L’AFFAIRE DES POISONS

L’affaire des poisons




 



Le danger des poisons est partout au XVIIe siècle.

Saint-Simon écrira dans ses “Mémoires” :« Il semble qu’il y ait dans certains temps des modes de crimes comme d’habits. Du temps de la Voisin et de la Brinvilliers, ce n’était qu’empoisonneurs » Au XVIIe siècle, c’est le poison qui est en vogue, au point qu’on le voit partout. La rumeur commence avec la mort brutale d’Henriette d’Angleterre, 26 ans, épouse de Monsieur ; après avoir bu un verre d’eau de chicorée, elle se tord de douleur et succombe en quelques heures. La soudaineté de l’événement fait s’écrier Bossuet :  » Madame se meurt, Madame est morte.  » Nous sommes en 1670. Louis XIV a 32 ans. La mort de sa belle-sœur, dont on le dit épris, le bouleverse. Il commande discrètement une enquête au lieutenant de police La Reynie. L’hypothèse de l’empoisonnement ne tient pas.

En ce XVIIe siècle finissant, Paris ne bruisse plus que de morts suspectes de parlementaires, voire de princesses ou de secrétaires d’Etat, dans lesquelles il est question de “poudres de succession”, “philtres d’amour” et autres élixirs inconnus.

Alors que les morts suspectes se multiplient, des poudres aux vertus douteuses circulent sous le manteau des courtisans.

La psychose des empoisonnements fut l’une des grandes obsessions du règne de Louis XIV. Toute mort subite d’un personnage d’importance était automatiquement attribuée au poison : Henriette d’Angleterre, belle-sœur du roi, en 1670 ; le ministre Hugues de Lionne en 1671 ; Eugène Maurice de Savoie, comte de Soissons, en 1673 ; Charles-Emmanuel II, duc de Savoie, en 1675… Il était impossible de faire la lumière sur ces décès, pour la bonne raison que les doctes « médecins  » de la faculté de médecine ne savaient déceler la moindre substance toxique dans un cadavre.

Des siècles de christianisme n’avaient pas entamé le vieux fond de paganisme et de superstition issu des temps les plus reculés, dans lequel se mêlaient les croyances les plus incongrues. Des entremetteuses récitaient des neuvaines à un prétendu saint Rabon pour « rabonnir » (rendre bon) un mari. Une devineresse comme la Voisin pratiquait des empoisonnements et des avortements en grand nombre. Elle prétendit avoir brûlé dans son four ou enterré dans son jardin les restes de 2 500 enfants. Avait-elle vraiment conscience de l’extraordinaire gravité de ses crimes ? Cette pieuse paroissienne de l’église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle s’y rendait régulièrement pour y réciter des neuvaines en vue de faire aboutir les vœux pour le moins peu catholiques de ses clientes. Elle fut d’ailleurs arrêtée à la sortie de la messe, le 12 mars 1679.

À la vérité, en ce temps-là, on croyait autant au diable qu’à Dieu. Dans la cosmogonie manichéenne du petit peuple, on se représentait le monde comme l’enjeu d’un fantastique combat du Malin et de ses créatures infernales contre Dieu et ses anges fidèles. Lorsque ceux-ci ne répondaient pas aux sollicitations, on ne craignait pas de frapper à la porte de ceux-là. On demandait aux prêtres, investis par nature – croyait-on – d’une puissance magique, de brûler des fagots dans des intentions criminelles, de réciter la messe sur les objets les plus divers : effigies en cire, cordes de pendu, cartes à jouer, arrière-faix (placentas), coiffe d’un enfant né coiffé…

En cette fin du XVIIe siècle, la contre-Réforme est à son apogée et le monde est empreint de religiosité, on croit en Dieu et on craint Satan. Toute sorte de charlatans et devins profitent de cet état de fait pour tirer un revenu de la curiosité des crédules, en leur prédisant l’avenir ou en leur faisant voir le diable à l’occasion de messes noires. « L’ancienne habitude de consulter les devins, de faire tirer son horoscope, de chercher des secrets pour se faire aimer, subsistait encore parmi le peuple et même chez les premiers du royaume »  écrit Voltaire dans son ouvrage « Le Siècle de Louis XIV » (1751). Faux abbés ou même vrais prêtres sont passés experts en magie noire, ensorcellements et maléfices afin de satisfaire leurs nombreux clients. Dans ce climat, les dérapages ne sont pas loin.

