FELIZE REGNARD

 

Félize Regnard

 

 

Dite aussi Phélise Renard, Phélise Reynard ou Félise Regnard) (1424-1474), dame de la châtellenie de Beaumont (en Trièves) (de 1452 à 1456), et de la châtellenie de La Mure à Mathésine (du 26 octobre 1461 à 1463), était la fille d’Aymar Reynard, seigneur de Saint Didier, et fut la première maîtresse du roi de France Louis XI .

Veuve en 1452 d’un écuyer, Jean Pic avec qui elle s’était mariée le 2 novembre 1447, elle donna à Louis XI au moins deux filles : Jeanne et Guyette. Félizé épousera en secondes noces Charles de Seillons puis Grâce d’Archelles. À l’avènement de Louis XI en 1461, Félizé retrouva sa châtellenie, après en avoir été dépouillée en 1456 par Charles VII lorsqu’il prit en main le Dauphiné, et la conserva jusqu’à sa mort.

Les années passées par Louis XI, encore Dauphin, dans notre province, son apanage, où il a laissé tant de souvenirs (1446/1456), ne furent pas, on le sait, uniquement consacrées aux affaires politiques ou aux soucis de l’administration. Outre sa passion pour la chasse, son goût pour la grosse chère, assaisonnée de plaisants devis, il chercha des distractions d’un autre genre, où l’on peut croire que le sentiment eut fort peu de part. Le roi qui donna un coup mortel à la féodalité, consacra la suprématie du diplomate, du chevalier ès-lois sur l’homme d’épée et, à l’exemple de Philippe-le-Bel, trouva des instruments serviles parmi les gens de justice, était l’ennemi de toute chevalerie, la réaction vivante contre le culte du moyen, âge pour les dames de beauté. Apportant sa duplicité et son incurable méfiance jusque dans les liens les plus sacrés de la famille, se servant de tous sans se livrer à personne, il devait naturellement envelopper les femmes dans le mépris que l’humanité entière lui inspirait ; il ne cessait de se répandre à leur égard en brocards injurieux. Au-dessus d’elles, dans son esprit et sa munificence, il plaçait les médecins, qu’il redoutait à l’égal du diable. Des deux princesses qu’il épousa, la belle et charmante Marguerite d’Ecosse ne fut pas heureuse, mourut jeune et paraît avoir joué le rôle de délaissée, et la bonne Charlotte de Savoie, qui vint après et qui à la vérité, au dire de Comines, « n’estoit point de celles où l’on devoit prendre grand plaisir, » fut traitée avec une extrême rigueur, que sa conduite irréprochable ne justifiait guère. Dans l’intervalle de ses deux mariages, Louis, libre de sa personne, connut pendant son séjour en Dauphiné les deux maîtresses qui paraissent avoir captivé son attention pendant quelque temps , Marguerite de Sassenage, femme d’Amblard de Beaumont, et Phélise Regnard (1). Tout ce que l’on peut dire à la décharge du prince c’est que dans ses faiblesses l’homme privé se trouvait seul engagé. S’il savait récompenser royalement les habiles gens qu’il employait au service de l’Etat, il payait ses favorites en petit bourgeois et ne leur accordait aucune part d’influence. Bien différent de son père Charles VII, il se garda de donner à la cour le scandale de la domination d’une autre Agnès Sorel. Aussi les généalogistes seuls se sont arrêtés devant ces figures effacées de concubines dépourvues de tout prestige.

