LES VOYAGES D’AUTREFOIS

Les voyages d’autrefois








Au XVIIIe siècle, les voyages étaient souvent longs et périlleux, et les différents lieux d’accueil du repos nocturne pouvaient déplaire autant que l’inconfort du moyen de transport. Dormir est un besoin impérieux, et si l’on peut se permettre de négliger une nuit de sommeil pour des voyages courts, lorsqu’ils durent plusieurs jours, il est nécessaire de trouver un repos réparateur et confortable.

 

Voyages et routes d’autrefois ou l’éloge de la lenteur

 

Au début du XXe siècle, l’historien Théodore Gosselin songe à l’ébahissement que le spectacle des véhicules modernes causerait à Louis XIV ou Napoléon s’il leur était permis de venir revivre quelques heures dans Paris : à voir des voitures circuler sans cocher et sans attelage, à entendre les conversations des magiciens qui les dirigent et où il n’est question que de douze, de vingt, de quarante « chevaux » tandis qu’on n’en aperçoit pas un seul, de « bougies » parfaitement invisibles, de pneus, de carburant, nos illustres trépassés se sentiraient dépassés. Quant aux voyages eux-mêmes, ils ne sont plus émaillés ni de surprises ni de découvertes : la facilité de déplacement a contribué à la déchéance du pittoresque.

 

Diligence Lafitte & Caillard. Ce modèle, créé par les Messageries générales de France,fondées en 1826, sillonnera la France avant d’être supplanté par le chemin de fer

 

Le Roi Soleil comme le Grand Empereur, ont cru, bien sincèrement, aux heures éphémères de leur puissance, qu’ils avaient amené leurs sujets à un point de prospérité et de bien-être qui ne serait jamais dépassé, écrit le spécialiste de la « petite histoire » Théodore Gosselin sous son pseudonyme de G. Lenotre. Quand Louis XIV employait douze jours pleins à effectuer le trajet de Paris à Lille, il s’imaginait détenir un record à tout jamais imbattable, et cent ans plus tard son successeur Bonaparte riait de lui quand il mettait quatre jours pour aller de Paris à Milan, ce qui paraissait à ses contemporains être le summum de la rapidité, au delà duquel l’imagination même ne pouvait rien concevoir.

Et ce retour sur le passé est de nature à nous rendre modestes, affirme en 1922 G. Lenotre : qui sait si, dans un siècle, ou moins, nos descendants ne s’ébaudiront pas de nos cent kilomètres à l’heure et ne nous considéreront pas comme des engourdis en songeant qu’il nous fallait tout un jour pour aller de Paris à Poitiers et en revenir ? En quoi ils auraient tort de rire, poursuit notre écrivain, car il est avéré que, dans l’heureuse ignorance de l’avenir, chaque génération a toujours considéré les moyens dont elle dispose comme le dernier mot du confortable et de l’audace ; au delà de ce qu’elle connaît, il lui semble qu’il n’y a plus rien.

En juin 1782, le chevalier de Kerpoisson, Mme de Kerpoisson, M. et Mme de Rouaud quittent Guérande qu’ils habitent, afin d’accomplir, par plaisir, et « sous l’étendard de l’amitié », le voyage de Paris. Nous sommes renseignés sur leur aventureuse expédition par le journal de leurs étapes qu’ils notèrent consciencieusement et que M. le comte Remacle a retrouvé et publié au tout début du XXe siècle. Le premier soir, arrêt à Donges — six lieues de Guérande — ; les voyageurs se reposent là durant cinq jours ; le 14 juin, ils poussent jusqu’à Nantes, lourde journée de dix lieues ; ils louent une chaise de poste et s’acheminent courageusement ; couchers à Ancenis, à Angers, à Durtal, à La Flèche, à Guécelard, au Mans, à Connéré, à la Ferté-Bernard, à Mont-Landon, à Chartres, à Trappes.

Bref, au bout de quatorze jours, ils arrivent enfin à Versailles, émerveillés de l’aisance avec laquelle ils ont parcouru cette longue route. Pour rentrer chez eux, ils s’empilent dans la diligence d Orléans et, parvenus au bord de la Loire, font achat d’une cabane, sorte de bateau plat qu’ils chargent de provisions et qui les descend, au fil de l’eau, en huit jours, jusqu’à Nantes, tout émus d’une telle rapidité. Aujourd’hui l’express effectue normalement le même parcours en moins de trois cents minutes ! s’exclame G. Lenotre.

 


Chaise de poste

 

Il est certain que les voyages abondaient alors en imprévu ; il fallait s’ingénier et se livrer à des combinaisons savantes pour atteindre au but ; rien de plus varié qu’un itinéraire de ce temps-là ; deux jeunes étudiants nancéiens, venus en 1787, à pied de Lorraine à Paris, décident d’aller voir la mer : ils ne prennent ni la diligence ni la Turgotine — voiture de 4 à 8 places tirée par six à huit chevaux, il s’agit d’un type de diligence que Turgot fait construire en 1775 — ; ils partent — à pied toujours — par Marly et Saint-Germain, arrivent à Poissy, s’y embarquent sur la galiote qui les mène jusqu’à Rolleboise, vont pédestrement à Bonnières, y dorment quelques heures ; à l’aube ils prennent place sur le coche d’eau, le quittent au Roule, louent deux bidets de poste — deux mazettes, comme on disait en ce temps-là — qui les portent au Port-Saint-Ouen ; ils laissent là leurs montures et ils arrivent en barque à Rouen. Une autre galiote les conduit à la Bouille, d’où ils gagnent à cheval Pont-Audemer, puis Honfleur où ils s’embarquent pour le Havre.

 

Une turgotine

 

Certes, il fallait avoir du temps à perdre pour pérégriner de cette façon ; mais elle paraissait fort commode, et même fort rapide à nos bons ancêtres : ceux qui usaient du coche d’eau devaient s’armer d’une sérénité angélique et d’une patience en désaccord apparent avec la traditionnelle impétuosité du tempérament français ; un touriste du XVIIe siècle a tenu le journal de bord de son voyage sur le coche de la haute Seine : on part du Port Saint-Paul, après trois heures de navigation et quatre lieues de parcours, escale à Châtillon, pour dîner ; dans l’après-midi, trois lieues encore ; on soupe et on couche au Coudray. Quoique les bateliers exigent des passagers qu’ils se lèvent à minuit, c’est le lendemain seulement que le bateau croise devant Melun ; le jour suivant on découvre Montereau.

A chaque pose on descend à terre ; on mange, on boit, on festoie ; dans les bousculades du rembarquement, des femmes tombent à l’eau — grande diversion ! — et les mariniers les repêchent à coups de gaffes terminées par des crocs en fer. Le dimanche, tous les passagers et tout l’équipage se mettent en quête d’une messe à entendre. Voilà comment, après une traversée de cinq jours, si le vent est bon et le flot propice, on atteint Joigny, distant de Paris de trente-cinq lieues.

Nous voilà loin de nos torpedos et de nos limousines, de nos side-cars et de nos trains-éclairs et bien entendu ce serait sottise d’entreprendre l’apologie des moyens de transport de jadis en dénigrant les merveilleuses machines d’aujourd’hui, poursuit notre écrivain ; mais est-il sûr que nos pères, au cours de leurs lentes randonnées, ne jouissaient pas plus que nous des aspects de notre France ? s’interroge-t-il.

Il est difficile de lire les impressions qui agitent les gens voyageant en automobile ; ils vont trop vite ; les lunettes des hommes, les voilettes des femmes dissimulent d’ailleurs les visages et il est rare de pouvoir distinguer, dans le tourbillon qu’on croise, autre chose que des silhouettes emmitouflées que fige la rapidité du véhicule.

