Les étudiants de l’Université affrontent l’Eglise et l’Etat
En 1221, les écoliers de l’Université de Paris, forts de leurs privilèges, se livrent à de répréhensibles excès que le gouvernement de Philippe-Auguste a grand-peine à réprimer.
Semant la terreur dans les rues de la capitale, volant, violant, tuant, ils sont à l’origine de rixes sanglantes les opposant aux bourgeois et marchands qui obtiennent enfin de les chasser en province. De retour quelques années plus tard dans la capitale, ils y récidivent, mais se heurtent cette fois à l’inflexible reine Blanche de Castille. Les professeurs quittent Paris pour continuer leurs cours, en Angleterre pour certains…
Premiers statuts de l’université de Paris en août 1215, donnés par Robert de Courson.
Vers la fin du règne de Philippe-Auguste, les écoliers de l’Univsersité se livraient à tous les excès, au grand déplaisir des bourgeois qui se confiaient bien bas, l’huis clos, le soir après le couvre-feu, que le roi, leur sire, avait été bien imprudent de donner de si grands privilèges à des mécréants qui passaient tout leur temps à faire le mal. Chaque jour on racontait de nouveaux méfaits de leur provenance. Non seulement ils enlevaient les femmes et les filles, ce qui eût pu être mis sur le compte de la jeunesse et de l’amour du plaisir, mais ils tuaient et volaient comme des larrons, ce qui les faisait descendre au rang des malfaiteurs vulgaires.
En 1221, l’évêque Guillaume de Seignelay fut obligé d’excommunier ceux qui marcheraient de jour ou de nuit dans les rues de Paris avec des armes. Ils se moquèrent de l’excommunication et continuèrent à effrayer par leurs mauvais coups les paisibles habitants de la capitale ; alors l’évêque fit mieux, il ordonna l’arrestation des plus mutins et chassa les autres de la ville. Ce ne fut toutefois pas sans peine qu’il eut raison d’eux, il fallut en venir aux mains et de rudes estafilades, de profondes balafres furent échangées à cette occasion. Ceux qui étaient chassés revinrent plus nombreux peut-être, et à coup sûr plus disposés que jamais à faire du tapage.
Mais les Parisiens, qui commençaient à se lasser de ces hôtes turbulents dont la présence était un véritable fléau pour tous, se promirent de ne pas se laisser molester davantage par les écoliers, et lorsque ceux-ci, rentrés dans la ville, crurent pouvoir reprendre leur train de vie passée, ils se trompèrent. Ils eurent en face d’eux des hommes résolus qui étaient bien décidés à leur faire payer cher leur premier acte agressif. Il ne tarda pas à se produire. L’un d’eux essaya de violenter la fille d’un tavernier, un coup de couteau lui troua la poitrine ; ses camarades voulurent le venger, le tavernier appela à l’aide, tous les marchands du voisinage accoururent à son secours. Le mot d’ordre était donné ; les bourgeois secouant pour cette fois leur pusillanimité habituelle, sortirent de chez eux armés de tout ce qui leur tomba sous la main et marchèrent contre leurs persécuteurs ordinaires.
De leur côté, les écoliers se voyant cernés, se groupèrent et essayèrent de tenir tête à l’orage. Alors ce fut une mêlée horrible, bâtons, dagues, poignards, épées, tout fut bon ; c’était le soir, les rues étaient sombres, mais la colère guidait les coups. Pendant plusieurs heures, on se chercha, on se battit corps à corps ; les taverniers, des pots à la main les cassaient sur la tête des écoliers, on faisait armes de tout. Trois cent vingt écoliers trouvèrent la mort dans cette bataille. Il s’agissait de faire disparaître autant que possible leurs cadavres. On les traîna jusque sur la berge et on en jeta autant qu’on put à l’eau. Il est inutile d’ajouter que les bourgeois avaient aussi perdu quelques-uns des leurs, mais leurs pertes étaient insignifiantes, à côté de celles éprouvées par les écoliers ; un grand nombre était blessé.
On s’étonnera sans doute qu’une bataille pareille eût pu se livrer dans les rues de Paris, sans que la force armée vînt s’interposer entre les combattants. Mais au Moyen Age, les rues de Paris, ruelles fangeuses, étroites, sans éclairage, étaient impraticables et on pouvait s’y retrancher comme dans un château fort et s’y barricader tout à l’aise. Tranquilles ils furent, les bourgeois et les écoliers qui s’entre-tuèrent, et le matin venu, quand on vit les flaques de sang mêlées aux mares d’eau stagnantes, les paquets de cheveux et les morceaux de cervelle écrasée sur la paille de la rue, que l’on ramassa, un poignard d’un côté, un bonnet de l’autre, on se demanda ce qui s’était passé.
