LOUIS MANDRIN, BANDIT OU HÉROS?

Louis Mandrin, bandit ou héros ?

 

Louis Mandrin, une sorte de robin des bois pour les uns, un bandit pour les autres qui, à la fin du XVIIIe siècle, organisait un réseau de contrebande au nez et à la barbe de la Ferme générale (collecteurs d’impôts indirects), l’institution la plus puissante et la plus impopulaire de l’Ancien régime. Véritable héros aux yeux du peuple, il lui permettait d’acquérir à bas prix des produits coûteux comme le sel ou le tabac, des marchandises rares ou prohibées. Pour les autorités, il était l’homme à abattre. Mais l’histoire de Mandrin est hautement plus passionnante encore…

Né à Saint-Étienne de Saint-Geoirs, dans le Dauphiné, Louis Mandrin est l’aîné d’une famille de neuf enfants. Le père de Louis Mandrin , maréchal-ferrant, ne pouvant suffire aux besoins de sa famille avec les modestes produits de sa profession, s’associa à de faux-monnayeurs. Cet art funeste ne lui réussit pas longtemps ; il fut tué dans une rencontre, et son fils Louis jura, sur le cadavre de son père, haine éternelle à la maréchaussée et aux agents de la gabelle. Inapte à développer l’entreprise familiale, il signe en 1748 un contrat avec les collecteurs de taxes de la Ferme générale en vue de ravitailler l’armée française qui guerroie en Italie. À la fin de sa mission, ayant perdu la plupart de ses 97 mulets dans la traversée des Alpes, ne voilà-t-il pas que la Ferme générale refuse de le payer !

Nous sommes en 1754. Louis Mandrin a 27 ans. Mandrin veut se venger des fermiers généraux qu’il tient pour responsables de sa ruine et de la pendaison de son frère Pierre. C’est à lui en tant que chef de famille, de laver ces affronts…

 

 


Mandrin identifie à ses propres intérêts les intérêts de ceux dont il est responsable. De même que sa faillite affecte tout le clan, la pendaison de Pierre pour faux-monnayage suite à une intervention de la Ferme générale, en jetant l’opprobre sur sa famille, l’atteint personnellement dans son honneur. Lui-même participe à une rixe sanglante le 30 mars 1753 et doit s’enfuir pour échapper au supplice de la roue.

Suivant cette logique, les « fautes » commises par quelques employés de la Ferme doivent être expiées par la compagnie toute entière. Au début de l’année 1754, Mandrin déclare la guerre à la puissante Ferme générale non sans afficher son dévouement au roi ! La légende de Mandrin est en marche…

Mandrin, qui a la fibre militaire, organise ses troupes comme une armée, avec solde, grades et discipline. En 1754, en l’espace d’une année, il organise en tout et pour tout six «campagnes». Au début de chaque campagne, il achète du tabac et quelques autres marchandises en Suisse et dans le duché indépendant de Savoie.

Plusieurs régiments royaux dont ceux de Fischer et de La Morlière furent mobilisés pour barrer la route à Mandrin, fin stratège et homme rusé qui échappa systématiquement à ses poursuivants.

Voici ce qu’écrivait le célèbre écrivain Voltaire, un contemporain, le 14 janvier 1755 à propos de Mandrin. :

 » On prétend que Mandrin est à la tête de 6000 hommes déterminés ; que les soldats désertent pour se ranger sous ses drapeaux et qu’il se verra bientôt à la tête d’une grande armée. Il y a trois mois ce n’était qu’un voleur, c’est à présent un conquérant « .

Sur son lit de mort, le maréchal de Lowendal a dit :  » pour sauver la France, c’est un chef comme Mandrin qu’il nous faudrait. Mandrin est un contrebandier, un justicier, un gentilhomme, un grand stratège. Le héros qui soulève une armée de fourches et de bâtons. Mandrin est le premier révolutionnaire en haillons, l’homme le plus populaire de France « .

Il est vrai que Louis Mandrin « capitaine général des contrebandiers » se déplaçait avec une rapidité étonnante à travers le Dauphiné, la Provence, le Vivarais, le Forez, l’Auvergne, le Lyonnais, la Bourgogne et la Franche-Comté.