Mais avez-vous remarqué combien les voyageurs des trains express ont l’air de s’ennuyer ? Bien peu « regardent par la portière » ; ils lisent, ils fument, ils somnolent, ils jouent aux cartes et si, par lassitude, ils vont se dégourdir dans le couloir du wagon, le nez aux glaces, ils contemplent d’un air consterné la fuite éperdue du ballast et le fascinant défilé des poteaux télégraphiques, sans paraître accorder un regard aux paysages incessamment changeants qui s’encadrent dans le châssis de la vitre. Aussi personne n’écrit plus d’impressions de voyage, et c’est bien dommage, déplore G. Lenotre ; s’il n’a pas au moins traversé l’Afrique ou tenté l’ascension des monts géants d’Asie, nul ne se risquerait à raconter ses aventures ; au temps passé il suffisait d’être allé de Paris à Rouen pour conter aux lecteurs les péripéties de l’excursion.

C’est que tout alors était incidents : une côte à gravir faisait événement ; le relais ménageait des surprises, ne fût-ce que le manque de chevaux ou les discussions avec le maître de poste ; l’imprévu de l’auberge, le hasard de « la couchée », les rencontres de la table d’hôte étaient autant d’amusements. Celui qui courait les chemins n’abdiquait pas toute personnalité ; il n’était pas un colis qu’on transporte et qu’on déposait en lieu convenu ; il lui fallait s’ingénier de cent manières, combiner son trajet selon ses ressources, ses goûts ; tout lui était spectacle et sujet d’émotion.

A présent tout le monde voit les mêmes choses et les voit de la même façon ; on est toujours assuré que mille autres ont effectué déjà ou effectueront dans les mêmes conditions l’itinéraire qu’on choisit entre tous ceux de la carte ou de l’indicateur. A quelqu’un qui rentre de vacances on demande : « Qu’avez-vous fait cet été ? — Les châteaux de la Loire. — Ah ! très bien, très joli. » Voilà à quoi se bornent les récits de voyage.

Plus d’inédit, plus de découvertes à faire ; tout « circuit » est classique, connu, repéré, kilométré, banal. Ne dites pas qu’on circule plus qu’autrefois, car, à lire les mémorialistes de la fin du XVIIIe siècle, on constate que leurs contemporains étaient toujours en route. Ils entreprenaient rarement de longues randonnées, mais, comme ils n’allaient ni loin, ni vite, le monde leur semblait beaucoup plus vaste qu’il ne l’est à nos yeux blasés ; ils étaient dépaysés dès qu’ils perdaient de vue leur clocher et tout était nouveau pour eux après deux heures de route.

La facilité et la diffusion des moyens de transport a beaucoup contribué, il faut le dire, à la déchéance du pittoresque ; le XIXe siècle a fait un beau rêve et un grand effort ; chacun peut, de nos jours, pour la même somme d’argent, s’offrir le même bien-être et les mêmes jouissances étiquetées suivant le tarif ; mais si nous avons cru, par là, conquérir l’égalité, nous nous sommes grandement leurrés ; c’est l’uniformité que nous léguerons à nos descendants, mal terrible, épouvantail du Français en particulier et du voyageur en général ; si, aux siècles d’avant nous, on avait la chance de traverser une ville au jour d’une fête, tout enchantait, tout surprenait, tout était particulier et « local », cavalcade ou procession, commémoration de quelque fait d’histoire régionale ou de quelque miracle des vieux âges : il y avait le Graouli à Metz, la Tarasque à Tarascon, les Feux de Saint-Jean à Bordeaux, la célèbre Fête-Dieu de Toulouse, la fameuse Foire de Juin à Agen, ailleurs fêtes pour les vendanges, fête pour les moissons, fêtes patronales des abbayes somptueuses qui, à cette occasion ouvraient toutes grandes leurs portes et exposaient leurs séculaires trésors : chaque bourgade, presque chaque village avait sa réjouissance annuelle qui ne ressemblait à aucune autre.

Hélas ! regrette G. Lenotre, cela fait songer à nos mornes fêtes de sous-préfectures dont l’invariable attraction est une manœuvre du corps des pompiers ; si la cérémonie est d’importance, il y a une tribune drapée de rouge — partout semblable — et un député — toujours pareil — et l’horrible bousculade devant les baraques, rebut de Neuilly ou du Trône, dans l’épouvantable odeur des fritures, mêlée aux gaz asphyxiants des flammes d’acétylène et le tonitruant fracas des orchestrions munichois qui rugissent de tous leurs tuyaux frémissants.

Le touriste, égaré à la recherche du pittoresque, fuit ce tintamarre redouté et gagne quelque lieu tranquille où il sait trouver, non plus la propre et plantureuse auberge, trop souvent chimérique, mais le Palace où la propreté et le confortable sont assurés et où le poursuivra le « déjà vu » : le portier solennel, le chasseur à veste rouge et à toque anglaise, le serveur en habit, la porte de glaces tournante, la salle à manger style foyer de l’Opéra, la petite table à abat-jour rose, les mêmes porcelaines, les mêmes cristaux, les mêmes menus qu’ailleurs et des convives mornes et silencieux, affectant des mines de naufragés, écrasés sous le poids de leurs déceptions de voyageurs, découragés de tant rouler pour ne rien voir que ce qu’ils ont chez eux, si bien que pour les retenir jusqu’à l’entremets, il faut qu’un orchestre joue sans répit dans un coin de la salle des airs langoureux à faire pleurer un boute-en-train de profession.

Je m’accuse, conclut G. Lenotre, d’avoir écrit naguère un volume entier sur ces choses et ceci n’est que redites où l’on aurait tort de voir une diatribe contre nos modernes façons de comprendre le voyage. Nous y avons beaucoup gagné et si l’admirable jouet qu’on nomme automobile venait tout à coup, par une catastrophe impossible, à disparaître, le monde serait en deuil de sa plus étonnante conquête ; mais nous y avons, tout de même, un peu perdu ; c’est la rançon de tout progrès ; l’important est que le bilan des bénéfices l’emporte sur celui des pertes, et il lui est de beaucoup supérieur. Qu’on n’infère donc pas de ces quelques lignes que, à mon humble avis, rien n’est bien à l’époque actuelle ; qu’on reconnaisse seulement que tout n’était point mal au temps de nos pères ; ils aimaient la France autant que nous l’aimons, et savaient prendre le temps de découvrir en elle des charmes plus intimes et plus discrets que ceux que nous préférons, dans notre désir d’aller vite et de voir sommairement.

Article d’après « Le Monde illustré », paru en 1922

 

Voyage en diligence ou malle-poste sur les grandes routes d’autrefois

 

Le temps n’est plus où nos grandes chaussées étaient sans cesse animées par les diligences, les malles-postes, les voitures de poste et le roulage, conduites à grand bruit de feu sur le pavé, de grelots et de claquements de fouet. Au début du XXe siècle, demeuraient certes çà et là quelques spécimens de ces antiques messageries, mais c’est seulement dans les Alpes et en Auvergne que l’on pouvait encore se payer le luxe archaïque de voyages nocturnes, sur les grandes routes, au bruit berceur des grelots, sans le côté pittoresque des attelages nombreux, des postillons en selle et de leur costume éclatant.

