QUERELLES CONJUGALES

Querelles conjugales à l’origine d’une promenade sur un cheval, âne ou bœuf pour le voisin du mari battu

 

Se pratiquant notamment en Lorraine et à l’origine de plusieurs procès visant à l’enrayer, la coutume consistant à promener sur un âne, un cheval ou un bœuf, le dos tourné à la tête de l’animal, tout individu ayant négligé de donner main-forte à son voisin lors de querelles conjugales, dégénérait souvent en rixes sanglantes sanctionnées par des arrêts de 1718, 1755 et 1756

Monter sur l’âne : Punition qu’on infligeait autrefois aux banqueroutiers, aux femmes médisantes, à celles qui étaient infidèles à leurs maris ou qui les battaient, et aux maris débonnaires convaincus de s’être laissé tromper ou battre par elles.

Quelle est l’origine de cet usage ? C’est ce qu’on ignore complètement, mais tout porte à regarder cette coutume comme une coutume ionienne répandue dans la Gaule par les Massaliotes. Il est du moins constaté que, sur les côtes septentrionales de l’Ionie, l’adultère était puni exactement de la même manière. C’était ce qu’on y avait nommé l’onobasis, c’est-à-dire la promenade sur l’âne, rapporte Fauriel dans son Histoire de la poésie provençale (ch. V).

Cette punition avait lieu plus fréquemment pour les maris que pour les femmes. La vindicte populaire, conformément aux coutumes légalement admises en beaucoup de localités, se saisissait, le dernier jour du carnaval, du pauvre bonhomme dénoncé par la rumeur publique. Il était traduit devant un tribunal composé d’individus qui tenaient à venger l’outrage fait à la dignité virile. Ces juges, revêtus d’un costume grotesque, instruisaient la cause burlesquement, et dès que la sentence avait été prononcée, on procédait sans sursis à son exécution.

Tout individu ayant laissé son voisin recevoir de sa femme une de ces corrections dont la distribution paraît être le privilège du sexe le plus fort, était contraint de chevaucher l’animal choisi, le voisin du battu répondant donc à la société de l’atteinte portée à l’honneur marital : c’était une espèce d’assurance mutuelle entre les hommes mariés.

Le condamné, placé bon gré mal gré sur un âne, la tête tournée du côté de la queue, qu’il tenait en guise de bride, était promené dans toutes les rues, où il recevait des honneurs ridicules. Un étendard formé d’un torchon noirci au four précédait la marche et se balançait devant lui. Deux acolytes soutenaient le patient avec des fourches appliquées sous ses aisselles pour l’empêcher de s’incliner sur sa monture ; d’autres l’encensaient avec des sabots remplis de crottes de l’animal. Quelques-uns prenaient soin de le faire boire de temps en temps, après quoi on lui essuyait la bouche et le visage avec le torchon noirci. Pendant la durée de la promenade le cortège ne cessait de pousser des huées accompagnées d’un bruit étrange de pelles, de chaudrons, de fifres et de cornets. Cette scène décrite se passa en 1781. Le patient était un nommé Landouillé, riche laboureur de Varennes. Pour éviter le traitement qu’on lui destinait, il avait quitté son pays et s’était retiré à Ligny, dans une retraite où il croyait n’avoir pas à le craindre. Mais les habitants de cet endroit, avertis par ceux de Varennes, le lui firent subir sans miséricorde. Il intenta un procès aux auteurs principaux de la farce et le perdit.

Ce qui est certain, c’est qu’il s’exerçait au XVIIIe siècle, non seulement dans plusieurs villes de Lorraine, notamment à Saint-Mihiel et à Saint-Dié, mais encore dans de simples villages.

Le premier document qui constate l’existence de cette singulière coutume, est un arrêt de la Cour souveraine, du 21 mars 1718, dont le préambule mérite d’être cité textuellement. Il est ainsi conçu :

« Veu par la Cour la requête présentée par le Procureur Général, expositive qu’il est informé qu’il s’est introduit depuis quelques années, dans la ville de Saint-Mihiel, un usage de faire promener et conduire par les ruës, le Mardy-gras de chaque année par les Garçons ou Bourgeois de la Ville, un boeuf sur lequel ils font asseoir un ou plusieurs bourgeois de la même ville, chargéz, à ce qu’ils prétendent, d’avoir laissé battre son voisin par sa femme, et en punition de cette négligence ; pour témoignage de laquelle on lui met sur les épaules des écriteaux devant et derrière portant désignation de cette peine et du fait qui y a donné lieu.