Plus graves encore étaient les cérémonies sataniques, comme les pactes avec le diable, célébrés au milieu d’un cercle de chandelles, ou les fameuses messes noires récitées à rebours, avec des chandelles noires et des hosties de même couleur, car le prince des Ténèbres était considéré comme la réplique négative de Dieu. Elles étaient célébrées de nuit, en secret et à la sauvette, dans des caves ou des ruines isolées, par des prêtres apostats sur le corps dénudé d’une femme, avec parfois le sacrifice rituel de nouveau-nés. Les devins et charlatans utilisaient des charmes, des talismans, des miroirs magiques. Pour hâter le destin, ils transperçaient d’aiguilles une figurine censée représenter l’ennemi du quémandeur, vendaient des « poudres d’amour », c’est-à-dire des aphrodisiaques, mais aussi ce que l’on a appelé, non sans humour, des « poudres de succession ». La cour de Saint-Germain touchait ainsi à la cour des Miracles…

On estimait à 400 le nombre de ces officines criminelles dans Paris, installées dans des zones excentrées proches des remparts. La Voisin habitait ainsi le quartier nouveau de la Villeneuve-sur-Gravois, non loin du faubourg Saint-Denis. Ce quartier populaire, garni de petites maisons basses, était isolé au milieu de grands jardins et de terrains vagues. Les femmes de la haute société s’y rendaient à pied, le visage masqué, laissant domestiques, carrosses ou chaises à porteurs à distance. Des rendez-vous étaient également pris dans de discrètes églises.

En 1676, l’opinion se passionna pour le procès de la fameuse marquise de Brinvilliers, accusée d’avoir expédié ad patres, à doses répétées d’arsenic, son père et ses deux frères, sous l’influence de son diabolique amant, le capitaine Gaudin de Sainte-Croix

L’affaire des poisons, qui éclata trois ans plus tard, fut la plus vaste affaire criminelle de ce genre de tous les temps. Elle englobait d’ailleurs des pratiques de sorcellerie beaucoup plus larges. En quelques mois, de 1679 à 1680, la façade étincelante et majestueuse du règne du Grand Roi donna l’impression de se craqueler, révélant l’envers sinistre du décor.

Cette affaire hors norme, verra plus de 400 accusés, dont de hauts personnages de la cour de Louis XIV, portés devant une chambre spécialement créée par le Roi, sur fond de querelles politiques entre ministres.

 Cela commença par l’arrestation de quelques diseuses de bonne aventure, Madeleine de La Grange, la femme Bosse, la Vigoureux, la Trianon et, la plus célèbre, Catherine Monvoisin, dite « la Voisin ». Grâce à leurs aveux, des centaines de personnes se trouvèrent impliquées : des avorteuses, telle la Lepère, des alchimistes et des faux- monnayeurs, comme Vanens ou Blessis, des prêtres dévoyés, comme les abbés Guibourg, Cotton ou Davot. La plupart s’adonnaient à la magie blanche ou noire, avaient recours à des sortilèges et à des ventes de produits toxiques. Les coupables étaient principalement des gens d’origine modeste : domestiques, fripières, blanchisseuses, filles d’auberge, anciens soldats.

Mais, dans ce monde interlope des empoisonneurs et empoisonneuses, on trouvait aussi quelques gentilshommes déclassés. Quant à la clientèle, elle se recrutait dans tous les milieux, particulièrement parmi l’aristocratie, qui fréquentait le logis des devins et devineresses, où l’on se faisait tirer l’horoscope ou scruter les lignes de la main.

 

Les prémices de l’affaire

 

Le 31 juillet 1672, Jean-Baptiste Godin de Saint-Croix, officier et aventurier, est retrouvé mort à son domicile. Il s’agit d’une mort naturelle mais diverses fioles et une cassette sont retrouvées lors de l’inventaire après décès. Cette cassette contient neuf lettres de sa maîtresse, la marquise de Brinvilliers née Marie-Madeleine Dreux d’Aubray, au contenu plus que sulfureux : elle y affirme avoir empoisonné son père, Dreux d’Aubray, lieutenant civil du Châtelet de Paris, en 1666 ainsi que ses deux frères, respectivement lieutenant civil du Châtelet et conseiller au Parlement de Paris, en 1670, et tenté sans succès d’en faire autant avec sa belle-sœur et sa fille, Le scandale est énorme, car la dame est fille d’un conseiller d’Etat.

La cassette renferme également une reconnaissance de dette de Godin de Sainte Croix envers Louis Reich de Pennautier, receveur général du clergé, autrement dit grand argentier de l’Eglise de France, et ami de Colbert. Le contenu des fioles est analysé par un apothicaire, il s’agit de poisons virulents laissant peu de traces dans l’organisme.