Le 5 janvier 1754, la carrière de Louis Mandrin débute véritablement. Il effectuera six campagnes éclairs jusqu’à la chute, le 11 mai 1755. Ses apparitions sont rapides et déterminées et ses premières campagnes (janvier-avril 1754 et juin-juillet 1754) sont facilitées par l’assentiment des populations. Les Mandrins vendaient leur tabac, indienne et autre mousseline de Suisse et de Savoie à des prix défiants la concurrence des fermiers généraux (le tabac de bonne qualité était vendu cinquante sous par les contrebandiers contre cinq francs par les buralistes des Fermes.) ce qui les rendit véritablement populaires. Ils étaient de plus hommes rapides à la boisson et savaient faire la fête quand il le fallait, c’est à dire assez souvent, ce qui était très agréable pour les aubergistes des tavernes et autres auberges qui affichaient souvent complet lorsque les contrebandiers venaient à s’y arrêter.

Mais la Ferme va réagir en interdisant l’achat des produits de contrebande et en punissant sévèrement les contrevenants. Mandrin changera de méthode en vendant ses marchandises aux directeurs des Fermes sous la contrainte et au prix fort (juillet-août 1754). La Ferme, en grand danger, mènera une véritable chasse à l’homme en payant ses propres troupes régulières et en s’alliant avec le ministre de la guerre, le comte d’Argenson (août-septembre 1754).

Mandrin peut dès lors montrer ses qualités de stratège et prendra sans beaucoup de difficultés des villes comme Bourg, Le Puy et Montbrison (octobre 1754). Il subira les assauts conjoints de trois régiments sous les ordres du colonel de la Morlière, de Fisher et de Fumel. Cette campagne les mènera dans le Jura, la Provence et l’Italie et sera ponctuée par la prise de Beaune, d’Autun et par le très difficile combat de Gueunand (décembre 1754). Louis Mandrin sera capturé le 11 mai 1755 dans le château de Rochefort en Novalaise, en Savoie, ce qui ne manquera pas de créer un incident diplomatique très grave entre la cour de Turin et celle du roi de France.

La première campagne de Mandrin dure du 5 Janvier 1754 au 8 avril 1754. A l’époque, la Savoie ne fait pas encore partie du Royaume de France. Mandrin est jusqu’alors réfugié en Savoie. Le 5 Janvier 1754, à la tête d’une douzaine d’hommes, il pénètre en France par la Chartreuse.

Pour cette première campagne Louis Mandrin ne sait pas encore quelle sera la résistance rencontrée, aussi décide-t-il de ne pas trop s’éloigner de son village natal, Saint Etienne de Saint Geoirs, sachant par avance qu’en cas de coup dur il pourrait trouver là-bas chez qui se réfugier.

Le 5 janvier 1754 donc, Mandrin, à la tête d’une troupe de contrebandiers au nombre d’une douzaine (si l’on en croît ce qu’a retenu le jugement de condamnation) entre en France par le massif de Chartreuse. Deux jours auparavant, le 2 janvier, quelques avant-gardes avaient pris la peine d’attaquer la frontière de Savoie pour s’assurer que la voix était libre, pour ensuite rejoindre le reste de la troupe.

Le 7 janvier, à Curson près de Romans, sur le pont de l’Herbasse, Mandrin et ses hommes mettent en fuite des employés de la brigade des fermes de Romans. Le jugement de Valence précise que les contrebandiers « … en tuèrent deux, en blessant deux autres…volèrent les armes…, le cheval du brigadier…son manteau et son chapeau bordé d’or. » C’est le premier trophée pris à l’ennemi. Geste symbolique qui montre à quel point Louis Mandrin s’engage dans une lutte impitoyable contre les Fermes Générales. Ce chapeau en feutre noir galonné d’or avec festons, il ne le quittera plus, il fait corps avec l’image même que l’on se représente de cet homme.

Ce combat va renforcer Mandrin dans ses choix tactiques. Il n’est pas encore le chef incontestable et incontesté qu’il sera bientôt et cette échauffourée montre bien à ses hommes qu’il faut continuer dans la voie tracée par Louis, qu’il vaut mieux attaquer le premier plutôt que de défendre.

