LE ROI SE MEURT …

 

 

Le Roi se meurt… ou l’égalité devant la mort








Nous sommes bien peu de chose devant la mort, que l’on soit roi ou manant. C’est la seule justice qui touche tout le monde sur cette terre… Ainsi en est-il dans les registres paroissiaux de Notre-Dame de Versailles avec la transcription du décès du roi Louis XIV, le « Roi Soleil ».

« Pourquoi pleurez-vous ?

Est-ce que vous m’avez cru immortel ?

Pour moi, je ne l’ai jamais cru être. » Louis XIV

 

Né le 5 septembre 1638 à Saint-Germain-en-Laye, Louis XIV meurt à Versailles le matin du dimanche 1er septembre 1715, à quatre jours exactement de fêter ses soixante dix-sept ans, après l’un des plus longs règnes de l’histoire : soixante-douze ans, dont cinquante-quatre ans de gouvernement personnel. Selon le marquis de Dangeau, narrateur fidèle « il a rendu l’âme sans aucun effort, comme une chandelle qui s’éteint. Ses dernières paroles furent : “ô mon Dieu, venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir.” »

Un grand seigneur, un grand roi, le plus grand roi du monde, dira-t-on ! On le surnomme le « Roi Soleil », et sa puissance est immense.

Mais à l’annonce de la mort du Roi Soleil, « tout autorise à penser, au-delà des manifestations religieuses, mondaines et coutumières, que, des grands jusqu’au dernier des manants, la France éprouva un profond sentiment de délivrance. » (1) « Attendue depuis la mi-août, la nouvelle n’a point surpris, ni les proches, ni l’opinion dans la capitale : bien avant la mort du Roi, tous les préparatifs ont été faits par ceux qui vont se disputer un instant le pouvoir. (…) Mais en même temps, lorsque la nouvelle de cette mort se répand dans Paris, s’exprime la joie des petites gens : qui ne connaît le témoignage de Voltaire décrivant sur la route de Paris à Saint-Denis, les réjouissances populaires, hommes et femmes chantant et buvant, dressant des feux de joie et clamant à pleine gorge le contentement que leur procure cette disparition : explosion de joie féroce, qui n’a certainement pas été le fait de la France entière. » (2). Il est vrai que comme l’écrit Saint-Simon, Louis XIV laissait au Régent une situation bien difficile aggravée par vingt ans de guerres : « Les provinces, au désespoir de leur ruine et de leur anéantissement, respirèrent et tressaillirent de joie (…) le peuple, ruiné, accablé, désespéré, rendit grâce à Dieu. »

Le document ci-dessous, tiré du Registre Paroissial de Notre-Dame à Versailles, en porte le curieux témoignage.

Louis XIV rendit l’âme le 1er septembre 1715, et l’inscription de cet événement historique sur le registre mortuaire fut omise… Vous entendez bien, pendant… 47 jours !

C’est en effet seulement le 17 octobre, soit avec six semaines de retard, que le prêtre qui avait peut-être perdu la tête la retrouve, et porte le décès royal sur le « Grand-Livre de la mort » de la paroisse Notre-Dame de Versailles. « Nul ne songe à réserver au souverain une page vierge. » (3).

Voici l’acte de décès de Louis XIV, « roi très bon, très puissant et très excellent » :

 

 

Acte décès de Louis XIV extrait du registre des décès de Notre-Dame de Versailles.

 



L’oubli fut donc réparé, et l’on enregistra le décès du roi sur le registre commun des décès de Versailles (page 60)… Comme pour tout le monde :

« Le premier jour de septembre de l’an mil sept cens quinze, est décédé très bon, très puissant et très excellent Roy de France, Louis Quatorze, de glorieuse mémoire, âgé de soixante et dix sept ans, dans son château, et transporté à St Denys, le neufvième dudit mois, en présence de Messire Jean Dubois, chanoine de St Quentin, Chapellain ordinaire de la musique du Roy, et messire Pierre Mannoury, prêtre de la congrégation de la Mission, qui ont signé avec nous. Huchon, Dubois, Mannoury. »

Mais… le hasard est bien malicieux !