« Cette cérémonie ridicule et extravagante est accompagnée ou suivie de toute la populace, avec des cris et des huées scandaleuses, d’autant plus grandes que souvent le peuple se donne la liberté de faire des applications personnelles du sujet qui a donné lieu à cette conduite, à des familles de considération, auxquelles on impose (impute) des faits qui rejailli-sent sur la réputation et qui peuvent être fabuleux et inventéz : Que le Mardy-gras dernier, cette conduite s’est faite avec plus de licence encore que les années précédentes, et si elle était tolérée plus longtemps, il y a lieu de croire que le désordre s’en augmenterait chaque année.

« Et comme cette coutume qui s’établit insensiblement est non seulement abusive, indécente et contre les bonnes mœurs ; qu’elle ne peut aboutir qu’à des yvrogneries, des querelles et des dissolutions ; mais encore qu’elle peut exciter la juste indignation des Familles qui se trouvaient impliquées dans les contes populaires qu’on y fait, et qui grossissent de bouche en bouche à mesure qu’ils se répandent, et par là donner lieu à des ressentiments qui pourraient avoir des suites fâcheuses ; le Remontrant a intérêt, par le devoir de sa charge, de requérir la Cour d’interposer son autorité pour faire cesser ces désordres et ces causes. »

La Cour, sur les conclusions conformes du procureur général rendit un arrêt portant :

« Qu’elle a fait très-expresses inhibitions et défenses à tous Bourgeois et Manans, habitants de la ville de Saint-Mihiel, de conduire et faire promener à l’avenir par les ruës de la dite ville, le Mardy-gras ou autres jours de l’année, sous quelque prétexte que ce soit, un bœuf qu’ils avoient coutume de faire promener ledit jour par les garçons ou bourgeois, et sur lequel ils faisoient assoir un ou plusieurs bourgeois, à peine de cinq cents francs d’amende contre chacun de ceux qui conduiront ledit bœuf et contre celui qui le prêtera pour le même usage, applicables moitié au domaine de S. A. R., moitié à la maison de charité de la ditte ville de Saint-Mihiel. Enjoint aux officiers de police d’y tenir la main, à peine d’en répondre en leur pur et privé nom. »

Il est probable que la sévérité de la Cour souveraine mit fin pour toujours aux scandales dont Saint-Mihiel était depuis quelques années le théâtre ; mais son arrêt n’ayant pas une application générale, le même usage continua à se pratiquer, quoique sous une forme différente, dans la ville de Saint-Dié. Là, au lieu d’un bœuf, c’était un âne qu’on choisissait pour y faire monter le malheureux qui avait négligé de donner main-forte à son voisin lors de ses querelles conjugales. Un individu ayant refusé de se prêter à cette burlesque cérémonie ne perdit rien des assauts qui lui étaient réservés ; le peuple et l’âne firent une longue station devant sa porte sans que la police pût s’y opposer. Le ministère public informa contre les meneurs et les fit condamner à l’amende ; ceux-ci en appelèrent à l’usage et à la Cour souveraine. Mais cette dernière, loin de faire droit à leur requête, rendit le 9 janvier 1755 l’arrêt suivant, qui dut mettre un terme à la promenade à l’âne à Saint-Dié, comme l’arrêt de 1718 avait mis un terme à celle du bœuf à Saint-Mihiel.

Voici le texte de cet arrêt : « Vu par la Cour la procédure extraordinaire instruite à la Requête du Substitut du Procureur Général au Bailliage Royal de Saint-Diez, à l’encontre de Charles Glaudel, Marchand Boucher de la même ville, accusé, appelant d’une sentence rendue audit siège le 31 juillet dernier, par laquelle il est dit qu’il résulte preuve suffisante, tant par les informations que par les aveux dudit Charles Glaudel et ses interrogatoires, que ledit Charles Glaudel accusé, a, le Lundi 15 dudit mois, vers les dix à onze heures du matin, fait conduire un âne bâté au-devant de la maison d’Alexis Voirin, interpellé ledit Alexis Voirin de se mettre dessus à l’effet d’être conduit par les ruës de la ville de St. Diez pour n’avoir prêté secours à François Simon, son voisin, et avoir souffert que sa femme l’ait battu le jour précédent ; ce qui a attiré les cris et huées des Bourgeois et enfans assemblés pour la nouveauté du cas ; et sur le refus dudit Voirin, laissé cet âne attaché au-devant de la maison près d’un quart d’heure ; ce qui n’a que mieux informé le public de l’usage scandaleux auquel il étoit destiné : ce qui est un abus expressément condamné par Arrêt de la Cour, du 21 mars 1718.