Le 8 janvier, le brigadier des Fermes Dutruet résidant au Grand Lemps, à une trentaine de kilomètres de Saint Etienne de Saint Geoirs, fait savoir son grand regret de n’avoir eu à se battre contre le contrebandier Mandrin, sous-entendant que ce dernier n’aurait eu aucune chance d’en sortir vainqueur. Il reçut la leçon dans la nuit du 8 au 9 janvier : porte enfoncée, le brigadier et sa femme en chemise traînés dans la rue, grelottants de froid. Les villageois réveillés par le bruit accourent de toutes parts à la lueur des lanternes et découvrent la scène, Mandrin jouissant pleinement de la situation, son adversaire tremblant de peur. Ce qu’il avait réussi à faire sur le pont de l’Herbasse par la force, il le réussissait encore et sans violence, tout en ridiculisant Dutruet et avec lui la Ferme. Cela lui suffit, tout au plus prit-il la peine de confisquer le cheval et les armes du brigadier et il prit le chemin de son village natal.

La prochaine victime n’est autre que son oncle maternel Louis Veyron Churlet entreposeur des tabacs à Saint Etienne de Saint Geoirs. Mandrin n’a pas oublié ce parrain qui lui avait souvent reproché de choisir un mauvais chemin. Vers 21 heures, les contrebandiers investirent la maison forte qui gardait la porte Varanin sur la route de Grenoble, mais Veyron avait eu le temps de s’enfuir. Maison Forte à Saint Etienne de St Geoirs, entrée Mandrin trouva là sa cousine et lui réclama la somme de 8000 livres. Jamais les caisses n’avaient contenu pareille somme ! La jeune fille croyant à une plaisanterie au début, comprit très vite, à la vue des hommes en armes que son cousin n’était pas d’humeur à plaisanter.

Mais elle ne pu trouver l’argent réclamé. Finalement Louis Mandrin dépêcha un voisin auprès de son oncle, lui demandant de signer un billet de 400 livres payable à bref délai, ce que fit Veyron Churlet en quelques jours, ne doutant pas des intentions malveillantes de son neveu. Suite à ces évènements, le procureur général Moidieu demanda à la Savoie l’extradition de Louis Mandrin et, dans le même temps, il fit part de ses inquiétudes au ministre de la guerre, le comte d’Argenson, lui réclamant l’envoi de nouvelles troupes pour que pareils faits ne se reproduisent plus.

Cela ne gênera en rien les contrebandiers qui vont continuer leur périple en Dauphiné pendant encore deux mois, faisant marché ici ou là pour vendre leurs marchandises et vider les caisses des entreposeurs de tabac. La troupe rejoint ainsi Rouergue et se présente au château de Bournazel, près de Rodez, le 25 mars. Ce premier contact avec des gens argentés est une réussite, Mandrin et le châtelain établissent de très bons rapports, ce qui montre bien que l’action entreprise contre les Fermes Générales était plutôt bien acceptée par une bonne partie de la population, riche ou pauvre.

Sur le chemin du retour vers la Savoie, les  » margandiers  » passent à Châtillon de Michaille, près de Genève et sont accueillis, par crainte ou sympathie, par Jeanne-Anthelmette Michard, épouse du châtelain, le docteur Cl.-Fr. Passerat seigneur de Seyssel, en voyage ce jour-là. A l’heure du départ, tôt le lendemain, Mandrin tenant à remercier son hôtesse pour son hospitalité, insiste auprès de la dame pour qu’elle accepte les pièces de mousseline et de toiles des Indes qu’il lui offre. L’affaire fit grand bruit, mais les trois compagnies dépêchées sur place arrivèrent trop tard.

Cette première campagne fut une véritable réussite pour le jeune chef. Louis Mandrin renforçait sa position et son statut de commandeur au sein de la troupe, en saisissant parfaitement à quel point la contrebande pouvait être bénéfique pour lui et ses hommes, tout en poursuivant sa croisade contre les fermiers généraux. Qu’il puisse y avoir mort d’homme, ma foi, comme l’écrit René Fontvielle, Mandrin pensait sans doute « qu’il fallait tuer pour ne pas être tuer », on verra lors de la seconde campagne que le crime gratuit ne l’empêchera pas d’atteindre les buts qu’il se fixe, trait de caractère que l’on retrouve chez sa mère Marguerite. Mandrin regagnera la suisse par la route de Genève.

