LA JOURNÉE DES TUILES

La Journée des Tuiles





La Révolution française n’a pas débuté en 1789… Les années précédentes, les signes annonciateurs sont déjà nombreux…

À son avènement, en 1774, le roi Louis XVI avait choisi un ministre des finances compétent, Turgot, pour faire face à la crise financière et réformer l’État. Mais dès le 12 mai 1776, le roi se sépare de son ministre et annule ses réformes sous la pression des privilégiés et de la Cour. Les privilégiés (essentiellement les parlementaires et la haute aristocratie) rejettent tout changement. Ils dénoncent dans la volonté de réforme du roi une manifestation de tyrannie…

D’année en année, la situation empire. Dans l’obligation de combler au plus vite le déficit des finances, le roi demande aux parlementaires d’enregistrer un édit établissant un emprunt de 420 millions de livres (la monnaie de l’époque). Le 8 mai 1788, par sa réforme le garde des Sceaux Chrétien-François Lamoignon et le contrôleur général des finances Loménie de Brienne, tentent d’annuler les pouvoirs rendus aux parlements au début du règne de Louis XVI (qui annule la réforme du chancelier Maupeou, entreprise à la fin du règne de Louis XV). Elle comprend la mise en place de nouveaux impôts (droit de timbre et nouvel impôt foncier général) et mesures de libre-échange, impopulaires depuis la guerre des farines mais aussi enlève le droit de remontrance au Parlement de Paris qui publie une «déclaration des droits de la Nation». Celui-ci entre aussitôt en rébellion. Faute de leur accord, il impose l’enregistrement le 19 novembre 1787 par la procédure exceptionnelle d’un «lit de justice».

La colère gagne tout le pays. Cette colère est particulièrement vive dans le Dauphiné, au cœur des Alpes, où l’activité industrielle a engendré une bourgeoisie dynamique.

Le Parlement de Grenoble transmet les doléances du peuple auprès du roi Louis XVI et ayant protesté contre les édits de Lamoignon, il est mis en vacances mais se réunit néanmoins le 20 mai 1788 chez son président, Bérulle, lequel proclame que, si les édits de Lamoignon étaient maintenus, «le Parlement du Dauphiné se regarderait comme entièrement dégagé de sa fidélité envers son souverain».

Le 7 juin 1788, le lieutenant général de la province confie à des patrouilles de soldats des lettres de cachet à remettre aux parlementaires pour leur signifier un exil sur leurs terres. Tous les Parlements de France se mobilisent contre la réforme judiciaire du Garde des Sceaux Lamoignon de Bâville.

Cette colère tourne à la rébellion en Dauphiné.

En juillet 1788, les signes annonciateurs des événements révolutionnaires de 1789 se multiplient. Même la météorologie est défavorable. Le 13 juillet 1788 une succession de violents orages de grêle, de pluie ainsi que les inondations de 1787 anéantissent une bonne partie de la récolte de céréales sur le territoire national. Le prix des denrées de première nécessité monte en flèche. Les paysans s’inquiètent à propos de leurs réserves pour l’hiver à venir et ils n’ont pas tort car l’hiver 1788/89 va être particulièrement rigoureux. Dans les villes, les familles les plus modestes éprouvent les plus grandes difficultés à acheter leur pain quotidien tant les prix sont élevés. Les révoltes ont été nombreuses dans les campagnes tout au long de ce XVIII ème siècle, mais les notables n’ont pas encore véritablement bougé.

Les premiers troubles politiques vraiment significatifs éclatent dans la province du Dauphiné. Des familles protestent et chargent les membres du parlement du Dauphiné de porter leurs revendications à la connaissance du Roi de France Louis XVI. Ces parlementaires n’obtiennent rien des ministres parisiens.

Les dauphinois, qui tiennent en grande estime leur Parlement, voient en celui-ci un protecteur contre toute exaction royale et un défenseur des vieux privilèges de la province. Ils s’insurgent contre l’exil de leur Parlement. Mis en vacances d’office, ce Parlement se réunit néanmoins le 20 mai. Il met au point une proclamation qui ouvre une sorte de double pouvoir entre d’une part l’autorité royale, d’autre part la province du Dauphiné, unie autour de sa prospère bourgeoisie (industrielle en particulier). « Le Parlement du Dauphiné se regarderait comme entièrement dégagé de sa fidélité envers son souverain » si les édits Lamoignon étaient maintenus.