« Pourquoi, et cependant, attendu que le projet dudit Charles Glaudel n’a pas eu son entière exécution, on l’a condamné à dix francs d’amende, moitié applicable à la bourse de la charité de la ville de Saint-Diez et aux dépens, sauf son recours contre qui il avisera bon être et défenses au contraire ; il lui est fait défenses, et à tous autres, de faire pareil scandale, sous les peines portées par ledit Arrêt, à l’effet de quoi la présente sentence sera luë, publiée à son de tambour et affichée en la place publique de la ville de Saint-Diez à ce que personne n’en prétende cause d’ignorance.

« Conclusions du Procureur Général. Ouï le sieur Lefebvre, conseiller, en son rapport ; tout considéré : La Cour, dit qu’il a été mal jugé, bien appelé, émandant, a condamné Joseph Bondidier, Joseph Voinier, Charles Glaudel, Jean Schelte et Nicolas Cornette chacun en cinq francs d’amende, applicable, moitié au Domaine de Sa Majesté, moitié à l’hôpital de Saint-Diez et aux dépens de première Instance, qu’elle a modéré à 25 francs Barrois, et à ceux d’appel, payables par cinquième entre eux et solidairement ; a déclaré son Arrêt du 21 mars 1718, rendu pour la ville de Saint-Mihiel, commun dans tous les Etats du Roy ; à l’effet de quoi il sera de nouveau, ensemble le présent Arrêt, à la diligence du Procureur Général, lu à la première Audience publique de la Cour et envoyé dans tous les Bailliages, Prévôtés et Hôtels-de-ville de son ressort, pour y être pareillement lu, publié et registré, à la diligence des Substituts du dit Procureur Général. Fait et jugé à Nancy en la Cour, Chambre des Enquêtes, le 9 janvier 1755. Signé : Du Rouvrois, F. Lacroix. »

Malgré ce second arrêt, qui déclarait celui de 1718 « commun dans tous les états du roi », la coutume que la Cour souveraine voulait abolir fut loin de disparaître, et, dès l’année suivante, on la voit se pratiquer bruyamment dans le village de Flavigny, c’est-à-dire à quelques lieues de la capitale et, si on osait se servir de ce terme, presque à la barbe des magistrats. Un dossier de pièces se trouvant aux archives de Nancy retrace dans les plus grands détails, toutes les scènes, à la fois burlesques et sanglantes, qui accompagnèrent cette manifestation. La première de ces pièces est la requête du procureur d’office, commis au juge-garde des terres et seigneuries de Flavigny ; elle porte :

« Qu’il vient d’apprendre qu’il s’est introduit depuis quelques années, dans ce lieu, un usage de faire conduire et promener dans les rues le Mardy-gras de chaque année par certains garçons et habitants du village, un bœuf sur lequel ils font monter un homme du lieu, pour avoir, à ce qu’ils prétendent, laissé battre son voisin par sa femme. Que le Mardy-gras dernier et le lendemain, jour des Cendres, sur les neuf à dix heures du soir, certains habitants de la communauté, suivis d’une quantité d’enfants, conduisaient un homme monté sur un bœuf, dont il tenoit la queue en main pour bride, une partie des assistants ayant des flambeaux, accompagnés de trompettes et violons, avec grand bruit et acclamations, allèrent depuis le haut de la grande rue jusqu’au pont, et de là étant revenus allèrent chez un autre particulier pour le monter sur ce bœuf et luy faire faire le même tour.