La seconde campagne de Mandrin débute le 6 juin 1754 et finit le 9 Juillet 1754. Au début du mois de juin 1754, la bande de Mandrin rentre à nouveau en France par le Massif de la Chartreuse en Dauphiné et traverse le Guiers vif à la tête d’une trentaine d’hommes. Comme lors de sa première expédition, Louis Mandrin pénètre en Dauphiné par la Chartreuse. Auparavant et pendant six semaines, il a pris le temps de préparer cette nouvelle campagne.La troupe de contrebandiers s’est enrichie de nouveaux membres qu’il a fallu préparer et entraîner. Mandrin s’est aussi approvisionné en tabac, mousseline et toiles des Indes qu’il sait pouvoir vendre à bas prix. Il a également utiliser ses moyens de renseignements pour définir l’itinéraire de son périple estival. Fontvieille nous dit que  » lui et ses hommes descendirent dans la vallée du Grésivaudan après Chapareillan, où était installé le poste frontière entre la Savoie et la France. Cette fois la bande comptait une trentaine d’hommes.«

Le 7 juin 1754, la troupe arrive au Pont de Claix sur le Drac, un affluent de l’Isère. A cet endroit, au début du XVII ème siècle, le maréchal Lesdiguières, lieutenant général du Dauphiné, avait fait construire un pont à une seule arche. Sur la rive du village, à l’entrée du pont, s’élevait une haute tour carrée à toiture pointue. C’est depuis cette tour que les employés des Fermes surveillaient le passage des biens et des personnes. L’attaque eut lieu dans la matinée. Les Mandrins, aidée par une autre troupe de margandiers rencontrés en chemin, ne fit qu’une bouchée des quelques  » gapians  » (gabelous, douaniers) qui gardaient l’accès au pont en tuant un et en blessant plusieurs autres. On prit l’argent et les armes, on déchira papiers et registres des Fermes et on dépouilla les employés de leurs uniformes, très utiles par la suite pour tromper la vigilance des ennemis. Mandrin confisqua son cheval et ses biens au commis du péage du pont qu’il soupçonna de vouloir aller prévenir les soldats de Grenoble. Mandrin prend la route de Grenoble, pénètre en Savoie par les montagnes de la Chartreuse et regagne la Suisse.

 

 


La troisième campagne de Mandrin commence le 28 ou 29 juillet 1754 et finit fin Août 1754. Après deux semaines de repos et de préparatifs en Suisse, Mandrin revient en France fin juillet à la tête de ses margandiers en passant par la Franche Comté. Aprés Saint Chamond la bande de Mandrin regagne la Savoie.

Mandrin ressort de la Savoie le 20 août 1754, date à laquelle débute la quatrième campagne. Alors que Mandrin est vainement attendu en Dauphiné par les troupes du marquis de Rochebaron, commandant en Lyonnais, il achève cette quatrième campagne le 5 septembre 1754 et se réfugie en Suisse.

Les troupes royales et les employés de la Ferme qui ne parviennent pas à verrouiller toutes les frontières laissent les contrebandiers de Mandrin entrer à nouveau en France. Ainsi, dans la nuit du 3 au 4 Octobre 1754, ils traversent le Rhône à Pont de Grézin dans l’Ain. Le 28 Octobre, les mandrins pénètrent en Suisse en passant par Les Rousses et le col de la Faucille. Cette expédition sera la cinquième campagne de Mandrin. Cette cinquième campagne, au Puy, tourne mal. Elle lui vaut une grave blessure au bras suite à un échange de tirs avec les troupes de la Ferme générale. La Ferme, cette fois, obtient du roi l’intervention de l’armée. Mandrin, qui eut tant aimé servir comme officier, est désolé par la perspective d’avoir à affronter des soldats royaux.

Le régiment de chasseurs du capitaine Jean-Chrétien Fischer intervient précisément lorsque Mandrin lance sa sixième campagne, à Autun et Beaune, le 19 décembre 1754. Les contrebandiers sont pris en chasse alors qu’ils quittent Autun. C’est le massacre. Mais Mandrin arrive in extremis à s’enfuir en Savoie.

Le capitaine des troupes de la Ferme générale, Alexis de la Morlière, déguise 500 de ses hommes en paysans et les fait pénétrer en toute illégalité sur le territoire du duché.

Le 15 Décembre 1754, les contrebandiers regagnent le Dauphiné, traversent le Rhône, passent en Provence puis franchissent le col de Tende. Il se rendent en Piémont d’où, par la route de Savoie, ils arrivent à Carouge le 24 Janvier 1755.