Le 7 juin 1788, le gouverneur du Dauphiné envoie sa garnison pour réprimer les émeutiers grenoblois qui montent sur les toits, le tocsin sonne. La population est rameutée par les auxiliaires de justice, particulièrement fâchés de perdre le Parlement, qui est leur gagne-pain. Ceux-ci qui perdent leur emploi dans cette affaire, contribuent à ameuter la population. Le gouverneur engage la garnison pour mater les débordements. De nombreux émeutiers montent sur les toits jetant des tuiles et autres projectiles sur les soldats. Vers la fin de l’après-midi, les émeutiers, maîtres de la ville, réinstallent les parlementaires dans le palais de justice. C’est la fameuse « Journée des Tuiles », premier germe de la révolte qui deviendra révolution. En fin d’après-midi, les insurgés sont maîtres de la ville et réinstallent les parlementaires dans le Palais de justice.

 

 


La « Journée des Tuiles »

 

Samedi 7 juin 1788, jour de marché sur la place Grenette de Grenoble, il est 7 h 30 lorsque les premiers parlementaires reçoivent par lettre de cachet l’injonction du duc de Clermont-Tonnerre, de s’exiler hors de la ville le jour même. Tandis que chacun fait ses malles et arrange son départ, l’émoi et la consternation s’emparent peu à peu des habitants informés par les auxiliaires de justice. À dix heures, marchands et boutiques ferment leurs portes, des groupes de 300 à 400 personnes, hommes et femmes, se forment, armés de pierres, bâtons, haches, barres et se précipitent aux portes de la ville (L’enceinte de l’époque était celle de Lesdiguières (1606), agrandie par Créqui en 1675, avec 5 portes : porte de France et Saint-Laurent en rive droite, porte Créqui, porte de Bonne et Très-Cloitre en rive gauche) afin de les fermer pour empêcher le départ des magistrats. Certains émeutiers, en allant de la porte Saint-Laurent à la porte de France, se heurtent à un piquet de 50 soldats au niveau du pont de bois, d’autres se dirigent vers la rue Neuve à l’hôtel du premier président, Albert de Bérulle. Sur place, la foule s’écarte respectueusement de l’entrée pour laisser passer le corps des avocats dirigé par le bâtonnier Pierre Duchesne, ainsi que les magistrats dont Joseph Marie de Barral, président à mortier, venant tous témoigner de leur sympathie pour cette grande institution qui disparaît.

Vers midi, alors que des femmes s’emparent des cloches de la ville en commençant à sonner le tocsin à la cathédrale, à la collégiale, à Saint-Louis et à Saint-Laurent, la foule grossit considérablement s’associant aux magistrats. Important signal d’alerte à l’époque, les cloches activées jusqu’à 16 h 30 provoquent l’arrivée massive de paysans des environs qui s’introduisent par tous les moyens dans la ville, escaladant les remparts, utilisant des barques sur l’Isère et pour certains, enfonçant la poterne d’une porte de la ville.

En sortant de son hôtel, le premier président du Parlement du Dauphiné tente en vain d’apaiser la foule, mais sans l’écouter, les émeutiers remontent à son domicile malles et bagages déjà installés dans sa voiture et prennent le soin de dételer ses chevaux. Certains partent chez d’autres magistrats et ramènent leur voiture dans la cour de l’hôtel de la première présidence afin de les empêcher de quitter leur domicile.

