LES PROCÈS D’ANIMAUX AUTREFOIS

Les procès d’animaux autrefois





 



Les singularités judiciaires sont nombreuses et variées au Moyen Âge, et souvent tes magistrats interviennent dans des circonstances si bizarres, que nous avons peine à comprendre, de nos jours, comment ces graves organes de la justice ont pu raisonnablement figurer dans de telles affaires.

Il fut un temps en France où des tribunaux prononçaient des condamnations contre des animaux prévenus de certains délits, et où l’autorité ecclésiastique lançait les foudres de l’excommunication contre des insectes nuisibles. Cet usage de la justice divine et humaine apparue si monstrueux aux générations nouvelles, que l’on ne voulu d’abord admettre ; mais des documents authentiques ne permettent plus de conserver aucun doute. Ainsi, plusieurs manuscrits conservés dans les bibliothèques ou possédés par des érudits, contiennent ces jugements, et jusqu’au mémoire de frais et dépenses pour l’exécution des sentences prononcées. Au Moyen Âge on soumettait à l’action de la justice tous tes faits condamnables de quelque être qu’ils fussent, même des animaux.

Le principe de la condamnation des bêtes malfaisantes remonte à la plus haute antiquité . «  Si un bœuf, dit Moïse dans l’Exode, a frappé de ses cornes un homme ou une femme tellement qu’ils en meurent, il sera lapidé et on ne mangera pas de sa chair. »

Les premières légendes chrétiennes, la poésie, les romans chevaleresques traitent l’animal comme égal de l’humain, souvent même le proposent à l’espèce humaine comme un modèle à imiter. Être moral et perfectible, il devenait dès lors responsable de ses actes, et la loi semblait donc agir avec logique en le soumettant aux mêmes pénalités que l’homme.  Même si l’on ne peut se contenter de cette explication, force est de constater que le Moyen âge a bel et bien admis responsabilité pénale de l’animal. Une conception qui a subsisté en France jusqu’à la Révolution. Ainsi : depuis le commencement du XIe siècle, jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle, on trouve un usage courant de procès intentés contre des animaux.

L’histoire de la jurisprudence nous offre à celle époque de nombreux exemples de procès dans lesquels figurent des taureaux, des vaches; des chevaux, des porcs, des truies, des coqs, des rats, des mulots, des limaces, des fourmis, des chenilles, sauterelles. mouches, vers et sangsues.

La procédure que l’on avait adoptée pour la poursuite de ces sortes d’affaires revêtait des formes toutes spéciales; cette procédure était différente, suivant la nature des animaux qu’il s’agissait de poursuivre. Si l’animal auteur d’un délit tel par exemple qu’un porc, une truie, un bœuf, peut être même appréhendé au corps, il est traduit devant le tribunal criminel ordinaire, il y est assigné ; mais s’il s’agit d’animaux sur lesquels on ne peut mettre la main, tels que des insectes ou d’autres bêtes nuisibles à la terre, ce n’est pas devant le tribunal criminel ordinaire que l’on traduira ces délinquants, mais devant le tribunal ecclésiastique, c’est-à-dire devant l’officialité.

En effet que pouvait faire la justice ordinaire contre une invasion de mouche, de charançons, de chenilles, de limaces? elle est impuissante à sévir contre les dévastations causées par ces terribles maux mais la justice religieuse, qui est en rapport avec la Divinité, saura bien atteindre les coupables; elle en possède les moyens de fulminer l’excommunication.

Tels étaient, en matière de procès contre les animaux, les principes admis par les jurisconsultes du Moyen Age.

Parlons d’abord des procès poursuivis contre les animaux devant la justice criminelle ordinaire. Les porcs et les truies, au Moyen Âge, couraient en liberté dans les rues des villages, et il arrivait souvent qu’ils dévoraient des enfants; alors on procédait directement contre ces animaux par voie criminelle. Voici quelle était la marche que suivait la procédure On incarcérait l’animal dans la prison du siège de la justice criminelle où devait être instruit le procès. Le procureur ou promoteur des causes d’office, c’est-à-dire l’officier qui exerçait tes fonctions du ministère public auprès de la justice seigneuriale, requérait la mise en accusation du coupable. Après l’audition des témoins et vu leurs dépositions affirmatives concernant le fait imputé à l’accusé, le promoteur faisait ses réquisitions, sur lesquelles le juge du lieu rendait une sentence déclarant l’animal coupable d’homicide, et le condamnait définitivement à être étranglé et pendu par les deux pieds de derrière à un chêne ou aux fourches patibulaires, suivant la coutume du pays.

Du treizième au seizième siècle, les fastes de la jurisprudence et de l’histoire fournissent de nombreux exemples sur l’usage de cette procédure suivie contre des pourceaux et des truies qui avaient dévoré des enfants, et qui, pour ce fait, étaient condamnés à être pendus. (voir annexe I) .

Le célèbre jurisconsulte beauvaisin, Philippe de Beaumanoir, s’élevait dès le XIIIe siècle, contre ces exécutions cruelles et ridicules . MM. Léon Ménabréa, Emile Agnel , et avant eux le savant Berriat-Saint-Prix se sont occupés de cette curieuse question. Le premier dont il est fait mention est daté de 1120 et a été rendu par l’évêque de Laon. Il faut remonter au XIIIe siècle pour rencontrer des jugements écrits contre les animaux. Des chroniqueurs ont relaté des procès de ce genre dès le XIe siècle, mais cette jurisprudence ne parait prendre date en France qu’en 1266, année où un porc fut brûlé vif à Fontenay-aux-Roses pour avoir dévoré un jeune enfant .

Plusieurs ont trait à des faits qui se sont passés dans toutes les régions de France.

Parmi ces exemples, voici celui de la truie qui fut condamnée à être pendue en 1567 sur la route de Saint-Nicolas d’Acy, pour avoir à moitié dévoré une enfant.

« A tous ceulx qui ces présentes lettres verront, Jehan Lobry, notaire Royal et Procureur au Bailliage et siège présidial de Senlis, Bailly et garde de la justice et Seigneurie de St Nicolas d’Acy les dits Senlis pour Messieurs les Religieux, prieur et couvent du dit lieu, salut. Savoir faisons, veu le procès extraordinaire fait à la requeste du Procureur de la Seigneurie du dit Saint Nicolas, pour raison de la mort advenue à une jeune fille agée de quatre mois ou environ, Enfant de Lyenard Darmeige et Magdeleine Mahieu, sa femme, demeurants au dit Saint Nicolas, trouvée avoir été mengée et dévorée en la tête, main senestre et au dessus de la mamelle dextre par une Truye ayant le museau noir, appartenant à Louis Mahieu frère de fa ditte femme et son prochain voisin; Le procès verbal fait de la visitation du dit Enfant en la présence de son parain et maraine qui l’ont recongnu; Les informations faites pour raison du dit cas. interrogatoires des dits Louis Mahieu et sa femme avec la visitation faite de la ditte Truye à l’instant du dit cas advenu et tout considéré en Conseil, il a été conclud et advisé par justice que pour la cruauté et la férocité commise par la ditte Truye, elle sera exterminée par mort et pour ce faire sera pendue par l’Exécuteur de la haulte justice, ou cinq arbres estant dedans les tins et mettes de la ditte justice, sur le grant chemin tendant de Saint Firmin au dit Senlis,en faisant delfence à tous habitans et sujets des terres et seigneuries du dit Saint Nicolas de ne plus laisser échapper telles et semblables besles sans bonne et seure garde, sous peine d’amende arbitraire et de pugnition corporelle s’il y échoit, sauf et sans préjudice a faire droit seur les conclusions prinses par le dit Procureur à l’encontre des dits Mahieu et sa femme et qu’il pourra faire cy-apres à rencontre des dits Lyenard Dormeige et sa femme, ainsy que de raison. En tesmoing de quoy nous avons scellé ces présentes du scel de la ditte justice. Ce fut fait le Jeudy vingt septième jour de Mars mil cinq cent soixante et sept et exécuté le dit jour par L’Exécuteur de la haulte justice du dit Senlis.