Entre temps, la marquise de Brinvilliers a eu vent de la découverte de la cassette et s’est enfuie à Londres, puis à Valenciennes, en Hollande, elle rejoint la Belgique L’affaire est dès le départ suivie de très près au plus haut sommet de l’Etat, les personnages cités étant des personnalités importantes. Louvois, ministre de la Guerre de Louis XIV, ne tarde pas à s’intéresser à l’affaire et ordonne à son lieutenant général de police, Nicolas de La Reynie, de tout faire pour arrêter la marquise en fuite à l’étranger. Ce dernier se voit attribuer les pleins pouvoirs pour mener l’enquête. En effet, Louvois souhaite que le lien soit fait entre la fugitive et Pennautier afin d’impliquer son grand rival Colbert, principal ministre du Roi Soleil.

 

La marquise de Brinvillers


Malgré les moyens déployés, la marquise de Brinvilliers reste introuvable. Elle est donc condamnée à mort par contumace en 1673. La trace de la fuyarde est finalement retrouvée quatre ans plus tard dans un couvent aux Pays-Bas. Réfugiée dans un couvent à Liège, elle est arrêtée le 25 mars 1676. Son arrestation rocambolesque a lieu par la ruse d’un agent de la Reynie déguisé en prêtre. Elle est extradée et son procès devant le Parlement de Paris débute le 29 avril. Les juges répugnent à livrer au public les détails sordides de ses crimes perpétrés dans leur société même. Ils vont cependant se concentrer sur ses liens avec Pennautier, ce qui vaudra à ce dernier d’être accusé et emprisonné. La Brinvilliers, passée à la question par l’eau, ne cessera jamais d’affirmer l’innocence du haut personnage. Faute de preuve, Pennautier est libéré. La marquise de Brinvilliers est quant à elle emmenée place de Grève le 17 juillet pour y être décapitée à l’épée. Son cadavre est aussitôt brûlé sur un bûcher et ses cendres dispersées au vent.

En septembre 1677, un billet anonyme faisant allusion à un complot ourdit contre le Roi Soleil, avec utilisation de « poudre blanche », est déposé dans un confessionnal de l’abbaye des Jésuites de la rue St Antoine. Quelques années plus tard, en 1679, l’affaire des poisons rebondit. Les enquêteurs de La Reynie, échaudés par l’affaire de la Brinvilliers, vont demeurer très vigilants et vont continuer de recueillir des renseignements. Ayant entendu quelques rumeurs d’empoisonnement, un petit avocat, maître Perrin, se confie à la police. La Reynie, toujours sur le qui vive dans cette atmosphère paranoïaque, s’empare de l’enquête. Celle-ci s’oriente vers une détenue du Châtelet accusée d’avoir empoisonné son mari. Elle reçoit régulièrement la visite d’une certaine Marie Bosse qui n’est pas inconnue des enquêteurs, puisque Marie Bosse se vante d’empoisonner à l’instigation de femmes de l’aristocratie parisienne. Elle aurait fourni des poisons à des épouses de parlementaires voulant se débarrasser de leur mari. Un piège lui est tendu, elle est confondue et emprisonnée. Soumise à la torture, elle fait de nombreuses révélations aux policiers et donne le nom de Catherine Deshayes, femme Monvoisin, dite la Voisin. Cette dernière était déjà soupçonnée de sorcellerie, des affaires de messes noires et de meurtres d’enfants sont révélées. Elle est arrêtée le 12 mars 1679 ainsi que plusieurs de ses complices. Leur interrogatoire démontre rapidement que leurs pratiques dépassent le cadre divinatoire et les enquêteurs se retrouvent face à un véritable réseau d’empoisonneurs dans la capitale. Elle affirme avoir fourni poisons et sortilèges à des personnes de la Cour. Madame de Vivonne (la belle-sœur de Madame de Montespan, un temps favorite du roi), la comtesse de Soissons et le maréchal de Luxembourg font notamment partie des personnes impliquées. La Cour vit au rythme des rumeurs : on raconte notamment que Madame de Montespan aurait fait empoisonner Marie-Angélique de Fontanges, l’une de ses rivales.