Pendant ce temps, d’autres révoltés se précipitent vers l’hôtel du gouverneur situé en bordure des remparts. Le duc de Clermont-Tonnerre dispose de deux régiments d’élite à Grenoble, le Royal-Marine dont le colonel est le marquis d’Ambert et le régiment d’Austrasie dont le colonel est le comte de Chabord. Régiments mis en service alternativement de semaine en semaine, c’est le Royal-Marine qui est en service cette semaine, et il est mis en alerte dès l’aube du 7 juin, mais avec l’interdiction de faire usage de ses armes. Pourtant malgré l’ordre, voyant les émeutiers donner l’assaut à l’hôtel, les officiers tentent de s’y opposer en tirant. Au cours d’un assaut, les soldats blessent un vieil homme de 75 ans à la baïonnette. À la vue du sang, le peuple devient furieux et commence à dépaver les rues. La foule montée sur les toits d’immeubles de 4 étages se met à lancer une véritable pluie de tuiles et de pierres. Certains soldats ouvrent le feu sur l’ordre d’un adjudant, d’autres se réfugient dans un immeuble et tirent par les fenêtres, mais la foule s’y précipite aussitôt et ravage tout à l’intérieur.

Sur la place Grenette, un sous-officier du Royal Marine à la tête d’une patrouille de 4 soldats assaillie par la foule, fait ouvrir le feu, tuant un civil et blessant un jeune garçon de 12 ans qui décédera dans la soirée. À l’est de la ville, des soldats du Royal-Marine doivent faire feu pour protéger l’arsenal, craignant que des émeutiers n’en forcent les portes pour s’emparer des armes et munitions qu’il contient. Les groupes de 4 ou 5 soldats du Royal-Marine favorisent les accrochages avec la population, alors que le régiment d’Austrasie qui sort en ordre de bataille de ses quartiers situés près de la porte de Bonne, se montre en détachements plus nombreux et donc plus dissuasifs.

Trois des quatre consuls de la ville, en robes et en chaperons, réunis depuis le matin à l’hôtel de ville avec à leur tête le premier consul Pierre Dupré de Mayen, se rendent à l’hôtel du gouvernement pour essayer de raisonner la foule par de patriotiques paroles mais leur voix est étouffée par les clameurs. Leur autorité bafouée, ils tentent alors de se frayer un passage à travers la foule jusqu’à la salle où se réfugient Clermont-Tonnerre, l’intendant et des officiers de la garnison. Ils y parviennent à grande peine, les vêtements en lambeaux.

À cinq heures du soir, le duc de Clermont-Tonnerre, sur qui aucune violence n’a été exercée, comprend qu’il expose la ville à un désastre s’il ne retire pas ses troupes. Il ordonne alors au Royal-Marine de regagner ses quartiers et rédige une lettre au Premier président mentionnant qu’il peut suspendre son départ en exil : « Je vous prie de vouloir bien suspendre votre départ et autoriser Messieurs de votre compagnie, qui se trouveraient ici, à en user de même jusqu’à nouvel ordre ; je vais rendre compte à la cour de ce qui se passe. j’ai l’honneur, etc. » Les soldats du roi doivent se replier, l’hôtel du gouverneur est en grande partie pillé, mais le duc de Clermont-Tonnerre échappe de justesse à l’écharpage. Les révoltés exigent aussitôt la remise des clés du palais du parlement, qui leur sont remises.

À six heures, malgré la lecture en public du courrier du duc de Clermont-Tonnerre une foule évaluée à dix mille personnes criant « Vive le Parlement » force les magistrats à regagner le palais du parlement en les inondant de fleurs. Le premier président le comprend fort bien et donne l’ordre à ses conseillers d’ôter leurs habits de voyage pour revêtir la robe rouge écarlate aux ornements d’hermine. Arrivée sur la place Saint-André, la foule veut envahir le greffe pour brûler le registre sur lequel les édits ont été enregistrés de force. Mais Albert de Bérulle s’y oppose et après avoir remercié les Grenoblois de leur sympathie à l’égard du Parlement, les invite à rentrer chez eux8. Durant toute la nuit, au son des carillons triomphants, un grand feu de joie crépite sur la place Saint-André entouré d’une foule qui danse et qui chante « Vive, vive à jamais notre parlement ! Que Dieu conserve le roi et que le diable emporte Brienne et Lamoignon. »

Le 10 juin, l’officier responsable de la première fusillade est arrêté afin d’apaiser les esprits9. Le même jour, le colonel du Royal-Marine, le marquis d’Ambert, écrit au ministre Loménie de Brienne qu’il déplore 17 hommes à l’hôpital et que M. Boissieu, lieutenant-colonel du régiment d’Austrasie, a reçu un grave coup à la tête. De leur côté, les parlementaires ne souhaitent pas résister aux ordres d’exil prononcés à leur encontre par le roi, et quittent Grenoble le 12 juin dès qu’ils peuvent échapper à la surveillance des habitants.