« Collationné, AFFOITTY. »

Guy Pape, le célèbre jurisconsulte du XVe siècle, s’exprime ainsi dans son recueil des discours du Parlement de Grenoble : « Si une bête brute commet un délit, doit-elle mourir ? Dites que oui ». De son coté Jean Duret, avocat du roi, en la Sénéchaussée et siège présidial de Moulins, écrivait en 1573 : « Si les bestes ne blessent pas seulement, mais tuent ou mangent, la mort y eschet, et les condamne-t-on, à estre pendues et estranglées pour faire perdre mémoire de l’énormité du faict. »

Par application de ce principe, dès qu’un méfait de la part d’un animal était signalé, l’autorité compétente se saisissait de la cause. L’animal était incarcéré dans la prison du siège de la justice criminelle qui devait connaître de l’affaire, des procès-verbaux étaient dressés, et l’on procédait toute chose cessante aux enquêtes très minutieuses. Le fait étant bien établi, l’officier du ministère public, près la justice seigneuriale, requérait la mise en accusation du coupable. Alors le juge entendait de nouveau les témoins et rendait sa sentence, et telle était en certains endroits la rigueur apportée dans l’observation des formalités en matière de procédure criminelle. Toutes les formalités de la procédure étaient observées, la sentence était signifiée à l’animal lui-même dans sa prison.

L’exécution de ces arrêts se faisait publiquement et avec la même solennité que pour les criminels. Généralement le propriétaire de l’animal ainsi que le père de la victime, s’il s’agissait d’un enfant, étaient tenus d’y assister. La plupart du temps la bête était pendue par les pieds de derrière « à ung arbre esproné ». Dans ce cas, on l’étranglait auparavant. D’autre fois, on lui infligeait en quelque sorte la peine du talion. C’est ainsi qu’en 1386, une sentence de la justice à Falaise ordonnait qu’avant d’être pendue, une truie serait mutilée à la tête ( on lui coupa le groin, à la place duquel on appliqua un masque de figure humaine) et à la jambe pour avoir déchiré au visage et au bras un enfant qui était mort de ces blessures, et, chose bizarre, cette truie fut habillée en homme pour subir le châtiment qui lui était réservé.

Les frais d’exécution étaient supportés par le maître de la bête. Et ces frais n’étaient pas sans importance. L’exécution de la truie coûta dix sous dix deniers tournois, plus un gant neuf à l’exécuteur des hautes œuvres. Le chroniqueur qui rapporte le fait, ajoute que ce gant est porté sur la note des frais et dépens pour une somme de six sous tournois, et que dans la quittance donnée au comte de Falaise par le bourreau, ce dernier y déclare qu’il s’y tient pour « content et qu’il en quitte le roi notre sire et ledit vicomte ». En octroyant des gants au bourreau, on voulait le garantir, d’après les mœurs du temps, que ses mains sortissent pures de l’exécution d’une bête brute. Voilà une truie condamnée bien juridiquement ! (voir annexe III)

Nous trouvons aussi dans un compte du 15 mars 1403 les détails suivants sur la dépense faite à l’occasion du supplice d’une truie, qui fut condamnée à être pendue à Meulan pour avoir dévoré un enfant. Un compte de 1479, de la municipalité d’Abbeville, nous apprend qu’un pourceau également condamné pour meurtre d’un enfant fut conduit au supplice dans une charrette ; que les sergents à masse l’escortèrent jusqu’à la potence, et que le bourreau reçut soixante sous pour sa peine. Pour une semblable exécution faite en 1435 à Tronchères, village de Bourgogne, le carnacier (le bourreau) reçut également une somme de soixante sous. Les formalités étaient si bien observées dans ces sortes de procédures, que l’on trouve au dossier de l’affaire du 18 avril 1499, ci-dessus mentionnée, jusqu’au procès-verbal de la signification faite au pourceau dans la prison où l’on déposait les condamnés avant d’être conduits au lieu d’exécution.

Au quinzième et au seizième siècle, dans certains procès où figurait un homme accusé d’avoir commis avec un animal un crime de turpitude, l’homme convaincu de ce crime était toujours condamné à être brûlé avec l’animal qu’il avait eu pour complice, et même on livrait aux flammes les pièces du procès, afin d’ensevelir la mémoire du fait atroce qui y avait donné lieu.

Dans un compte de la prévôté de Paris de l’année 1465 on lit ce qui suit:

« Frais du procès fait à Gillet Soulart, exécuté pour ses démérites à Corbeil. Premièrement, pour avoir porté le procès du dit Gillet en la ville de Paris ; et icelui avoir fait voir et visiter par gens de Conseil, vingt deux sols parisis. Item pour trois pintes de vin qui furent portées au gibet pour ceux qui firent les fosses pour mettre l’attache et la truye, pour ce, deux sols parisis. Item pour l’attache de quatorze pieds de long ou environ, deux sols parisis. Item à Henriet Cousin, exécuteur des hautes justices, qui a exécuté et brûlé le dit Gillet Soulart et la truye, pour deux voyages qu’il est venu faire en la ville de Corbeil, pour ce, six livres douze deniers parisis. Item pour trois pintes de vin qui furent portées à la justice pour le dit Henriet et Soulart, avec un pain, pour ce, deux sols un denier parisis. Item pour nourriture de la dite truye et icelle avoir gardée par l’espace de onze jours, au prix chacun jour de huit deniers parisis, valent ensemble sept sols quatre deniers parisis. Item à Robinet et Henriet, dits les Fouquiers frères, pour cinq cents de bourrées et coterets pris sur le port de Morsant, et iceux faire amener à la justice de Corbeil, pour arrivage et achat, pour chaque cent, huit sols parisis, valent ensemble quarante sols parisis; toutes lesquelles parties montent ensemble à neuf livres seize sols cinq deniers parisis.»

Plusieurs exemples curieux de ces condamnations et exécutions ont eu lieu sur différents points de France. Les cas les plus singuliers sont relatifs aux procédures dirigées, non contre un animal isolé, mais contre des collections de bêtes nuisibles et malfaisantes, pour la plupart insaisissables.. Dans ce cas, ce n’était pas la justice ordinaire mais bien les tribunaux ecclésiastiques qui évoquaient l’affaire. Tous les ressorts de la controverse et de la discussion étaient mis en jeu. Fin de non recevoir, exceptions dilatoires, sursis, nullité, tout était invoqué suivant les lois d’une procédure formaliste à l’excès. Souvent le juge ordonnait qu’il soit informé sur les dégâts imputés aux animaux, ce qui amenait de nouvelles lenteurs. Les demandeurs offraient alors à ces mêmes animaux un endroit où ils puissent se retirer jusqu’à la fin de l’enquête, sans causer autant de ravages, et, quand tout était régularisé, le juge ecclésiastique fulminait contre les bêtes récalcitrantes le monitoire qui devait précéder l’excommunication. Ce monitoire était tout simplement une injonction d’avoir à déguerpir dans un délai qui variait suivant la nature et l’importance des dégâts. Comme on le pense, cette sommation restait à l’état de lettre morte . Aussi, dès que le délai imparti pour le déguerpissement était écoulé, l’autorité supérieure prononçait solennellement la malédiction et l’excommunication des animaux ravageurs.

Ces procédures ne constituaient qu’une espèce de symbole destiné à ramener le sentiment de la justice parmi les populations qui ne connaissaient de droit que le droit du plus fort et de loi que la loi de l’intimidation et de la violence.

L’ évêque de Laon, en 1120, imagina d’excommunier les chenilles et les mulots qui dévastaient les récoltes de son diocèse. Elle fut suivie l’année d’après, par celle que lança saint Bernard contre les mouches qui avaient envahi la chapelle de l’abbaye de Soigny. Aussitôt que le saint personnage eut parlé, les mouches tombèrent toutes mortes !