Mais les bourgeois répondirent : « Ce sont les écoliers de Paris qui violaient nos filles, qui abusaient de nos femmes, et qui nous volaient le soir quand nous passions près d’eux, nous les avons tués ». Les maîtres des écoliers, se rendant auprès du pape pour lui demander justice contre une pareille hécatombe de clercs, arguèrent qu’il fallait bien que jeunesse se passe, ajoutant : « Ce n’est pas parce qu’un jeune homme un peu fougueux a voulu prouver sa virilité à une jeune fille que les marchands doivent tuer trois cent vingt de nos élèves. Sinon, mieux vaut fermer tout de suite l’Université ». Mais tout Paris soutenait les braves bourgeois qui avaient si bien tué les mauvais écoliers ; on ne put rien faire contre tout Paris. Les maîtres quittèrent la ville avec leurs écoliers, auxquels on interdit le séjour de la capitale et les écoles furent fermées.
Après la mort de Philippe-Auguste (1223), les écoliers étaient revenus. On espérait que la leçon qu’ils avaient reçue leur profiterait. Il n’en fut rien. Ils se trouvèrent de nouveau mêlés à une affaire qui dégénéra en rixe. L’Université qui jusqu’alors n’avait point eu de sceau particulier à son usage, et dont les actes étaient scellés par le chancelier de l’église Notre-Dame, voulut s’affranchir de cette sujétion et se fit faire un sceau. Les chanoines protestèrent et on convint de s’en rapporter au légat. Le légat instruit de l’affaire, prit le sceau, le brisa en présence de tous les assistants, et anathématisa d’avance ceux qui oseraient en faire faire un autre. Les docteurs de l’Université se contentèrent de murmurer.
Mais les écoliers qui ne laissaient jamais échapper une occasion de faire du tapage, s’attroupèrent et allèrent investir la maison du légat, en brisèrent les portes, et déjà ils se précipitaient sur lui pour le mettre en pièces, lorsqu’une compagnie de gens d’armes se présenta pour protéger l’infortuné légat. Mais les écoliers tenaient bon, et, furieux de voir leur proie leur échapper, ils tournèrent leur fureur contre les soldats et le sang coula encore.
Affrontements entre étudiants de l’Université
Le légat sortit de Paris, excommuniant les écoliers et leurs maîtres qui les avaient amenés. Grand émoi dans l’Université. Enfin un mois plus tard, quatre-vingts docteurs ou maîtres ès arts de Paris se rendirent au concile de Bourges que présidait le légat et lui demandèrent de vouloir bien les décharger de l’excommunication prononcée par lui. Ce qu’ils obtinrent.
En 1229, la reine-mère Blanche de Castille dont l’administration éclairée et vigilante marqua son époque, sut quant à elle maintenir les étudiants qui abusaient de leurs privilèges pour troubler l’ordre du royaume. A la fin du carnaval, quelques écoliers de l’Université qui étaient allés se divertir le jour du mardi gras chez un cabaretier du faubourg Saint-Marcel, échauffés par le vin qu’ils avaient bu, engagèrent une discussion sur le prix de celui-ci lorsqu’il s’agit de payer la dépense. Prenant bientôt querelle avec le cabaretier, ils passèrent aux coups, et le malheureux eût été assommé s’il n’eût appelé ses voisins à son secours et que ceux-ci, tombant à l’improviste sur les écoliers, ne les eussent chassés du faubourg, en en blessant quelques-uns.
L’Université se composait alors de quarante-deux mille étudiants de tout âge ; car les hommes faits venaient y suivre des cours, et il s’en trouvait depuis l’âge de quinze ans, jusqu’à l’âge de cinquante ans. Le lendemain de la querelle qui avait eu lieu le lundi gras, les écoliers revinrent en force, ayant excité leurs compagnons à tirer vengeance de cette agression. Se répandant en troupe dans le faubourg et armés de bâton, ils fondirent sur la boutique du cabaretier, brisant tout, mettant tout à sac, puis ce bel exploit accompli, firent main basse sur tous les cabarets, enfonçant les portes, brisant les tonneaux, et ne jugeant leur vengeance satisfaite que lorsqu’ils eurent frappé tous les bourgeois qu’ils rencontrèrent, blessant les uns, tuant les autres, ne respectant ni l’âge ni le sexe.