Le lieutenant général de police Gabriel Nicolas de La Reynie s’aperçut avec effroi que la société française était largement infestée de ces sortes de crime. Naturellement il en avait averti le roi. Afin de traiter ces procès sans publicité excessive, celui-ci se garda de confier l’affaire au parlement de Paris, comme il l’avait fait fort maladroitement pour Madame de Brinvilliers. Le 7 avril 1679, il créa une juridiction extraordinaire, la chambre de l’Arsenal, présidée par un intègre magistrat, Louis Boucherat, futur Chancelier, comte de Compans, composée d’une douzaine de magistrats de haut rang provenant du Parlement de Paris, dévoués et triés sur le volet. Cette chambre fut bientôt surnommée la « Chambre ardente », en souvenir de ces juridictions médiévales qui délibéraient dans une salle tendue de noir, éclairée de torches et de flambeaux. Le magistrat instructeur désigné fut le lieutenant général de police en personne, La Reynie. Ses audiences sont secrètes et très solennelles.

 

Gabriel Nicolas de La Reynie

 

Au cours des interrogatoires, les plus grands noms de la noblesse française furent cités : Olympe Mancini, comtesse de Soissons, la princesse de Tingry, les duchesses d’Angoulême, de Bouillon, de Vitry, de Vivonne, le maréchal-duc de Luxembourg, les ducs de Vendôme et de Brissac, la marquise d’Alluye, les marquis de Cessac, de Feuquières et de Termes, la comtesse du Roure, la vicomtesse de Polignac, les comtesses de Gramont, Mme de La Mothe, Mlles des Oeillets et Cato, la maréchale de La Ferté, Racine… Certains furent arrêtés, soumis à de rigoureux interrogatoires, comme le maréchal de Luxembourg, la princesse de Tingry ou Marie-Anne Mancini, duchesse de Bouillon. Il fut même question un moment d’incarcérer le poète Jean Racine, soupçonné d’avoir supprimé sa maîtresse, la comédienne Mademoiselle Du Parc. Bien entendu, les accusations n’étaient pas toujours fondées, car les inculpés, détenus au château de Vincennes ou à la Bastille, avaient intérêt à charger au maximum les gens haut placés. On a supposé non sans raison que,malgré l’épaisseur des murs de leur cachot, ils avaient réussi peu ou prou à se concerter.

L’instruction se concentre en premier lieu sur les rapports de police, les interrogatoires et les procès verbaux relatifs aux empoisonnements de la Voisin et de ses acolytes mais très tôt, il est question d’avortements, de magie, de maléfices, sortilèges et autres messes noires… La Voisin, ses complices magiciens et ses consœurs en sorcellerie, avouent toutes sortes de crimes et délits avec leur lot d’exagérations, d’imprécisions, d’affabulations : nourrissons égorgés durant des messes noires et enterrés dans des jardins, vente de « poudre de succession », apparition de démons sur demande. La Reynie, sans esprit critique, enregistre tout.

 Puis les inculpés se mettent à dénoncer leurs « clients » à tout va. Ainsi, du 10 avril 1679 au 21 juillet 1682, la Chambre ardente auditionne 442 accusés , ordonne 367 arrestations, dont 218 sont maintenues et prononce 36 condamnations à mort. Les inculpés citent des noms de personnages importants, pensant certainement se couvrir par leur protection ou que les magistrats étoufferaient l’affaire. Des grands personnages de la cour sont évoqués.

Cette affaire aux dimensions hors normes fait perdre le sens critique aux magistrats de la chambre dont certains manquent de prudence et suivent leur collègue La Reynie dans sa volonté de châtier de manière spectaculaire ces gens de qualité prétendument compromis. Ils ne remarquent pas que Louvois intervient en sous main, visitant des prisonniers, faisant des rapports personnels au roi et que la plupart des grands seigneurs ou grandes dames mis en cause sont des amis ou des protégés de Colbert. Le maréchal duc de Luxembourg, glorieux soldat mais aussi ennemi de Louvois et ami de Colbert, en fera les frais en étant accusé et embastillé à tort durant quatorze mois.

 Le Roi suit de près le cas des principaux suspects, l’honneur de sa cour étant mis à mal. La plupart des accusations émanent des aveux de la Voisin et consorts, et les preuves tangibles manquent. La majorité des hauts personnages de la Cour sont innocentés. Aux plus compromis, Louis le Grand conseille l’exil volontaire. Quant à la Voisin, elle est brûlée vive en place de grève le 22 février 1680 devant une foule hystérique.