L’un des exemples les plus curieux des procès contre les nuisibles est celui qui fut intenté par les habitants de Saint-Julien aux charançons et insectes qui abîmaient leurs récoltes. C’était en 1545. Un commencement d’instruction judiciaire eut lieu et deux plaidoyers furent prononcés devant l’official de Saint-Jean-de-Maurienne, l’un pour les habitants, l’autre en faveur des insectes, auxquels on avait nommé un avocat. Ceux-ci ayant disparu subitement, l’instance fut suspendue et ne fut reprise qu’au bout de quarante deux ans, en 1587, lorsqu’ils firent de nouveau irruption dans les vignobles de la paroisse de Saint-Julien. Les syndics dressèrent une plainte à l’official, qui nomma derechef un procureur et un avocat des insectes. Après plusieurs plaidoiries, les syndics convoquèrent les habitants sur la place Saint-Julien et leur exposèrent qu’il « étoit requis et nécessaire de bailler auxdits animaux place et et lieu de souftizante pasture hors les voignobles de Saint-Julien et de celle qu’ils eu puissent vivre pour éviter de menger ni gaster lesdictes vignes. Les habitants offrirent une pièce de terrede deux hectares et demi et de laquelle les sieurs advocats et procureurd’iceulx animaux se veuillent comptenter . La dite pièce de terre, peuplée de plusieurs espèces de bois, plantes et feuillages, comme lioulx, allagniers, cyrisiers, chesnes, planes, arbessiers et autresarbres et buissons, oultre l’erbe et pasture qui y est an assez bonne quantité ». Les habitants se réservèrent le droit de passage à travers la terre dont ils faisaient abandon et proposèrent de faire dresser en faveur des insectes un contrat de cession « en bonne forme et valable à perpétuité ». Cette délibération était du 29 juin. Le 24 juillet, le procureur des habitants présenta une requête tendant «  à ce qu’à défaut par les défendeurs d’accepter les offres qui leur avaient été faites , il plut au juge de lui adjuger ses conclusions, savoir à ce que les dits défenseurs soient tenus de déguerpir les vignobles de la commune avec défense de s’y introduire à l’avenir sous les peines de droit. » Le procureur des insectes déclara ne pouvoir accepter, au nom de ses clients, l’offre qui leur avait été faite parce que la localité en question était stérile. Des experts furent nommés. Là s’arrêta les pièces connues du procès et on ignore la décision rendue par l’official.

La justice ecclésiastique se montrait tout aussi extravagante que la justice criminelle. En 1516, Jean Milon, official de Troyes en Champagne, accorda aux chenilles six jours pour abandonner le pays : « Parties ouies, faisant droit sur la requeste des habitants de Villenoce, admonestons les chenilles de se retirer dans six jours et à faute de ce faire les déclarons maudites et excommuniées. »

Parfois, soit que l’autorité ecclésiastique refusait de poursuivre, soit que l’on dédaignât de s’adresser à elle, les habitants des localités envahies disposaient eux-mêmes de l’excommunication.

Un théologien du XVIe siècle ( bénédictin italien dont la doctrine ne devait être acceptée que plus tard), qui d’ailleurs réprouve déjà toutes ces pratiques, faisait déjà la même remarque : « Il y a un abus en quelques endroicts, lequel mérite d’estre basmé et supprimé. Car, quand les villageois veulent chasser de leurs champs les sauterelles et autre dommageable vermine, ils choisissent un certain conjureur pour juge, devant lequel on constitue deux procureurs, l’un de la part du peuple et l’autre du costé de la vermine.

Le procureur du peuple demande justice contre les sauterelles et chenilles pour les chasser hors des champs, l’autre respond qu’il ne les faut point chasser; enfin, toutes cérémonies gardées, on donne sentence d’excommunication contre la vermine si, dedans un certain temps, elle ne sort. Cette façon est pleine de superstition et d’impiété, soit pour ce qu’on ne peut mener procès contre les animaux qui n’ont aucune raison, comme ainsi soit qu’elles sont engendrées de la pourriture de la terre, elles sont sans aucun crime, soit pour ce qu’on pèche et blasphème grièvement quand on se mocque de l’excommunication de l’Église : car de vouloir soubmettre les pestes brutes a l’excommunication, c’est tout de mesme que si quelcun vouloit baptiser un chien ou une pierre. »

Le XVIe siècle avait cessé de regarder les animaux comme des créatures égales à l’homme, comme des êtres perfectibles, responsables de leurs actions et dès lors justiciables des lois faites par l’homme. On continuait bien de les appliquer, mais on prétendait donner ainsi une leçon à l’espèce humaine. Dans un traité qu’a publie sur ce sujet Pierre Ayrault, lieutenant criminel au siège présidial d’Angers, on lit que la justice, en punissant l’animal, prétendait donner une leçon à l’humanité : «  Si nous voyons un pourceau pendu et estranglé pour avoir mangé un enfant au berceau, c’est pour advertir les pères et mères, les nourriciers, les domestiques, de ne laisser leurs enfans tout seuls ou de si bien resserrer leurs animaux qu’ils ne leur puissent nuire ny faire mal. Si nous voyons lapider un boeuf et sa chair jetée aux chiens, pour avoir tué un homme ou une femme; si nous voyons brûler toute une ruche de mouches à miel pour avoir commis semblable faict, c’est pour nous faire abhorrer l’homicide, puisqu’il est mesure puny ès bestes brutes.»

Lorsque Racine formait toute la maison du juge Dandin en tribunal pour prononcer sur le sort du chien Citron, qui venait de manger un chapon, ce n’était pas seulement une situation comique que ménageait l’ écrivain, et une critique vague qu’il dirigeait d’une manière générale contre les monomanies judiciaires, c’était aussi une satire précise , d’une application directe et immédiate qu’il lançait contre un usage singulièrement ridicule. Racine, en exposant les circonstances du jugement rendu contre le chien Citron , n’inventait pas, il racontait, et le procès où plaida Petit Jean n’était qu’une bouffonne mais exacte parodie de procédures sérieuses, instruites par différentes cours de France contre des animaux de toute espèce, contre des rats, des:mulots, des porcs, des hannetons, des chenilles, des taureaux.

Les rats, les mulots étaient des victimes de mesures non mins rigoureuses. En 1510, assignés pour comparaître devant l’évêque d’Autun, des rats ayant fait défaut allaient subir une sentence d’excommunication, lorsqu’un avocat, Barthélemy de Chasseneuz, (1480-1541), devenu ensuite premier président au parlement de Provence, présent à l’audience, prit leur défense d’office, et représenta que les termes de l’assignation étaient trop rapprochés, d’autant plus qu’il y avait pour les rats nécessité de grandes précautions « parce que les chats des villes et villages, avertis par la rumeur publique, s’étaient mis en embuscade pour les enlever au passage.»

Chasseneuz s’intéressait d’autant plus à ce sujet qu’il avait été pour lui l’occasion d’un grand succès oratoire, pendant qu’il était avocat à Autun. Il arriva alors qu’une multitude de rats envahirent la ville et ses environs, et se mirent à vivre grassement aux dépens des récoltes. Comme on ne parvenait pas à détruire ces hôtes malfaisants, on songea à employer contre eux un moyen qui avait, paraît-il, donné déjà d’excellents résultats en pareil cas, on résolut de les faire excommunier. Plainte fut l’évêque d’Autun. Celui-ci voulut qu’avant tout trois assignations fussent données aux prévenus et qu’on leur désignât un avocat. On fit droit à cette requête, et c’est Chasseneuz qui fut d’office attribué aux rats pour défenseur. L’événement prouva qu’il était impossible de mieux choisir. (Annexe V)

Afin de gagner du temps, Chasseneuz employa des moyens dilatoires. Les rats ayant négligé de répondre à la citation de l’official et ne se présentant pas, leur avocat représenta qu’ils étaient dispersés dans un nombre considérable de villages, de maisons et de champs, en sorte qu’une première assignation n’avait évidemment pu les toucher tous. Il obtint ainsi, que les curés leur notifieraient bien et dûment une assignation nouvelle au prône de chaque paroisse. Cela fait, Chasseneuz établit encore que le délai assigné aux rats pour comparaître était beaucoup trop court. Les chemins étaient longs, souvent  mal tracés, et sur la plupart d’entre eux, les chats, que l’on s’était efforcé de multiplier dans le pays, se tenaient en embuscade afin de surprendre les prévenus. Tous les ajournements épuisés, il fallut bien en venir à l’audience publique. Chasseneuz, au cours de son plaidoyer, allégua la Bible, invoqua les plus hautes considérations, les plus solennelles leçons de la politique et de l’histoire. Le savant de Thou, qui nous a conservé le souvenir de cet événement, ne dit pas comment se termina l’affaire, mais il a soin de nous apprendre que la plaidoirie de Chasseneuz fut imprimée et qu’elle valut à son auteur « la réputation d’un vertueux et habile avocat-».