Jadis, tout le monde pouvait prendre place dans les malles-postes. Il fallait avoir au moins 80 km à parcourir ou le quart du trajet de la voiture quand celle-ci accomplissait moins de 320 km. Cependant on pouvait être accepté pour un trajet plus court lorsqu’on n’avait pas de bagage. Si le voyageur ne faisait pas au moins le quart de la route, il n’était admis que s’il n’y avait pas de voyageur faisant un parcours plus étendu. Les enfants payaient place entière.

Le prix de la place était de 1fr.75 pour 10 km. On payait la moitié, à titre d’arrhes, en se faisant inscrire ; le reste, le jour du départ. La franchise de bagages était de 25 kg ; on ne pouvait pas emporter plus de 5 kg d’argent monnayé. Une fois tout cela réglé, on courait le pavé du roi, à la condition de ne s’arrêter qu’aux endroits fixés par le livre de poste, et pour une durée également déterminée. Une fois en route, on allait-relativement vite, car la malle-poste primait tout ; on ne pouvait relayer, avec sa voiture, louée ou personnelle, tant que la malle n’était pas servie.

 

Diligence

 

Voyons, maintenant, comment voyageait la catégorie de gens qui, ne pouvant user de la malle et faisant fi des voitures publiques, se faisaient conduire « en poste ». En poste, c’était avoir une voiture à soi ; il y avait les chaises ou calèches, pouvant contenir de une à trois personnes ; les petites calèches, où l’on pouvait être deux. Une deuxième division comprenait les limonières, voitures fermées, coupés et calèches avec brancard ; la troisième division comprenait les berlines, voitures à deux fonds pouvant contenir une, deux, trois ou quatre personnes, cinq à la rigueur.

La première division avait de deux à trois chevaux, la deuxième en comportait trois, la troisième quatre ou six. Le prix à payer était de 2 francs par cheval ; à cette somme, il fallait ajouter 2 francs par tranche de 10 km et par postillon ; à partir de quatre chevaux, on avait deux postillons.

Nous voici donc avec notre calèche ou notre berline. On peut se mettre en route lorsque tout est réglé avec l’important personnage que l’on appelle maître de poste, lequel n’a ni le droit de nous imposer un itinéraire quand il y a deux routes, ni celui de nous indiquer une auberge. L’autorité tutélaire vous laisse la faculté de prendre gîte où vous voulez. Dans la réalité, il semble que maître de poste et postillon ne se privaient pas de louer le Grand Turc au détriment du Lion d’Or.

Une fois parti, on allait de relais en relais où l’on trouvait des chevaux quand les courriers ou le service de l’Etat ne les avaient pas pris. Il fallait attendre son tour pour avoir un attelage, et on n’obtenait celui-ci que lorsque l’on avait un passeport bien en règle.

La voiture court, mais voici une une côte rude. Il faudra un cheval de renfort, ci, 2 francs encore par tranche de 10 km, même si le maître de poste ne fournit pas ce cheval sous prétexte qu’il a mis des bêtes plus vigoureuses. Mais le voyageur a le droit de toujours exiger ce renfort pour certains types de voiture.

On n’en a pas fini avec les taxes supplémentaires. A l’entrée de certaines villes ou à à la sortie on impose des distances supplémentaires, fictives quant au parcours accompli, et réelles quant au paiement. De plus, on est taxé de 8 km en plus à l’entrée ou à la sortie des lieux où le roi a fixé sa résidence. Si l’on est pris à l’entrée d’une ville après la fermeture des portes, on doit 75 centimes par postillon et par cheval, car l’on doit coucher hors de l’enceinte.

S’il était défendu de donné des pourboires, l’usage en florissait quand même. Quand on était pressé, on prenait un avant-courrier, c’est-à-dire un homme à cheval qui marchait 10 km en avant pour faire préparer le relais.

Pour aller de Paris à Bordeaux il y avait 53 relais sur les 562 km du trajet. On peut calculer combien coûtait un tel voyage sans parler des kilomètres fictifs et des renforts. Il est facile de juger ainsi du temps mis à accomplir le trajet que les automobiles font d’une façon si fantastique.

Le service des postes était un monopole. Maîtres de poste et postillons étaient en réalité des fonctionnaires. Nul ne pouvait conduire des voyageurs sur les routes en dehors d’eux, sinon les conducteurs de pataches ou carrioles qui voyageaient à la journée sans relayer. Ils n’avaient pas le droit de prendre d’autres chevaux, quand les leurs étaient fatigués. Exception était faite pour les voitures publiques partant à jour et à heures fixes, et dont les services étaient annoncés par affiches.

Les chevaux et les postillons avaient une poésie présente encore à quelque mémoire voici plus d’un siècle par l’air célèbre du Postillon de Longjumeau :

Quand il passait par le village
Tout le beau sexe était ravi
Oh ! Oh ! Oh ! Oh !
Qu’il était beau !
Oh !
Le postillon de Longjumeau.

Article d’’après « Le Petit Journal », paru en 1903

 

Voyage risqué des messagers ordinaires parcourant la France au XVIe siècle

 

Il y avait au XVIe siècle, en dehors du service des postes organisé depuis Louis XI, des courriers qui portaient le titre de messagers ordinaires et qui faisaient, d’une ville à l’autre, la route à franc étrier. Bottés, éperonnés, et toujours fort bien armés, ce qui ne les empêchait pas d’être fréquemment dévalisés…

Il n’est pas rare, lorsqu’on fait à certains visiteurs les honneurs des archives de la Gironde, de les entendre se récrier à la vue des innombrables minutes de notaires des XVe et XVIe siècles qui garnissent l’une des salles de ce magnifique dépôt, et demander tout bas, à leurs voisins, à quoi peuvent servir tous ces vieux papiers.

Grand est leur étonnement d’apprendre qu’il n’est pas un de ces registres, noircis par le contact de l’air, qui ne cache, sous son enveloppe de parchemin ratatiné et grimaçant, les renseignements les plus précieux pour l’histoire de Bordeaux, pour celle de la province et souvent pour l’histoire générale ; que ces contrats qui commencent tous par la même phrase, et qu’on croirait renfermer à peu près les mêmes formules, sont remplis de détails intéressants pour tous ceux qui s’occupent de recherches sur le commerce, l’industrie, les corporations, la noblesse, la bourgeoisie ou les mœurs, dans ces siècles déjà si loin de nous ; qu’il y a là, enfin, les anecdotes les plus piquantes du monde, et souvent les dessins les plus bizarres et les plus capricieux.

Ainsi s’exprime Ernest Gaullieur en 1867, dans la Revue d’Aquitaine au sein de laquelle il essaye alors de donner à ses lecteurs une idée de ce que peut renfermer un acte par devant notaire. En voici un, qui est extrait des minutes de Me Themer, dont l’étude, ou plutôt la boutique, comme on disait alors, était ouverte à Bordeaux, sous Charles IX : il porte la date du 28 mai 1566.

Coiffés d’un chapeau à chevaucher, les messagers ordinaires traversaient la France, voyageant le jour, se reposant la nuit, et rendant à la bourgeoisie et à la noblesse, pendant cette époque si agitée, de fort utiles services, malheureusement trop restreints, comme on peut le comprendre.

Derrière le cavalier était attaché, par des courroies, un long manteau roulé, destiné à le préserver en cas de pluie ; à l’arçon de la selle pendaient, d’un côté, un petit tonnelet garni de vin ou de piquette ; et de l’autre, une petite malle en cuir ou en fer, appelée bougette, qui pouvait renfermer les quelques paquets et objets d’un petit volume dont se chargeait le courrier.