 

Sites des émeutes à Grenoble le 7 juin 1788.

 


Cette émeute, prélude de la Révolution française, a fait trois morts et vingt blessés dans la population et un assez grand nombre de blessés parmi les membres du régiment de Royal-Marine. Parmi les nombreux soldats blessés au cours de cette journée, un jeune sergent du Royal-Marine, Jean-Baptiste Bernadotte, futur roi de Suède, est sauvé de la mort par le botaniste Dominique Villars.

L’ordre n’est rétabli que le 14 juillet suivant par les dragons du maréchal de Vaux qui vient de remplacer le duc de Clermont-Tonnerre.

En tout, six foyers d’émeute seront recensés dans la ville lors de cette journée, dont deux dans le nord de la ville au palais du parlement du Dauphiné et sur la place aux Herbes. Quatre autres foyers sont localisés plus au sud, l’un devant le couvent des Jacobins, ancien nom des dominicains , un second à l’hôtel de la première présidence (actuelle rue Voltaire), un troisième à l’hôtel du lieutenant général et le dernier au collège des jésuites . L’implantation de l’habitat parlementaire à Grenoble permet de mettre en évidence un lien entre les lieux d’émeute et les domiciles des magistrats de la ville. Les émeutiers ne sont pas allés chercher les parlementaires vivant le plus à l’écart, à l’ouest ou à l’est de la ville. Outre les raisons économiques ayant déclenché cette émeute, il est pertinent de noter que Grenoble est à l’époque une ville fortifiée, ceinturée de remparts, constituée d’un habitat extrêmement dense et possède donc une grande densité de population, caractéristique souvent favorable aux émeutes.

Après la Journée des Tuiles, la révolte continue. Mais cette fois la bourgeoisie prend la tête du mouvement et prépare sa route vers le pouvoir. Le 14 juin, sous la direction de Jean-Joseph Mounier (avocat député du Tiers Etat) des membres des trois ordres (noblesse, clergé et Tiers Etat) de Grenoble et du Dauphiné réclament la convocation des Etats Généraux du royaume.

Afin d’obtenir la réintégration du parlement et la convocation des États généraux du Dauphiné, la journée des Tuiles est suivie le samedi 14 juin, par une assemblée des notables des trois ordres composée de 9 membres du clergé, 33 de la noblesse et 59 du tiers état dans l’hôtel consulaire, au nez et à la barbe du duc de Clermont-Tonnerre qui avait défendu cette réunion. Cent deux personnes des trois ordres sont réunies quand Pierre Dupré de Mayen, premier consul de la ville, déclare ouverte la séance. L’assemblée vote un texte destiné à Louis XVI afin qu’il leur accorde « la conservation des privilèges de la province, le rétablissement de l’ordre ancien et de pourvoir aux besoins des habitants que les circonstances ont réduits à l’indigence. »

Toutes les communautés du Dauphiné sont invitées à envoyer des députés à Grenoble « pour délibérer sur les droits et les intérêts de la province ». Le Roi sent le danger : il interdit l’assemblée, mais devant la menace d’une nouvelle insurrection (Journée des Tuiles), il la tolère « à condition qu’elle se réunisse à plus de trois lieues de Grenoble ».

La campagne électorale fait apparaître des contradictions entre trois aspirations :

• celle des nobles focalisés sur les édits Lamoignon, comme s’ils commençaient une nouvelle Fronde

• celle des bourgeois et intellectuels démocrates qui souhaitent une révolution démocratique du type anglais ou américain

• celle du peuple touché par la crise économique qui attend d’abord des réponses à ses besoins matériels.