 

Coutume de la promenade à dos d’âne



« Mais ce particulier n’ayant voulu correspondre à leur extravagance, auroient cassé les vitres de sa maison et l’auraient maltraité, même à coups d’épée. Comme cette conduite indécente, scandaleuse et contre les bonnes mœurs, ne peut provenir que par une suite d’yvrogneries, le Remontrant est nécessité d’en découvrir les auteurs et faire supprimer un tel scandale, déjà condamné par arrêt de la Cour souveraine du 21 mars 1718. A ces causes requiert votre jour, lieu et heure pour informer des faits, tant du Mardy que du Mercredy, circonstances et dépendances ; en conséquence permettre d’assigner tous témoins nécessaires, pour lesdites informations faites et communiquées être prises telles conclusions que de droit. »

Conformément â cette requête, le sieur Dominique Félix, avocat au parlement, bailli au siège bailliager au comté de Guize (Neuviller)-sur-Moselle, juge-garde des terres et seigneuries de Flavigny, ordonna la comparution par devant lui d’un certain nombre d’individus, hommes et femmes, prévenus d’avoir pris part aux actes dénoncés par le procureur d’office. On n’a pas les interrogatoires des accusés, mais seulement les dépositions des témoins dont voici quelques extraits ; on croirait, en les lisant, assister à une véritable scène de police correctionnelle :

« Information faite par nous Joseph Dominique Félix, avocat en la Cour, bailly au siège bailliager du comté de Guize, y résidant, et juge et gruyer des terres et seigneuries de Flavigny, à la requête du procureur d’office commis pour l’absence de l’ordinaire, ezdites terres et seigneuries, à. l’encontre de certains habitants et garçons desdits lieux de Flavigny, accusés d’avoir promené et conduit par les rues les Mardy-gras et Mercredy des Cendres derniers, un bœuf sur lequel ils ont fait monter un homme du lieu pour avoir, à, ce qu’ils prétendent, laissé battre son voisin par sa femme ; à laquelle (information) avons, en exécution de notre ordonnance du 8 de ce mois, procédé comme s’en suit, en présence de notre greffer commis, pour l’empêchement de l’ordinaire, soussigné, duquel nous avons pris et reçu le serment au cas requis.

« Du 15 mars 1756, neuf heures du matin, en la chambre du conseil. Noël Clément, maître boulanger, demeurant à Flavigny, âgé de 68 ans, lequel après serment de dire la vérité (…) a dit et déposé (…) que, le Mardy gras et le Mercredy des Cendres derniers, il a vu passer, environ huit heures du soir, devant chez luy, un bœuf conduit par différentes personnes, n’ayant pu distinguer depuis sa porte, sur laquelle il étoit, qui c’étoit , il s’aperçut seulement, le jour du Mardy-gras que ce bœuf était monté par François Vermandé, le jeune ; et pour le Mercredy des Cendres, il n’a pas pu distinguer qui c’était ; il a seulement ouï dire que c’étoit Claude Collignon qui étoit monté sur ledit boeuf.

« (…) Anne Colin, femme à Joseph Munier, boucher, demeurant à Flavigny, âgée de 40 ans (…), a dit et déposé (…) que, le jour du Mardy-gras dernier, elle a vu passer devant chez elle un bœuf monté par François Vermandé, qui avoit le dos à la tête de ce même bœuf, qui en tenoit la queue pour luy servir de bride, soutenue par différents habitants de ce lieu qu’elle n’a pas connus, avec des fourches sous les bras, suivis d’un grand nombre de personnes et d’enfants, dont plusieurs portoient des écorces de chênes qui leur servoient de flambeaux, et Marie Picard, fille du pâtre de ce lieu, qui les accompagnoit avec une corne dans laquelle elle cornoit pour avertir le public de cette scène : Et quant au Mercredy des Cendres, la déposante a aussi vu passer un autre boeuf appartenant à François Simonin, laboureur de ce lieu ; qui le conduisoit monté par Collignon, qui avoit aussi le dos tourné à la tête, tenant la queue de ce bœuf pour luy servir de bride, accompagné d’un grand nombre de personnes et d’enfants ; de Joseph Carré, de Charles Jeanmaire et d’Adrian, un Flamant, résidant â Flavigny, qui portoient des écorces allumées pour flambeaux, environ les huit heures du soir de chaque jour.