Ces objets devaient être rendus dans un délai fixé d’avance, et il n’est pas rare de rencontrer des sommations faites par devant notaire au « messager ordinaire de Bordeaux à Paris » pour avoir dépassé le délai de vingt-un jours. Dans l’acte dont il s’agit, il est question d’un « cheval de poil bay », ou, comme on disait plus souvent, d’un cheval bayart. C’est par centaines que, dans les minutes déposées aux archives de la Gironde, on compte les ventes de chevaux. Voici comment y sont désignées leurs robes en langage du temps : bayart (bai) ; bayart obscur (bai brun) ; moreau (marron) ; rouan ; poil de loup ; poil de rat ; aubyn (haquenée de poil noir) ; grison ; et grison moucheté (gris pommelé).

Quant aux prix, ils varient de 5 à 30 écus d’or, pour la première moitié du XVIe siècle ; la selle et la bride sont généralement comprises dans le marché. Ces prix sont considérables pour l’époque, et prouvent que les chevaux étaient alors fort rares et très recherchés. J’en viens maintenant au récit contenu dans l’acte, récit parsemé de détails de la plus grande naïveté, poursuit Gaullieur :

Martin Piconnet, messager de Bordeaux à Paris, raconte que, venant de cette dernière ville, et passant par celle d’Amboise, où il arriva le vingtième d’avril, sur les onze heures du matin, « conduysant ung cheval de poil bay ayant crain, aureilhe et queuhe, qui lui avait esté bailhé en la ville de Paris par Me Guillaume Peyrault, procureur au Parlement », pour l’amener à Bordeaux, il dut se loger dans les faubourgs, « au logis où pend pour enseigne la Teste noire. »

S’étant aperçu que le cheval dont on lui avait donné la charge était harassé, malade, et dans l’impossibilité de continuer sa route, il demanda à l’hôte s’il voulait s’en charger pour quelque temps, ce que celui-ci accepta, au prix, convenu entre eux, de 4 sols tournois par jour pour la nourriture et l’entretien de l’animal. Selon l’habitude, il fut arrêté que ces conditions seraient spécifiées dans un contrat, pour lequel on se mit en quête d’un tabellion. Sans doute, l’heure était mal choisie, car tous ceux chez lesquels l’hôte se présenta se trouvaient à table. Tous deux s’en retournèrent donc, et passèrent « par dessus la rivière. »

Arrivés sur le quai, Piconnet, « voyant une haquenée noire que illec on abreuvait, auroit dict à l’hoste que le soir précédent il avoit veu la dicte haquenée à Blois, en ung logis, qu’il estoit si lasse, qu’elle avoit laissé l’avoyne pour soy coucher. »

Sur quoi, l’hôte ayant réfléchi qu’il y avait en face de son logis, et de l’autre côté de la rue, un notaire nommé Huissier, y conduisit Piconnet, « lequel ils trouvèrent qui disnoit et mangeoit d’une alose bouillie. — Aussitôt mon dîner terminé, leur dit-il, je me rendrai dans votre logis pour y passer l’acte. »

Dès qu’il fut arrivé, flanqué « d’un sien garson, » tous ceux, suivis de l’hôte, de sa femme et de Piconnet, passèrent dans une salle attenante à la cuisine ; les conditions convenues furent mises par écrit, et Piconnet s’engagea à venir reprendre son cheval dans le délai de trois semaines. L’hôtesse s’étant récriée sur le prix fixé pour la nourriture du cheval, et trouvant que 4 sols par jour étaient une somme insuffisante, Piconnet déclara qu’il ne donnerait pas davantage, et qu’il allait seller sa bête.

L’hôte fit observer que le cheval de Piconnet était plus vieux que le sien, qui était attaché auprès de lui. La chose ayant été contestée, la compagnie se rendit à l’écurie pour vérifier le fait. Enfin, l’hôtesse ayant donné son consentement, le contrat fut signé et fait en double. L’hôte s’engagea à ne remettre son pensionnaire qu’à la personne qui se présenterait au nom de Piconnet, et munie de l’acte notarié revêtu de sa signature.

L’hôtesse, remise en belle humeur, remplit gracieusement la « petite cuge [tonnelet] de vin » que portait ordinairement Piconnet, qui dit adieu à l’hôtellerie d’Amboise vers une heure de l’après-midi, n’ayant, par conséquent, passé que deux heures dans cette ville. Tout alla bien jusqu’à Cognac ; malheureusement, en partant de là, le samedi 26 mai, il fut attaqué par huit voleurs, qui, après l’avoir « baptu et mourtry », lui prirent l’or, l’argent et les papiers dont il était porteur, et lui enlevèrent l’acte passé à Amboise par Me Huissier.

C’est pourquoi, craignant que l’hôte de la Tête noire ne refusât de livrer le cheval sans cette pièce indispensable, Piconnet donne sa procuration à un nommé Micheau Peyranel et le charge de ramener sa monture à Bordeaux. On comprend maintenant l’utilité de tous les détails, puérils, en apparence, dont l’acte passé à Bordeaux est émaillé.

Piconnet craignant, à juste titre, que l’hôte de la « Teste noire » ne voulût pas rendre le cheval à Micheau Peyranel, puisque celui-ci ne lui présentait pas l’acte signé par lui, Piconnet, et fatalement enlevé par les voleurs, essayait de le convaincre que la réclamation était faite en son nom, en lui rappelant les moindres détails de son passage à Amboise et jusqu’aux propos insignifiants qu’ils avaient échangés pendant le cours de leurs pérégrinations dans les rues de cette ville.

On a vu ce que coûtait, au XVIe siècle, l’entretien d’un cheval : quatre sols tournois. Voici, à titre de comparaison, le prix des denrées et des comestibles de l’époque, extrait des titres de la maison noble de Puypaulin. En l’année 1549, on payait dans une hôtellerie, aux environs de Bordeaux : un levraut, 5 sols ; une douzaine d’œufs, 1 sol ; une livre d’huile, 3 sols ; un pâté d’anguilles, mets fort à la mode à cette époque, 18 deniers ; un pâté de lièvre, 2 sols ; un jambon, 5 sols ; un chapon, 5 sols ; un chevreau, 12 sols ; un pot de vin, 1 sol ; une paire de souliers coûtait 8 sols ; et un fer de cheval, 1 sol seulement.

Au mois d’août de cette même année 1549, le comte de Foix se rendit à Paris, voyageant avec sa suite à petites journées ; le premier soir, on partit de Cadillac et on alla coucher à Brames ; dans la note des dépenses qui furent faites dans cette localité, nous voyons figurer cet article : « Pour le couchage de vingt et un chevaux à 4 sols par cheval, 4 livres 4 sols, » prix qui concorde bien avec celui payé par Piconnet.

A son départ de l’hôtellerie, le comte de Foix, l’un des plus grands seigneurs de France, donne généreusement « deux sols » pour les valets et les servantes de la maison. Disons, en terminant, que si les messagers étaient de temps à autre dévalisés par les voleurs, ils servaient aussi parfois à les faire arrêter.

Par un acte du 14 mai 1639 (Archives de la Gironde), Marguerite de Jean, damoiselle, femme de Jean de Lalande, écuyer, sieur de Bardis, donne procuration à Jean Lézian, « messager de Bordeaux » pour faire arrêter à Paris Jean du Gay, valet de chambre de son fils, François de Lalande, écuyer, à cause « d’un vol et larcin » commis par lui au préjudice de ladite dame « tant en or, argent et meubles de grand valeur jusques à la concurrence de vingt mille livres. »

Sources : (D’après « Revue d’Aquitaine », paru en 1867)

 

Quand le train arrive ….

