LOUIS II EN SON DAUPHINE

Louis II et le Dauphiné

 



Depuis qu’en 1349 le dauphin Humbert II, sans héritier, a légué son territoire au fils aîné du Roi de France, celui-ci porte le titre de « Dauphin » et il est donc le suzerain de cette province. En 1355 le traité de Paris met fin aux guerres avec le comte de Savoie et fixe la frontière nord du Dauphiné sur le Rhône et le Guiers.

En 1419, Louis II, le dernier comte de Valentinois et Diois lègue son comté au dauphin de France futur Charles VII. Cet héritage est contesté par le duc de Savoie Amédée VIII qui investit la région : Valence est occupée trois ans et un certain nombre de places fortes seront occupées pendant 25 ans par les savoyards. Le Valentinois est annexé définitivement au Dauphiné en 1446.

Le Dauphiné sera sans Dauphins de 1359 à 1447. Charles, fils de Jean le Bon, ne séjourne que quelques mois à Grenoble et épouse Jeanne de Bourbon à Tain en avril 1350. En Septembre, il le quitte sans retour pour le décès de son aïeul à Paris. En 1355, le traité de Paris avec la Savoie, consacre le retour du Faucigny contre ses possessions dans le Viennois et les contreforts de la Chartreuse. En 1357, Charles crée les Etats Provinciaux du Dauphiné gouverné par l’évêque de Grenoble ou l’abbé de Saint Antoine et composé de représentants des trois ordres. En 1419, le Comte de Poitiers lègue au Dauphin le Valentinois et le Diois.

Après Azincourt, le Duc de Savoie et le Prince d’Orange alliés au Duc de Bourgogne, décident de se partager le Dauphiné. Le 16 Juin 1430, le gouverneur du Dauphiné et le routier Villandrado battent les armées coalisées à Anthon; le Dauphiné est sauvé. Le Prince d’Orange doit son salut à la traversée du Rhône à la nage.



Le Dauphiné vers 1410

 



Fils du  » roi de Bourges « , Charles VII et de Marie d’Anjou, est né à Bourges dans l’atmosphère sombre de 1423. Louis, « petite fleur malingre au jardin de France », reçoit, comme tous les enfants nobles de l’époque, une double éducation fort sérieuse : intellectuelle avec Jean Majoris, maître ès arts, licencié en droit et théologien, ami du chancelier de l’université de Paris, Jean Gerson, qui trace le programme de l’éducation du prince ; sportive et militaire avec Guillaume d’Avaugour, bailli de Touraine. Son enfance au château de Loches est solitaire et il souffre de l’indifférence de son père, bien qu’il lui confie épisodiquement quelques responsabilités.

Marié, selon la coutume, très jeune, à treize ans, avec Marguerite, fille du roi d’Écosse, allié de son père contre les Anglais, il devient, à quinze ans, lieutenant général pour le Languedoc, et de ses expériences de jeunesse et d’enfance garde le souvenir concret des distances, des disparités qui s’opposent à la centralisation d’un royaume dont il n’a connu la capitale, à peine récupérée sur les Anglais, que lors d’un bref séjour en 1438.

Philippe III le Bon, duc de Bourgogne, s’est réconcilié avec Charles VII en signant la paix d’Arras (1435). Maître de la Bourgogne, la Franche-Comté, la Flandre, l’Artois et les provinces belges, ce grand féodal est le plus puissant souverain d’Europe. Il est trop heureux d’accueillir somptueusement chez lui, à Louvain, puis à Bruxelles, le futur roi de France venu conspirer contre son père, et lui fait une pension annuelle de 36 000 livres.

Charles VII qui connaît la perfidie de son fils. apprenant que son fils s’est réfugié chez le duc de Bourgogne, fin août 1456, déclare « il a reçu chez lui un renard qui mangera ses poules ». Et le fils de Philippe, Charles le Téméraire, l’apprendra à ses dépens, lors de l’entrevue de Péronne destinée à faire la paix (1468) : « Il n’est venu là que pour me trahir. » Furieux d’avoir été trompé,  il qualifiera Louis XI d’« universelle aragne ». Le surnom lui restera.

