Le liage des gerbes
Si « moissonner » était considéré autrefois comme un travail pénible, il n’en restait pas moins comme l’un des plus nobles. Il se faisait en famille, souvent avec l’aide des voisins.
Aujourd’hui, avec les moissonneuses-batteuses, la poésie en est bien absente ; plus personne dans les champs et les chemins… Les remorques chargées de grains, tirées par des tracteurs, font oublier que cette récolte comptait autre-fois plusieurs tâches : faucher, mettre en javelles, faire les gerbes, les transporter à l’abri en attendant le passage de la batteuse…
Une étape de la moisson à première vue banale, mais délicate : le liage de la gerbe. De la solidité des nœuds dépendait la résistance des gerbes aux différentes étapes subies avant d’être soumises à l’action de la batteuse.
Le liage de la gerbe
Après le passage des moissonneurs, l’animation règne dans les champs pour faire les gerbes ! Toute la famille participe : les enfants et les femmes portent les javelles sur le lien, et lier sera réservé aux hommes les plus robustes.
Les « javeleurs » assemblent les tiges pour réaliser la gerbe, son volume variant d’une région à une autre. Le liage se fait aisément lorsque l’on dispose de tiges longues. On fait un nœud avec une poignée d’environ 15 tiges tenues dans la main gauche par les épis. Les épis rassemblés constituent la tête du lien. Le liage consiste à maintenir cette tête de la main gauche au-dessus de la gerbe, pendant que la main droite la ceinture avec le lien, jusqu’à rejoindre la tête : le lieur l’entortille alors autour de la tête, en une ou deux torsades, avant de bloquer le reste en l’enfonçant dans la partie la plus serrée de la gerbe, sous la ceinture ainsi obtenue.
Lorsque les tiges à lier sont courtes (avoine, orge…), on réalise un lien double : on prend deux poignées de tiges et on les assemble bout à bout en nouant leurs têtes.
La forme des nœuds pouvait varier selon la région ou le lieur. Certains lieurs particulièrement habiles étaient réputés dans tout le canton.
On employait également des liens en bois faits de repousses de chênes, de noisetiers ou de châtaigniers, coupés souvent dans les bois communaux. Leur longueur variait entre 1m 50 et 2 m. On enroulait à l’une des extrémités de la tige que l’on avait conservée fourchue, une poignée de paille de seigle en la torsadant, pour permettre ensuite de former le nœud. Ces liens, renouvelés tous les 3 ans environ, étaient confectionnés durant les journées pluvieuses de juin. La veille de s’en servir, on les faisait tremper dans le bassin pour leur donner la souplesse nécessaire.
Existait aussi « un bâton à lier ». Il peut s’agir d’un bâton simple, tourné, pointu, souvent très dépouillé d’aspect mais parfois décoré en son sommet et au niveau de la prise pour une meilleure prise en main. C’est un outil fait maison.
La gerbe est alors liée, ceinturée par un lien de paille étirée et entortillé avec d’autres brins. La pointe du bâton est glissée entre le lien et la paille. Plusieurs tours de l’outil assurent un bon serrage du lien autour de la gerbe. Comme il est effilé, l’outil est facilement retiré.
Des aiguilles en bois
Pour simplifier la manœuvre du liage, on a eu recours à différents outils, les lieuses. Ils sont de deux types : les lieuses à main et les lieuses automatiques.
Lieuse à main
La lieuse à main utilise un outil appelé aiguille ou encore couleuvre, d’une grande simplicité, qui permet au moissonneur de réaliser rapidement le liage de sa gerbe.
L’aiguille, en métal, légèrement cintrée, longue de 60 cm à 90 cm, présente à une extrémité un évidement dans lequel se trouve un crochet. D’autres modèles de lieuses subsistèrent, dont celui composé d’une douille avec son crochet porté par un manche en bois.
Les liens, d’une longueur d’1m 50, sont soit en fer, avec une boucle aux deux bouts, soit en chanvre, avec d’un côté une boucle et de l’autre, deux nœuds.
Avant de lier sa gerbe, le moissonneur prend un des liens qu’il a accrochés à sa ceinture. Puis il saisit l’aiguille du côté du crochet dans lequel il a placé un bout du lien, et passe l’aiguille sous la gerbe en gardant la boucle du lien dans la main gauche. Il introduit ensuite la pointe de l’aiguille dans la boucle formée à l’autre bout du lien, et tire l’aiguille en se redressant et en s’aidant du genou ou du pied, jusqu’à ce qu’elle ait dépassé la boucle. En repoussant la lieuse en avant, le lien se dégage de l’aiguille et la gerbe est serrée. Le fil de fer tordu lors du décrochage de l’aiguille assurait le serrage, tandis que la tension du lien en corde retenait le nœud dans la boucle.
Pour délier la gerbe, il suffisait de tirer l’extrémité du lien pour laisser échapper la boucle. Autour de la batteuse, c’est les enfants qui étaient chargés de récupérer tous les liens, qui seront utilisés lors de la moisson suivante. Ceux en fer étaient détordus parfois à l’aide d’un système imaginé par l’agriculteur.
Ces liens peuvent être également munis d’une pièce en bois ou en métal, appelée serreur. C’est une sorte de crochet fixé à l’une des extrémités du lien. Pour opérer le serrage, on fait faire au lien soit un demi-tour en dessous du crochet, soit un second tour, en donnant une ligature d’une grande solidité.
Les Lieuses automatiques
Les lieuses automatiques, à traction animale, employées au liage des gerbes pouvaient être indépendantes, ou montées sur l’appareil destiné à effectuer la coupe, ce sont les moissonneuses-lieuses.
Les lieuses prennent sur le sol les tiges des céréales déposées par la faucheuse, les élèvent jusqu’aux organes du liage, les lient et les laissent retomber à terre sous forme de gerbes.
Cette machine avait l’avantage de laisser à la récolte le temps de sécher avant d’être serrée et mise en gerbes. Mais elle présentait l’inconvénient de provoquer un égrenage assez important des épis, lorsque la récolte avait été coupée un peu trop mûre.