PROCÈS EN SORCELLERIE EN DAUPHINE AUX XVe ET XVIIe SIÈCLES

Voici deux procès en sorcellerie en Dauphiné aux XVe et XVIIe siècles.




 

Abbaye Saint Antoine de Viennois

 

I

Procès en sorcellerie en Dauphiné au XVe siècle

 

Parmi les documents, d’importance très diverse, provenant de la, succession de M. l’abbé Froment et vendus le 17 mars. 1919, à Valence, il en est un qui. attira notre attention et que nous avons pu acquérir : c’est le texte d’un procès de sorcellerie au XV° siècle (1). Ces sortes de pièces ne sont pas rares mais il est toujours bon de les recueillir, car elles fournissent d’intéressants détails sur les croyances et les mœurs de nos pères, nous permettant de mesurer le travail, les progrès accomplis dans les idées au cours, des siècles (2). Il s’agit ici d’une tentative d’envoûtement contre le roi Louis XI, et ce qui ajoute encore à la gravité de l’attentat, c’est que les personnages accusés ou mêlés à l’affaire ne sont autres que l’abbé de Saint-Antoine et certains de ses religieux. Voici, du reste, ce qui s’était passé.

Le siège abbatial de Saint-Antoine-de-Viennois étant devenu vacant par la mort d’Humbert de Brion, arrivée le 7 mai 1459, le dauphin Louis (plus tard Louis XI), s’employa activement pour faire tomber ce riche et important bénéfice aux mains de Benoît de Montferrand, religieux de l’abbaye et commandeur de Morges (3). Benoit était fils de Pierre, seigneur de Montferrand en Bugey, et de Marie Pèlerin. Il était hautement protégé par Charlotte de Savoie, épouse du dauphin (4). Mais il y avait une difficulté; les religieux de Saint-Antoine, forts de leurs droits et attentifs à ne pas se » laisser prévenir par la curie romaine dans .l’élection de leur abbé, avaient déjà choisi pour chef Antoine de Brion, le neveu de celui dont-ils regrettaient vivement la perte. Le dauphin Louis, qui ne connaissait guère d’autre loi que sa volonté, écrivit au pape pour faire casser l’élection d’Antoine de Brion, et demanda aux religieux de reporter leurs voix sur le candidat de son choix. Pie II – acquiesça sans peine aux désirs du prince, car il avait alors de puissants motifs de le ménager (5). Le 24 juin 1460. le dauphin Louis témoignait aux religieux de Saint-Antoine son contentement de ce qu’ils s’étaient rendus à ses désirs. « Très chers et bien amez, leur disait-il, nous avons, bien leu comment avez envoyé devers nostre sainct Père le pape et escript et tenu la main, pour l’amour de nous, ad ce que frère Benoist de Montferrant fust pourveu de vostre .abbaye, laquelle chose mondit sainct père a faict, aussi avons présantement sceu par nostre amé et féal conseiller l’archevesque de Vienne et par le frère dudit abbé commétant à prendre la possession, vous avez obéy, baillé les clefs de ladite abbaye et faict tout ce que estoit en vous et possible vous estoit de faire dont… vous en mercions, tant que faire le pouvons, vous priant que tousjours à iceluy frère Benoist de Montferrant, vostre abbé, veuillez donner tout le conseil, part, faveur et ayde que vous pourrez. Et tenez vous seur que s’il est aucune chose que nous puissions faire pour vous. tant en général que en particulier, nous le ferons de si bon cœur que vous cognoistrez… que nous avez, faict plaisir…» (6).

On était en droit d’espérer, qu’un homme si chaudement recommandé et en faveur duquel le pape avait suspendu l’effet des lois canoniques, allait se montrer digne de telles interventions et saurait gagner l’estime et l’affection de ses moines. Il n’en fut rien. Une fois de plus, on put constater que l’Eglise n’a rien à gagner à l’immixtion du pouvoir civil dans le choix des prélats et autres dépositaires de l’autorité religieuse. Benoît était d’un caractère dur et violent ; se sentant appuyé et protégé du dauphin et de Charlotte de Savoie, il ne garda bientôt aucune, mesure à l’égard ,des moines qu’il soupçonnait s’être opposés à son élection ; les autres ne furent guère épargnés. L’historien ,de Saint-Antoine fait le plus sombre tableau des quelques années du gouvernement de cet abbé. « Sévère à l’excès, dit-il, pour réprimer de légers abus, il s’emportait sans retenue quand on lui proposait un parti de douceur. Des hommes supérieurs ont refusé de pardonner pour le bien des particuliers coupables; pour lui, s’il ne pardonnait jamais, c’était en vue de l’intérêt de son despotisme …

Les prisons, les disciplines, les expositions sur d’ignominieux poteaux, les sentences diffamatoires attachées à la porte majeure de la basilique ; Benoît multipliait ainsi des applications de son autorité. Que dis-je? Il proclama de sa propre bouche et sans jugement préalable, une sentence de condamnation à mort contre un frère convers ; l’infortuné méritait à peine quelques jours de prison : il le fit exécuter sous ses yeux par le bourreau de sa seigneurie. On croit rêver en lisant les traits détachés de la vie d’un abbé de Saint-Antoine. Nous nous tairons sur les châtiments excessifs que Benoît fit subir à des chanoines et à des frères innocents : qu’attendre d’un chef qui s’était posé en ennemi au sein de ceux dont il se persuadait d’être mortellement haï ?. » (7). »