En 1438, il complote et intrigue très vite contre son père et son entourage, qui se méfient de lui. Pour l’éloigner et l’occuper, le Roi l’autorise à aller en Dauphiné recevoir l’hommage de sa province.



Louis, avec les armoiries du dauphin de France

 



En 1440, suivant une habitude médiévale illustrée par les fils de Henri II d’Angleterre révoltés contre leur père au XIIe siècle et, en ce XVe siècle bientôt, par Charles de Bourgogne, dit le Téméraire, contre son père Philippe le Bon, Louis adhère à la révolte des grands seigneurs contre Charles VII et les Angevins tout-puissants à la cour. Louis, à 17 ans, participa à la révolte de la Praguerie. Cette coalition de grands féodaux, furieux de la réorganisation de l’armée qui donne au roi seul le droit de lever des troupes, menaça la monarchie encore mal assurée. Les rebelles furent maîtrisés, le dauphin pardonné. En 1444, le roi le charge de diverses missions politiques et militaires dont se débarrasser des routiers, ces bandes de mercenaires abandonnés sans solde par leurs commanditaires, et qui pillent le pays. Louis les rassemble et prend le commandement d’une armée de près de trente cinq mille hommes qu’il conduit en Suisse. Il remporte la bataille de Pratteln le 26 août 1444 contre les Suisses et se dirige vers Bâle, où se tient le concile qui vient d’élire l’antipape Félix V. Le pape Eugène IV le nomme gonfalonier, c’est à dire protecteur de l’Eglise. Louis négocie le 28 octobre 1444 le traité d’Ensichen qui conduit à la paix avec les Suisses. En récompense, il devient protecteur du Comtat Venaissin le 26 mai 1445. En plus des 21.000 livres annuelles de sa pension royale, il perçoit désormais des aides provenant des régions qu’il a débarrassées des routiers. Louis commence à tisser un fabuleux réseau d’informateurs et de serviteurs fidèles.



Cet écu d’or a été frappé à Montélimar (1440-1447) pour Louis II dauphin, comme fils aîné de France et dauphin de Viennois;  l’ atelier monétaire fonctionnera de 1426 à 1477.



 

Blanc du Dauphiné, Louis II (1440-1456), point au deuxième, a été frappé à Romans; un atelier monétaire est établi en 1344 et fonctionnait encore en 1493.



Marguerite d’Ecosse meurt le 16 août 1445 sans lui apporter de descendance, et plus rien ne le retient à Tours. De plus, il est accusé d’avoir fait assassiner en 1446 le favori de son père, Pierre de Brézé. Il est chassé de la cour et exilé alors dans sa province du Dauphiné en 1447. Le 28 décembre 1446, sa mère Marie d’Anjou met au monde un second fils, son frère cadet Charles, futur « Monsieur Charles », duc de Berry. Louis est impatient d’avoir son propre héritier. Malgré l’opposition du roi Charles VII, il épouse Charlotte de Savoie, fille du duc Louis II de Savoie, à Chambéry le 2 février 1451. La jeune princesse n’a que sept ans – la jeune épouse ne rejoignit son mari qu’en 1457 (avec un âge « présentable » de 14 ans) à Gennapes – mais elle apporte une dot somptueuse de 200.000 écus (400.000 selon d’autres sources), dont douze mille comptant, ainsi qu’une alliance exclusive entre Louis et le duc de Savoie. Charlotte lui donnera sept enfants, dont Anne de Beaujeu et le futur Charles VIII. On lui connaît également deux maîtresses, Phélise Régnard, dont il aura deux filles, Guyette de Beillons ( 1446) et Jeanne de Mirebeau ( 1456-1515), et Marguerite de Sassenage, dont il aura deux filles, Marie (1450, 1468) et Isabeau. Epouses ou maîtresses, les femmes ne semblent l’intéresser que dans la mesure où elles servent sa politique.