Toutefois, un fait historique assez intéressant se rattache au souvenir de ce code animal de Chasseneuz. Une condamnation capitale avait été prononcée (1540) pour cause de religion contre les habitants de Mérindol (84), sans qu ‘ils eussent été entendus. Un gentilhomme d’Arles, Renaud d’Alleins, rappela à Chasseneuz les principes équitables qu’il avait établis au bénéfice des animaux, et demanda, que bien qu’hérétiques, les habitants de Mérindol fussent assimilés aux mulots et aux hannetons et qu’ils fussent au moins jugés contradictoirement. Chasseneuz se soumit à ces observations, et non seulement il arrêta l’exécution de la sentence, mais il obtint même du roi que le procès serait révisé. Malheureusement, il mourut avant que la révision fut faite, et les habitants de Mérindol eurent à subir toute la cruauté de son successeur.

Aussi barbares, étranges et débiles que puissent nous paraître les procès d’animaux, on en trouve encore aux temps modernes. En 1916 dans le Tennessee, une éléphante prénommée Mary a assassiné son dresseur et a été pendue à l’aide d’une grue. En 2008, en Macédoine, un ours a été condamné après avoir volé du miel à un apiculteur. Le Service des parcs nationaux a été forcé de payer 3.500 dollars de dommages et intérêts. Le dernier procès d’un animal ne remonte qu’à 1962.

Aujourd’hui, si les animaux ne sont plus jugés, ils ne sont pas pour autant complètement absents des tribunaux. En 2014 par exemple, un juge d’instruction de Tours a fait comparaître un chien dont le maître avait été assassiné, pour le confronter au meurtrier présumé et analyser sa réaction. Il semblerait que la soif de justice de l’homme, aussi irrationnelle et absurde qu’elle puisse être, ne connaît toujours aucune limite.

 

Annexe I

 

L’extrait suivant donne l’époque des procès et jugement prononcé dans les affaires les plus singulières, le nom des animaux, le motif qui les fait traduire en justice, ainsi que la date de plusieurs anathèmes ecclésiastiques.

1120 – Mulots et chenilles excommuniées par l’évêque de Laon (Sainte-Foix.)

1121 – Truie mutilée à la jambe, à la tête, et pendu, pour avoir déchiré et tué un enfant, suivant sentence du juge de Falaise. (Statistique de Falaise.)

1122 – Porc pendu pour avoir meurtri et tué un enfant, en la paroisse de Roumaigne, j’ai compté de Mortaing. (Sentence manuscrite).

1123 – Coq condamné à être brûlé, par sentence du magistrat de Bâle, pour avoir fait un œuf. (Promenade à Bâle.)

1124 – Becmares (sorte de charançons) : les grands vicaires d’Autin mandent au curé des paroisses

[p. 35 – conne 2] environnantes de leur enjoindre, pendant les offices et les processions, de cesser leurs ravages, et de les excommunier. (Chassanée).

1125 – Taureau condamné à la potence par jugement du bailliage de l’abbaye de Beaupré (Beauvais), pour avoir, en fureur, aussi un jeune garçon. (DD. Durand et Martenne).

Commencement du XVIe siècle. – Sentence de l’Official contre les becmares et les sauterelles qui désolaient le territoire de Millière (Cotentin). (Théoph. Raynaud).

1154 – Sangsues excommuniées par l’évêque de Lausanne, parce qu’elle détruisait les poissons. (Aldrovande.)

1266 – Pourceau brûlé à Fontenay-aux-Roses, près Paris, pour avoir dévoré un enfant

1274 – En avril est exécute à Torcy  un porc coupable d’avoir tué un porcher habitant le village voisin.

1277 – Excommunication des anguilles du lac Léman « Les anguilles, malgré l’ordre donné [de quitter le lac Léman], restèrent. Il fallut sévir: l’évêque les convoqua devant son tribunal mais elles ne vinrent pas se présenter. Il fut donc obligé de les reléguer en un endroit du lac, d’où elles n’osèrent plus sortir… »

1314 – Les juges du comté de Valois firent le procès à un taureau qui avait tué un homme à coups de cornes, et le condamnèrent, sur la déposition des témoins, à être pendu.

1356 – Sur le compte du bailli de Caen, on trouve ce singulier article :  «  pour les dépens et salaires du bourrol, pour ardoir un porc le IIIe jour de juing MCCCLVJ qu avoit estranglé un enfant à Douvre, pour ce, V sous. Pour une somme de genest à ardoir iceli VI sous. »

De 1317 à 1332 – Ttrois sentences de condamnation à mort sont rendues par la justice de Saint-Martin des Champs à Paris. Les deux premières concernent des truies qui s’étaient attaquées à plusieurs enfants. Les bêtes furent attachées aux fourches patibulaires du prieuré. Le troisième fait est très curieux. Un cheval tua quelqu’un sur le territoire de Bondy, relevant de Saint-Martin des Champs. Le propriétaire, espérant échapper aux poursuites, s’empressa de conduire la bête en dehors du territoire sur lequel s’étendait la juridiction du prieuré. L’homme put cependant être saisi, et comme les religieux tenaient à affirmer leurs droits, il dut payer la valeur de l’animal coupable, et fournir « une figure de cheval» , qui fut pendue, comme un criminel ordinaire, aux fourches de Saint-Martin.

En 1350, à Senlis, un taureau et un porc sont pendus pour avoir tué un homme et une jeune fille (Annexe VI)

1394 – Porc pendu pour avoir meurtri et tué un enfant, en la province de Roumaigne, vicomté de Mortain

1403 – à Meulan, le 15 mars : « Pour dépense faicte par la truye dedans la geole, six sols parisis. Item au maître des haultes œuvres qui vint de Paris à Meullent faire la dicte exécution par le commandement et ordonnance de nostre dit maistre le Bailli et du Procureur du Roi, cinquante quatre sols parisis. Item pour la voiture qui amena la dicte truye à la justice, sics sols parisis. Item pour gans, deux deniers parisis. » Ces gants étaient destinés à garantir le bourreau de tout rapport avec la bête brute. Un chroniqueur anonyme voit là « un trait où toute l’honnêteté de notre Moyen Âge se retrouve »

1404 – Trois porcs suppliciés à Rouvres, en Bourgogne, pour avoir tué un enfant dans son berceau.

1405 – A Gisors, un bœuf fut exécuté pour avoir fait de ses cornes un usage meurtrier.

17 juillet 1408 – Porc pendupar les jarrets à Vaudreuil pour un fait de même nature, « à un des posts de la justice du Vaudreuil, à quoy il avoit esté condempné pour ledit cas par le bailli de Rouen et les consseulx ès assises du Pont-de-l’Archepar luy tenues le XIIIe jour dudit mois de juillet pour ce que icellui porc avoit muldry et tué un pettit enfant »,  conformément à la sentence du bailly de Rouen et des consuls, prononcée aux assises de Pont-de-l’Arche tenues le 13 du même mois. On remarque à propos de cette exécution que le reçu du géôlier des prisons du Pont-de-l’Arche porte la même somme pour la nourriture des hommes détenus dans la prison que pour celle du porc condamné.

24 décembre 1414 – Petit pourceau traîné et pendu par les jambes de derrière, pour meurtre d’un enfant, suivant sentence du mayeur et des échevins d’Abbeville.

14 février 1418 – Autre pourceau coupable du même fait et pendu de la même manière, en vertu d’une sentence du mayeur et des échevins d’Abbeville.

Vers 1456 – Porc pendu en Bourgogne pour une cause semblable.

10 janvier 1457 – Truie pendue à Savigny pour meurtre d’un enfant âgé de cinq ans. (voir annexe II)

1457 – une truie qui, aidée de six petits cochons,  « avait commis et perpétré meurtre et homicide en la personne de Jehan Martin, en aaige de cinq ans, fils de Jehan Martin, fut condamnée par le juge seigneurial de Savigny à estre confisquée à la justice pour estre mise à justice et au dernier supplice, et estre pendue par les pieds derrière à ung arbre. » Mais ce qui est important dans cette affaire, c’est ce qui fut décidé pour les petits pourceaux :« Pour ce qui n’appert aucunement que iceuls coichons ayant mangiés dudit Jehan Martin, combien que aient estés trovés ensanglantés, l’on remet la cause d’iceulx coichons aux autres jours, et avec ce l’on est content de les rendre et baillier audit Jehan Bailli (leur propriétaire) en baillant caution de les rendre s’il est trové qu’ils aient mangiers dudit Jehan Martin…».

