engraisse plus guère de cochons fermiers, dans quelques fermes seulement et uniquement sur commande. Il a y encore quelques inconditionnels qui ne jurent que par leur charcuterie maison, leurs conserves et leur salaison. Le résultat est toujours à la hauteur des espérances.

 

Depuis très longtemps, le porc fait partie des animaux de basse cour essentiels de la ferme comme ici en 1910


Celui-ci logeait le plus souvent sous un appentis en prolongement de l’étable, avec une auge lourde, en pierre pour la stabilité. C’était le  « téchou » et, parfois, une cour extérieure pour que l’animal bénéficie du soleil.

Il fallait d’abord acheter le porcelet à la foire le plus souvent. Les marchandages allaient bon train. Des éleveurs de la région – dans les fermes, il n’y avait pas encore « d’usines à cochons » – avaient une ou deux truies, et offraient à la vente plus de petits cochons qu’il n’en fallait pour couvrir les besoins de la zone. Il y avait des périodes plus favorables que d’autres pour le marché…

L’abattage des animaux se faisait autour de la saison d’hiver, toujours en dehors des grandes chaleurs. La période durait à peu près six mois, du 15 octobre au 15 avril, avec une forte activité au début et à la fin. On tuait autrefois le cochon en novembre ou en décembre. Pourquoi ? Parce qu’il n’y avait plus de mouches ces mois-là. Et on avait ainsi de la viande fraîche pour les fêtes de Noël… Les familles élevaient souvent deux cochons par année, et s’arrangeaient pour en avoir toujours un, en élevage.

Une fois acheté, le petit cochon mangeait tous les restes des repas de la famille, buvait les eaux plus ou moins grasses de la vaisselle. Il consommait le “petit lait” (lait écrémé de vaches et ses dérivés provenant de la fabrication du beurre). Il avait droit aussi à un petit complément de farine de “méteil” (mélange blé et avoine) ou d’orge, pour une meilleure croissance de l’animal. Mais aussi betteraves, pommes de terre abîmées ou trop petites, maïs, son, etc…. C’était un moyen de faire consommer les déchets comestibles qui auraient été jetés au fumier. Les familles mangeaient alors de la viande “à pas cher”, par rapport à la viande de bœuf, qui était achetée chez le boucher seulement pour les grandes occasions.

Venait le jour “J” : Vers 6-9 mois, selon que l’éleveur était généreux avec la ration de farine, le cochon, ayant atteint plus de 100 kg, était bon à tuer. C’est alors qu’intervenait le « tueur de cochons », homme énergique en général puisque le travail était physique. En plus il se faisait aider par deux ou trois hommes de la maison ou voisins, qui devaient se tenir à sa disposition. Il arrivait équipé de sa caisse de couteaux, scie pour les os, pierre à aiguiser, de son broyeur de viande. L’heure était convenue, généralement tôt le matin, en même temps que les préparatifs d’usage : un peu d’eau tiède, un lit de paille servant d’isolant et une botte de paille pour coucher le cochon et mieux maîtriser l’animal.

Qui était au juste le tueur de cochon des campagnes d’autrefois ? Dans tous les cas, une personne bien expérimentée. Il pouvait s’agir du boucher du village par exemple, mais plus souvent de quelqu’un qui n’en faisait pas nécessairement son métier à plein temps. Celui qui remplissait ce rôle n’était parfois qu’un fermier du bourg, formé sur le tas en tenant longtemps le rôle d’assistant quand il était plus jeune

Pour “sacrifier” le cochon, deux méthodes s’affrontaient. Fallait-il l’assommer ou pas, pour lui assurer une fin de vie plus douce? Certaines personnes suspectaient qu’après avoir reçu l’assommoir l’animal était paralysé et que la saignée était incomplète, au point de colorer la viande qui devenait rouge. D’autres prétendaient que la syncope n’avait aucune incidence sur l’aspect  de la viande.

Le cochon, bien à jeun (pas moins de 24 heures), se laissait surprendre dans son « téchou ». Une cordelette attachée aux deux pattes d’un côté de l’animal permettait de bien le maîtriser. Quand on tirait sur les cordes, celui-ci était déséquilibré et projeté par terre, il ne s’échappait jamais.

