DANS LA PEAU D’UNE MATRONE RURALE DU TEMPS JADIS


Dans la peau d’une matrone rurale du temps jadis.




Article paru dans https://www.geneanet.org/blog/post/2024/02/la-gazette-du-vendredi-9-fevrier


Dans les communes rurales éloignées d’un médecin ou d’une sage-femme, le plus grand nombre des accouchements n’était pas abandonné aux soins de la nature, car la patiente est toujours assistée d’une matrone. C’est ordinairement une femme sur le retour de l’âge, fière des nombreux enfants qu’elle a mis au monde dans des circonstances plus ou moins dramatiques, et en racontant les incidents pour donner de la confiance et du courage à la patiente. Si c’est pendant l’hiver, celle-ci est installée sur un matelas en face du feu aux premières douleurs, on lui administre une soupe à l’oignon, et, durant tout le travail elle est gorgée de vin chaud et de café dont la matrone prélève toujours une bonne part .

Si l’accouchement se fait naturellement, ce qui est presque constant, la commère fait lever la patiente quand l’intensité des douleurs annonce l’expulsion, et elle reçoit le fœtus dans un crible, pour prévenir sa chute sur le sol .

Contrairement au précepte de Guillemeau et Fournier qui recommandent « pour faire plaisir aux vieilles femmes de faire bonne mesure aux garçons et de le couper court aux filles », la matrone sectionne constamment le cordon à vingt centimètres de l’ombilic, parce que sa longueur a une influence marquée sur l’organe de la phonation, et que plus on le laisse long, plus l’enfant a chance d’avoir une belle voix .

 
L’enfant est ensuite plongé dans un bain tiède, et la matrone veille surtout à ce que l’eau ne soit pas trop chaude, parce qu’une température trop élevée rend la peau brune. Le fœtus lavé, nettoyé et mis à sec, est ensuite habillé conformément à l’usage du pays, et la matrone va s’occuper de la femme .

Si le placenta n’a pas été expulsé naturellement, la matrone tire légèrement sur le cordon, et dans le cas où ces tractions n’amènent point la sortie de l’arrière-faix, elle place sur la tête de la patiente le béret renversé de son mari, et on la fait souffler de toutes ses forces dans une bouteille vide. Vous voyez d’ici le tableau. Cet exercice tend à mettre en jeu les efforts musculaires du diaphragme, des parois abdominales et de la matrice pour expulser le délivre mais, je ne m’explique pas le rôle du béret renversé.

Si ce moyen ne réussit pas, on met une serpe sous chacun des pieds de la patiente, et on tient en-dessous de ses parties génitales une poêle remplie d’eau chaude. Ce liquide a évidemment pour but de favoriser par ses vapeurs le décollement et la chute du délivre.  Quant aux serpes placées sous les pieds, elles sont probablement destinées à prévenir l’hémorragie utérine, en raison de leur température inférieure à celle du corps (1).

Enfin, quand la délivrance ne se fait pas sous l’influence de tels procédés, on va quérir le médecin et, en attendant son arrivée, la matrone attache solidement le cordon ombilical autour de la cuisse de la femme pour empêcher le placenta de remonter.

Quand le délivre est expulsé, quelques bonnes femmes en frictionnent les seins de la mère, sous le prétexte que ces frictions sont un excellent préservatif contre les gerçures des mamelles, mais cet usage est peu répandu et tend à disparaître.(2)

J’en dirai autant de l’habitude qu’on a dans quelques campagnes de revêtir la patiente d’une chemise sale de son mari, afin de s’opposer aux pertes utérines. 

Une formation d’accoucheuse sur le tas



Matériel de formation des accoucheuses

 Musée Flaubert et d’Histoire de la médecine dans l’ancien Hôtel-Dieu de Rouen 

(source : B-A Gaüzère, 2017).

Ces pratiques des matrones rurales qui mêlent bon sens paysan et rites un tantinet conjuratoires ne tentaient que de combler l’immense vide médical des campagnes et des villes, et de limiter l’effroyable taux de mortalité des femmes en couches.

Accouchement mutuel, entraide entre les femmes, douceur, dévouement nuit et jour, gratuité de l’acte, un accouchement réussi, un deuxième, une troisième, une expertise ainsi reconnue par la communauté que la dame transmettait ensuite à sa fille. Car il n’existait aucune formation aux accouchements, l’État ne s’y intéressant pas, et l’Église ne dispensant que des formations aux baptêmes.

Selon Jacques Gelis, dont l’article est cité en référence. « L’empirisme était donc la règle ; « l’Office des accouchées de l’Hôtel-Dieu de Paris » constituaient le seul lieu de formation des futures sages-femmes du royaume, au début du XVIIIe siècle. Créé en 1630, il recevait chaque trimestre trois ou quatre élèves qui acquéraient une pratique en accouchant les pauvres femmes et filles de la ville ».

Les conditions d’accueil des élèves à l’Hôtel-Dieu écartaient les élèves pauvre d’origine rurale et, avant la réforme de 1735, la plupart de celle qui était formées s’installaient de préférence à Paris, en banlieue ou à l’étranger. La province était peu prisée, sauf quelques grandes villes ; les campagnes restaient dramatiquement abandonnées

 C’est seulement dans le premier tiers du XVIIIe siècle qu’apparaissent les premiers signes d’une prise de conscience : à l’indifférence devant la mort des mères et des nouveau-nés succède un mouvement d’inquiétude et de révolte contre ce qui n’est plus considéré comme l’inéluctable. L’église, l’État, les hommes de l’art commencent à s’élever contre le massacre dont ils rendent responsable les matrones de routine.

(1) corps – Il était vraisemblablement attendu que le métal très froid provoque une vasoconstriction des artères, en particulier utérines : une façon de limiter l’hémorragie de la délivrance.

(2) disparaitre – La pommade au placenta est efficace sur les gerçures et sur les plaies, elle aide à la reconstitution des tissus.

Sources

  • Essai sur les erreurs populaires relatives à la médecine par M. Ch. Lavielle. Bulletin de la Société de Borda, 1er janvier 1880.
  • Jacques Gelis. La formation des accoucheurs et des sages- femmes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Évolution d’un matériel et d’une pédagogie. Annales de Démographie Historique Année 1977, pp. 153-180.

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