1460 – Des insectes occasionnèrent de si grands ravages dans les vignes, que pour y remédier il fut décidé avec les gens d’Église à Dijon, qu’on ferait une procession générale le 25 mars; que chacun se confesserait, et que défense serait faite de jurer, sous rigoureuses peines. Cela fut encore réglé en 1540.

1473 – Pourceau pendu à Beaune par jugement du prévôt de cette ville, pour avoir mangé un enfant dans son berceau.

1479 – Pourceau également condamné pour meurtre d’un enfant fut conduit au supplice dans une charrette.

1479 – Un coq, convaincu d’avoir pondu un œuf, fut condamné à être brûlé vifpar sentence d’un magistrat de Bâle

1481- L’évêque de Lausanne, à l’occasion d’un procès intenté à des sangsues, ordonna au curé de Berne de se procurer quelques-unes de ces délinquantes et de les présenter au magistrat pour lui permettre de trancher le litige en toute équité

10 avril 1490 – Pourceau pendu pour avoir meurdri (tué) ung enffant en son bers (berceau). Le Livre rouge d’Abbeville, qui mentionne ce fait, ajoute que la sentence du maire d’Abbeville fut prononcée par ce magistrat sur les plombs de l’eschevinage, au son des cloches, le 10me jour d’avril 1490.

14 juin 1494 – Sentence du grand mayeur de Saint-Martin de Laon qui condamne un pourceau à être pendu pour avoir « défacié » et étranglé un jeune enfant dans son berceau. Cette sentence se termine ainsi: «Nous, en detestation et horreur du dit cas, et afin d’exemplaire et gardé justice, avons dit, jugé, sentencié, prononcé et appointé que le dit pourceaulz estant détenu prisonnier et enfermé en la dicte abbaye, sera, par le maistre des hautes œuvres, pendu et estranglé en une fourche de bois, auprès et joignant des fourches patibulaires et hautes justices des dits religieux estant auprès de leur cense d’Avin; En temoing de ce, nous avons scellé la présente de nostre scel. — Ce fut fait le 14e jour de juing, l’an 1494, et scellé en cire rouge; et sur le dos est écrit: Sentence pour ung pourceaulz exécuté par justice, admené en la cense de Clermont et estranglé en une fourche lez gibez d’Avin. »

1497 – Truie condamnée à être assommée pour avoir mangé le menton d’un enfant du village de Charonne. La sentence ordonna en outre que les chairs de cette truie seraient coupées et jetées aux chiens ; que le propriétaire et sa femme feraient le pèlerinage de Notre-Dame de Pontoise, où étant le jour de la Pentecôte, ils crieraient : Merci ! de quoi ils rapportèrent un certificat.

18 avril 1499 – Sentence qui condamne un porc à être pendu, à Sèves, près Chartres, pour avoir donné la mort à un jeune enfant.

1499 – A Beauvais, un taureau fut condamné à la pendaison pour avoir « par furiosité occis » un jeune homme de 15 ans.

1499 – Corroy, seigneurie dépendant de l’abbaye de Beaupré, un taureau ayant tué le jeune garçon commis à sa garde, enquête et information furent faites, et l’arrêt rendu ordonna que « pour raison de l’homicide ci-dessus, ledit thorreau sera pendu à une fourche ou potence et exécuté jusques à mort inclusivement. »

1499 – Un certificat du bailli de Fresnes-l’Archevêque contient de curieux renseignements sur l’exécution d’un pourceau pendu sur les terres du cardinal d’Amboise, archevêque de Rouen. On paya 10 livres tournois au charpentier qui tint la fourche, l’échelle et trouva le bois, 12 sous à un compagnon, « passant d’aventure », qui pendit le pourceau et 8 sous tournois au sergent qui avait vaqué trois jours à l’effet de chercher le dit compagnon pour procéder à l’exécution et faire faire la potence.

1527 – Un cheval rétif, coupable d’avoir cassé une jambe à un manant de Brionne, fut condamné à la peine de mort

1540 – Pourceau pendu à Brochon, en Bourgogne, pour un fait semblable, suivant sentence rendue en la justice des chartreux de Dijon et à Meaux (Seine et Marne) une chienne est livrée au bourreau

1543 – Procès contre des limaces

1550 – Le Parlement de Paris condamne une vache

1554 – Des sangsues mises en interdit par l’évêque de Lausanne pour s’être nourries des poissons de l’étang

1555 – Le grand-vicaire de Valence fait citer les chenilles devant lui, leur donne un procureur pour se défendre, et finalement les condamne à quitter le diocèse. (Chorier.) (Annexe IV)

1556 – En Auvergne, le juge d’un canton nomme aux chenilles à curateur ; la cause est contradictoirement plaidée. Il leur est enjoint de se retirer dans un petit terrain (indiqué par l’arrêt) pour y finir leur misérable vie. (Description de la France.)

1557 – À Saint-Quentin, le 6 décembre , un pourceau fut condamné à « être enfoui tout vif dans une fosse pour avoir dévoré ung petit enfant en l’hostel de la Couronne. »

1567 – Le 27 mars, à Senlis, une truie dévore un enfant. Elle expie ce forfait par la mort. Voici un extrait de la sentence : « Les informations faictes pour raison du dict cas interrogatoire des dicts Louis Mathieu et sa femme, avec la visitation faicte de la dicte truye, à l’instant du dict cas advenu et tout considéré en conseil, il a été conclu et advisé par justice que pour la cruauté et férocité commise par la dicte truye, elle sera exterminée par mort et pour ce faire sera pendue par l’exécuteur de la haulte justice en ung arbre estans dedans les fins et mottes de la dicte justice, sur le grand chemin rendant de Saint-Firmin au dict Senlis. »

20 mai 1572 – Sentence du maire et des échevins de Nancy qui condamne un porc à être étranglé et pendu pour avoir dévoré un enfant à Moyen-Moutier. Dans le procès-verbal de la remise du porc. On y lit dans le entre autres détails que le porc « a été prins et mis en prison; que cet animal, lié d’une corde, a été conduit près d’une croix au delà du cimetière; que de toute ancienneté, la justice du seigneur (l’abbé de Moyen-Moutier) a coutume de délivrer au prévôt de Saint-Diez, près de cette croix, les condamnés tous nus, pour en faire faire l’exécution et ad cause que le dict porc est une beste brute, les Maire et Justice le delibvrent en ce dict lieu et laissent le dict porc lié d’icelle corde de grace speciale et sans préjudice du droit qui appartient au seigneur de délivrer les criminels tous nus. »

1596 – Lle port de Marseille fut obstrué par une quantité prodigieuse de dauphins. Le cardinal légat Acquaviva, qui habitait Avignon, délégua l’évêque de Cavaillon pour les exorciser. Le prélat partit sur-le-champ pour Marseille, se rendit au port et procéda à l’exorcisme en présence des magistrats et d’une foule énorme de curieux. Défense fut faite aux dauphins de rester dans le port. Les poissons se le tinrent pour dit et ne reparurent plus.

1601 – Dans la Brie, une peine sévère est infligée contre un chien et contre une jument à Provins

1609 – Condamnation d’une vache à Paris et d’une jument à Montmorency. Une jument est condamnée a Paris en 1647, une autre à Chartres en 1650, une autre à Fourches, près de Provins, en

1680. Un trentaine de procès similaires ont eu lieu au XVIIe siècle.

1613/1623 – Deux sentences, notamment, furent infirmées en 1613 et en 1623, qui avaient condamnée une ânesse et une truie à être pendues. Ces criminelles bénéficièrent d’un adoucissement de peine et furent simplement assommées

1735 – Un âne fut arquebusé par sentence du magistrat de Clermont en Picardie pour avoir mordu sa nouvelle maîtresse.

1767 – Un curé de Besançon manqua d’exorciser des papillons qui, au vue de leur nombre formaient des nuages. Le curé voyait en eux de véritables diables incarnés. Il essaya de les exorciser mais le nuage s’épaissit au dessus de lui. Ses convictions furent renforcées : « ces démons ailés avaient voulu rendre impossible la lecture des terribles paroles qui devaient les foudroyer. »

1782 – A Clisson, le curé a exorcisé toutes les vaches de la contrée non pas pour obtenir leur destruction ou leur départ de la contrée mais pour es guérir d’un mal mystérieux présumé d’essence diabolique ou pour les immuniser contre ce mal. Les vaches ont défilé à la porte de l’église et le curé, revêtu de l’étole les aspergea d’eau bénite et suspendit à leur cou un sachet de sel qui avait été rendu actif dans la lutte contre l’esprit du mal par certaines incantations mystiques.