 

L’âge des pataches

 

Lents voyages, assurément. Pataches, diligences et cabriolets ne mènent pas le rain d’enfer de nos rapides ou de nos autocars. Ils vont au petit trot de leurs chevaux, par des routes cahoteuses et ravinées. Il faut à cette époque dix-huit heures pour aller à Rouen par la diligence qui part le soir, à 5 heures, de la rue Notre-Dame-des-Victoires. Onze jours pour atteindre Barèges. Le Courrier de Lyon, de célèbre mémoire, met une semaine, quand il n’est pas dévalisé chemin faisant.

Ce qui n’empêche pas Victor Hugo de trouver que la chaise de poste est « chose étincelante et rapide ». Le chemin de fer, qu’Alfred de Vigny compare à un « taureau de fer soufflant et beuglant », n’en est encore qu’à ses débuts. Arago vient de s’opposer à la construction du tunnel de Saint-Cloud, sur la ligne Paris-Versailles, sous prétexte que « les tunnels risquent de donner aux voyageurs des fluxions de poitrine, des pleurésies et des catarrhes ».

 

Patache à Valence

 

On voyage donc à petites journées. Sur la grande route, à chaque relais, les aubergistes affairés rudoient leurs garçons d’écurie et leurs filles de cuisine, lorsque la diligence arrive dans un grand bruit de ferraille. On s’attable, parfois en hâte. Car la tyrannie du conducteur écourte de temps en temps le bon dîner — potage, quatre plats, dessert et vin — qui coûte deux francs dans les meilleurs hôtels de Normandie. Le comédien Samson paye deux sous une huître « pied de cheval », si énorme qu’elle fait l’essentiel de son souper. L’usage est alors de donner au garçon un sou par franc de pourboire, deux sous si l’on s’est fait servir en dehors de la salle commune.

On repart. Et si quelque accident de route survient, la seule ressource est d’attendre le passage d’une autre voiture.

 

Dans ces extraits des voyages de Madame de Sévigné qui eut souvent l’occasion de faire le voyage entre Paris et son château de Grignan nous permet  » d’apprécier  » les voyages au XVIIe siècle .

 

À l’époque qui nous intéresse, c’est à dire vers 1680, ce voyage a priori anodin est loin d’être une sinécure! Jugez plutôt: la distance par la route est de 156 lieues et demie (1 lieue étant égale à 3898 mètres, ce qui nous donne une distance de 610 kilomètres) et il faut à la Marquise entre 12 et 15 jours pour effectuer le voyage… Madame de Sévigné n’aimant pas se déplacer les mains vides, son déplacement prend des airs de véritable expédition! Ses lettres regorgent de détails sur ses déplacements:

« Je vais à deux calèches, j’ai sept chevaux de carrosse, un cheval de bat qui porte mon lit, et trois ou quatre hommes à cheval : je serai dans ma calèche, tirée par mes deux beaux chevaux ; l’abbé sera quelquefois avec moi. Dans l’autre, mon fils, la Mousse, et Hélène ; celle-ci aura quatre chevaux, avec un postillon (…) » …

……

… Et puis, tous ces voyages supposent de nombreux arrêts au hasard des relais de poste où fleurissent les auberges. Ainsi, lorsque la marquise traverse le Gâtinais, soit pour prendre les eaux à Vichy ou à Bourbon, soit pour rejoindre Mme de Grignan en Provence, elle écrit tour à tour de Moret, Nemours, Montargis, Briare, Gien ou Joigny selon les circonstances et le trajet suivi.

Quant à la route empruntée pour joindre Paris à la Méditerranée, elle pouvait bien sûr varier, ponctuée qu’elle était souvent d’étapes, tant à l’Est qu’à l’Ouest, chez les amis de passage. Mais en principe, les trajets détaillés et l’en-tête des lettres à la ville étape nous permettent de situer la présence de Mme de Sévigné avec une certaine précision sur les principaux chemins qui conduisaient vers le Sud. L’un rejoignait la Loire, via Montargis, et de Briare se dirigeait vers Nevers et Moulins, à moins que l’on n’empruntât ensuite le coche d’eau. L’autre, plus à l’est, passait pas Sens, Joigny, Auxerre, Autun, Châlon-sur-Saône et Lyon: Mme de Sévigné pratiquait alors « les chemins de Bourgogne ». De Lyon, on pouvait naviguer sur le Rhône. Valence et Montélimar étaient parmi les principaux arrêts. De Paris à Grignan, il y avait 156 lieues et demie (La lieue de Poste valait 3 898 m ). Douze à quinze jours étaient nécessaires pour accomplir le voyage.

Les différentes étapes de Mme de Sévigné nous sont restituées au fil de la correspondance. Chacune d’entre elles est ponctuée d’un mot: « je vous écrirai de tous les lieux où je passerai », promet-elle à sa fille, la veille de son départ pour Vichy en 1676. Lors du retour, à une lettre du 24 juin envoyée de Briare succède un billet écrit à Nemours le 26, dans lequel les haltes de la marquise sont précisément exprimées: « Mes chevaux témoignèrent hier qu’ils seraient bien aise de se reposer à Montargis; nous y fûmes le reste du jour. Nous y étions arrivées à huit heures (…). Nous allons ce soir coucher à la capitainerie de Fontainebleau ». C’est, semble-t-il, le trajet-type, en cette seconde moitié du siècle, conduisant de Paris vers le Centre ou la Provence, étant entendu que l’on pouvait passer d’une route à l’autre et qu’au gré de son humeur et de l’accueil, Mme de Sévigné usait à loisir des diverses variantes possibles.

Quel que soit le chemin emprunté et en fonction des routes suivies, parmi les villes et villages de cette région auxquels fait allusion la correspondance de Marie de Rabutin-Chantal, il en est quelques-uns qui reviennent obstinément et durent marquer plus profondément la marquise. Fontainebleau, Montargis, Gien et Briare retiendront particulièrement notre attention.

Fontainebleau – parce que la Cour s’y déplace, que Charles, son fils, y figure et surtout parce qu’elle y accompagne ou rejoint sa fille lors d’un voyage Paris-Grignan – occupe une place privilégiée dans les lettres de la marquise. Il arrive à Mme de Sévigné de coucher « à la capitainerie de Fontainebleau », partie du château destinée à l’habitation du capitaine des chasses, alors Saint-Hérem, qui fut son compagnon de cure, ne serait-ce que pour oublier une précédente halte à l’hôtellerie du « Lion d’Or », douloureux souvenir d’une récente séparation. Nulle allusion à la traversée de la forêt, contrairement à S. Locatelli, prêtre italien qui, à la même époque, dans une savoureuse relation de voyage de Bologne à Paris, en 1664, écrivait: « nous eûmes grand peur des brigands en traversant l’épaisse forêt qui entoure Fontainebleau (…) nous eûmes le pistolet à la main pour faire les trois postes de la forêt qui n’en finissaient pas ». La beauté de cette futaie ne lui inspire non plus aucun lyrisme particulier. Pourtant, son contemporain Boisrobert – pour ne citer que lui – consacre une épître à la forêt du voyageur on ne peut plus élogieuse…