Dans quelle mesure faut-il accepter les affirmations de l’historien de Saint-Antoine ? Il est difficile de le dire ; ce qui toutefois demeuré acquis et certain, c’est que le gouvernement de cet abbé ne s’inspirait en rien des maximes évangéliques et que les traitements qu’il infligeait à ses moines étaient au fond une intolérable, tyrannie, Mais pour être juste, il ne faut pas oublier que les religieux de Saint-Antoine, comme du reste les religieux de tous les, ordres, traversaient alors une crise effroyable qui menaçait de les conduire à leur perte définitive. L’histoire de l’Eglise, celle qui ne poursuit pas uniquement un, but apologétique, nous apprend, en effet, quelles furent pour les communautés religieuses les suites du grand schisme, les commendes, les réserves, sans parler des autres abus qui énervèrent, à tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique, la discipline et les mœurs. La seconde moitié du XVe siècle fut peut-être l’époque où les désordres se manifestèrent le plus ouvertement (8). Benoît de Montferrand. prenant au sérieux son rôle d’abbé, aurait-il tenté par de sévères mesures de ramener ses moines dans-les voies de l’obéissance et de la régularité ? Il serait peut-être charitable de lé supposer, et ceci affaiblirait d’une certaine façon les graves, reproches que les historiens font peser sur sa mémoire.

Quoi qu’il en soit, désireux de se débarrasser de leur abbé et de sa tyrannie, les religieux de Saint-Antoine tinrent des conciliabules secrets pour aviser aux moyens d’arriver au résultat désiré ; ils envoyèrent à Rome des délégués pour informer le pape de leurs souffrances et solliciter son intervention. Mais le dauphin de Viennois, devenu sur ces entrefaites (1461) le roi Louis Xl, demeurait pour Benoît de Monferrand un puissant protecteur. On se demanda comment’ on parviendrait à compromettre l’abbé auprès du monarque. Le prince était inquiet, soupçonneux, vindicatif, d’une religion superstitieuse, voyant sans cesse autour de lui des ennemis en voulant à son autorité,, à son existence même. On s’avisa d’un procédé qui, pensait-on-, ne pouvait manquer de réussir, avec un tel prince.

La croyance aux interventions diaboliques, les pratiques, de la magie noire prirent un développement extraordinaire, une importance inconnue jusque-là à dater de la seconde moitié du XV°siècle (9). Vers l’année 1465, le bruit courut en Dauphiné et franchit bientôt les limites de la province, qu’avait eu lieu à l’abbaye de Saint-Antoine certaine opération magique, l’envoûtement du roi Louis XL ce qui devait infailliblement dans l’année amener la mort de ce prince. Le fait était d’autant plus odieux que l’abbé du monastère était un de ses protégés et qu’il n’avait obtenu la dignité abbatiale que grâce à. ses pressantes démarches auprès du pape et des religieux. Le maléfice qu’on appelait envoûtement consistait à fabriquer une image de cire représentant la personne qu’on voulait envoûter ; on lui conférait le baptême, ce qui lui donnait le nom et en quelque sorte là.personnalité de celui à qui on voulait faire du mal. L.’image ou petite statuette de cire ainsi préparée, on la plaçait sur l’autel, pendant la messe, et on la perçait au cœur avec une aiguille. On se persuadait que le maléfice devait faire périr la personne que cette image représentait (10).

Informé et effrayé de ce que colportait et commentait la, rumeur publique, Louis XI, par une lettre datée d’Orléans, le 6 mars 1466 (n. s.), donnait commission à Soffrey Alleman, lieutenant général en Dauphiné, et à maistre Jean Herbert, son conseiller, d’ouvrir des enquêtes contre un certain nombre de personnages, accusés de crimes de lèse majesté, notamment contre l’abbé de Saint-Antoine, « et por ce que, disait le roi, frère Benoist de Montferra, abbé de l’abbaye de monseigneur Saint-Antoine de Viennois a esté chargé par aulcuns des religieux et commandeurs de ladite abbaye d’avoir fait certains voeux et aulcuns maléfices et sorcelleries à l’encontre de nostre personne, de quoy nous désirons scavoir singulièrement la vérité, nous volons et mandons bien expressément que vous vous en informiez bien et diligemment ensemble de ses justifications et inoscences au contraire, se aulcunes en a et par luy vous en estes requis, et les dites informations feites et rédigées par escript, ensemble tout ce que vous trouverez servant à la matière, envoyez diligemment, féablement clos et scélé par devers nous et les gens de nostre grand conseil pour en estrè ordonné ainsy qu’il appartiendra par raison. Et pour ce que ung nommé frère Anthoyne Soucy, religieux de ladite abbaye, scait, comme l’on dit, ce qui peult avoir été feit. en cette matière, lequel est destenu par Georges, seigneur du Gua. nous volons et vous mandons que’ incontinent et sans délay il vous baille et délivre ledit religieux,, pour estré par vous, interrogé, examiné sur les choses dessus dites, et au surplus en estre ordonné ainsi qu’il appartiendra et que verrez estre à faire » (11).

