LE CHIFFONNIER





Le chiffonnier

 

 

 

 

Le chiffonnier

 

 

Chiffonnier est en effet le premier métier à l’origine du recyclage en France. Muni de son crochet et sa de charrette, il collectait toutes sortes d’ordures ménagères laissées à l’abandon dans les rues, dans le but de les revendre à des entreprises de transformation ;  des vieux chiffons pour les papeteries, les peaux de lapin pour l’industrie de la fourrure, la ferraille pour la métallurgie, le papier pour la cartonnerie, les conserves pour l’industrie du jouet, les boues pour servir d’engrais aux fermiers. Ce métier a connu son apogée au XIXe siècle, notamment pour alimenter en « matières premières » l’industrie naissante.

 

 

La corporation et le métier

 

 

Au fil du temps, le nom de ce métier a bien changé : loquetière au XIIIe siècle, puis pattier, drillier, chiffonnier enfin… tous ces noms proviennent des noms des étoffes usagées qui constituent sa récolte (loques, pattes, drilles, chiffes). Puis on l’appelle le biffin, de biffe qui désigne le crochet de fer avec lequel les chiffonniers fouillent les détritus.

À l’origine, le chiffonnier collecte :

  • les vieux chiffons pour les papeteries ;
  • les peaux de lapin pour les industries de fourrure ou pour faire la colle de peau utilisée en ébénisterie ou pour la marqueterie ;
  • les os pour la fabrication de colle, superphosphates, phosphore des allumettes, noir animal, gélatine comestible ou pour films photographiques, pièces de tabletterie ;
  • la ferraille pour la métallurgie ;
  • les boîtes de conserve pour l’industrie du jouet ;
  • le verre ;
  • les boues vendues aux fermiers en qualité d’engrais ;
  • le papier pour la cartonnerie ;
  • les mégots dont ils faisaient commerce pour le tabac.

Il y a dans la hiérarchie des chiffonniers, comme partout, les patriciens et la populace. Les premiers, qui se désignent eux-mêmes sous le nom de chambre des pairs, portent une large hotte qui s’arrondit orgueilleusement sur leur dos ; ils ont un croc long et solide, une lanterne intacte et qui projette un éclat suffisant pour protéger leurs recherches. Les autres – des débutants, ou des anciens ; victimes d’un revers de fortune – sont réduits à un simple panier, presque toujours sans anse, ou bien à un sac ; la lanterne ébréchée ne donne qu’une lumière sombre et fumeuse ; le croc est fabriqué dans les proportions les plus exiguës, quelquefois il manque tout à fait, et le chiffonnier fouille avec ses ongles les ordures banales de la voie publique.

 

 

Crochet du chiffonnier

 

 

Chacun a son domaine à parcourir : celui qui empiéterait sur la propriété dévolue au voisin courrait grand risque de périr sous les crochets de ses confrères indignés ; tout au moins serait-il roué de coups de poing, noté d’infamie et perdu d’honneur dans toute l’étendue de leur zone. Il ne pourrait plus se montrer, sans soulever des colères formidables, dans leurs principaux centres de réunions. Mais ces empiétements sont rares : les chiffonniers ont leur manière à eux de comprendre le devoir et la moralité, et de faire la police de leur république.

 

 

Chiffonnier en 1899 – Crédit photo Eugène Atget, Musée Carnavalet, Histoire de Paris

 

 

Le chiffonnage se hiérarchise en trois catégories jusqu’aux années 1850 :

  • – Le chiffonnier de nuit ou « piqueur » récolte le meilleur. Il est appelé aussi coureur ou biffin (de biffe qui désigne le crochet de fer avec lequel les chiffonniers fouillent les détritus) : il court les rues, pique avec son crochet tout ce qu’il trouve revendable ; il porte une hotte sur son dos appelée « cachemire d’osier ».
  • – Le « secondeur » pratique cette activité en plus de son travail déclaré et vient fouiller à la fin de la nuit les tas déjà visités par le piqueur.
  • – Le « gadouilleur » ou « gadoueur » est le plus misérable, il part du matin au soir vers les dépôts de boues ou chez les paysans pour récupérer ce qui peut encore l’être ; il passait après ses confrères.