 

 

Charles VII et Louis XI. Le père et le fils, le roi et son successeur : un duel peu courant dans les annales historiques.  Charles VII n’a pas eu de chance avec sa famille. Sa mère Isabeau de Bavière l’a déshérité comme dauphin et traité en bâtard, son père Charles VI est le roi fou. Et son premier fils, le futur Louis XI, ne cessera de comploter contre lui – rôle généralement tenu par le frère du roi. Mais Louis XI est un comploteur né. Depuis 1447 et jusqu’à la mort de Charles VII en 1461, père et fils sont fâchés au point de ne plus se voir. Louis, très jaloux de son père, d’Agnès Sorel sa favorite et du favori de Brézé, par ailleurs impatient de régner, n’a cessé de comploter pour prendre sa place. Le cas est rare dans l’histoire de nos rois de France, ce mauvais rôle étant plus souvent tenu par « Monsieur », frère du roi, que par son fils le Dauphin.

Louis avait dix-sept ans lorsque son père lui abandonna le gouvernement du Dauphiné; il n’en avait pas encore vingt-quatre lorsque, le 15 janvier 1447, il vint se fixer dans cette province, qui, depuis la remise de l’étendard delphinal à l’enfant qui devait être Charles V, n’avait pas vu ses maîtres. A la différence de ses prédécesseurs et successeurs, il ne se contente pas du titre honorifique de Dauphin mais l’utilise, comme les premiers Dauphins, comme titre de pouvoir absolu sur ses sujets dauphinois. De tous les Dauphins, fils aînés du Roi de France, Louis II, futur Roi Louis XI, est sûrement celui qui aura le plus laissé sa marque sur la province.

Début janvier 1447 le dauphin Louis chevauche vers son apanage : libéré de la tutelle paternelle, il va gouverner un état tout récemment agrandi du Valentinois, où il va séjourner près de 10 ans. Pendant ces dix ans, Louis gouverne la province, rétablit la situation financière et rode les méthodes qui feront de lui plus tard un des plus grand rois de France. Il gouverne en monarque absolu, fait son apprentissage de roi, révélant déjà toutes les qualités de l’un des plus grands souverains notre histoire. « Ce dauphin en son Dauphiné, c’est déjà le roi Louis » (P. Champion). Et l’on peut dire que ces années, si elles furent pour le futur roi de France un utile apprentissage, furent aussi fécondes pour l’affermissement du pouvoir delphinal et pour la prospérité du Dauphiné. Intelligemment secondé par le Conseil delphinal, qui depuis un siècle avait préparé son œuvre, le jeune dauphin réussit à soumettre à sa suzeraineté les seigneuries ecclésiastiques et laïques qui prétendaient encore ne relever que de l’Empire.

Ce qui ne l’empêchera pas de continuer les intrigues contre père Charles VII.

Louis visite la province, qu’il veut moderniser et unifier. Il fait rédiger un registre des droits, privilèges et libertés le « Registre Delphinal » par Mathieu Thomassin, son conseiller. Louis organise la province en créant deux bailliages : le Viennois avec 3 sièges (Grenoble, Bourgoin et St-Marcellin) et les Montagnes avec 4 sièges (Briançon, Embrun, Serres et Buis-les-Baronnies) et une sénéchaussée Valentinois et Diois avec 3 sièges (Crest, Montélimar et Valence). Louis soumet les féodaux et abolit la guerre privée. Il réduit les pouvoirs temporels des évêques : celui de Valence doit lui rendre hommage en 1450, ainsi que les évêques de Vienne et Grenoble. Celui de Gap rebelle est contraint par le pape à se soumettre. Montélimar est réunie complètement au Dauphiné en 1451.



Le Dauphin Louis reçoit le Registre Delphinal

 



Et l’on peut dire que ces années, si elles furent pour le futur roi de France un utile apprentissage, furent aussi fécondes pour l’affermissement du pouvoir delphinal et pour la prospérité du Dauphiné. Intelligemment secondé par le Conseil delphinal, qui depuis un siècle avait préparé son œuvre, le jeune dauphin réussit à soumettre à sa suzeraineté les seigneuries ecclésiastiques et laïques qui prétendaient encore ne relever que de l’Empire.