… Ce même billet, envoyé de Nemours, nous apprend que la marquise voyage de nuit: « nous marchons quasi toute la nuit » remarque-t-elle. Aussi bien avait-elle annoncé, dès l’abord : « Je défie votre Provence d’être plus embrasée que ce pays ». Si la chaleur incommode la voyageuse, Si les chevaux sont particulièrement fatigués, c’est que les routes étaient le plus souvent en mauvais état. Elie Berthet, dans Le Cadet de Normandie écrit à ce sujet: « Vers le milieu du XVII, siècle, les voies de communication, même aux approches de la capitale, étaient si mal entretenues et si peu sûres que l’on ne doit rien trouver d’extraordinaire dans cette tradition parvenue jusqu’à nous, qu’avant de partir de Lyon pour Paris, l’on croyait devoir faire son testament. La plupart (des chemins) n’étaient point pavés, et les ornières et la boue les rendaient presque impraticables dans la mauvaise saison; les rivières se passaient à gué d’ordinaire malgré les inondations ». S’ensuit une description quasi-apocalyptique des conditions de voyage : traversées de fleuves, qualité des chevaux, accueil des auberges ne trouvent nullement grâce aux yeux de l’auteur. Quant aux risques d’attaques, il rejoint sur ce point Locatelli dont nous avons précédemment évoqué le récit. Cependant, rien de tel dans les lettres de Mme de Sévigné concernant la traversée du Gâtinais, du moins. Si elle conte, de ci de là, un incident, voire un accident de parcours, telle cette versade qui la conduisit par deux fois dans un étang avec son cousin Coulanges en juillet 1685, c’est en un autre lieu. Il semble, au contraire, qu’elle ait hautement apprécié, relativement peut-être, la traversée de la région. « J’ai toujours marché (de Villeneuve-Saint-Georges à Joigny) par le plus beau temps, le plus beau pays et le plus beau chemin du monde. Vous me disiez qu’il était d’hiver quand vous passâtes; il est devenu d’été et d’un été le plus tempéré qu’on puisse imaginer ». Il est vrai que ces propos sont tenus à un moment béni: Mme de Sévigné rejoint sa chère fille en Provence et la perspective de la revoir, ajoutée à la belle saison, rend la marquise euphorique, et le voyage tellement plus agréable! On se souvient encore de l’appréciation très favorable inspirée par les paysages du Gâtinais. Ne glisse-t-elle pas néanmoins, dans la lettre précitée, l’assertion suivante: « Tout mon déplaisir, c’est que l’hiver, les chemins sont une autre affaire » ? Mme de Sévigné, comme la plupart des voyageurs au XVIIe siècle, préférait la voie d’eau, principalement la Loire.

Comment la marquise voyageait-elle lorsqu’elle empruntait les chemins du Gâtinais ? Une lettre de 1672 nous donne une idée assez précise de son équipage, des plus luxueux: « Je vais à deux calèches, j’ai sept chevaux de carrosse, un cheval de bât qui porte mon lit, et trois ou quatre hommes à cheval; je serai dans une calèche tirée par mes deux beaux chevaux; l’autre aura quatre chevaux avec un postillon ». Ailleurs, elle parle d’un grand carrosse à six chevaux escorté par deux, trois ou quatre hommes à cheval. Le vicomte G. d’Avenel nous propose cette description du carrosse qui, à quelques détails près, était celui de Mme de Sévigné dans sa traversée de la région montargoise: « dans le fond, des appuis de crin, les « custodes », amortissaient les cahots; sur les côtés, des « mantelets » de peau s’abattaient en guise de glaces (…). Des montants sculptés portaient un ciel de bois drapé d’étoffe -« l’impériale » – auquel s’attachaient des parements de cuir, les « gouttières », qui empêchaient l’eau de tomber à l’intérieur. Enfin, au corps de la voiture, était attachée, en guise de frein, une chaîne de fer qui servait à enrayer les roues dans les descentes ». Mme de Sévigné vante de temps en temps les mérites de son équipage; en témoigne ce mot, de Joigny: « mon cocher est un homme admirable; j ‘aime mieux une de ses moustaches que tout votre Lombard. Nos chevaux sont fringants ».

Mais il fallait parfois, vu l’état des routes, renoncer aux roues pour adopter la litière. En 1676, lorsqu’à l’automne, Mme de Grignan se propose de rejoindre sa mère à Paris, elle prend la litière de Lyon à Roanne, puis emprunte la rivière jusqu’à Briare. La voyageuse est assise ou allongée en une sorte de chaise à porteurs, assez spacieuse, soutenue entre deux brancards portés par des mulets qui agitent, en marchant, leurs sonnettes…

……

… Les hôtelleries, de plus en plus nombreuses, devinrent donc prospères à Montargis au cours du XVIIe siècle et le quartier de la Chaussée, où s’effectuait l’arrivée de Paris par la Porte du Loing, fut le grand bénéficiaire de cette mutation, vers la fin du siècle, lorsque la traversée de la ville se fit par la rive droite du Loing.

Parmi les établissements les plus huppés, ceux qui étaient susceptibles de recevoir une dame de la société telle que Mme de Sévigné, citons seulement l’Escu de France, le Croissant, la Corne de Cerf à la Chaussée, la Magdeleine ou la Petite Forest, situés à l’opposé, faubourg de Lyon, peut-être encore l’Hôtellerie du Chapeau Rouge de la rue aux Moines (rue Dorée) ou l’auberge de la Crosse, dans la Grande Rue, considérée comme l’une des plus riches, des plus confortables. Un chercheur local, M. G. Leloup, qui a particulièrement étudié le sujet, nous propose ce croquis de l’hôtellerie montargoise telle que l’a vue Mme de Sévigné: « nous connaissons tous la grande salle avec sa vaste cheminée et sa table d’hôte où les clients prenaient tous ensemble leurs repas. Dans les chambres étaient disposés plusieurs lits et les voyageurs devaient souvent partager leur couche avec des inconnus, inconvénient mineur comparé à celui causé par les puces et punaises, toujours présentes en ces lieux. Dans les écuries souvent très grandes (celles de l’Hôtellerie de l’Ange à Montargis, adossées au futur collège des Barnabites pouvaient en contenir trois cents), les chevaux n’étaient guère mieux traités que leurs maîtres, et les rations étaient distribuées avec parcimonie « . Quant au prix, les bons hôtels montargois d’alors coûtaient environ sept francs.

…….

Sources : https://gatinais-histoire.pagesperso-orange.fr/

 


Pataches Barjols-Brignoles (Var)

 

Les Coches : ancêtre du XVIIe siècle des carrosses et autres diligences

(D’après « Bulletin de la Société de l’histoire de Normandie », paru en 1887)

 

Il existait, au XVIIe siècle, un service régulier de voitures qui avait nom « les Coches » : il s’agissait d’une modeste « carriole couverte en forme de coche », qui s’y reprenait à deux fois pour faire le trajet entre la capitale de la Normandie et celle du royaume. Mais qu’était le coche lui-même ? On l’ignorait jusqu’à la découverte d’une lettre fort curieuse, due à la célèbre Mlle de Scudéry, à l’occasion d’un voyage de Paris au Havre.

Dans une seconde édition des Anecdotes normandes (1886), Charles de Beaurepaire livra sur ces « Coches » les détails suivants : « Le 16 février 1646, Fleurent Dupray, maître des coches de Rouen à Paris, avait baillé à louage pour 8 ans, par le prix de 150 l. par an, à Antoine Le Maistre, de Magny, le droit d’une carriole couverte en forme de coche pour aller de Magny à Rouen et de Paris à Magny, qui partirait de Magny le mercredi de chaque semaine et de Paris le vendredi, pour porter personnes, hardes et marchandises, et serait attelée de bons chevaux pour le service public. » Tabellionage de Rouen, Meubles, Ibid., p. 365.