 

L’Assemblée de Vizille

 


Sachant que dans cette assemblée, bourgeois et notables sont sur-représentés, il est hors de question de parler d’assemblée « populaire ». Les préoccupations du petit peuple, qui constitue l’écrasante majorité de la population, sont peu axées sur la politique mais plutôt sur l’économie ; les principales revendications touchent à la survie : sur-imposition, prix des denrées alimentaires… Les ouvriers, les paysans, les petits artisans, ne sont pas représentés directement à Vizille, si ce n’est par quelques notables, plus instruits, qui ont bien voulu leur servir de porte-voix. En fait, chaque secteur de la population a sa propre famille de revendications. Le peuple attend une réponse à ses besoins matériels immédiats, les bourgeois souhaitent une révolution démocratique à l’anglaise ou à l’américaine, les nobles sont surtout braqués contre les édits Lamoignon dont ils exigent l’abrogation…

Une fois constituée, cette assemblée s’unit cependant sur des points importants. Le 21 juillet 1788, les élus du Dauphiné, 491 représentants des Trois Ordres du Dauphiné (50 pour le clergé, 165 pour la noblesse, 276 pour le Tiers Etat) tiennent séance à Vizille dans la salle du Jeu de Paume du château de l’industriel Claude Périer. Claude Perier, bourgeois qui a racheté le marquisat de Vizille en 1780, met son château, ancienne demeure du Connétable de Lesdiguières transformée en manufacture d’impression sur cotonnades, à la disposition de l’assemblée afin d’obtenir la réintégration des Parlements et la convocation des États du Dauphiné. Des notables de la région de Grenoble , de Gap et de Valence, bourgeois et juristes. 50 prêtres, 165 nobles et 276 représentants du tiers état se sont réunis sans autorisation royale, avec à leur tête deux avocats Jean-Joseph Mounier et Antoine Barnave. Cette assemblée lance un appel à la nation tout entière pour définir un nouvel ordre politique. Par là-même, cette assemblée réunie, permettra au château et à la famille Perier de traverser sans dommage la période tumultueuse de la Révolution française.

Ils demandent ensemble :

• le rappel du Parlement,

• le rétablissement d’états provinciaux avec représentation égale du Tiers par rapport aux deux autres ordres

• le vote par tête lors de ces états

• la réunion d’états généraux du royaume.

Les élus dauphinois réussissent cependant à se mettre d’accord sur une plateforme de revendications qui n’a rien de révolutionnaire, mais qui, si elle était approuvée à Versailles, réduirait considérablement le pouvoir absolu de la monarchie. Ces revendications expriment la volonté des nobles de préserver leurs privilèges et leur fonction sociale dans la féodalité (rappel du Parlement) ainsi que les aspirations démocratiques anti-féodales (assemblée représentative, vote par tête des élus). Elles affaiblissent le pouvoir royal, de plus en plus acculé à la convocation d’états généraux du royaume pour sortir de l’impasse financière et politique.

 L’assemblée décide de convoquer les états de la province (avec doublement du tiers état), réclame la réunion rapide des États-généraux du royaume (avec également doublement du tiers état) et l’admission des roturiers à tous les emplois. Elle déclare que les impôts seront refusés jusqu’à leur vote par les États généraux, et réclame le rétablissement des parlements. Bien que donnant une apparence démocratique annonçant la Révolution française, l’Assemblée de Vizille est d’abord l’expression de l’opposition des classes privilégiées aux tentatives de réformes, notamment fiscales, de Loménie de Brienne.

Comme on peut en juger il y a là un subtil dosage entre maintien des privilèges féodaux et démocratisation des instances de pouvoir… La bourgeoisie, se considérant comme le moteur économique du royaume, réclame sa part du gâteau politique. Le peuple, lui, se contenterait d’un peu plus de justice sociale.

Les répercussions de cette assemblée de Vizille seront nombreuses dans les autres provinces françaises. D’autres insurrections politiques vont suivre, en Franche-Comté, en Bretagne, en Provence notamment. A la différence des soulèvements populaires, les troubles se déclencheront fréquemment dans les centres urbains et la bourgeoisie commerçante et industrielle locale s’y implique progressivement. Pour essayer de calmer les esprits, dès le 8 août, Louis XVI cède sur la convocation des Etats Généraux, en mai 1789, et, après moult tergiversations, l’idée de la double représentation pour le Tiers-Etat est acceptée aussi. Sur les 1000 députés qui composeront la nouvelle assemblée, le Tiers-Etat disposera d’un collège de cinq cents représentants. Mais, au cours de l’hiver 1788/1789 les paysans seront plus occupés par la lutte contre la famine qui redouble d’importance que par les subtilités électorales et politiques. Il n’empêche que la colère grandit et que l’incendie de juillet-août 1789 couve sous la braise… Les hésitations du monarque ont atténué l’effet de ses concessions.