Les commissaires délégués se mirent aussitôt à l’œuvre. Il y avait alors dans les prisons de la porte Traine, à Grenoble, un habitant de Saint-Antoine, père de famille, arrêté par la justice seigneuriale du lieu pour avoir dit certains propos diffamatoires contre l’abbé et quelques religieux du monastère. Soffrey Alleman et Jean Herbert le firent comparaître devant eux, le 15 avril1466. Il déclara avoir été mis en prison, en même temps que le grand sacristain de l’abbaye et pour les mêmes raisons, et qu’il ignorait pourquoi celui-ci avait été presque aussitôt remis en liberté, tandis que lui restait encore sous les verrous. Interrogé sur les paroles qu’il avait dites et qui avaient motivé son arrestation, il fit une déclaration très importante et qui va être rapportée dans tout le cours de son procès. Il raconta donc qu’environ huit jours avant ce carême, l’abbé avait fait publier un monitoire prescrivant, sous peine d’excommunication, à toute personne qui connaîtrait les auteurs des bruits infamants qui ont couru sur de prétendues opérations magiques dont, se seraient rendus coupables l’abbé de Saint-Antoine et quelques-uns de ses religieux, de venir les dénoncer dans les huit jours. Pour répondre à cette injonction, il se rendit à l’abbaye dans le délai fixé, demanda à parler seul à l’abbé, qui le reçut dans une petite chambre, près de la grande salle des parements, et là, il dit au prélat ce qui suit : « Seigneur, j’ai appris que vous aviez lancé un monitoire pour, arriver à connaître ceux qui vous avaient diffamé. De ce que je sais, je ne vous dirai rien, si ce n’est en confession et quand vous m’aurez promis de ne point me dénoncer ». La promesse ayant été faite par l’abbé, en mettant la main sur son habit religieux et sa potence (sorte de croix, le tau, marque distinctive des Antonins), Nicolas Genevois continua en ces termes: « Seigneur, il y a longtemps de cela, j’étais venu à l’abbaye voir mon frère, le commandeur, alors aumônier, de Saint-Antoine; il était 7 ou 8 heures du matin et je le trouvai dans la chambre de l’aumône, encore couché dans son lit. Lui ayant demandé comment il se faisait qu’à une heure aussi tardive il ne fût pas levé, il me dit que le jour précédent, il y avait eu beaucoup d’agitation dans l’abbaye et que, le seigneur abbé faisait baptiser une image de cire par ce misérable Magnan, avec les objets et les nappes d’une chapelle. Il dit encore qu’il avait tenu ladite image pour un maléfice, et que le sacristain et le sous-prieur en avaient fait autant, et que de tout cela aucun bien ne pouvait résulter. Voilà pourquoi ils furent sur pied jusqu’au milieu delà nuit, et lui n’avait pu encore se lever » (12).

Nicolas Genevois affirma avec serment que tout ceci lui avait été conté par son frère Pierre Genevois, actuellement commandeur de Marseille, il y avait environ deux ans. Cette déposition, il la faisait sans aucune animosité contre son frère. Il avait, du reste, l’année précédente (1465), fait la même déclaration devant des juges à Lyon, où il fit un voyage, occasionné par un procès qu’il avait avec sa sœur.

Ce même jour, 15 avril 1466, Soffrey Alleman et Jean Herbert appelèrent devant eux les deux frères, Nicolas et Pierre Genevois, pour les entendre contradictoirement. Nicolas renouvela sa déposition ; Pierre y opposa le plus complet démenti, déclarant que depuis trois ans il n’avait point vu son frère et qu’il n’était point venu à St-Antoine, ayant séjourné tout ce temps-là à Rome ou à Marseille. Ainsi, tout ce qu’a raconté son frère Nicolas est mensonge et calomnie, ipse frater per gutur suum mentitus erat.

L’affaire fut renvoyée à un autre jour, et comme Herbert se disposait à se rendre à Embrun, le 8 mai il fit mettre en liberté provisoire Nicolas Genevois, sur la promesse de celui-ci de se présenter de nouveau à première réquisition : Bérenger, seigneur du Gua, se porta caution de l’engagement pris parle détenu, dictus Genevois promist seipsum representare sub pena mille librarum. Acte en fut rédigé par François Argoud, notaire.

De retour d’Embrun, Jean Herbert était allé à Montbonot, où il eut l’occasion de rencontrer et d’interroger frère Antoine Magnan, un des religieux signalés présents au baptême de la fameuse image de cire. Il arriva à se convaincre que les diverses dépositions dans cette affaire se contredisaient, et le 10 juin; il donna l’ordre de remettre en prison Nicolas Genevois. Le 12 juin, à la prison de la porte Traîne, l’accusé comparaissait de nouveau devant Soffrey Alleman et Jean Herbert, qui se montrèrent bien résolus d’en finir et d’obtenir la vérité de la bouche même du prisonnier, duximus quod veritas scîretur per os ejus.