La sixième et dernière campagne de Mandrin s’est soldée par un échec militaire. Le chef contrebandier, après s’être fait soigner, prend quelque repos au pays de Savoie. Echec militaire mais pas populaire, la renommée de Louis Mandrin est faite. Le peuple ne retient de cette campagne que les performances extraordinaires qui lui avaient permis de parcourir de grandes distances au cours d’un hiver exceptionnellement rigoureux et de faire plier pas moins de vingt villes en un temps record. L’échec des nombreuses troupes engagées à sa poursuite ne fit que renforcer l’image de courage qu’il véhicule, il entra ainsi dans la légende.

La vie est différente en Savoie. Louis Mandrin est un homme célèbre, disposant de moyens financiers considérables. Il fréquente la haute noblesse et les meilleures familles de la région. Les habitants de Savoie n’ont aucune raison de se plaindre des contrebandiers, bien au contraire. Ceux-ci, à leur retour de campagne, assuraient les commerçants de bonnes rentrées d’argent, ne regardant pas à la dépense dans les boutiques et bien sûr les auberges. Ils trinquaient avec les dragons piémontais ! On pouvait ainsi reprendre des forces et du courage pour préparer la prochaine campagne dans les meilleures conditions. Il est même reçu à la table de deux présidents au Parlement de Grenoble, M. de Saint-Albin de Vaulserre et M. de Polienc de Thoury, ce qui est cocasse, car de l’autre côté de la frontière ces deux magistrats auraient été obligés de le condamner comme l’avait fait le père de ce dernier, le 21 juillet 1753, condamnant Mandrin à la roue par contumace.

Et l’on prépare la prochaine campagne…

Mandrin et ses proches lieutenants se sont installés au château de Rochefort-en-Novalaise, à une lieue de la frontière française, propriété de M. de Polienc de Thoury. Ici on recrute des hommes, on achète des chevaux, du tabac, mousseline et autres produits de contrebande.

Louis Mandrin, le contrebandier de belle prestance que l’on surnommait «Belle humeur» est trahi par deux membres de sa bande. Il est arrêté avec trois comparses dans la nuit du 10 au 11 Mai 1755 au château de Rochefort et ramené ou plutôt apporté en France, à Valence, lié dans toute la longueur du corps.

 

Château de Rochefort en Novalaise au début du XXe siècle

 


Valence est depuis 1733, le siège d’une juridiction d’exception de mauvaise réputation,  » La commission de Valence  » que Voltaire décrivait comme étant un des fléaux de l’humanité. C’est un tribunal spécial institué à la demande des Fermiers généraux et payé par eux. La Commission ne connaît d’autre règle, de règle unique que l’intérêt du fermier général. Celle-ci condamna en 1755, le célèbre contrebandier à être roué de coup à vif et étranglé sur la Place des Clercs.

Indigné par la violation de son territoire, le duc Charles-Emmanuel III de Savoie demande à son neveu Louis XV la restitution du prisonnier. Comme le roi de France s’apprête à lui céder, la Ferme générale accélère les formalités de jugement de son ennemi juré. La condamnation tombe le 24 mai 1755 et elle est exécutée deux jours plus tard.

Si les limites de la collaboration policière et judiciaire apparaissent de nombreuses fois dans l’ensemble des correspondance entre le roi Charles-Emmanuel III et son ambassadeur à Paris, le comte de Sartirana, c’est surtout à la toute fin de celle-ci, dans les jours qui suivent l’arrestation de Mandrin qu’elles trouvent leur illustration la plus frappante. Mandrin est en effet arrêté en Savoie par des troupes françaises qui n’ont bien sûr pas l’autorisation d’agir dans ce territoire L’arrestation pend alors un tour politique et devient une véritable affaire d’État, qui crée de vives tensions entre les deux cours concernées. La Sardaigne réclame la restitution de Mandrin, afin qu’il soit jugé en Savoie, ce que la monarchie française et surtout les fermiers généraux ne peuvent se résoudre à accepter, au vu du défi que leur a lancé le contrebandier. Le roi Louis XV donne des ordres pour surseoir à l’exécution de Mandrin en vue d’une possible remise du prisonnier à la Savoie, mais ceux-ci arrivent trop tard et le bandit, condamné à mort, est roué à Valence le 26 mai 1755. À la suite de cet événement, l’ambassadeur Sartirana est rappelé à Turin par Charles-Emmanuel III et la représentation de la Sardaigne en France provisoirement suspendue (lettre du 10 juin 1755), dans l’attente de la restitution à la Sardaigne de trois autres contrebandiers récemment capturés par la France.