Dans ce cas l’animal se laissait promener à proximité du gibet jusqu’au moment où un petit coup sec bien placé sur la tête, le faisait tomber en syncope. Les hommes se précipitaient alors pour le maintenir fermement pendant la saignée. Une personne, généralement une femme, recueillait le sang nécessaire à la fabrication de la fressure ou des boudins. Ce que l’on appelle « fressure » comprend le mou, le foie, le cœur et la rate. Ah ! la fressure. Plat délicieux, très apprécié autrefois. Chaque famille avait sa recette dite « de grand’mère » (puisque, en général, la cuisine était l’affaire des femmes depuis des générations). C’était autrefois le plat traditionnel du jour de sacrification du cochon, et, comme il y avait tablée nombreuse, on utilisait la fressure dans son entier. L’opération se faisait à la cheminée sur un bon feu de souches, et dans un grand chaudron en fonte. Ici ou là, l’ustensile était semblable, et, de même, semblable le rituel de l’exécution, qui était ainsi, au chaudron près. A l’aide d’une bassine, elle captait le sang avant de le déverser dans un seau en brassant énergiquement à la main pour éviter la coagulation.

Dans l’autre cas il fallait maîtriser l’animal, ce qui n’était pas une mince affaire avec les cordes solidement arrimées aux deux pieux prévus. L’énergie de deux hommes costauds, tenant chacun une oreille, n’était pas superflue… Le cochon poussait des hurlements qui ameutaient toute la campagne alentour. Une fois l’animal maîtrisé, alors, le tueur s’appuyait sur sa tête et d’un coup de couteau précis, lui tranchait la veine du cou. Le sang giclait par saccades, chaud et bouillonnant, se répandant dans le récipient, sans cesse agitée par les soubresauts de l’animal.

L’agonie ne traînait pas, tellement le cochon était vidé rapidement de son sang. Quelques secondes, et déjà la bête « s’éteignait ». Ses cris faiblissaient, ses spasmes diminuaient, l’animal devenant inerte rapidement. Un petit moment encore, puis dans le râle de fin de vie, la bête s’agitait avec le dernier souffle, c’était la fin…

Le sang récupéré et fouetté avec un peu de vinaigre pour l’empêcher de coaguler servira à faire le boudin. Il était coulé dans les boyaux soigneusement préparés à l’aide d’un entonnoir à large embout, en faisant très attention de ne pas crever ce boyau, formant un long ruban On y ajoutait de fins rubans de lard afin de donner goût et onctuosité. Ensuite il était mis à cuire dans l’eau bouillante de la chaudière. Mais, aussi du sang était prélevé pour faire la « sanguette » qui immédiatement cuite servait au déjeuner des hommes avant le travail de la viande.

Ensuite venait la préparation du cochon. Le brûlage d’abord. Un lit de paille était prévu pour y mettre le feu. L’animal était roulé méticuleusement dans les flammes pour brûler les soies sur toutes les parties du corps, le « buclage ». Le rasage intervenait après, avec une râpe dure pour enlever la première peau en même temps que les derniers poils et les traces de brûlure. La dernière opération consistait à faire sauter les onglons des pattes, en les tordant d’un geste bien précis. Enfin le lavage à l’eau tiède rendait la peau lisse et propre.

Ensuite le cochon était roulé sur une échelle. Les tendons des pattes arrière, dégagés de deux coups de couteau bien précis, liés avec une cordelette, servaient à attacher solidement la carcasse. L’ensemble était relevé, l’échelle appuyée contre un mur. L’animal, suspendu la tête en bas, était prêt à être vidé. Un premier coup de couteau faisait apparaître les tripes, (les intestins) puis la vessie, les rognons. Venaient ensuite l’estomac, recouvert de la « coiffe » (péritoine) qui servait à couvrir les pâtés et les caillettes, le foie sans oublier le fiel sans crever la glande qu l’on jetait, autrement une partie de ces abats devenaient immangeables. A l’aide d’un tamis recouvert d’un linge propre, tous ces viscères étaient récupérés pour la fabrication des boudins et des saucisses ; le nettoyage des tripes se faisant ensuite rapidement par les femmes, le plus souvent à l’eau courante d’une fontaine… Restait les poumons, ceux-ci étaient accrochés aux barreaux d’une échelle contre un mur. La tête est dépecée, elle entrera dans la composition du « fromage de tête » le lendemain.

Puis la carcasse était fendue en deux parties égales, la colonne vertébrale coupée ou sciée en son milieu jusqu’au bout de la tête. Il fallait attendre : la viande devait refroidir de 12 à 24 heures pour obtenir une meilleure fermeté de la chair avant de pouvoir la travailler.

Vers midi le principal travail de cette première journée est terminé, tout le monde se retrouve autour d’un verre.