Dans la circonstance, il leur sembla que le moyen le plus expéditif, le plus sûr serait d’avoir recours la question, c’est-à-dire à la torture. Cet odieux usage, adopté sous l’ancienne Rome, s’était adouci et avait presque disparu sous l’empire des lois chrétiennes : il reparut avec une vitalité nouvelle au XIVe siècle, avec les légistes, imbus des principes du droit romain, pour ne disparaître qu’à la fin du XVIII°siècle. C’est à Louis XVI que revient l’honneur d’avoir à jamais condamné ces barbaries, par une ordonnance du 1er mai 1788. Les tribunaux avaient multiplié les instruments de supplice, et nous avons peine à comprendre aujourd’hui comment des hommes sensés, honnêtes, religieux, ont pu, durant tant de siècles, se faire illusion sur l’efficacité de la torture pour arriver à la découverte de la vérité. On y employait l’eau, le bois, le fer et le feu (13).

Nicolas Genevois fut donc soumis à la torture, et par deux fois. Le document ne nous fait pas connaître quelle fut la nature de la première épreuve,. nous savons seulement qu’il fut dépouillé de ses habits, fuit expoliatus et in questione positus, et que, au milieu des tourments, il avoua qu’il avait parlé par haine contre son frère, avec lequel il était en procès, et que personne ne lui avait dit d’agir ainsi. Les juges ne furent point satisfaits de cette réponse et en vinrent à une seconde épreuve, celle du feu. Quand il fut exposé devant les flammes, on lui demanda s’il voulait dire toute la vérité et spécialement faire connaître le nom de celui qui l’avait engagé à déposer contre son frère, et lui avait même fait la leçon à ce sujet, en lui suggérant les paroles qu’il aurait à dire dans sa dénonciation à l’abbé. La douleur lui fit tout promettre. On le retira d’auprès des flammes, et l’interrogatoire reprit, postquam fuit refrigeratus (14).

Les juges firent alors un très grand nombre de questions ou demandes à Nicolas Genevois, qui répondit à toutes, avec une certaine habileté, de manière, à se sauver, si possible, de la situation mauvaise où il se trouvait, sans toutefois compromettre trop de personnes. 11 reconnut la fausseté de ses allégations contre l’abbé, le grand sacristain et le sous-prieur, notamment de les avoir accusés de maléfice, et il déclara que s’il avait agi de la sorte, c’était sur les conseils de frère Guillaume Guillon, qui nourrissait à l’endroit de l’abbé une haine mortelle ; c’était ce religieux qui lui suggéra tout ce qu’il a dit, les termes mêmes de ses dépositions. Quant à lui,-il avait aussi de la haine contre son frère pour les torts qu’il en avait ressentis. Qu’il fût coupable, il l’avouait, mais d’autres étaient assurément plus coupables pour avoir monté toute cette affaire. Il se repent et implore son pardon, en faisant appel à la miséricorde de ceux à qui il a fait du mal,par ses mensonges et ses calomnies, se poenitet et requirit gratiam et misericordiam.

Le 18 juin, séance solennelle au tribunal, à laquelle assistent les commissaires royaux, et plusieurs conseillers, Roland Guillot, Jean de Ventes, Claude Lattier, juge des appellations. Guillaume de Sabeurais, procureur général, Jean de Cizerin, docteur es lois, et Georges Froment, notaire. Le procureur général donne lecture des demandes que formule l’abbé de Saint-Antoine en réparation et punition des crimes dont Nicolas Genevois s’est rendu coupable, crimes qu’aggravent encore certaines circonstances, dont il faut tenir compte.

Ainsi :

– 1° Nicolas Genevois est natif de Saint-Antoine, ce qui le constitue homme lige de l’abbé, à raison de l’abbaye.

– 2° L’abbé est co-seigneur de Saint-Antoine avec le roi-dauphin.

– 3° Nicolas Genevois a fait hommage lige et prêté le serment de fidélité à l’abbé, comme tous les autres habitants de Saint-Antoine.

– 4° Il a comploté avec quelques méchants sujets contre l’abbé, et dans l’année 1465 a faussement accusé ledit abbé d’avoir fait baptiser une image de cire ayant la ressemblance du sérénissime Roi de France, dauphin, notre maître actuel: conspiraverat falso de anno Domini millesimo sexagesimo quinto quod dictus dominus abbas baptizari fecerat quamdam imaginem cere ad similitudinem serenissimi francorum régis dalphini, domini nostri moderni.

– 5° Il a porté cette accusation fausse contre l’abbé devant les commissaires royaux, des juges et des notaires.

– 6° L’injure est si grande que l’abbé aurait préféré perdre 10.000 francs et sa stalle abbatiale que de l’avoir subie.

– 7° L’abbé fait observer qu’il est de race noble et qu’il ne voudrait pas pour tout l’or du monde se voir accusé de pareils crimes.

– 8° Enfin, il a fait de grandes dépenses pour chercher à se faire rendre justice devant les tribunaux, et, de ce fait, il réclame 10.000 francs.