Un jeu politique subtil se prépare dans l’ombre, alliances et compromis se nouent et se dénouent. Une fraction de la bourgeoisie française adopte une stratégie complexe consistant à exciter les soulèvements populaires tout en essayant d’en garder le contrôle le plus strict possible… Les mésaventures de l’évèque de Sisteron, ardent défenseur des privilèges, menacé par la population qui l’assiège dans sa demeure, et sauvé de justesse par le futur révolutionnaire Mirabeau, illustrent bien mon propos. Mais dans l’ensemble, la bourgeoisie reste extrêmement prudente. Il est donc essentiel de nuancer l’importance de certains événements parfois idéalisés, comme le fait remarquer Kropotkine dans son histoire de la Grande Révolution :

« Rien ne serait plus faux que d’imaginer ou de représenter la France comme une nation de héros à la veille de 1789 […] Il est évident que si l’on réunit sur un petit nombre de pages, les quelques faits, très peu nombreux d’ailleurs, de résistance ouverte à l’ancien régime de la part de la bourgeoisie, […] on peut tracer un tableau assez impressionnant. Mais ce qui frappe surtout lorsqu’on envisage toute la France, c’est l’absence de protestations sérieuses, d’affirmation de l’individu, la servilité même de la bourgeoisie, j’ose le dire. Personne se ne fait connaître. On n’a même pas l’occasion de se connaître soi-même. […] Que faisaient Barnave, Thouret, Sieyès, , Vergniaud, Guadet, Roland, Danton, Robespierre et tant d’autres, qui vont devenir bientôt les héros de la Révolution ? Dans les provinces, dans les villes, c’était le mutisme, le silence. Il fallut que le pouvoir central appelât les hommes à voter et à dire hautement ce qu’ils se disaient tout bas, pour que le Tiers-Etat rédigeât ses fameux cahiers. Et encore ! Si dans certains cahiers nous trouvons des mots audacieux de révolte – que de soumission, que de timidité dans le grand nombre, quelle modicité des demandes !… »

L’action de la justice étant suspendue par les édits, aucune poursuite n’est dirigée contre les auteurs de l’émeute. Le procureur général écrit le lendemain : « Dans tout autre circonstance, je n’aurai pas manqué de donner mon réquisitoire pour faire informer de cette émeute populaire ; mais j’ai cru plus prudent de me taire dans cette malheureuse circonstance, avec d’autant plus de raison que le Parlement ne peut pas agir, puisqu’il est en vacances suivant la nouvelle loi, qu’il y a, d’ailleurs, un trop grand nombre de coupables, l’émeute ayant été composée d’environ quinze mille âmes, et qu’il serait impossible d’en découvrir les chefs et auteurs principaux. »

Cet état de fait montre l’immense retentissement de l’Assemblée du 21 juillet 1788. D’abord parce qu’elle affirme clairement et pour la première fois la volonté de mettre en échec le pouvoir royal.
Ensuite, parce que dépassant le cadre d’une province, elle lance un appel à la nation toute entière pour définir par la voie des Etats Généraux, un nouvel ordre politique. Vaste mouvement qui aboutira aux bouleversements de l’été 1789 et à la chute de la monarchie absolue.

Diffusée dans toute la France, la délibération de Vizille soulèvera un enthousiasme extraordinaire. La Révolution française vient de naître à Vizille.

Isolé face à la montée de tous les mécontentements, le Roi autorise le 2 août 1788 à Romans la réunion d’une assemblée des Trois Ordres ; le 6 août, il suspend les Edits le 8 août, il convoque les Etats Généraux pour le mois de mai 1789 à Versailles. Leur ouverture est fixée au 5 mai 1789. En juillet 1789, le peuple de Paris se révolte, c’est la prise de la Bastille…

 


Sources  Diverses

Laisser un commentaire