Sa résidence principale est à la Côte-St-André, mais il se déplace fréquemment. En 1452 il crée une université à Valence et en 1453, le Conseil Delphinal est transformé en Parlement du Dauphiné à Grenoble. Le gouvernement du Dauphiné est pour lui un excellent apprentissage et il se comporte de plus en plus en souverain indépendant. Il rattache définitivement au Dauphiné les comtés de Valentinois et de Diois, dont le duc de Savoie s’était emparé en vertu d’une substitution insérée dans le testament du dernier comte de la maison de Poitiers; il réforme dans le sens d’une plus étroite centralisation les institutions administratives, judiciaires et financières de la province, et place à leur sommet, avec des pouvoirs très étendus. En juillet 1447, il simplifie l’administration locale : deux bailliages, au lieu de huit, et une sénéchaussée. Il acquiert la ville de Montélimar. En 1450, Vienne reconnaît son autorité. Il favorise par de sages règlements et d’habiles réductions de taxes le développement du commerce et la création de nouvelles industries. Pour affirmer sa souveraineté en face du pouvoir royal, il bat monnaie, lève des troupes et fait campagne, conclut des traités avec ses voisins.

Dès 1450, Charles VII s’en irrite, d’autant plus que Louis veut épouser une fille du Duc de Savoie Louis Ier : le roi refuse. Le Dauphin passera outre.

De telles manifestations d’indépendance finirent par porter ombrage au roi Charles VII. Le Dauphin se conduit comme un roi sur ses terres et refuse de rejoindre la Cour de France à la demande de son père.

A l’été 1452 le roi Charles VII fait pression sur le duc de Savoie pour le détacher de son fils ; l’armée royale fait mouvement vers le sud-est : le duc de Savoie se désolidarise du Dauphin. Les capitaines du roi inspectent les défenses de Lyon et remplacent le commandant du château Pierre-Scize. L’armée royale repart vers le sud-ouest et la victoire de Castillon sur les Anglais (1453), qui termine la guerre de Cent-Ans. Louis peut alors mener une expédition en Italie, allié à René d’Anjou, mais l’affaire tourne court. En 1454 Louis se venge de son beau-père Savoie en ravageant le pays de la Valbonne et en occupant Montluel.

En 1455 le Dauphin est isolé diplomatiquement et en décembre Charles VII se met en route avec l’Armée Royale sous le commandement d’Antoine de Chabannes lui reprendre le Dauphiné. Louis tente de négocier, tout en poursuivant sa campagne d’attaques virulentes contre les mœurs dissolues de son père, mais ses conditions sont inacceptables pour le roi qui veut une soumission complète.

Charles VII arrive en Lyonnais, il loge au château d’Yvours (à Irigny) et au château de Saint-Priest. En août 1456 Antoine de Chabannes entre en Dauphiné avec l’Armée Royale qui se positionne à Saint-Priest et Saint-Symphorien d’Ozon  et le jeune dauphin dut fuir devant les troupes royales, pour se réfugier vers la Savoie, puis vers sur les terres du duc de Bourgogne, qui lui assigna pour résidence le château de Genappe en Brabant, où il devait rester jusqu’à son avènement au trône en 1461. le Dauphin Louis s’enfuit à travers la Franche-Comté pour se réfugier à Bruxelles auprès de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. En octobre, le puissant duc de Bourgogne Philippe III le Bon lui rend hommage. Sous la protection de son oncle, Louis est intouchable.

Charles VII se fixe à Lyon et réunit par deux fois à Vienne les trois états du Dauphiné : par un habile mélange de promesses et de menaces, il amène à soumission les administrateurs et officiers de son fils. Une démonstration militaire achève de convaincre les hésitants. Le Dauphiné est rattaché au domaine royal, mais le Roi ne modifie pas l’administration mise en place ; le gouverneur du Dauphiné Louis de Laval est maintenu. Charles VII réside au château de Saint-Priest au sud-est de Lyon jusqu’en juillet 1457, chassé par la peste. Quant au Dauphin, le Duc de Bourgogne met à sa disposition le château de Genappe en Brabant, où il est rejoint par Charlotte. Là il va attendre encore pendant 5 ans la mort de son père (le 22 juillet 1461), qui le fait Louis le onzième, Roi de France : il a alors 38 ans, ce qui est relativement âgé pour un avènement.