Ayant en mains toutes les pièces du procès, dépositions des témoins, aveux de l’accusé et demandes de l’abbé, le procureur général, avait, pour remplir son office, à rédiger son réquisitoire, qui, comme on pouvait s’y attendre, sera d’une, rigueur impitoyable. Il ne comprend pas moins de cinq grandes pages, dans lesquelles sont relatés en détail les faits criminels que nous connaissons déjà, et l’auteur n’oublie pas d’étaler son érudition, en signalant aux juges les divers points de la législation qui fixent les peines encourues par le coupable comparaissant devant eux. Nicolas Genevois a commis plusieurs grands crimes, dont trois au moins, d’après la loi, doivent être expiés par la mort. II a plusieurs fois rendu de faux témoignages contre son seigneur, l’abbé de Saint-Antoine, lui attribuant faussement un acte sacrilège par lequel ledit abbé aurait fait baptiser une image de cire pour un maléfice. Le baptême étant un sacrement, institué par Jésus Christ, le profaner, s’en servir pour une opération magique, c’est en quelque sorte en nier l’existence, et par conséquent tomber dans l’hérésie. Le maléfice étant dirigé contre le roi de France, dont le nom de Louis était imposé à l’image.de cire, qu’un prêtre aurait, baptisée, constituait un crime de lèse-majesté. Ajoutez que la rumeur de ce qui était censé se préparer, effraya singulièrement le monarque, l’irrita au point qu’il crut devoir écrire au pape pour demander le châtiment de l’abbé, faussement accusé. Enfin, on a vu dans cette affaire un frère calomnier son frère, au mépris des liens du sang, l’exposant à perdre sa réputation, son honneur et sa vie. Toutes les dénonciations et les affirmations de Nicolas Genevois, étaient accompagnées de serments, prêtés devant le Christ, et il a osé même dire que si ce qu’il avançait n’était pas la pure vérité, il consentait à donner son corps et son âme à tous les diables de l’enfer, et dat corpus et animam omnibus demonibus inferni, casu quo suus dictus frater non sibi dixisset dicta verba. Plusieurs de ces crimes demanderaient qu’on lui coupât la langue pour avoir blasphémé et accusé son frère, ainsi que d’autres religieux de Saint-Antoine. La conclusion du procureur général est que Nicolas Genevois doit avoir la tête tranchée et, être condamné à cinq cents livres d’amende au profit du roi.

Le 18 juin 1466, les juges qui devaient prononcer la sentence se réunirent dans la salle du conseil. C’étaient les commissaires royaux Soffrey Alleman .et Jean Herbert, les conseillers au parlement Rolland Guillot, Jean de Ventes, Antoine Labèze et Claude Lattier, Guillaume de Sabrurais, procureur général, Guy Pape, Jean de Cizerin et Jean Girard, ces derniers docteurs en droit. Après avoir pris connaissance de toutes les pièces du procès et longuement discuté le cas, ils prononcèrent, à la pluralité des voix, la peine de mort contre Nicolas Genevois, comme coupable de sortilège et de faux témoignages contre l’abbé de Saint-Antoine et son propre frère, Pierre Genevois, religieux de l’abbaye. Le condamné devait être conduit des prisons de la porte Traîne au lieu du supplice, coiffé d’une mitre de papier, sur laquelle serait peinte une image de cire, et qui signalerait les crimes le menant à l’échafaud. Voir du reste, le texte de la sentence.

Visis confessionibus factis per Nicolaum Genevois, capiivum in carceribus de Porletrayne et processif super hoc contra eum facto, unacum conclusionibus et ralionibus juris per procuratorem generalem delphinatus dalis, et super hoc habito consilio et deliberatione aliorum doctorum, necnon notabilium clericorum nobiscum congregatorum, et considerato quod hac in parte considerari débet : Nos diximus et per nostram sententiam et certe dicimus quod propter casus et crimina per dictum Genevois commissa et per eum pluribus vicibus confessa, dictus Nicolaus Genevois habebit caput abcisum extra civitatem Grallapopolis super uno scadaphali ad hoc precipue ordinato, et sibi imponetur una mittra in qua erit depicta una ymago cere et descripti casus per eum commissi, quam quidem mittram portabit a carcere usque ad dictum scadaphale et ad hoc eum condemnavimus et codemnamus : et eum hoc, ad interesse et injuriam Reverendi in Xpo pairis frairis- Benedicti de Montferrando, abbatis monasterii Sancti Anthonii Viennensis et fratris Pétri Genevois, dicti Nicolai germani, taxalione eorumdem coram nobis reservala et sumplibus justicie. Et erit appositum caput super palo ad hoc ordinato et. corpus super quoddam aliud pilare. Sic signatum. P. RADEL.

L’exécution du condamné eut lieu probablement le lendemain de la sentence, 19 juin 1466.

Si le lecteur désire savoir ce que devint Benoît de Monferrand, cet abbé dont les violences et la tyrannie avaient soulevé de tels orages au sein de la communauté de Saint-Antoine, nous ajouterons que les religieux eurent bientôt la satisfaction de le voir s’éloigner. Dans un important ouvrage sur la Hiérarchie catholique du Moyen âge, Eubel nous apprend que le pape Paul II lui avait donné pour successeur un nommé Maffeo et que celui-ci, ne pouvant se fixer à Saint-Antoine ou s’y faire obéir, obtint, des bulles, du 5 septembre 1470, pour l’évêché de Coutance, vacant depuis le 19 août de cette même année, par la mort de Richard Olivier, cardinal de Porto. Par un abus fort commun à cette époque, Maffeo devait subir sur les revenus de son Eglise une réserve de deux pensions annuelles, une de 500 ducats au profit du cardinal de Vicence, et une également de 500 .ducats au profit du cardinal de Montferrat. Mais il ne prit pas possession de cet évêché. Notre Benoît de Montferrand, toujours protégé par Louis XI qui ne lui gardait pas rigueur des prétendues sorcelleries, avait réussi à se faire élire pour évêque par les chanoines de Coutances et comptait bien se maintenir sur le siège épiscopal de cette ville ; mais là aussi il eut ses déboires, et les chanoines ne le goûtèrent pas mieux que les moines de Saint-Antoine. Il fallut partir, et grâce à l’intervention du duc de Savoie, il fut transféré au siège épiscopal de Lausanne, par une bulle de Sixte IV, du 23 juin 1476. 11 est mort le 5 mai 1491 (15).