Lorsque les boîtes à ordures de Mr Poubelle sont adoptées vers 1884, la hiérarchisation du chiffonnage change à nouveau :

  • – Le « placier », nouvelle catégorie de chiffonnier, travaille en étroite collaboration avec un concierge qui l’autorise à entrer dans la cour pour fouiller dans les boîtes. il ne court donc pas, il a une place et fait le travail du concierge à la place de celui-ci : il récupère toutes les boites à ordure de chaque occupant, les vide dans la cour, les trie et récupère tout ce qu’il y a à récupérer, nettoie les boites et les remet en place Le placier a souvent une voiture en lieu et place de la traditionnelle hotte. Il peut gagner jusqu’à 10 à 12 francs par jour mais contrairement aux coureurs il doit assumer son service quel que soit le temps qu’il fait. Les quartiers rupins sont très prisés. Il perd la liberté qu’a le chiffonnier traditionnel.
  • – Le « coureur » quant à lui doit se contenter des boîtes déjà fouillées par les « placiers »
  • – Enfin, le « gadouilleur » continue d’essayer d’exister.

Et aussi les chiffonniers de naissance, ce sont les enfants des chiffonniers qui n’ont jamais fait que ce métier-là .

En tout état de cause, coureur, placier, secondeur et gadoueur ne sont que des récolteurs. Une fois la récolte terminée, ils amènent leur marchandise au maître chiffonnier qui achète au poids. Chaque produit a un cours précis et chaque maître chiffonnier est spécialisé dans un type de produit : un tel les chiffons, un autre les os, encore un autre le verre … Les maîtres chiffonniers sont des commerçants, des notables, des élus locaux qui mènent une vie de bourgeois, achetant le produit des fouilles des piqueurs et des placiers, employant du personnel pour trier, et revendant par wagons à l’industrie les textiles, les os, les métaux, etc… Les maîtres chiffonniers, eux, sont riches : ils achètent le produit des fouilles des piqueurs et des placiers, emploient du personnel pour trier, et revendent par wagons à l’industrie les textiles, les os, les métaux… En 1899, on évalue à Paris 30 000 chiffonniers et au moins 1000 000 en France vivant de la libre collecte des chiffons et autres vieux papiers, bouchons, clous, cheveux, etc …

 

 

La collecte du « biffin »

 

 

C’est la démocratisation de l’imprimé qui fait la fortune du chiffonnier : l’industrie papetière a besoin de toujours plus de chiffons. Coton et lin sont très recherchés. L’autre trésor de la rue, c’est l’os, car ses usages sont multiples : on en extrait le « charbon animal », utilisé pour le raffinage du sucre de betterave dont la production explose, on en fait des boutons, des peignes et des manches de couteau, il entre dans la composition de la gélatine et des colles, il est utilisé comme engrais ; enfin, on en extrait le phosphate pour la fabrication des allumettes.

Le chiffonnier récolte aussi le verre, le liège, tous les métaux, le cuir et même le pain !

Le premier chiffonnier qui ramassa sur la voie publique un bout de cigare, puis deux, puis trois, etc. Il en a raisonnablement déduit qu’il se fume, par jour, à Paris, au moins trois cent mille cigares donc trois cent mille résidus et, après avoir haché le tout, vendit ce résultat comme du tabac à fumer ; il entrevit une exploitation en grand, prit des associés, et voilà un fabricant de plus.

 

 


Louis Figuier — « Coupeuse mécanique des chiffons ». 1873 – crédit photo : licence CC BY 2.0

 

 

Louis Figuier — « Atelier de triage et de découpage des chiffons ». 1873 – crédit photo : licence CC BY 2.0

 

 

Le chiffon

 

 

Le chiffon n’entre pas seulement dans la composition de certains papiers. Celui de laine sert à la fabrication des tissus. A son arrivée dans l’usine, il est d’abord soigneusement lavé, puis il passe à travers des machines appelées effilocheuses, qui ont pour fonction de défiler la laine. Ensuite, il est trempé dans un bain d’acide qui détruit totalement le coton et ne laisse que la laine. Cette laine est ensuite cardée et forme le fil qui sera employé à la fabrication des tissus. Pour les chiffons de laine neufs comme pour les chiffons de toile, ce sont ceux qui ont le plus de valeur : les rognures de flanelle valent 3 francs le kilo ; les rognures d’étoffes diverses recueillies chez les couturières valent 70 centimes le kilo ; enfin les rognures qui sortent de chez le tailleur valent 80 centimes. Si les rognures sont vieilles, elles varient de 180 francs les 100 kilos pour les blancs fins à 8 francs les 100 kilos pour les alpagas vieux. En moyenne le chiffon de laine se vend trente-cinq francs les cent kilos, la moitié moins que le chiffon de papeterie. Dès le XVIIIe siècle on taxe l’exportation de chiffons et on l’interdit même au XIXe siècle !