1793, le 17 novembre, le Tribunal révolutionnaire condamna à  mort, en même temps qu’un invalide son maître, un chien  après qu’il ait été établi que l’animal avait été dressé à « aboyer contre les habits bleus ( la garde nationale), et qu’il avoit plusieurs fois mordu un porteur de billets de garde ». On a retrouvé aux Archives nationales le procès-verbal de l’exécution du chien, qui fut assommé en présence d’un inspecteur de police.

Le 3 janvier 1799 se plaide une affaire impliquant un marchand de Lamarche qui, ayant acheté un cochon dans une ville voisine….

 

Annexe II

 

Un exemple de procès d’animal au Moyen Age en janvier 1457

Procès-verbaux relatif à la condamnation et à l’exécution d’une truie à Savigny en Bourgogne

«  Jours tenus à Savigny près des foussez du chasteal dedit Savigny par noble homme Nicolas Quaroillon Escuier, juge dudit lieu pour noble damoiselle Katherine de Barnault dame de Savigny, et ce le 10e jour du moys de janvier 1457, présens maistre Philebert Quarret, Nicolas Grans Guillaume, Pierre Borne, Pierre Chailloux, Germain des Muliers, André Gaudriot, Jehan Bricard, Guillaume Gabrin, Philebert Hogier et plusieurs autres témoins a ce appellés et requis, l’an et jour dessus dit:

« Huguenin Martin Procureur de noble damoiselle Katherine de Barnault dame du dit Savigny, et promoteur des causes d’office du dit lieu de Savigny, demandeur à l’encontre de Jehan Bailly alias Valot, du dit Savigny, deffendeur à l’encontre duquel, par la voix et orgain de honorable et saige maistre Benoist Millot d’Ostun, licencié en Loys et Bachelier en decret, Conseiller de Mgr le duc de Bourgoigne, a été dit et proposé que, le mardy avant Noël dernierrement passé, une truye et six cochons ses suignens qui sont présentement prisonniers de la dite dame, comme ce qu’ils ont été prins en flagrant délit, ont commis et perpétré mesmement la dicte truye murtre et homicide en la personne de Jehan Martin en aige de cinq ans, fils de Jehan Martin du dit Savigny pour la faute et culpe du dit Jehan Bailly alias Valot, requérant le dit procureur et promoteur des dites causes d’office de la dite justice de ma dite dame que le dict deffendeur respondit ès-chouses dessus dites, desquelles apparoissait à souffisance et lequel par nous a esté sommé et requis ce il vouloit avoher, la dite Truhie et ses suignens sur le cas avant dit, et sur le dit cas luy a esté faicte sommacion par nous juge avant dit pour la premiere, deuxième et tierce foiz, et que s’il vouloit rien dire pourquoy justice ne s’en deust faire, l’on estoit tout prest de le oïr en tout ce qu’il vouldroit dire touchant la pugnycion et execution de justice que se doit faire de la dite Truhie; veu le dit cas, lequel deffendeur a dit et respondu qu’il ne vouloit rien dire pour le présent, et, pour ce, aist été procédé en la manière qui s’an suit; cest assavoir que pour la partie du dit demandeur, avons esté requis instamment de dire droit en ceste cause en faisant conclusion et renunciation en ceste cause, en la présence du dit deffendeur présent et non contredisant, pourquoy, nous juge avant dit, savoir faisons à tous que nous avons procédé et donné nostre sentence deffinitive en la manière qui suit: cest assavoir que veu le cas est tel comme a esté proposé pour la partie du dit demandeuret duquel appert a souffisance, tant par tesmoing que autrement dehuement hue; aussi conseil avec saiges et praticiens, et aussi considéré en ce cas l’usence et coustume du Païs de Bourgoingne, aïant Dieu devant nos yeulx; nous disons et prononçons par nostre sentence deffinitive et a droit et par icelle nostre dicte sentence, déclarons la truye de Jean Bailly alias Valot pour raison du multre et homic

ide par icelle truye commis et perpétré en la personne de Jehan Martin de Savigny, estre confisquée à la justice de Madame de Savigny pour estre mise à justice et au dernier supplice et estre pendue par les pieds de derriers à ung arbre esproné à la justice de Madame de Savigny, considéré que la justice de Mad. Dame n’est mie présentement élevée, et ycelle truye prendre mort au dict arbre esproné et ainsi disons et prononçons par nostre dicte sentence et a droit et au regart des coichons de la dicte truye pour ce qui n’appert aucunement que issues coichons ayent mengier du dit Jehan Martin, combien que aient été trovés ensanglantés, l’on remet la cause d’iceulx coichons aux autres jours et avec ce l’on est content de les rendre et baillier au dit Jehan Bailly, en baillant caution de les rendre s’il s’est trové qu’ils aient mengiers du dit Jehan Martin, en païant les poutures, et l’on fait savoir à tous, sus peine de l’amende et de 100 sols tournois, qu’ils le dient et déclèrent dedans les autres jours de laquelle nostre dicte sentence après la pronunciation d’icelle, le dit procureur de la dite dame de Savigny et promoteur des causes d’office par la voix du dit maistre Benoist Milot avocat de la dite dame, et aussi le dit procureur a requis et demandé acte de nostre dicte court à lui estre faicte, laquelle lui avons ouctroyé et avec ce instrument, je Huguenin de Montgachot clerc notaire publique de la court de Monseigneur le duc de Bourgoingne en la présence des témoings ci-dessus nommés jelui ay ouctroyé. Ce fait l’an et jour dit et présens les dessus dits témoings. Ita est »

Ainsi signé: Mongachot, avec paraphe.

– Suit une autre sentence dans laquelle le même juge s’exprime ainsi:

….. « Avons sommé et requis le dit Jehan Bailli alias Valot si il vouloit avoher les dits coichons et si il vouloit bailler caucion pour avoir récréance d’iceulx lequel a dit et répondu qui ne les avohait aucunement et qui n’y demandoit riens iceulx coichons et qui s ’en rapportait a ce que nous ferions, pourquoy sont demourés à la dicte justice du dit Savigny …. »

– Le procès-verbal de l’execution de la truie est ainsi conçu:

« Item en après, Nous, Nicolas Quarroillon juge avant dit savoir faisons à tous que incontinent après les chouses dessus dites, avons fait délivrer réalment et de fait, la dicte truye à maistre Estienne Poinceon maistre de la Haulte justice, demorant à Chalon sur Saône, pour icelle mectre à execution selon la forme et teneur de nostre dicte sentence, laquelle délivrance d’icelle truye faite par nous, comme dit est, incontinent le dit Me Estienne a menée sur une chairrète la dicte truye à un chaigne esproné estant en la justice de la dite dame de Savigny et en iceluy chaigne esproné (!), iceluy Me Estienne a pandüe la dite truye par les pieds derriers en mettant à execution de notre dicte sentence selon sa forme et teneur …. »

Ainsi signé: Mongachot , avec paraphe.

– Enfin, une dernière sentence porte ce qui suit:

« Jours tenus au lieu de Savigny, etc., etc., le vendredy après la feste de la Purification Nostre Dame Vierge 1457. Sur le refus fait par Jehan Bailly d’avoher ou répudier les coichons ou de donner caucion malgré les sommations et réquisitions qui lui ont été faictes, dispose: Pourquoy, le tout veu en Conseil avec saiges, déclairons et pronunceons par nostre sentence deffinitive et à droit iceulx coichons compéter et appartenir, comme biens vacants à la dicte dame de Savigny et les luy adjugeons comme raison, l’usance et la coustume de Pays le vüeilt. Présents Guillaume Martin, Guilllot de Layer, Jehan Martin, Pierre Miroux et Jehan Bailly temoins »

Ainsi signé: Montgachot, avec paraphe.