Quant aux religieux de Saint-Antoine, nous ferons remarquer que toutes les nobles tentatives que firent quelques dignes abbés, comme Jean Joguet (1471-1482), Antoine Tholosain ( ? -1615) et Brunel le Grammont ( ? – ? ), pour les. réformer et les ramener à la ferveur primitive, ne donnèrent que des résultats insignifiants. Sur la fin du XV° siècle, ils soutinrent un procès retentissant, échangèrent de violents écrits avec les bénédictins de Mont-Majour, près d’Arles, au sujet du corps ou reliques de saint Antoine, que les uns, à l’exclusion des autres, prétendaient posséder. Ces amères discussions n’avaient rien d’édifiant et laissaient planer sur l’authenticité des fameuses reliques des soupçons qui n’ont jamais été dissipés. Enfin, les calamités, qui vinrent fondre sur l’abbaye, pendant les guerres de religion, notamment en 1562 et 1567, expulsion des religieux, pillage des reliques et des trésors, ne firent point rentrer en eux-mêmes ces moines dégénérés ; ils continuèrent à rouler sur la pente du relâchement jusqu’à l’abîme dans lequel ils ont disparu (16).

JULES CHEVALIER

 

Notes :

(1) Cahier, .haut. 0,38, larg. 0,18, papier, 12 folios, écriture fine très nette, du XV° siècle.

(2) Dans les Mémoires de l’académie des Inscriptions et Belles lettres, t. X, (1736), Lancolat a donné des détails sur les accusations de sorcellerie portées contré Robert d’Artois, 1733, pp. 626- 650. Les Mémoires lues à la Sorbonne renferment diverses études sur la sorcellerie ; Régné «  La sorcellerie en Vivarais du XV° au XVII° siècle ». Paris, ,1913, in-8° 48 pp. – Sur la. sorcellerie dans les pays protestants de l’Allemagne, voir : .JANSSEN. « L’Allemagne et la réforme », t. VIII (1911), p. 683-758.

(3) Gallia christiana, t. XVI, col. 200. – PILOT DE THOREZ. Catalogue des actes du Dauphin Louis II devenu le roi de France Louis XI, Grenoble, 1899, t. II, p. 37.

(4) CHARAVAY. Lettres de Louis XI, Paris, t. I. (1883), p. 349.

(5 Pie II nourrissait alors le projet d’une grande croisade contre les Turcs et négociait avec le dauphin la cession du Valentinois et Diois à la cour romaine.

(6) Lettres de Louis XI, l. 1, p. 122-123.

(7) DASSY. L’abbaye de Saint-Antoine en Dauphiné, Grenoble, 1844, in-8°, p. 173-175. – Gallia Christiana, t. XVI, col. 200.

(8) Sur les abus et les désordres qui affligèrent l’Eglise et en particulier les communautés religieuses dans la seconde moitié du XV° siècle et préparèrent les voies au protestantisme, on peut lire PASTOR, Histoire des papes depuis la fin du moyen âge. Paris, 1888-1909, 8 vol.

(9) On sait que l’Eglise catholique-enseigne l’existence des démons, et le pouvoir qu’ils ont de se mettre en relation avec les hommes pour leur nuire, ou les porter au mal. C’est sur celte doctrine que repose la croyance à l’efficacité des exorcismes ; cette doctrine explique également toutes les pratiques delà sorcellerie, qui s’est manifestée dans tous les pays et dans tous les temps. Mais il ne faut pas croire aisément à l’intervention des démons ; il faut distinguer entre la sorcellerie proprement dite et les agissements de certains individus appelés sorciers qui exploitent la sottise humaine.

(10) Du Gange. Glossarium, au mot invultare. – CHERUEL. Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, Paris, 1855, t. I, p. 356.

(11) PILOT DE THOREY. Catalogue des actes du dauphin Louis II, t.I,p. 37, 102.

(12) Domine ego jamdiu fui apud fratrem meum preceplorem pro tempore illo elemosinarium sancli Anthonii circa septimam – aut octavam horam de mane, et inverti eum in caméra elemosine et adhuc erat in suo cubili nondum erat levatus. Tune ego peAii ,i6 eocur dormierat iam larde, et ipse respondit rnichi quod ipsi iota die précédente brbdiaverant in abbatia, et quod dominus abb’ns fecerat baplizari unam ymaginem cere per illum miserabilen Manniani cum utencilibus et mappis pro una sequente capella, et fecerum teneri dictant ymaginem per me in malo lucro et per magnum sacristam et per miserum subpriorem ex quo nullum bonum ereniet, et quod ipsi brodiaverant per médium vesper quare non potuerat se citius levare.