« Elle qui dépose vit aussi, ce jour là, Joseph Drian, garçon tailleur, qui précédait ce bœuf avec un violon dont il jouoit., avec ladite Marie Picard, qui donnoit aussi de sa corne comme la veille, jour du Mardy-gras ; accompagné aussi de Pierre Guérin qui avoit attaché au bout d’un bâton une bayonnette, pour escorter la compagnie. Et après avoir promené ce bœuf dans les rues, revenant du pont, s’arrêtèrent devant chez Me Henry, procureur en ce lieu, qui leur donna un coup à boire ; et de là vinrent chez Landry boire aussy devant la porte, le bœuf monté alors par Joseph Ferry de la même manière que les précédents ; et de là retournèrent chez Léopold Dècle, ne sachant ce qu’ils y alloient faire que lorsque le bruit se répandit que cet Adrian Flamant étoit tué. La déposante y courut, et effectivement, étant arrivée chez Dècle ; elle y vit ce Flamant dans le poêle étendu sans connoissance ; elle dit à des coquetiers qui se trouvèrent là et qui tenoient cette homme par les cheveux, pourquoy ils le battoient ainsy. Ils le quittèrent et se retournèrent vers elle.

« A l’instant Joseph Ferry se saisit du même Flamant et l’emporta à la porte où il reprit connaissance. Dans le même moment, elle vit une chaise en l’air soutenue par l’un de ces coquetiers pour (la) luy ravaler sur la tête, qu’elle détourna avec ses mains ; et, de suite, fit ce qu’elle put pour empêcher un nommé Arnould, autre Flamant avec Landry le père et le fils, ce dernier muny de la bayonnette que Guérin portoit, d’entrer chez Dècle pour se venger des coups que l’on avoit donné à Adrian ; après les avoir fait reculer dans la rue, excepté Landry fils, qui y entra avec sa bayonnette ; ne sachant ce qu’il y fit parce qu’elle ferma la porte à son frère et à Arnauld, qui s’en retournèrent, à ce qu’elle croit, chez eux. »

Le Procureur d’office estima qu’il y avait lieu d’assigner les différents individus qui avaient pris part aux scènes précédentes, pour être ouïs sommairement sur les faits résultant contre eux des informations, pour être prises telles conclusions que de droit. Il est fâcheux qu’on ne possède pas cette dernière partie de la procédure, non plus que la sentence rendue contre les prévenus. Mais ce qui est connu de cette affaire suffit pour faire voir combien l’usage pratiqué dans certaines localités, usage que les folies du carnaval pouvaient autoriser jusqu’à un certain point, entraînait d’abus avec lui, et combien les tribunaux avaient eu raison de sévir avec vigueur pour le faire disparaître.

Ce but ne fut qu’imparfaitement atteint ; en 1775, la Cour souveraine fut forcée de mettre de nouveau un interdit sur la promenade à l’âne de Saint-Dié. Néanmoins, cette coutume était trop profondément entrée dans les habitudes pour périr sous les arrêts de la justice ; elle survécut même à la Révolution, qui effaça tant de traditions d’une autre époque, et les personnes d’un certain âge pouvaient encore, au XIXe siècle, se souvenir d’avoir assisté, il y a quelque quarante ans, à des spectacles de ce genre qui, plus d’une fois, dégénérèrent en rixes sanglantes.

Millin a décrit une scène semblable, dont il fut témoin oculaire : « Des ris grossiers, dit-il, des cris et des huées attirèrent notre attention. Nous vîmes un homme couvert d’un ample manteau, assis sur un âne, la tête tournée vers la croupe, et tenant à la main la queue de la monture. Deux écuyers, bardés de colliers de mulets chargés de grelots, formaient son escorte, et un cornet à bouquin annonçait son passage. Ce malheureux était un bonhomme qui s’était laissé battre par sa femme. Il eût été plus juste de faire comme à Saint-Julien en Champsaur, où l’on promène ainsi la femme qui a battu son mari, en lui essuyant les lèvres avec la queue de l’âne. » (Voyage dans les départements du Midi, etc.)

Le Journal des Débats du lundi 3 septembre 1842 rapporte un fait qui prouve que l’usage de faire monter sur l’âne les maris battus par leurs femmes n’était pas alors entièrement aboli.


Sources :  Bulletin de la Société philomatique vosgienne », paru en 1880

 

Laisser un commentaire