L’exécution de Mandrin est l’une des plus célèbres de l’Ancien Régime et a sans doute contribué à faire grandir le mythe alors en formation.

Laverde-Morval, président du tribunal qui le jugea, l’interrogea sans pouvoir en obtenir aucune réponse sur ses relations, sur ses complices. Le jugement est rendu le samedi 24 Mai 1755 dans la soirée. Le lendemain étant un dimanche, il faudra attendre Lundi 26 Mai 1755 pour que le greffier lui lut son arrêt de mort. L’exécution aura lieu dans la foulée.

Il est environ 17 h lorsque Mandrin sort de prison. Il y a du monde jusque sur les toits. On peut même louer même pour douze sous les gradins construits spécialement pour l’occasion. Des patrouilles ont été placées dans les rue de Valence et les portes de la ville sont fermées !

Mandrin est nu en chemise, la corde au col, il porte un écriteau sur lequel il y a écrit en gros caractères  » Chef des contrebandiers, criminels de lèse-majesté, assassins, voleurs et perturbateurs du repos public « , et tenant en ses mains une torche de cire ardente, du poids de deux livres. Tout en gardant  » cet air fier et aussi martial qu’il avait lorsqu’il se battait « , il s’agenouille devant la cathédrale de Valence et dit alors  » Je demande pardon à Dieu, au Roi et à la justice, de tous mes crimes et attentats… «

Louis Mandrin est ensuite conduit à la place des clercs de Valence où est dressé l’échafaud. On lui donne de l’eau de vie, ainsi qu’au confesseur qui s’évanouit. Puis il endure sans un cri d’avoir  » les bras, jambes, cuisses et reins rompus vifs[…] mis ensuite sur une roue, la face tournée vers le ciel pour y finir ses jours « . Sur avis de l’évêque de Valence, sensible à son repentir, le juge ordonne au bourreau de l’étrangler au bout de huit minutes. Son corps est accroché au gibet. Ses biens sont «confisqués au roi», dont dix milles livres vont dédommager la Ferme et payer le procès.

Le jour de son exécution une foule innombrable se pressera Place des Clercs. Son corps fut exposé après sa mort durant trois jours et tel des pèlerins de nombreuses personnes accoururent pour lui rendre un dernier hommage tant sa popularité s’était accrue.

La mort de Mandrin sur la roue de Valence marque la fin de ses agissements mais aussi le début d’une légende tant l’homme marqua les esprits de ses contemporains.

« Louis Mandrin, dit Charles du Rozoir, aurait dû naître quelques dizaines d’années plus tard. » Il eût sans doute, après 1789, grossi la liste de ces guerriers qui, partis des derniers rangs de la société, s’élancèrent au premier, et conquirent leur bâton de maréchal, des duchés, des principautés et même des trônes. Le déserteur devenu contrebandier qui sut discipliner une troupe de brigands, qui conquit une petite ville, et qui ne put être réduit que par un corps d’armée de six mille hommes, n’était pas un homme ordinaire. Ses historiens, car il en a eu plusieurs, le représentent avec une physionomie intéressante ; il avait le regard hardi, la répartie vive ; aux passions les plus fougueuses, il joignait un sang-froid imperturbable : en un mot, il possédait les qualités qui distinguent les hommes nés pour commander « .

 

La mort de Mandrin vue par ses contemporains

 

Le curé Jean Baptiste Violier nous montre combien le peuple aimait le « capitaine des Contrebandiers de France ». Il voit déjà, en 1755, un message politique à l’action de Mandrin. Il n’hésite pas à critiquer les Grands  » Mandrin a volé les puissants de l’époque et a été puni alors que ces puissants dépouillaient le peuple en toute impunité. Le grand Mandrin est expiré à Valence, au milieu de cette année, entre ciel et terre « .