 

 

Sa vie

 

 

Vers 1860, il gagnait 6 ou 7 francs par jour en travaillant jusqu’à minuit ou une heure du matin. Il gagnait davantage que le métier de la menuiserie, 3,75 francs, prix de la journée en 1860.

Au-delà des fortifications de Thiers qui entourent Paris et laissées à l’abandon, no man’s land inconstructible, anneau de 300 mètres de large, se regroupent les chiffonniers pour y vivre et trier leur butin.

 

 

Famille de chiffonniers de la porte d’Asnières Paris – Crédit photo Eugène Atger

 

 

Le chiffonnier n’avait pas très bonne presse. C’est une personne dont on se méfie, le chiffonnier est en effet nécessairement suspect du fait de son vagabondage et des matières récupérées, des déchets qu’il touche. Il inquiète la population et est défini de « parasite, sale, dépenaillé, violent, alcoolique, inadapté, dégénéré, sans morale ». Cependant, c’est un des premiers recycleurs. En effet, le chiffonnier arpentait les rues, muni de son crochet, afin de dénicher dans les ordures ménagères qui étaient alors jetées dans la rue, des objets réutilisables susceptibles d’être revendus.

Ils ne se fréquentent qu’entre eux ; ils forment une société à part, qui a des mœurs à elle, un langage à elle, un quartier à elle. Ils sont formés en associations, régies par de vrais statuts, honorent leurs anciens, ont leurs restaurants, leurs hôtels, leurs cafés, leur marchands de vin, leur bals et leur guinguettes, certains d’avance que personne ne tentera de leur en disputer la possession exclusive. Les règlements de comptes sont la conséquence des luttes pour la défense des territoires de collecte. Ils ne se déroulent jamais sur la voie publique, mais dans le huis clos des cités de chiffonniers. Mais aussi les séquelles des ravages de l’alcool !

 

La médaille

 

 

L’activité de chiffonnage connaît son heure de gloire au XIXe avec la papeterie. Au XIXe on écrit beaucoup et on a besoin de papier ; or le papier est fabriqué à cette époque avec des chiffons.

Le chiffonnage prend un tel essor que le métier de chiffonnier est réglementé à partir de 1828 : l’ordonnance royale prévoit que les chiffonniers doivent porter une médaille délivrée par le Préfet de Police Louis-Marie de Belleyme, être munis d’un petit balai pour « relever les ordures quand ils auront fouillé un tas » et d’une lanterne et devient une profession à autorisation. « nul ne pourra plus ramasser des chiffons dans la rue sans y avoir été autorisé par l’administration ». « Tout chiffonnier recevra une médaille en cuivre de forme ovale qui portera ses noms, prénoms, sobriquet et signalement ainsi qu’un numéro d’ordre. Cette médaille devra être portée de manière apparente. le chiffonnier devra faire placer sur la face extérieure de la hotte en chiffres percés à jour de 54 mm de haut, son numéro d’ordre. Ce chiffre sera reproduite en couleur noire sur une des vitres de sa lanterne. »

 

 

 

 

Mais les chiffonniers résistent à ce contrôle et se prêtent les médailles afin de pouvoir exercer sans soucis. les médailles passaient de père en fils créant de véritables dynastie de chiffonniers. 11000 médailles furent délivrées à Paris entre 1828 et 1872 date à laquelle cette ordonnance tombe en désuétude.

 

 

La fin des chiffonniers

 

 

La fin du XIXe siècle va sonner le glas des chiffonniers.

Le 24 novembre 1883, le préfet de la Seine, Eugène-René Poubelle prend un arrêté relatif à l’enlèvement des ordures ménagères en imposant des boites à ordures à chaque occupant de logement et oblige les propriétaires parisiens à fournir à chacun de leurs locataires un récipient muni d’un couvercle.. L’arrêté sonne la fin de la possibilité de jeter ses ordures dans la rue, annonce les débuts de l’industrialisation du recyclage et met à mal le métier de chiffonnier. L’entrée en vigueur progressive de l’arrêté marque la fin de l’âge d’or des chiffonniers.

Trois boîtes étaient obligatoires : une pour les matières putrescibles, une pour les papiers et les chiffons, et une dernière pour le verre, la faïence ou les coquilles d’huîtres. Ces premières « poubelles » devait être en bois, garnies de fer blanc à l’intérieur pour des raisons d’hygiène, être muni d’un couvercle et avoir une contenance de 80 à 120 litres. Elles devaient être sorties le matin très tôt afin que les ramasseurs d’ordures puissent les vider dans leur tombereau.