Cette conduite inqualifiable souleva l’indignation générale et le doyen de Saint-Marcel alla se plaindre au légat qui fit parvenir ces plaintes à la reine régente et lui demanda justice contre les coupables. Poussée par le cardinal Frangipani, la reine déclara sèchement qu’elle donnait raison aux bourgeois contre les étudiants. Les rois n’avaient point encore de milice réglée, ils attachaient à leur service des hommes de bonne volonté qui, sous le nom de routiers, obéissaient, pour un temps, à celui qui voulait les employer ; mais ces routiers étaient pour la plupart des hommes sans aveu, des vagabonds, qui ne cherchaient que le pillage ; c’est à eux que Blanche confia le soin de la punition : elle leur avait fait donner l’ordre de « châtier les écoliers de l’Université ».
Comme il était assez difficile de les rechercher, les soldats se contentèrent de se diriger du côté des remparts et, rencontrant là des écoliers occupés à se divertir, les attaquèrent sans délai, sans s’enquérir de la part qu’ils pouvaient avoir prise dans l’échauffourée du matin, en blessant plusieurs, en tuant quelques-uns, parmi lesquels « un Flamand et un Normand de considération ». Ils ne s’en allèrent qu’après avoir dépouillé tous les autres.
Or, il se trouvait que ceux-ci, en congé pour les vacances du carnaval, n’avaient aucune connaissance de ce qui s’était passé au faubourg Saint-Marcel. Ce fut alors au tour de l’Université de jeter les hauts cris. Elle suspendit ses exercices et les professeurs représentèrent au légat qu’il n’était ni juste ni équitable que la faute de quelques écoliers coutât la vie à ceux qui en étaient tout à fait innocents. Le légat qui n’avait guère sujet d’aimer l’Université et les écoliers, depuis le jour où il avait failli devenir leur victime, ferma l’oreille à ces doléances, la reine ne leur fut pas plus favorable, et l’évêque de Paris refusa d’écouter les remontrances des professeurs.
L’Université était trop jalouse de ses privilèges pour laisser passer sans réparation un outrage aussi grand : elle déclara qu’elle ne resterait pas dans un lieu où ses écoliers n’étaient pas en sûreté et, une fois encore, maîtres et écoliers quittèrent Paris, recommençant leurs cours notamment à Angers, Orléans, Toulouse, Poitiers, certains parmi les docteurs y fondant des universités. Quelques-uns allèrent même jusqu’en Angleterre où Henri III les reçut avec l’empressement que l’on devine. Avant de quitter la capitale, les étudiants avaient fait circuler ces deux vers latins qui mirent le comble à la fureur du légat : Heu morimur strati, vincti, mersi, spoliati Mentula legati nos facit isa pati Hélas ! nous mourons, on nous abat, on nous enchaîne, on nous noie, on nous dépouille. C’est la lubricité du légat qui nous vaut tous ces maux !
Le légat et l’évêque frappèrent alors d’excommunication tous ceux qui se permettraient de faire des bacheliers hors Paris, et les dominicains profitèrent de ces troubles pour fonder dans la capitale une chaire de théologie. Albert le Grand fut un des premiers dominicains qui y enseigna, et il eut pour disciple le célèbre saint Thomas. Deux années se passèrent de la sorte. Le départ des étudiants avait créé un grand vide dans Paris. Bien des gens les regrettèrent, en particulier les demoiselles oppressées par leur vertu et les femmes de bourgeois qui s’ennuyaient auprès de leurs maris. On en vint à accuser la reine de s’être montrée injuste envers les turbulents garçons, et le légat fut encore une fois l’objet de chansons cruelles.
On ne pouvait s’empêcher de regretter que les lettres et les sciences se trouvassent de la sorte exilées de Paris et le pape Grégoire IX écrivit à la reine et au roi qui rappelèrent l’Université et lui firent verser une somme d’argent en réparation de l’insulte qui leur avait été faite par les bourgeois ; et pour que ceux-ci n’abusassent pas de la nécessité dans laquelle se trouvaient les écoliers de loger chez eux, le prix de la location des chambres qu’ils pouvaient occuper fut tarifé.
Sceau de l’Université de Paris (XIIIe s.)
Sources :
- Paris à travers les âges, histoire nationale de Paris et des Parisiens depuis la fondation de Lutèce jusqu’à nos jours paru en 1879,
- Les reines de France paru en 1851
- Histoires d’amour de l’Histoire de France paru en 1991