Les Reynard, Regnard ou Renard, qui portaient comme armes parlantes un renard passant d’or sur un champ de gueules, aliàs d’azur, étaient originaires de Die, où notre savant archiviste, M. Lacroix, a retrouvé leur blason à L’Hôtel des Alpes, et où ils possédaient au XVIe siècle, à titre de fief héréditaire, la boucherie des chèvres, qu’ils affermaient. La noblesse de Phélise se perdait-elle dans la nuit des temps ? C’est ce qu’il est difficile aujourd’hui de démêler. Le nom de Reynard, Reynardi, se trouve souvent dans le Cartulaire de Die; mais le premier qui apparaît avec la qualification de noble est Aynard Reynard, seigneur de Saint-Didier, en 1427. Guy Allard ne remonte guère plus haut. Dans le troisième volume de son Estat politique, Chorier s’en tient également au XVe s. ; mais, au supplément du même ouvrage, il se ravise, peut-être sur la réclamation de la famille alors existante et nous apprend qu’en 1298 le Dauphin Humbert 1er passa un acte à Die « in domo Ainardi Raynardi ». L’épithète de nobilis n’est pas mentionnée, ni rien de ce qui la remplace. Ils ne reçurent quelque illustration que bien plus tard, de Florent Reynard, premier président de la Chambre des comptes de Dauphiné en 1598, quoique protestant, auquel sa rapide fortune, légitimée par son mérite, permit l’acquisition de nombreuses terres, entr’autres Châteauneuf-de-Mazenc (2).

Probablement pauvre, Phélise épousa un bourgeois de Grenoble nommé Jean Pic, qui mourut peu après. A la suite d’un procès elle fut soumise à la taille, comme veuve d’un roturier. Selon l’usage de cette époque, son éducation avait dû être fort négligée ; mais on ne peut tirer aucune induction de l’absence de sa signature au bas de la quittance que nous allons rapporter. On sait, en effet, que les signatures ne devinrent obligatoires dans les actes pour toutes les personnes lettrées qu’à partir de l’ordonnance d’Henri II de 1554, rappelée par les Etats d’Orléans (1560) et appliquée par un arrêt du Parlement de Paris en 1579 (3). Phélise rencontra le Dauphin, qui par goût autant que par calcul fréquentait volontiers les gens de médiocre état, et leur roman dut être des plus vulgaires. En 1461 il la gratifia, comme il eût pu le faire pour un tabellion, de la châtellenie de la Mure. Matésine, dont elle trafiqua évidemment (4). La curieuse collection de documents dauphinois rassemblée par feu le marquis de Pina, maire de Grenoble sous la Restauration et savant numismate, appartenant aujourd’hui à son fils, M. le comte Humbert de Pina, capitaine de frégate, nous apprend l’existence d’une autre libéralité du royal amant. Remarquons que Louis XI, depuis plusieurs années sur le trône, n’était plus à cette époque de détresse où, pour faciliter sa fuite, il empruntait de Claude Coct la somme que ce dernier destinait à la dot de sa fille ; où, pour se procurer un cheval, il était réduit à faire un billet de trente écus à Jacques de Sassenage. Voici donc cette quittance sur parchemin :

« Loys, par la grâce de Dieu Roy de France, Daulphin de Viennoys, a nostre amé et féal conseiller et trésorier général de nos finances en nostre pays du Daulphiné, Glaude Cot, salut et dilection. Nous voulons et vous mandons que des deniers de vostre recepte de layde tant ordinaire que extraordinaire à nous octroyé par les gens des trois estats dudit pays du Daulphiné et par nous ordonné estre mis sus en icelluy pays pour deux années commencées le premier octobre mil cccc soixante-huit et finies le dernier jour de septembre mil cccc soixante-dix dernier passé, vous payez et baillez a nostre bien amée Félize Regnarde, damoiselle, la somme de deux cens livres monnoye dudit ayde, laquelle somme nous luy avons donnée et ordonnée, donnons et ordonnons par ces présentes a icelle somme avoir et prendre par voz mains de et » sur layde de Beaumont desdites deux années. Et par rapportant ces présentes avec quictance de ladite damoiselle sur ce souffisant tant seulement. Ladite somme de deux cens livres monnoye dessusdite sera allouée en voz comptes et rabatue de vostre dite recepte dudit ayde par noz amés et féaulx les gens de noz comptes, ausquels mandons ainsi le faire sans aucune difficulté. Donné a Amboyse, le quinziesme jour de décembre lan de grâce mil cccc soixante-dix et de nostre règne le dîxiesme.

Par le Roy Daulphin,

Signé : BOURBE ».