Il existait donc, en 1646, un service régulier de voitures entre Rouen et Paris, qui avait nom « les Coches », et dont Fleurent Dupray était le maître. Un précieux témoignage est une lettre de Mlle de Scudéry, que sa naissance rattachait à la Normandie, et qui se rendait de Paris au Havre, sa patrie, en passant par Rouen, en 1644, deux ans avant la concession ci-dessus. Elle avait alors 37 ans, et, arrivée à Rouen par ce coche de terre, elle y écrivait, le 5 septembre, une lettre adressée à Mlle Robineau, bourgeoise de beaucoup d’esprit, habitant le Marais, fort avant dans la confiance et dans l’intimité de Mlle de Scudéry. Aussi le portrait de cette amie figure-t-il dans son Grand Cyrus, sous le nom de Doralise.

Découverte par Victor Cousin, parmi les manuscrits de Conrart, cette lettre forme un Appendice de sa curieuse étude : La Société française au XVIIe siècle d’après le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry. L’auteur faisait le voyage en compagnie de son frère, et elle en raconte agréablement les détails, en y joignant le portrait de ses compagnons. Voici cette lettre, additionnée de quelques notes explicatives.

Mademoiselle de Scudéry à Mademoiselle Robineau

« Mademoiselle,

« Je m’étonne assez que vous, qui n’aimez guères les nouvelles et qui ne voyez jamais les relations de Renaudot [Théophraste Renaudot, le fondateur de la Gazette de France, en 1631], ayez souhaité que je vous en fisse une de mon voyage, qui sans doute n’a rien de si remarquable ni de si beau que le siège de Gravelines, ni que l’action de M. d’Enguien [les journées de Fribourg, 3, 5, 9 août, et la reddition de Spire, 29 août 1644. La conquête de Gravelines avait eu lieu le 28 juillet, par le duc d’Orléans]. Néanmoins, puisque vous le désirez, il faut vous obéir et contenter votre curiosité par un fidèle récit de tout ce qui m’est arrivé.

« Je ne m’arrêterai pas toutefois à vous dépeindre exactement la magnificence de mon équipage, quoiqu’il y ait sans doute quelque chose d’assez agréable à s’imaginer que les chevaux qui traînent le char de triomphe qui me portait étaient de couleurs aussi différentes que celles qu’on voit en l’arc-en-ciel : le premier était bai, le second était pie, le troisième alezan, et le quatrième gris pommelé ; et tous les quatre ensemble étaient tels qu’il les faudrait à ces peintres qui aiment à faire paraître en leurs tableaux qu’ils sont savants en anatomie, n’y ayant pas un os, pas un nerf ni pas un muscle qui ne parût fort distinctement au corps de ces rares animaux [Dupray, le maître du coche, en exigeant de son concessionnaire Le Maistre que « la carriole serait attelée de bons chevaux », ne prêchait pas d’exemple].

« Leur humeur était fort docile, et leur pas était si lent et si réglé qu’il n’y a point de cardinaux à Rome qui puissent aller plus gravement au consistoire que je n’ai été à Rouen. Aussi vous puis-je assurer que le cocher qui les conduisait a eu tant de respect pour eux pendant le voyage que, de peur de les incommoder, il a quasi toujours été à pied. Ce n’est pas qu’il n’y ait lieu de croire qu’il en usait aussi de cette sorte pour se divertir et pour nous désennuyer ; car je puis vous dire sans mensonge qu’il aime trop la conversation, et que de toute la compagnie lui et moi n’étions pas les plus désagréables.

« Mais, pour vous apprendre de quelles personnes cette compagnie était composée, vous saurez qu’il y avait avec nous un jeune partisan [nom donné anciennement à celui qui faisait des partis ou sociétés pour la levée de certains impôts. Le public les voyait d’un mauvais œil], déguisé en soldat pour cacher sa profession, dont le manteau d’écarlate à gros boutons d’or, les grosses bottes et les grands bas ne convenaient pas trop bien à l’air de son visage ; car enfin, avec tout l’appareil d’un chevau-léger ou d’un filou, il ressemblait très fort à un solliciteur de procès.

« Auprès de celui-ci était un mauvais musicien, qui, craignant de mourir de faim à Paris, s’en allait demander l’aumône en son pays ; et quoique plusieurs personnes eussent beaucoup contribué à son habillement, il ne lui en était pas plus propre. Le chapeau qu’il portait ayant, à ce que je crois, été autrefois à M. de Saint-Brisson, lui tombait sur le nez à cause de la petitesse de sa tête. Son collet ressemblait assez à un peignoir, son pourpoint était à grandes basques, et ses chausses approchaient fort de celles des Suisses. Enfin, plus d’un siècle et plus d’une nation avaient eu part à cet habit extraordinaire.

« La troisième personne de cette compagnie était une bourgeoise de Rouen qui avait perdu un procès à Paris, et qui se plaignait également de l’injustice de ses juges et de la fange des rues [seize ans plus tard, en 1660, le « grand tas de boue » des Embarras de Paris ne sera point une fiction poétique de Boileau. C’est en 1666 seulement que le conseil de police, organisé par Colbert, s’occupera de la propreté des rues de Paris, sous la direction de Pussort, et avec le concours de La Reynie, pour lequel il créa, en 1667, la charge de lieutenant de police ].

« La quatrième était une épicière de la rue Saint-Antoine, qui, ayant plus de douze bagues à ses doigts, s’en allait voir la mer et le pays, pour parler en ses termes. La cinquième, tante de celle-là, était une chandelière de la rue Michel-le-Comte, qui, poussée de sa curiosité, s’en allait avec elle voir la citadelle du Havre. La sixième était un jeune écolier, revenant de Bourges prendre ses licences, et se préparant déjà à plaider sa première cause. La septième était un bourgeois poltron qui craignait toute chose, qui croyait que tout ce qu’il voyait était des voleurs, et qui n’apercevait pas plutôt de loin des troupeaux de moutons et des bergers qu’il se préparait déjà à leur rendre sa bourse, tant la frayeur décevait son imagination.

« Le huitième était un bel esprit de Basse-Normandie, qui disait plus de pointes que M. l’abbé de Franquetot [Jacques de Franquetot, abbé d’Hambie, riche abbaye au diocèse de Coutances, né en 1626, mort en 1664] n’en disait du temps qu’elles étaient à la mode, et qui, voulant railler toute la compagnie, en donnait plus de sujet que les autres. La neuvième était mon frère [Georges de Scudéry, poète et auteur dramatique, plus célèbre par ses rodomontades que par son mérite littéraire, bien inférieur à celui de sa sœur Madeleine], dont j’allais vous dépeindre, non pas la mine, la profession ni les habillements, mais les chagrins et les impatiences que lui donnait une si étrange voiture, s’il n’eût retranché une partie de mon histoire en obtenant de ma bonté de ne vous en dire rien.

« Une si belle assemblée doit sans doute vous persuader que la conversation en était fort divertissante. Le partisan, quoique se voulant cacher, en revenait toujours au sol pour livre. Le musicien, quoique plus incommode par sa voix que le bruit des roues du coche, voulait toujours chanter. La bourgeoise qui avait perdu sa cause ne faisait que des imprécations contre son rapporteur. L’épicière, curieuse de voir le pays, dormait tant que le jour durait, excepté quand il fallait dîner ou descendre des montagnes. La chandelière ne pouvait se lasser d’admirer le plaisir qu’elle aurait de voir dans les magasins de la citadelle une quantité prodigieuse de mèches qu’elle jugeait y devoir être, vu le nombre de mousquets quelle avait ouï dire qu’on y voyait. Tantôt elle souhaitait d’en avoir autant dans sa boutique, tantôt que ce fût elle qui la vendît à cette garnison.