C’est alors qu’intervenait une nouvelle fois le tueur de cochons, pour découper le cochon. Il faut penser qu’à cette époque il n’y avait pas d’électricité pour faire du froid et que le sel et la cuisson étaient les seuls moyens de conservation pour la viande. Généralement à côté de la maison, une construction avec une large cheminée était prévue pour faire la lessive et cuire les patates à cochons. Ce jour-là, ce local était utilisé pour la cuisson. Une grande chaudière s’y trouvait. Généralement la découpe se faisait sur la grande table de la cuisine, les morceaux étant triés par catégorie.

Dans certaines maisons la découpe était simple : deux jambons et deux épaules largement prélevées, à accrocher dans la cheminée pour faire sécher et fumer. Des côtes étaient bien recouvertes de sel pour être mises dans le charnier, sorte de grand récipient en terre cuite fermé par un couvercle. Il ne restait guère de morceau à cuisiner. A l’inverse, dans d’autres familles, la cuisine était plus subtile avec la fabrication de 2 ou 3 spécialités : Saucisses, pâté, rillettes, et boudins ou fressure pour utiliser le sang.

La viande provenant essentiellement du désossage (tête, pieds quelquefois), la couenne (la peau) y était ajoutée, les oreilles aussi était aussi utilisée. Le tout était broyé au moulin à viande, additionné d’eau, de pain, d’un peu de sel, d’épices et porté à ébullition dans une lessiveuse bien propre. Il fallait brasser tout le temps pour éviter la prise au fond et là, les enfants étaient souvent mis à contribution. Il fallait aussi goûter souvent pour le dosage des épices, surtout de la cannelle dont la saveur était importante pour le goût. Le sang y était ajouté, plus ou moins aussi, avec doigté. Après 3 ou 4 heures, c’était cuit ; l’eau évaporée la rendait consistante. Le fromage de tête était prêt. Il ne restait plus qu’à la laisser refroidir avant de la mettre en pot de grès, puis de la recouvrir de saindoux (de la graisse bien blanche) pour assurer l’étanchéité et donc la conservation.

Chaque morceau a une destination bien précise, pour fabriquer terrines, rillettes, fromages de tête, assurer la salaison et garnir de nos jours le congélateur. Même la graisse est fondue, ce qui donne le saindoux qui sera conservé en pots de grès et le résidu sera pressé pour obtenir d‘excellents gratons.

Les jambons (les cuisses sauf ceux des épaules), c’étaient des morceaux incontournables dans le cochon. Là encore chaque famille avait son savoir-faire et s’appliquait. Le toilettage et la désinfection à l’eau de vie étaient les premières opérations. Puis intervenait le salage. Cette phase durait un certain temps, suivant un barème de poids : tant de livres, tant de jours dans le sel. Parfois, un vieux drap bien serré autour du jambon était cousu pour un meilleur contact avec le sel. D’autres familles le mettaient dans une sorte de caisse, le saloir, complètement enfoui dans le sel et chargé. Après le salage, le jambon pouvait être accroché directement dans le grenier bien aéré et à l’abri de la vermine, parfois dans la cheminée pour continuer sa conservation avec le séchage et le fumage, ce dernier donnant du goût à la viande. Après la phase de salage le jambon était soigneusement lavé. Une mixture de graisse, de sel et de poivre était appliquée sur la partie découpée du jambon pour la conservation. Tous ces ingrédients donnaient un goût succulent au jambon qui restait presque symboliquement dans la cheminée. Ainsi, séchée modérément la viande était plus tendre. Ensuite la conservation se faisait dans une poche achetée pour cela ; du tissu laissant passer de l’air tout en barrant le passage des insectes (mouches ou autres). Au fur et à mesure de la consommation, les tranches nécessaires étaient coupées avant de les faire cuire au-dessus des braises incandescentes activées par les graisses fondantes du jambon…

La cuisine de cochon finie, les jambons, les saucissons et les chapelets de saucisses terminés étaient pendus dans la maisonnée. Des clous étaient prévus au plafond pour ça, dans le grenier, entre la cheminée et une fenêtre, ou encore, entre deux poutres, ou accrochés au rideau d’un lit… L’odeur de la viande se répandait dans toute la maison, y compris dans les chambres. C’était la pratique, dans toutes les maisons de campagne, c’était comme ça…

Ces journées « cochonnailles » représentent un sacré travail, largement récompensé par la qualité des produits obtenus et restent toujours un moment festif… sauf pour le cochon.

Un cochon gros et gras fait honneur à une maison. Dans une famille, on exprime la misère qu’on éprouve en disant «  Cette année, nous n’avons pas tué de cochon ».

Le cochon, autrefois, dans les campagnes, avait une grande importance. Il permettait à la population de manger sainement. La viande grasse apportait l’énergie physique dont avaient besoin les hommes et les femmes de cette époque, avant la mécanisation…

 

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