Ce fut pendant des jours un fameux pèlerinage, le corps brisé de Mandrin exposé aux fourches patibulaires, « on y afficha des vers de tout étage et des épitaphes en lettres de sang« . En voici quelques-uns :

 » Passant, raconte à tes semblables

Que Mandrin, dont tu vois les os,

Par des forfaits inconcevables

Fut égal à plus d’un héros,

Qu’il régna dans la contrebande,

Qu’il mourut sur un échafaud,

Que pour la gloire de sa bande

Mandrin régna trop tard, ou qu’il mourut trop tôt. «


ou encore par le chansonnier Clairambault

 » Tel qu’on vit autrefois Alcide

Parcourir l’Univers la massue à la main,

Pour frapper plus d’un monstre avide

Qui désolait le genre humain,

Ainsi j’ai parcouru la France,

Que désolait mille traitants ;

Je péris pour avoir dépouillé cette engence,

Je jouirais comme eux d’une autre récompense,

Si j’avais dépouillé les peuples innocents. « 

Et des vers anonymes…

 » Passants, honorez de vos pleurs

Celui qui fit la guerre aux vices :

Il courait après les honneurs,

Il ne trouva que des supplices.

Si, pénétrés de ses malheurs,

Vous voulez savoir son histoire,

Interrogez-en l’Univers,

Ou la déesse Mémoire

Qui parle dans ce dernier vers :

Ci-gît Mandrin, Ci-gît la gloire. « 


Et l’épitaphe de Mandrin …

 » Le Mandrin dont tu vois le déplorable reste, Qui termina ses jours par une mort funeste. Des gardes redoutés, des villes la terreur, Par des faits inouïs signala sa valeur ; Déguisant ses desseins sous le nom de vengeance, Deux ans en pleine paix il ravagea la France. Dans ses incursions, amis des habitants, Taxa d’autorité les caisses des traitants. Lui seul à la justice arrachant ses victimes, Il ouvrit les prisons et décida les crimes, Quoiqu’en nombre inégal, sans se déconcerter, Aux troupes de son prince il osa résister. Plus grand que Cavalier et plus grand que Cartouche, Il ne fut point guidé par cet esprit farouche Qui des grands scélérats annonce la fureur ; Du crime et du carnage il eut toujours horreur. Lorsqu’il se crut au port, il rencontra l’orage ; Il fut pris sans pouvoir signaler on courage. D’un œil sec et tranquille il vit son triste sort. Fameux par ses forfaits il fut grand par sa mort. « 

Le Testament politique de Louis Mandrin d’Ange Goudar est sept fois réédité dans l’année qui suit son exécution. Et l’on fredonne cette chanson :

 » Je péris pour avoir dépouillé des brigands ;
J’aurais joui comme eux d’une autre récompense,
Si j’avais dépouillé des peuples innocents « 

La popularité de Mandrin devint nationale au moment de son procès, lorsque commencèrent à circuler les premières gravures, éditées à Paris et à Lyon, qui le mettaient en scène dans ses actions de 1754. Après l’exécution du brigand, la publicité exceptionnelle donnée au jugement – dont la lecture publique et le placardage furent ordonnés par les autorités dans tous les lieux où il avait sévi – devint le point de départ de sa légende posthume. Elle se déploya à travers une grande variété de supports : récits biographiques, chansons, pièces de théâtre, poèmes et images allant de la gravure aux portraits sur faïence. Ceci permit sa diffusion rapide au sein d’une population qui, pour partie, voyait dans ce type de brigand une forme de contestation du pouvoir établi.

Le portrait donné de Mandrin fut pourtant ambivalent, oscillant entre les pôles opposés du hors-la-loi sans foi ni loi et du rebelle gentilhomme. Les parutions, dépeignant le personnage de manière négative (La Mandrinade…) ou positive (Chanson à la louange du grand Mandrin, Oraison funèbre de messire Louis Mandrin…), fleurirent immédiatement après l’exécution de Mandrin. Il en fut de même pour les gravures, dont la plupart illustraient les méfaits que celui-ci commit à Bourg, Beaune et Autun durant l’automne 1754 : si leurs légendes soulignaient au besoin le comportement cruel du brigand, la mise en scène du personnage, tel un héros, pouvait prêter à confusion. Le pouvoir royal tenta d’éviter la divulgation d’une image flatteuse du brigand exécuté, qui pouvait nuire à son autorité ; il ordonna la censure des publications le présentant sous un jour favorable. Dans les faits, cette censure ne put faire totalement face à l’intérêt du public, érudit ou populaire, pour la légende de Mandrin.

 


Sources :

      • https://www.mandrin.org/

      • https://www.herodote.net/26_mai_1755

      • https://chartes.hypotheses.org

      • https://histoire-image.org/fr/

Laisser un commentaire