 

 

 Les boites à ordures de Mr Poubelle, rue Emile Zola, Paris – 1913

 

 

Les maîtres chiffonniers et les piqueurs s’unissent pour défendre leurs intérêts auprès des autorités. Ils obtiennent qu’un chiffonnier participe aux tournées des tombereaux d’enlèvement des ordures.

Ces boîtes à ordures vont fatalement faire baisser les revenus des chiffonniers car si les récipients sont sortis juste avant le passage du tombereau, ils n’auront pas le temps de procéder au tri. Seuls les « placiers », en relation avec les concierges, parviennent à conserver des revenus décents pendant un temps. 

Les boîtes du Préfet Poubelle sont accusées de diviser par deux les revenus des chiffonniers.Avant l’arrêté, un chef de famille avec sa femme et ses trois enfants gagnait 10 Frs par jour, soit 2 Frs par personne en moyenne. Depuis qu’on ne peut plus vider les ordures sur la voie publique, la moitié des détritus utilisables que recueillaient les chiffonniers sont perdus pour l’industrie française.

  • Extrait de la déclaration de M. Potin, maître chiffonnier, « Et au lieu de 2 Frs par jour, les chiffonniers gagnent à peine 1 Fr. Je suis marchand de chiffons ! J’employais, avant l’arrêté, six hommes et un certain nombre de femmes. J’achetais en moyenne pour 500 Frs par jour de détritus ; depuis, je n’en achète plus que pour 140 ou 150 Frs ; au lieu de six hommes, je n’en emploie plus que trois, et sur dix ou douze femmes, j’ai été obligé d’en renvoyer la moitié. Or ces hommes et ces femmes, qui ne peuvent plus travailler chez moi, ne trouvent pas plus d’ouvrage chez mes confrères, ils sont sur le pavé de Paris, il leur est impossible de s’employer. Il est évident que ces femmes ne peuvent guère aller faire de la couture ou de la lingerie. »
  • Industriels et financiers entendent tirer profit dès la seconde moitié du 19ème siècle, du chiffonnage.« Paris compte près de 20 000 chiffonniers réguliers qui gagnent 2.50 f à 3 francs chaque jour ce qui donne 50 000 francs par jour et 18 millions par an ! Cette somme rémunère quatre choses : la recherche de détritus réutilisables, le triage ou cassement de ces divers résidus, leur transport chez le maître chiffonnier et enfin la valeur même dudit détritus. […] Nous pourrions grâce à un arrêté habilement fait obtenir gratuitement trois de ces choses. Pour cela il faudrait commencer par rendre le chiffonnage impossible et alors tous les détritus qui ont une valeur quelconque serait ramassés par les voitures du concessionnaire de l’enlèvement des boues et des immondices de Paris ».

 

 

 

Ramassage des ordures

 

 

Les matières premières récoltées par les chiffonniers sont de moins en moins demandées : les industriels se détournent en effet lentement du chiffon, les fibres du bois semblent nettement plus intéressantes. Les os sont progressivement remplacés par les premiers plastiques. « Entre 1883 et 1902, les cours des chiffons et des vieux papiers s’effondrèrent ; la tonne de blanc de toile passa de 30 à 15 francs et celle des vieux bouquins de 8 à 3 francs ».

L’activité de chiffonnier devient alors très difficile et, peu à peu, se fait le déclin de la profession.

La collecte des matières qui faisait vivre et même s’enrichir certains chiffonniers jusqu’au milieu de XIXe siècle n’est plus du tout rentable à la veille du XXe siècle. Ramasser les déchets, les trier, les valoriser… C’est pourtant un très vieux métier qui a connu son âge d’or au XIXe siècle. Aujourd’hui, le métier n’a pas disparu, loin s’en faut. Malgré l’industrialisation de la collecte des déchets et la mise en place du tri sélectif, les poubelles des villes sont régulièrement délestées des rebuts de la société de consommation. Les chiffonniers d’aujourd’hui sont devenus des « récupérateurs informels des déchets », qui collectent des objets ou matériaux pouvant avoir une certaine valeur. La récupération peut se faire en porte-à-porte, dans la rue, dans les décharges, dans les entreprises, et éventuellement, dans certaines poubelles, quand la législation le permet.

 

 

 

Sources

  • www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1984_num_95_1_3030
  • Nos ancêtres, vie et métiers n°56
  • www.persee.fr/doc/acths_1764-7355_2006_act_127_2_1104
  • www.fr.wikipedia.org/wiki
  • www.histoire-nanterre.org

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