Le même jour, 17 octobre, mourait « Elizabeth Prudence », âgée de cinq ans, fille de Charles Berger et de Magdelaine Moyeu, son épouse, d’illustres inconnus du village de Versailles, qui avaient dû voir souvent passer le roi, qui, pour eux, était sans doute inaccessible. La transcription de l’acte de décès de la petite fille est faite juste après celle du roi, soulignant ainsi que la fortune, les titres, les couronnes s’estompent et disparaissent aux portes du tombeau : l’égalité devant la mort (4).

« L’an mil sept cens quinze, le dix-septième octobre, Élisabeth Prudence, fille de Charles Berger et de Magdelaine Moyeu, son épouse, âgée de cinq ans six mois, décédée hier, a été inhumée dans le Cymetière de cette paroisse en présence du susdit père de la défunte, et de Bernard Mons, lesquels ont signé, Berger, Mons, Gautier, prêtre. »

La richesse, la puissance, la magnificence n’y font rien… la « grande faux » emporte tous les humains, chacun à leur tour. Quelle leçon !

N’est-ce pas là une justice universelle ?

À noter que dans le double du registre paroissial (collection départementale cote 1080415, registre conservé par les Archives départementales des Yvelines), l’annonce du décès du roi est notée seulement dans la marge du registre, à côté de deux actes d’inhumation à la date du 30 août 1715 (acte de Margueritte Colin et acte de Anne Catherine Calvé).



 

Mépris général et extrême impopularité que souligne, à la fin de l’année 1715, le curé de la paroisse rurale de Saint Sulpice, près de Blois, où l’on relève le commentaire suivant :

« Louis XIV, roi de France et de Navarre, est mort le 1er septembre dudit an, peu regretté de tout son royaume, à cause des sommes exorbitantes et des impôts si considérables qu’il a levés sur tous ses sujets. On dit qu’il est mort endetté de 1 milliard 700 millions de livres. Ses dettes étaient si considérables que le Régent n’a pu ôter les impôts que ledit roi avait promis d’ôter trois mois après la paix, qui étaient la capitation et le dixième du revenu de tous les biens. Il n’est pas permis d’exprimer tous les vers, toutes les chansons et tous les discours désobligeants qu’on a dits et faits contre sa mémoire Il a été, pendant sa vie, si absolu qu’il a passé par-dessus toutes les lois pour faire sa volonté. Les princes et la noblesse ont été opprimés. Les parlements n’avaient plus de pouvoir : ils étaient obligés de recevoir et d’enregistrer tous les édits, quels qu’ils fussent, tant le roi était puissant et absolu. Le clergé était honteusement asservi à faire la volonté du roi : à peine demandait-il quelque secours, qu’on lui en accordait plus qu’il n’en demandait. Le clergé s’est endetté horriblement. Tous les corps ne l’étaient pas moins. Il n’y avait que les partisans et les maltôtiers qui fussent en paix et qui vécussent en joie, ayant en leur possession tout l’argent du royaume. Le roi fut porté à Saint-Denis le 10 ou 12 dudit mois et l’oraison funèbre s’est faite à Saint-Denis vers la fin du mois d’octobre. » (5)



Notes

 

(1) Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1966.

(2) Robert Mandrou, Louis XIV en son temps, Paris, PUF, 1973.

(3) François Bluche, Louis XIV, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1986.

(4) « Les registres de catholicité de nos pères supposent et soulignent l’égalité de tous devant la mort. » François Bluche, Louis XIV, Librairie Arthème Fayard, 1986.

(5) Inventaire-Sommaire des archives communales antérieures à 1790, département du Loir-et-Cher, Blois, 1887, p. 72.).



Sources :https://www.histoire-genealogie.com/Le-Roi-meurt

 

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