« En la présence de moy Rolet Silvent, notaire dalphinal, et es tesmoings cy dessoubz escriptz, damoyselle Phélize Regnarde a aujourduy confessé avoir eu et receu de noble homme Glaude Cot, trésorier général du Daulphiné, la somme de deux cens livres foible monnoye de XXV gros pour escu, que le Roy Daulphin nostre Sire luy a donnée et ordonnée pour les causes a plain contenues et déclairées en ses lettres patentes données a Amboyse le XVe jour de décembre dernier passé, de laquelle somme de IIe livres dicte monnoye elle s’est tenue et se tient pour contente et bien payée et en a quicté et quicte ledict trésorier et tous’autres quil appartient. En tesmoing de ce jay a sa requeste cy mis mon seing manuel, le XXVIIIe jour de janvier lan de la Nativité Nostre Seigneur mil cccc soixante-onze. En la présence de messire Jehan Vallin prebstre chanoine de Dye, Fortunat Bonier et Jehan Seignoret, de Grenoble, tesmoings a ce appelez. Ainsy comme dessus est escript a esté par devant moy notaire cy dessus signé, faict et passé.

Signé : SILVENT. » ,

Du reste, il n’y avait plus là qu’une dette lointaine à acquitter. Cette liaison, dont nous ignorons la date précise, avait dû à peine se prolonger jusqu’au départ du prince pour les Etats de Bourgogne. Certainement le roi ne pensait pas à Phélise, mais à d’autres amours encore plus fugitives, comme celles que lui inspirèrent les deux joyeuses marchandes de Lyon, la Gigonne et la Passe-fillon, lorsqu’il fit vœu, à la mort de son premier Dauphin Joachim, de « ne toucher à femme qu’à la Reyne (Comines) ». Il avait eu de Phélise Regnard, Guyette, mariée à Charles de Sillons, et Jeanne, dame de Mirebeau, femme de Louis, bâtard de Bourbon, amiral de France et comte de Roussillon. Longtemps on avait donné à cette dernière pour mère Marguerite de Sassenage, dame de Beaumont. Mais Brizard découvrit au cabinet des titres de l’ordre du Saint-Esprit une note qui éloigne cette tache de l’illustre maison, dont il fut chargé de dresser la généalogie. « Johanna, y est-il dit, filia naiuralis Domini Régis per eum et Phelisiam Regnard, domi cellam, nuncviduam, genita, uxor Ludovici de Rorbonio Comitis Rossilionis, legitimâta per litteras datas Aurelianis 25 feb. 1465. Sine financiâ. »

Ces lettres de légitimation données à Orléans, dont on trouve la trace dans d’autres auteurs, ne laissent place à aucun doute sur la maternité de Phélise (5).

 

Anatole De Gallier.

 

(1) On cite à une époque bien postérieure d’autres favorites de Louis XI, Huguette de Jacçpielin, la Gigonne et la Passe-fillon, dont le mari obtint un office de conseiller en la Chambre des comptes. — Voyez les chroniques de Louis XI dans Comines, éd. Langlot, t. II, p. 134.

(2) Arch. de l’hôpital de Die, B. 24, comm. par M. Lacroix ; — L’abbé CHEVALIER, Documents inédits relatifs au Dauphiné, t. II; — G. ALLARD, Dictionnaire., t. I », col. 480; — A. LACROIX, L’arrondissement de Montélimar, t. II, p. 76.

(3 GUIGUE, De l’origine de la signature, p. 79; — G. PICOT, Histoire des Étals-Généraux, t. II, p. 185.

(4) RIVOIRE-LA-BATIE, Armoriai; — CHORIER, Jurisprudence de Guy Pape, p. 117.

(5) Histoire généalogique de la maison de Beaumont, t. 1er,-p. 518, 522, 523; — Le P. ANSELME, t. 1″,, p. 122; — BLANCHARD, Compilation chronologique, t. 1″, fol. 301.

 

Sources : Article paru dans le Bulletin de la Société d’archéologie et de statistique de la Drôme 1873 (T7)

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