(13) Ces barbaries étaient admises dans tous les tribunaux, et l’on ne se posait même pas la demande si l’on pouvait en droit et en conscience les appliquer à des malheureux qui étaient accusés ou gravement soupçonnés de quelque crime. Les accusations pouvaient venir d’ennemis avides de vengeance, de sorcières prétendant avoir vu au Sabbat telle et telle personne, etc. Cependant, dès le XVI° siècle, elles provoquèrent les plaintes de Robert Estienne et de Montaigne.Plus tard Montesquieu et Voltaire réclamèrent leur abolition. Dans l’Allemagne luthérienne, la torture pour arracher des aveux se pratiquait d’une façon effroyable. Voir: JANSSEN, t. VIII, p. 711.

(14) Pour la question par le feu, voir la description qu’en a faite Claude Caron, médecin, né à Annonay, dans un livre imprimé à Tournon, en 1581, Antéchrist démasqué, description reproduite par Régné, d’après PONCER-, Mémoires historiques sur Annonay et-le Haut-Vivarais, Lyon, 1835, in-8° t. I, pp. 275-8,

(15) EUBEL. Hierarchia catholica medii oevi., t. II, (1901), p. 150. – Die 5 sept. 1470, ecclesïae Constantien. rac. per obitum Bicardi (+ 19 aug. 1470) Maffaeus, abbas monesterii S. Antonii Vien., praefectus est in episcopum (reservata anima pension e 500 duc. Marco, lituti s. Marci, cardinali Vincent.) et 500 duc. Theodoro S. Theodori diac, cardinali Montinferrati, qui quidem a Benedicto de Montferrand (a capitulo in episcopum Constantien. electo) impeditus esse videtur quominus possessionem ecclesiae Constantien. – adipiscerteur.

(16) Gallia christiana, t. XVI, col. 200. – DASSY. L’abbaye de Saint-Antoine, p. 177 et suiv.

 

II

Un procès en sorcellerie en Dauphiné au XVIIe siècle

 

Jamais les procès en sorcellerie ne furent plus communs en France qu’au commencement du XVIIe siècle, et cela s’explique par l’arrivée de beaucoup d’aventuriers italiens, que la mode et le goût de la cour attiraient à Paris et en Province avec l’ espoir de faire fortune. Certainement, ces charlatans n’ étaient pas de bonne foi, et savaient à quoi s’en tenir sur l’efficacité de leurs conjurations, mais la plupart, tout en s’occupant de cabale et de sorcellerie pour effrayer le vulgaire et écarter les yeux indiscrets, joignaient à cette prétendue science un métier plus lucratif, et utilisaient leur savoir en fait de chimie en fabriquant de la fausse monnaie ou en vendant des poisons. Il ne faut donc pas s’étonner de voir les parlements les poursuivre avec acharnement et les condamner au feu.

La lettre suivante, qui existe en original à la Bibliothèque nationale (Ms. Fr. 15 898),est intéressante à plus d’un titre, car, non seulement elle nous initie aux préliminaires d’un procès en sorcellerie, mais nous donne sur la vie intérieure des couvents à cette époque, des renseignements tout nouveaux et que l’on trouverait difficilement ailleurs.

A Monseigneur, monseigneur de Bellievre, chancelier de France.

Monseigneur, il y a quelque temps qu’en ceste ville nous eusmes advis de quelques estrangers, lesquels se glissans parmy nous, soubs habit de religieux voire mesmes y acceptans et prenans a servir des cures, se mesloient fort avant de magie. Et de faict nous en fismes prendre un, vestu en religieux de l’ordre Sainct Francoys , lequel se dict estre gentilhomme Romain et se faict appeler Francesco de Nobilibus, lequel nous treuvasmes chargé de bagues ou anneaux, des peaux et parchemins, des tables qu’ils appellent sacrées et de certaines images ou statues et aultres semblables choses desquelles ils se servent avec leurs livres magistraus et manus. cripts. Et du depuis en fut pris un aultre lequel tenoit la cure de Brezin près la Coste Sainct André, lequel se dict estre du Montdevis en Piemont et s’appeller Bernardin Rey, en la maison ou chambre duquel l’on treuva presque autant et plus de pieces, aucunes semblables aux précédentes, aultres différentes, mesmes tendant a vénéfice fort insigne, et desquels toutesfois ils se couvrent de façon, disant avoir trouvé ces choses la et par aultres responces dignes de ce mestier qu’il y a eu peine à les convaincre. Et tant y a, leur a fallu former leur proces avec beaucoup de circonspection, qui nous ont par mesmes porté à quelque longueur. Mais enfin la chose en est venue la que nous avons eu subiect commettre des nostres pour visiter le couvent des religieux dudict Sainct Francois et maison de la Magdaleine de ceste ville de Grenoble et particulierement la chambre du père Gabriel Castagne, natif d’Avignon et gardien dudict couvent, lequel y ayant rapporté beaucoup de difficulté s’est encore plus roidy quant il est venu à visiter sa chambre particulière, de façon qu’il a fallu que nosdicts commissaires y ayent usé du pouvoir que nous leur avons donné.