(Extrait du chartrier de Monjeu et dépendances, appartenant à M . Lepelletier Saint-Fargeau, Savigny-sur-Etang, boëte 25, liasses 1, 2 et 3; Bibliothèque Nationale)

 

Annexe III

 

Les jugements et arrêts en cette matière étaient mûrement délibérés et gravement prononcés ; voyez ce passage d’une sentence rendue par le juge de Savigny, le 10 janvier 1457 ; il s’agit d’une truie :

L’exécution était publique et solennelle ;

On trouve dans un compte du 15 mars 1403 les détails suivants sur la dépense faite à l’occasion du supplice d’une truie, qui fut condamnée à être pendue à Meulan pour avoir dévoré un enfant :

« Pour dépense faite pour elle dedans la geôle, six sols parisis ;

« Item, au maître des hautes œuvres, qui vint de Paris à Meulan faire ladite exécution par le commandement et ordonnance de nostre dit maistre le bailli et du procureur du roi, cinquante-quatre sols parisis ;

« Item, pour voiture qui la mena à la justice, six sols parisis ;

« Item, pour cordes à la lier et hâler, deux sols huit deniers parisis ;

« Item, pour gans, deux deniers parisis. »

En octroyant des gants au bourreau, on voulait sans doute, d’après les mœurs du temps, que ses mains sortissent pures de l’exécution d’une bête brute.

 

Annexe IV

 

Article de P. E. GIRAUD, paru en 1866 dans le Bulletin de la Société d’archéologie et de statistique de la Drôme

PROCÉDURE CONTRE LES CHENILLES ET AUTRES BÊTES NUISIBLES.

Au mois de mars 1547, le territoire de Romans et des paroisses voisines était en proie à des animaux malfaisants qui rongeaient les bourgeons des vignes et des arbres à fruit, coupaient la plante des blés et détruisaient ainsi l’espoir de la récolte. Les consuls et les habitants de Romans, alarmés de ces ravages, les signalèrent au vice-légat d’Avignon, et, conformément aux idées du temps, ils invoquèrent l’autorité et les exorcismes de l’Église pour détourner d’eux ce fléau.

Le 28 mars, le vice-légat Antoine du Château (Antonius de Castro) adresse aux curés et aux autres ecclésiastiques des diocèses de Vienne et de Valence un monitoire (1), où il exhorte tous les fidèles à s’amender, à faire pénitence, à s’acquitter exactement de tous leurs devoirs de chrétiens, notamment à payer les dîmes et à s’abstenir des œuvres serviles les dimanches et jours fériés, seul moyen d’apaiser la colère divine. Il ordonne aux curés de publier son mandement au prône (2) de la messe paroissiale et de faire autour des champs infestés mie procession pendant trois jours, en chantant des psaumes et prononçant les paroles consacrées pour mettre en fuite ces complices du démon.

Le vice-légat commet en outre à sa place l’official de Valence pour prononcer un jugement contre ces animaux nuisibles, désignés sous les noms de chanillas, serpilières (pyrales)(3), limacias, murgues (souris ou mulots), dans le cas où les cérémonies accomplies par les curés seraient demeurées inefficaces, et pour sommer ces animaux de délaisser le territoire de Romans et de se retirer dans le lieu qui leur aura été réservé et où ils pourront subsister sans nuire ; le tout, sous peine de malédiction et d’excommunication.

Le ler avril 1547, les consuls de Romans, nantis du monitoire qu’ils venaient d’obtenir, le présentent au parlement de Grenoble et demandent la permission de le faire publier.

Le 2, le parlement, après avoir pris l’avis du procureur général, qui s’en remet au bon plaisir de la cour, les autorise en ces termes : « Est permis aux suppliants faire publier le monitoire et la malédiction, avec les autres clauses, sans l’excommunication. »

Le 11 avril, les formalités prescrites par le monitoire furent remplies à Romans et dans toutes les paroisses circonvoisines, à Peyrins, à Saint-Paul, à Génissieux, Chanos-Curson, Beaumont-Monteux, Chatuzanges, Marches, Alixan, etc. La mention de cette exécution est rapportée au dos de la pièce elle-même. Mais les insectes n’en tenant aucun compte et continuant leurs dévastations, force fut de les poursuivre devant le tribunal de l’officialité de Valence présidé par le délégué du vice-légat.

Le 13 avril, les consuls de Romans, Bernardin Guigou, Antoine Bourguignon, Augustin Lorette et Jean Massegros le jeune, par acte reçu Bayle, notaire, donnent pouvoir à maistres François de Turette et Maurice Alboussière (avocats ou procureurs sans doute), de Valence, « de comparaître, au nom de la communauté de Romans, pardevant Monsieur le vicaire de Valence, en une cause qu’ils prétendent avoir sur ung monitoire impétré contre les chanilles, serpilières, rats, murgues et aultres bestes gastants les vignes et aultres biens de terre, avec puissance de demander contre les dictes bestes lettres exécutoires et de malladiction, icelles lever et consentir que leur soit pourveu de curateur et que leur soit baillié territoire tel que sera advisé, et faire tous actes de plaidoyeries opportunes et nécessaires. »

De son côté, l’official eut soin de nommer aux insectes intimés un curateur(4) chargé de leur défense. Cette mission fut confiée à Christophe Chambard, notaire de Valence, qui prêta serment entre les mains du juge de ne rien négliger dans l’intérêt de ses clients. Ce fut probablement à sa requête que les Romanais désignèrent un champ où ces bêtes malfaisantes devaient se retirer, lorsque, sur la sommation de l’official, elles auraient abandonné les terrains qu’elles désolaient depuis si longtemps.

Ce champ, contenant environ trente sétérées (dix hectares), était situé dans le mandement de Peyrins, au quartier du Chasse, près du domaine de l’hôpital de Sainte-Foy. Ses confins sont minutieusement indiqués, et son propriétaire, Jean Mouchel, dit de Fourton, de Romans, l’offre pour l’usage des chenilles, serpilières, etc., dans la cause qui est pendante à Valence contre leur curateur.

Les plaidoiries respectives ne nous ont pas été conservées; nous avons seulement le jugement de l’official, qui fut rendu à Valence, le 21 avril 1547. Ce jugement reproduit presque textuellement les prescriptions du monitoire. Il enjoint aux demandeurs de faire amende honorable de leurs péchés, de ne pas travailler les dimanches et fêtes, de payer exactement la dîme. « Le plus souvent », dit-il, « les maux qui nous affligent sont le châtiment de nos fautes. » Il ordonne des processions pendant trois jours, et le samedi suivant un jeûne rigoureux et une aumône d’un sétier de blé distribué en pain aux pauvres de Jésus-Christ; puis, chaque curé doit renouveler l’anathème déjà porté contre les animaux malfaisants, leur intimer l’ordre de cesser leurs ravages et de se rendre tous, sous peine de malédiction, au territoire qui leur est assigné, où ils pourront vivre de fruits qui ne sont pas destinés à la nourriture de l’homme. « Exécutez de point en point », dit-il en terminant, « et sans rien omettre, ce que je vous prescris, car je le veux ainsi, nam sic fieri volumus, et en vertu de l’autorité qui m’est déléguée, je vous en rends responsables sous peine d’excommunication. »

Ces sortes de procès contre les animaux nuisibles ne sont pas rares au moyen âge ; il en est question dès le XIe siècle, et au XVIIIe on en retrouve encore des traces. Grenoble et Valence, dans le cours du XVIe, en présentent des exemples, auxquels on peut joindre celui dont je riens de rendre compte (5).

P. E. GIRAUD, ancien député.

Annexe V

 

29 juin 1525 : l’avocat de François Ier défend des rats menacés d’excommunication

 

La coutume d’excommunier les rats se traitait dans les règles : elle passait d’abord par-devant les juges civils ; deux avocats plaidaient, l’un pour et l’autre contre les rats. Ensuite, sur la sentence des juges séculiers, ceux d’Église faisaient droit.

Barthélemy de Chasseneuz, mort premier président du parlement de Provence et jurisconsulte connu par ses commentaires sur la coutume de Bourgogne et par d’autres ouvrages, ne crut pas les rats indignes de son éloquence et de son érudition. En 1525, les rats accusés et convaincus d’avoir fait beaucoup de dégâts aux environs d’Autun, furent excommuniés par l’évêque. Chasseneuz, qui était alors avocat du roi François Ier dans cette ville, prit leur défense, et fit en leur faveur un fort beau plaidoyer, au moins autant qu’on peut le présumer ; car malheureusement il n’est point dans ses ouvrages.