A cette date, il décide que le Dauphiné est administré directement par l’autorité royale

Devenu Roi, Louis se désintéressa complètement du Dauphiné et n’y remit jamais les pieds. Les Dauphinois eux ne l’oublieront pas et seront ses fidèles alliés dans sa difficile accession au trône.

 

 

La Praguerie



Révolte féodale menée contre Charles VII par quelques princes, comme les ducs Charles Ier de Bourbon, Jean II d’Alençon, Jean V de Bretagne, le roi René d’Anjou, comte de Provence, Jean IV d’Armagnac et Jean de Dunois. La petite et la moyenne noblesse soutinrent le mouvement, soucieuses de défendre leurs prérogatives contre les empiétements des officiers royaux et, pour cette raison, inquiètes de la ferme reprise en mains de la monarchie par l’ancien roi de Bourges. La conjuration visait à destituer le roi et à confier la régence au dauphin, le futur Louis XI, alors âgé de seize ans. Une révolte du duc de Bourbon avait déjà été matée en 1437. De même, le roi et Richemont réprimèrent-ils sans peine une première insurrection, en Auvergne et en Poitou (févr. 1440). L’intervention du duc de Bourgogne Philippe le Bon et de Charles d’Orléans — à peine revenu de sa captivité en Angleterre — mit au contraire la royauté en péril. À l’assemblée de Nevers (févr. 1442), à laquelle il n’avait pas été prié, Charles VII fit jouer ses conseillers au plus fin. En dosant ses concessions et surtout ses subventions financières de manière aussi habile qu’inéquitable, il dissocia la coalition. Celle-ci fut qualifiée de « Praguerie » par comparaison avec les récentes révoltes de Bohême.

L’un des facteurs déterminants du succès royal fut le loyalisme de la plupart des villes et la fidélité intéressée de l’administration. La nouvelle noblesse, née des profits de la justice et des finances royales, fit cause commune dans la prudence avec la bourgeoisie marchande. Quant à la petite noblesse d’origine militaire, qui avait suivi dans la révolte les princes, elle vit avec amertume ceux-ci tirer seuls les avantages de la réconciliation avec le roi ; de l’opposition du dauphin Louis jusqu’à la ligue du Bien public, les mouvements d’insoumission ne trouvèrent désormais plus dans cette petite noblesse la force militaire grâce à laquelle ils auraient pu limiter les progrès du pouvoir monarchique.



Louis XI et l’ours du Vercors



La légende a attribué à tort au dauphin Louis II – futur roi Louis XI – une mésaventure avec un ours qui faillit lui coûter la vie. L’histoire, bien que réelle et attestée dans les textes, est en faite antérieure de deux siècles à la date habituellement avancée.

Commençons par la légende, telle qu’elle est décrite traditionnellement en Dauphiné et plus particulièrement dans le sud du Vercors où se situe notre histoire.