« Enfin on peut quasi dire que nous sortîmes du coche fort honorablement, c’est-à-dire tambour battant par la voix de notre musicien, et mèche allumée par notre chandelière, qui, tant que nous marchâmes de nuit, eut toujours une chandelle à la main pour nous éclairer dans le coche. Pour le jeune écolier, il ne parlait que de droit écrit, de Coutumes et de Cujas. D’abord, je crus que ce garçon déguisait ce nom, et que c’était de feu Cusac [des du Douhet, famille d’Auvergne, sont sortis les seigneurs de Marlac, de Romanange, de Cussac et de Dauzer] qu’il voulait parler, quoique ce qu’il en disait ne convînt pas ; mais je sus enfin que Cujas était un ancien docteur jurisconsulte, que cet écolier alléguait sur toutes choses.

« Si l’on parlait de guerre, il disait qu’il aimait mieux être disciple de Cujas que soldat ; si l’on parlait de voyages, il assurait que Cujas était connu partout ; si l’on parlait de musique, il disait que Cujas était plus juste en ses raisonnements que la musique en ses notes ; si l’on parlait de manger, il jurait qu’il aimerait mieux jeûner toujours que de ne lire jamais Cujas ; si l’on parlait de belles femmes, il disait que Cujas avait eu une belle fille, et que, quoique vieille, elle n’est point encore laide [Cujas mourut à Bourges, le 4 octobre 1590. Remarié à 62 ans, en 1586, avec une jeune fille noble, Gabrielle Hervé, il en eut une fille, Suzanne, qu’il laissa orpheline à l’âge de trois ans et qui se rendit célèbre par ses galanteries. En 1644, date de cette lettre, elle avait 57 ans]. Enfin Cujas était de toutes choses, et Cujas m’a si fort importunée que voici la première et dernière fois que je l’écrirai et le prononcerai en toute ma vie. Pour le poltron, il vous est aisé de vous imaginer que sa conversation ne ressemblait pas à celle d’un gascon, et que celle du bel esprit avait beaucoup de rapport avec celle de feu M. de Nervèze [Guillaume Bernard de Nervèze, littérateur, né vers 1570, mort après 1622. Il a publié les Essais poétiques du sieur de Nervèze, 1605].

« Après cela ne m’en demandez pas davantage, car je n’ai plus rien à vous dire, sinon que je ne dormis point la nuit que je couchai à Magny [Magny-en-Vexin, arrondissement de Mantes], que de ma vie je ne fus si lasse que lorsque j’arrivai à Rouen, non pas comme a dit magnifiquement M. Chapelain parlant de la lune, dedans un char d’argent environné d’étoiles, mais oui bien, dedans un char d’osier environné de croste. Tout à bon [locution adverbiale qui se trouve souvent dans le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry, et n’est plus usitée, ayant fait place à Tout de bon, avec le sens de : Véritablement, sérieusement, sans jeu ni fiction], je pense que si je n’eusse eu peur, qu’avec l’aide de ces admirables lunettes [les lorgnettes astronomiques, dont l’invention remontait à 1608 ou 1609] que l’on peut quasi dire qui arrachent les astres du ciel, vous n’eussiez découvert le coche, et n’eussiez remarqué une partie de ce que je viens de dire, je pense, dis-je, que je ne vous en aurais rien appris, tant cet équipage était burlesque.

« Après vous l’avoir dépeint si étrange, je n’oserais quasi vous apprendre qu’en ce lieu-là je me souvenais de vous, de peur que, comme vous avez l’imagination délicate, vous ne trouviez mauvais que votre image seulement ait été en un si bizarre lieu. Mais pour vous consoler de cette aventure, j’ai à vous dire qu’il y avait aussi bonne compagnie dans mon cœur qu’elle était mauvaise dans le coche ; et pour empêcher ces figures extravagantes d’y faire aucune impression, je l’avais tout rempli de Mlle Paulet, de M. de Grasse [Godeau, évêque de Grasse, 1636], de Mme de l’Arragonés [Mme Arragonais, Jeanne Legendre, dont le mari avait été trésorier des gardes françaises], de Mesdemoiselles ses sœurs, de M. Chapelain, de M. Conrart, de Mlle de Chalais, de M. de la Mesnardière, de Mme et Mlles de Clermont et de vous [cCe sont tous les habitués de l’hôtel de Rambouillet, en grand renom alors, mais auquel le mariage de Mlle de Rambouillet, Julie d’Angennes, le 13 juillet 1645, allait porter le premier coup, en l’exilant, avec Montausier son mari, en province. Il sera bientôt remplacé par les fameux Samedis de Mlle de Scudéry elle-même].

« Si bien que rappelant tout ce que j’aime à mon secours, je fis en sorte que ce que je pensais d’agréable fût plus puissant que ce que je voyais de fâcheux ; et j’eus plus de joie à me souvenir de tant d’excellentes personnes, et à espérer qu’elles me faisaient l’honneur de se souvenir quelquefois de moi, que je n’eus de peine à souffrir les importunités d’une mauvaise compagnie. Ayez, s’il vous plaît, la bonté de leur faire agréer cet innocent artifice et de leur rendre grâces de m’avoir sauvée de la persécution que j’aurais eue, si elles ne m’avoient pas donné lieu de me souvenir agréablement de tous les bons offices que j’en ai reçus.

« Pour vous, Mademoiselle, je ne vous rends point de nouveaux remerciements, car ne pouvant aujourd’hui vous parler tout à fait sérieusement, ce sera pour une autre fois que je vous dirai que personne ne vous est plus obligée que je vous la suis [ce féminin était si naturel que Mme de Sévigné le mettra encore, en semblable occasion, avec cette spirituelle saillie pour le justifier : Si je disais le, je croirais avoir de la barbe], que personne aussi n’en est plus reconnaissante, que personne ne sera jamais plus véritablement ni plus sincèrement,

« Mademoiselle,

« Votre très humble et très passionnée servante.

« A Rouen, le 5 septembre 1644. »

On voit que Madeleine de Scudéry se souvenait des lettres de Voiture aux habitués de l’hôtel de Rambouillet, dont elles faisaient les délices, et qu’elle en imitait, avec succès, la grâce et la délicatesse parfois voisines de l’afféterie. « Cette lettre, des mieux tournées, fait le plus grand honneur à la plume de Mlle Scudéry, disait Victor Cousin. Mais au-delà de ce mérite littéraire, résumons les renseignements nouveaux qu’elle fournit sur le coche de Paris à Rouen, dans la première moitié du XVIIe siècle.

 

Coche public en osier au XVIIe siècle

 

Le coche était en osier, attelé de quatre chevaux, peu vigoureux et fort lents d’allure, conduits par un cocher qui allait souvent à pied pour soulager l’attelage. Dans ce mémorable voyage, il portait, outre le cocher, dix voyageurs, placés sur des bancs en face l’un de l’autre, ce qui a permis à Mlle de Scudéry de faire leur portrait sur le vif et d’en reproduire des conversations ridicules.

Cette voiture publique suivait alors ce qu’on a appelé, plus tard, la route d’en haut de Paris à Rouen, passant par Pontoise, Gisors, Magny, Etrépagny, Ecouis et Rouen. La durée du voyage était d’un jour, d’une nuit pour coucher à Magny et d’un jour encore avant d’arriver à Rouen, vraisemblablement rue du Bec. Il fallait partir de grand matin de Paris et de Magny. pour arriver très tard à Rouen.

Ce coche était le précurseur et l’ancêtre du Messager, des Carrosses, des Chaises, des Fourgons et des Diligences, qui ont servi, à différentes époques, pour établir des relations suivies entre Rouen et la capitale, moyens de relégués tous, aujourd’hui, à l’état de souvenirs historiques.

 

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