Et ayant trouvé dans icelle chambre et lict propre du susmentionné frere Gabriel Castagne une fille ou femme, laquelle s’est trouvée fort differente en ses responces à celles dudict père Gabriel Castagne, et presque toutes les chambres dudict couvent garnies de fourneaux à faire distilation et fondre métaulx, et plusieurs pappiers enmy ceulx la dudict frère Gabriel Castagne le chargeant d’avoir exposé faulx ou bas or et argent par luy fabriqué et alchimisé et aultres le chargeant de pratiques ou receptes dependant de magie, ils envoyarent iceluy père Gabriel Castagne ensemble la susmentionnée fille ou femme en prison. Et sur cest enprisonnement ledict père Gabriel Castagne ayant voulu faire entendre qu’il avoit chose à dire qui concernoit la vie et honneur du Roy, nous avons jugé à propos qu’il s’en explicquat mesmes à monsieur de Lesdiguières et à monsieur le Premier President suivant ce qu’il avoit marqué désirer leur parler. Et toutesfois se roidissant iceluy père Castagne à ne le vouloir dire à aultre qu’au Roy , auquel mesmes il requeroit que l’on le feist conduire , sur les divers rapports que l’on nous faisoit de son honneur , nous préiugeasmes le mesme que nous avons trouvé du depuis, que ce qu’il en faisoit n’estoit que pour autant esloigner la formation de son. procès sur les diverses accusations qu’il se voyoit préparées tant pour nous avoir attiré et introcduit en ce pais, ou du moings receu en son couvent, les susmentionnés et plusieurs aultres soupconnés de magie, que pour le faulx ou bas or d’alchimie qu’il a faict et exposé, voire par la deposition de quelques tesmoins se trouve en avoir fabriqué faulce monnoye, à la recherche et vérification desquels crimes et de quelques aultres à luy imposés nous travaillons. Cependant et pour la susmentionnée difficulté qu ‘il faisoit de s ‘expliquer de ce qu’il faisoit estat avoir à dire au Roy concernant sa vie et honneur, nous ordonnasmes suivant le droit qu’il seroit appliqué a la question, laquelle luy estant presentée il s’est esclarcy à monsieur de Lesdiguières et à monsieur du Vache, plus antien conseiller du Roy en ceste cour, de ce qu’il disoit avoir à dire au Roy de facon que monsieur de Lesdiguières a jugé que quant iceluy père Castagne auroit esté mené au Roy sa majesté eust jugé qu’iceluy père Castagne n’estoit pas sage. Et toutes fois nous’ a iceluy sieur des Diguières assuré qu’il estime qu’il luy aye dict tout ce qu’il presupposoit avoir à dire au Roy, mais que ce n’est chose qui regardast sa vie ou honneur et croit, comme cy sus, que ledict père Gabriel Castagne ne le disoit que pour eviter ou prolonger la formation de son procès à laquelle l’on travaille comme plus particulierement nous vous marquerons le cas y escheant. Cependant avons nous estimé à propos vous advertir de ce qui s y estoit presenté affin que si d’ailleurs il en venoit quelque chose à vos oreilles vous sceussiez ce qui en est au vray, avec assurance qu’en cela et toute aultre chose qui regardera le service de sa majesté nous rapporterons tousiours ce que ladicte majesté et vous pouvez attendre et desirer de, Monseigneur,

Vos bien humbles et affectionnés serviteurs,

Les gens tenans la chambre ordonnée en temps de vaccations

au parlement de Dauphiné

Boryn.

A Grenoble, ce XXe aoust M VIe cinq.

Le parlement de Grenoble jugea utile, au lieu d’englober tous les accusés dans une seule instance, de leur faire leur procès séparément. Un an après la lettre précédente, François de Nobilibus qui paraît le plus coupable de tous, et qui probablement était l’ instigateur des autres accusés comparut devant la chambre tournelle ou criminelle du Parlement. Par arrêt du 14 août 1606, il fut condamné comme sorcier, à faire amende honorable à genoux, en chemise, la corde au col, puis à être pendu sur la place du Breuil à Grenoble, et enfin son corps être brûlé avec ses sorcelleries. Antoine Gilles dit Serene, Gaspard Alleman et Georges Clavel ses complices, furent condamnés aux galères perpétuelles pour subornation de témoins. Enfin un procureur au Parlement que sa curiosité avait maladroitement impliqué dans ce procès fut renvoyé absous. (B. N. MS. Dupuy, vol. 89, p. 199). J’ignore ce qu’il advint des autres personnes citées dans la lettre précédente, comme adonnées aux pratiques criminelles de la sorcellerie. Il est probable que le père Gabriel Castagne et l’abbé Bernardin Rey n’évitèrent pas le sort de François de Nobilibus. Le cachot dans lequel ce dernier avait été enfermé à la prison de Grenoble, garda longtemps le nom de cachot de Nobilibus.

J. ROMAN.

 

Sources 

  • Bulletin de la Société d’archéologie et de statistique de la Drôme (1919)

  • Extrait de la Revue du Dauphiné et du Vivarais (Isère, Drôme, Hautes-Alpes, Ardèche) 1877

Laisser un commentaire