Louis II aimait les parties de chasse, et c’est durant l’une d’elles, vers l’année 1450, qu’intervint la célèbre mésaventure qui allait marquer à tout jamais deux familles de la vallée de Quint. Le Dauphin avait jeté ce jour là son dévolu sur la profonde forêt de Malatra, sise au pied de la montagne d’Ambel, et il chevauchait en compagnie de quelques gentilshommes de la province à la recherche d’un cerf à traquer. Une ombre fuyante, entr’aperçue le temps d’un éclair derrière un rideau d’arbres, incita soudain le téméraire dauphin à se séparer de sa suite afin d’engager seul le pourchas (poursuite). Galopant à une dangereuse vitesse à travers une belle sapinière aux riches odeurs de résine, le chasseur gagna rapidement sur sa proie. Il pensait avoir levé un jeune cerf et se réjouissait par avance de sa bonne fortune. Mais soudain, sa proie qui s’était embusquée au détour d’un rocher se dressa devant lui, toutes griffes dehors et il regretta aussitôt sa précipitation: l’animal qu’il avait pris en chasse n’était pas un inoffensif daguet mais un ours énorme, que la course avait mis de fort méchante humeur et qui comptait maintenant en découdre avec son poursuivant. La monture du chasseur se cabra en hennissant de frayeur, envoyant le dauphin rouler au milieu d’un buisson. Le chasseur eu la présence d’esprit de ne pas lâcher sa lance en chutant, et il la projeta sans attendre en direction du fauve dressé au-dessus de lui. Malheureusement, le coup porta dans le gras du flanc et l’ours arracha l’arme d’un simple coup de patte, en poussant un grondement terrifiant. Il retomba sur ses pattes antérieures et se rua sur le dauphin. Celui-ci, séparé de son cheval – qui avait déguerpi sans attendre son reste – se hissa prestement au sommet d’un rocher bordant un ravin. Il se croyait tiré d’affaire, mais le plantigrade, rendu fou furieux par sa blessure, n’entendait pas en rester là. Il s’engagea à son tour dans la fissure du rocher empruntée par le chasseur et commença à grimper en direction de sa proie. Le dauphin, qui n’avait qu’un couteau de chasse à opposer à l’énorme créature, appela à l’aide et se recula au maximum au bord du gouffre béant. Il croyait sa dernière heure arrivée lorsque deux hommes jaillirent soudain de la forêt, armés de grandes haches : c’étaient des bûcherons de la vallée de Quint, Richaud et Bouillanne, que les cris avaient alertés alors qu’ils débitaient du bois dans la forêt. Le premier frappa le fauve par derrière et lui rompit la patte d’un coup bien ajusté. L’animal, privé de soutien roula au bas du rocher et le second charbonnier en profita pour l’occire proprement, d’un formidable coup porté sur le crâne.

Le dauphin, encore tout tremblant de sa mésaventure, remercia chaleureusement ses sauveurs. Il se fit connaître et leur promit une forte récompense pour leur bravoure, mais les deux hommes refusèrent dignement, en assurant qu’ils étaient suffisamment payés d’avoir eu le bonheur de sauver un homme, fut-il prince ou manant. Le dauphin, touché par la grandeur d’âme des forestiers, les anoblit sur le champ, leur donnant pour armes un blason de circonstance, représentant une patte d’ours dorée sur un fond d’azur. Une patte droite pour la famille Richaud et une patte gauche pour la famille Bouillanne.

Aux Etats Généraux du Dauphiné, en 1788, on retrouvera 27 De Richaud et 14 De Bouillanne, pour la plupart demeurés paysans mais portant noblement l’épée. L’archevêque de Vienne qualifiera d’ailleurs ces deux familles de «plus vieille noblesse du Dauphiné».

Et il avait raison, car on retrouve des mentions de ces familles dès… 1245! Soit deux siècles avant la venue de Louis II en Dauphiné ! Il apparaît donc comme certain que l’épisode de l’ours ne concerne nullement le dauphin Louis II mais un autre, vivant au minimum 200 ans plus tôt. Peut-être Guigue VII (dauphin de 1236 à 1270) ou alors son père, Guigue VI dit André Dauphin (1192 à 1236), voire même n’importe lequel de leurs prédécesseurs.

Mais alors, pourquoi avoir attribué à celui qui allait devenir le roi Louis XI la paternité de cette fameuse chasse en Vercors ? La réponse est fort simple, en vérité : tout simplement parce qu’il est plus glorieux d’avoir sauvé un roi qu’un dauphin du Viennois. Et Louis XI jouit d’un immense prestige dans le cœur des dauphinois, du fait qu’il fut le premier fils aîné de roi de France à être venu s’installer dans la province alpine, afin de l’administrer.



Sources :

    • http://www.atelierdesdauphins.com/
    • http://eric-tasset.com/
    • https://guyboulianne.com/
    • https://www.persee.fr/docAsPDF/
    • https://gallica.bnf.fr

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