 Durant les trois années de son existence, la Chambre ardente tint 210 séances, prononça 319 décrets de prise de corps (c’est-à-dire d’ordres d’arrestation), obtint l’incarcération de 194 personnes, rendit 104 jugements, dont 36 condamnations à mort, 4 condamnations aux galères, 34 bannissements ou amendes, et 30 acquittements. Tous les prisonniers ne furent pas jugés car, devant l’ampleur des révélations concernant la favorite, Madame de Montespan, Louis XIV dut suspendre le déroulement des instances.

Mais l’exécution de la Voisin ne marque pas la fin de l’affaire, bien au contraire. Sa fille, Marie-Marguerite Voisin, n’a plus à protéger sa mère et va donc trouver la Reynie pour lui parler de ce qu’elle sait en impliquant directement Madame de Montespan, favorite de Louis XIV et mère de sept de ses enfants. La marquise aurait bel et bien commis l’imprudence de consulter la Voisin pour des horoscopes, des « philtres d’amour » ou autres sorts d’expression banale en ce temps mais Marie-Marguerite Voisin va s’acharner et apporter de nouvelles prétendues précisions sur de nouveaux crimes.

Françoise – dite Athénaïs – de Rochechouart de Mortemart, marquise de Montespan, fut accusée en effet par plusieurs prisonniers de la Chambre ardente (la fille de la Voisin, l’abbé Guibourg, le magicien Lesage, ainsi qu’une sorcière nommée la Filastre) d’avoir fréquenté durant des années devins et devineresses, afin d’obtenir des poudres aphrodisiaques destinées au roi ; d’avoir commandité au moins trois messes noires en 1667, 1675 et 1676, au cours desquelles des nourrissons auraient été sacrifiés ; enfin, dans une crise de dépit amoureux, d’avoir voulu empoisonner le roi et sa nouvelle maîtresse, la jeune et jolie Marie Angélique de Fontanges.

 Il est difficile de disculper totalement la favorite. En effet, 13 ans auparavant, en 1667, il est établi qu’elle était en relation avec le monde trouble des devineresses et des empoisonneurs. Elle consultait déjà la Voisin et ses deux acolytes, Lesage et l’abbé Mariette, avec lesquels elle participait à des cérémonies magiques destinées à évincer la favorite du moment, Mademoiselle de La Vallière. On le sait grâce aux minutes d’un procès datant de 1668, époque où elle n’était encore qu’une simple dame de la cour.

 

La Marquise de Montespan


Les accusés, notamment Lesage, inquiétant magicien normand établi à Paris, n’avaient aucune raison à ce moment-là de mentir. Au cours de ces réunions sacrilèges, les devins et autres charlatans lisaient des passages de l’Évangile sur la tête des solliciteuses, enterraient des cœurs de pigeons pour ravir celui du roi, et récitaient des formules cabalistiques. Plus tard, afin de conserver les faveurs du roi, la marquise avait fait absorber à Louis XIV des aphrodisiaques, notamment des poudres de mouches cantharides. Dans les années 1675-1676, celui-ci eut d’ailleurs des nausées que l’on peut attribuer à ces excitants qui, administrés à plus fortes doses, étaient de violents poisons.

Avait-elle participé à des messes noires ? Elle en fut accusée par un certain nombre de personnes, notamment l’abbé Guibourg, l’un des prêtres sataniques, et par la Filastre, mais nous n’avons pas de preuve absolue de sa culpabilité. Les arguments développés par le ministre Jean-Baptiste Colbert dans un mémoire adressé au roi jouent en sa faveur. Son innocence dans la double tentative d’empoisonnement contre le roi et la nouvelle favorite peut être aisément prouvée par une simple analyse chronologique des événements. Mademoiselle de Fontanges devint la maîtresse du roi dans le courant de décembre 1678, mais la nouvelle ne fut pas immédiatement connue. À l’époque où les empoisonneurs accusèrent Madame de Montespan de ces tentatives de forfaits, celle-ci ignorait encore cette situation.

L’innocence de la marquise sur ces deux chefs d’accusation ne permet pas pour autant de conclure à l’inexistence de la double tentative d’empoisonnement du roi et de Mademoiselle de Fontanges. Un nom revient constamment dans les aveux des prisonniers, celui de Claude de Vin, demoiselle des Œillets, dame de compagnie de la marquise, qui fut un temps la maîtresse de Louis XIV – dont elle eut d’ailleurs une fille, Louise de Maison-Blanche. Il semble que cette femme ait cherché à supplanter la Montespan dans le cœur du roi. Malheureusement, celui-ci refusa d’accéder à son désir et n’accepta même pas de légitimer leur enfant.