Le président de Thou en parle comme d’une pièce qui a subsisté, mais qu’il n’a pas vue, et semble ne la citer qu’après Chasseneuz lui-même, qui en parle dans son traité de la coutume de Bourgogne. Comme on l’a perdue, les historiens ont raisonné selon qu’il leur a plu, et disent que « monsieur de Chasseneuz (…) étant à Autun dans un temps que quelques villages de l’Auxois demandaient qu’il plût aux juges d’église d’excommunier les rats qui désolaient le pays, il avait pris la défense de ces animaux, et remontré que le terme qui leur avait été donné pour comparaître, était trop court, d’autant plus qu’il y avait pour eux du danger à se mettre en chemin, tous les chats des villages voisins étant aux aguets pour les arrêter en passant : sur quoi, Chasseneuz avait obtenu qu’ils seraient cités de nouveau, avec un plus long délai pour y répondre. »

Déjà, en 1516, les chenilles et les mulots de la région de Troyes avaient été excommuniés, cependant, parmi les animaux nuisibles, les rats ont toujours été ceux contre lesquels la répulsion était la plus grande. Ils étaient considérés comme des ennemis redoutables, et l’on pensait que les puces qu’ils transportaient contenaient les germes de la peste.


Annexe VI

Une insolite exécution au XIV° siècle (Oise)

« Par une froide et brumeuse journée d’hiver, vers l’an 1350, une foule compacte se pressait dans les rues étroites et tortueuses de Senlis. Les abords de l’Hôtel de ville étaient garnis de troupes. Une compagnie de cent hommes, l’arquebuse au bras, maintenait à distance respective les curieux qui s’approchaient trop près de l’entrée du bâtiment municipal qu’on décorait pompeusement du titre de palais.

Par intervalles, des personnages à l’allure grave et solennelle, vêtus de noir, passaient au milieu de la double haie de gardes et s’engageaient sous la voûte qui formait la principale entrée de l’Hôtel de ville. Un appel sonore retentissait, le cliquetis des armes se faisait entendre, le peuple acclamait celui qui venait d’entrer, puis tout retombait dans un calme profond.

Quand sonnèrent deux heures, la foule s’agita ; les plus près tentèrent en vain de pénétrer à l’intérieur, afin de rejoindre les favorisés de la première heure qui avaient été autorisés à garnir la salle. On entendit un roulement de tambours, en même temps que les portes extérieures se fermèrent. La cérémonie allait commencer.

A l’intérieur, une grande salle aux murs nus, était réservée au tribunal de haute justice. Au centre, une table carrée, recouverte de drap noir et entourée de sièges. Au côté droit de la table était assis le greffier. Sur les côtés de la salle étaient des banquettes garnies de spectateurs.

La porte du fond de la salle s’ouvrit à deux battants, les magistrats s’avancèrent, prirent leurs places et le président interrogea immédiatement les témoins.

Personne ne vît paraître les accusés, les juges eux-mêmes ne s’en émurent pas. Cependant le cas à juger était grave. Un homme et une jeune fille avaient été victimes d’un crime odieux, commis sur la route de Saint-Nicolas-d’Aci. Tous deux avaient été trouvés morts et couverts d’horribles blessures, à demi déchiquetés.

Le tribunal rassemblé dans la salle décrite plus haut personnifiait la rigidité implacable et terrifiante de la justice. Les spectateurs étaient silencieux et écoutaient religieusement les dépositions palpitantes des témoins. Cependant, profond était leur étonnement de ne point voir comparaître les criminels.

Pourquoi une telle infraction aux usages judiciaires ? Etaient-ils malades ? Craignait-on un lynchage de la part de la foule ? Enfin chacun interprétait cette absence à sa façon. La cour se retira pour délibérer. Après un long moment, les juges reparurent, le président lut la sentence ; les coupables étaient condamnés à être pendus.

Deux potences furent dressées à l’endroit où on avait trouvé les deux victimes ; un cordon de gardes maintenait la foule. Le cortège funèbre arriva, mais personne ne put encore distinguer les condamnés conduits par les exécuteurs. Après de courts préparatifs, une fois le signal donné deux masses informes s’élevaient lourdement dans l’espace faisant grincer les poulies dans leur manœuvre.Ce fut une stupéfaction générale.

Le lendemain matin, les deux corps, un taureau et un cochon, furent descendus des gibets et jetés à la voirie.

Les hommes pour satisfaire leur vengeance, avaient réuni leur redoutable appareil de justice pour punir ces deux animaux et leur faire expier la mort des deux êtres humains qu’ils avaient à demi dévorés.



Annexe VII

 

7 février 1314 : arrêt du Parlement de Paris confirmant la condamnation à mort d’un taureau

(D’après « Procès contre des animaux et insectes suivis au Moyen Âge dans la Picardie et le Valois » (par Alexandre Sorel) paru en 1877)

 

 

L’abbé Carlier, prieur d’Andrésy, rend compte, dans son Histoire du duché de Valois, d’un procès intenté à un taureau et débouchant sur son exécution suivie d’un appel examiné par le Parlement de Paris

ll survint, dit-il, vers l’an 1313, une affaire singulière et tout à fait étrangère à nos mœurs. Il y avait alors une commanderie de Saint-Jean-de-Jérusalem à Moisy-le-Temple, aux confins du Valois, au-delà du ruisseau de Tresmes — Moisy-le-Temple dépendait de la commune de Montigny-l’Allier (Aisne), canton de Neuilly-Saint-Front, arrondissement de Château-Thierry. Le titulaire de ce bénéfice avait la haute justice du territoire.

Un fermier du village de Moisy laissa échapper un taureau indompté. Ce taureau ayant rencontré un homme, le perça de ses cornes. L’homme ne survécut que quelques heures à ses blessures. Charles, comte de Valois, ayant appris cet accident au château de Crépy, donna ordre d’appréhender le taureau et de lui faire son procès.

On se saisit de la bête meurtrière. Les officiers du comte de Valois se transportèrent sur les lieux pour faire les informations requises et, sur la déposition des témoins, constatèrent la vérité et la nature du délit. Le taureau fut condamné à être pendu, et l’exécution de ce jugement se fit aux fourches patibulaires de Moisy-le-Temple. La mort d’une bête expia ainsi celle d’un homme.

Ce supplice, ajoute Carlier, ne termina pas la scène. Il y eut appel de la sentence des officiers du comte, comme de juges incompétents, au Parlement de la Chandeleur 1314. Cet appel fut dressé au nom du Procureur de l’Hôpital de la ville de Moisy. Le Procureur général de l’ordre intervint. Le Parlement reçut plaignant le Procureur de l’Hôpital, en cas de saisine et de nouvelleté, contre les entreprises des officiers du comte de Valois.

Le jugement du taureau mis à mort fut trouvé équitable ; mais il fut décidé que le comte de Valois n’avait aucun droit de justice sur le territoire de Moisy et que ses officiers n’auraient pas dû y instrumenter.

 


Notes

 

1 – Monitoire : Lettre adressée par l’autorité ecclésiastique aux fidèles leur enjoignant, sous peine d’excommunication, de dénoncer tous les faits répréhensibles dont ils ont connaissance.

2 – Prône : Instruction, accompagnée d’avis, qu’un prêtre fait aux fidèles à la messe paroissiale du dimanche.

3 – Pyrale : Insecte lépidoptère nocturne dont la chenille est particulièrement nuisible à la vigne.

4 – Curateur : Personne commise par la loi pour administrer les biens et protéger les intérêts d’une autre personne.

5 –  Archives municipales de Romans déposées aux archives de la préfecture de la Drôme, année 1547, V-17, N.° 53. — Voyez aussi : Rapports el recherches sur Us procès et jugements relatifs aux animaux, par BERRIAT SAINT-PRIX ( Mémoires de la Société des Antiquaires de France, tome VIII ) ; — CHORIER, Histoire de Dauphiné, tome H, p. 712; — De l’origine, de la forme et de l’esprit des jugements rendus au moyen âge contre les animaux, par Léon MENABRÉA; Chambéry, 1846.

 

Sources :

       

      • Curiosités judiciaires et historiques du Moyen Âge. Procès contre les animaux par Emile Agnel – J . Dumoulin (Paris) – 1858

      • Bulletin de la Société Historique de Compiègne – Société Historique de Compiègne (Compiègne) – 1876 – Tome III – Alexandre Sorel

      • Causeries du besacier : mélanges pour servir à l’histoire des pays qui forment aujourd’hui le département de l’Oise … Tome I par le Vte de Caix de Saint-Aymour – A. Claudin (Paris) 1892-1895

      • www.cosmovisions.com/Proces-Animaux

      • http://theses.vet-alfort.fr/

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