Marie Angélique de Fontanges mourut à 20 ans à peine, en 1681, probablement des suites d’un accouchement très difficile. Le roi, qui avait redouté l’éventualité d’un empoisonnement, exigea une autopsie, mais rien dans les résultats ne corrobore cette thèse. En 1988, le professeur de gynécologie Yves Malinas attribua son décès à une tumeur maligne développée à partir d’un kyste du placenta (elle avait eu du roi un petit garçon, mort peu après sa naissance, et elle ne s’était pas remise de ses couches). Pourtant il y eut bien une mystérieuse tentative d’empoisonnement en 1679 contre le roi et Mademoiselle de Fontanges, organisée probablement à l’instigation de la Des Œillets. La Voisin avait été chargée de présenter au roi un placet (ou requête écrite) empoisonné, tandis que deux complices, Romani et Bertrand, devaient apporter des étoffes infectées à la jeune femme. Tentative avortée, puisque la Voisin ne réussit pas à rencontrer le roi, et sa jeune maîtresse ne reçut pas les étoffes.

Louis XIV, horrifié par les révélations des empoisonneurs, avait d’abord voulu faire la lumière sur ces affaires. Mais devant les attaques lancées contre Madame de Montespan, il recula et chercha à étouffer le scandale. Plusieurs dizaines de coupables furent expédiés sous haute surveillance dans des citadelles de province, à Belle-Île-en-Mer, à Besançon, à Salins, à Salses et à Villefranche-de-Conflent. Ils y moururent plusieurs années après, dans d’affreuses conditions, enchaînés à la muraille de leur cachot. Le ministre Louvois, qui avait la tutelle de ces citadelles, avait donné aux geôliers de rigoureuses instructions afin « d’empêcher que l’on entende les sottises qu’ils pourraient crier tout haut, leur étant souvent arrivé d’en dire touchant Madame de Montespan qui sont sans fondement ».

le Roi réagit en interdisant aux magistrats d’utiliser des registres pour les interrogatoires et leur enjoint de recourir aux feuilles volantes. Ces documents sont rassemblés dans une cassette scellée et conservée par Louis XIV. Peu après, il demandera à la Chambre ardente de ne plus s’occuper des affaires où le nom de Madame de Montespan apparaît.

 


 Epilogue


Les juges de la Chambre ardente ne s’accommodent pas des prescriptions royales. Alors Louis XIV décide de suspendre les travaux de la chambre le 21 juillet 1682 et disperse, par lettres de cachet, les derniers accusés dans différentes prisons royales du pays. Ils y resteront jusqu’à la fin de leurs jours. Marie-Marguerite Voisin, fille de la Voisin, et plusieurs autres empoisonneurs, auront donc échappé au bûcher en médisant sans mesure sur Madame de Montespan. En tout, la Chambre ardente aura fait exécuter trente quatre personnes, envoyé cinq coupables aux galères et en aura condamné vingt trois autres au bannissement.

A la mort de La Reynie, Louis XIV, le 13 juillet, brûle lui-même l’entièreté des fiches et registres accusateurs conservés dans sa cassette, refermant ainsi une affaire politico-judiciaire interminable partie des faubourgs parisiens et qui aura touché jusqu’à ses plus proches. Heureusement, le lieutenant général de police les avait résumés au préalable : conservés à la Bibliothèque nationale de France, ceux-ci permettent aujourd’hui de voir un peu plus clair dans ce procès de grande envergure, devenu non seulement une affaire d’État, mais aussi le secret du roi.

Ce qui surprend le plus dans cette histoire, c’est qu’à  l’orée des Lumières, la société éclairée fasse appel à  des sorciers comme au bon vieux temps de Catherine de Médicis. A croire que la magie noire a encore pignon sur rue. Mais de cette ténébreuse affaire va sortir quelque chose de positif : une législation sur le poison. Le roi, qui veut en finir avec ces pratiques douteuses, devient ainsi le premier législateur dans le domaine du contrôle et de la sécurité des substances vénéneuses. Publié dès la clôture des procès, l’édit de juillet 1682 fait de l’empoisonnement un crime puni de mort et proscrit du royaume ceux qui se disent devins, magiciens et enchanteurs. Dorénavant, seuls les professionnels de la santé auront accès aux toxiques.


Sources

    • https://www.futura-sciences.com/sciences/
    • http://www.justice.gouv.fr/histoire-et-patrimoine
    • https://www.nationalgeographic.fr/
    • https://www.historia.fr/laffaire-des-poisons

Laisser un commentaire