Le langage des cloches
La cloche en tant qu’instrument de communication de masse. Communiquer est une démarche active, orientée vers un public, avec une finalité précise.
La communication sonore est un ensemble de sons organisés, produit volontairement, ayant un sens pour le ou les destinataires et qui peut induire un acte chez l’auditeur.
A travers le temps et les civilisations, les moyens utilisés pour produire et transmettre simultanément cette information à un ensemble d’individus plus ou moins dispersés géographiquement ont été particulièrement divers : cri, sifflet, phonolithe, trompe, cor, tambour…
Depuis le début de notre ère jusqu’à une époque récente, la cloche a été, en Occident, un instrument
privilégié de « communication de masse » du fait de la portée étendue de sa « voix ».
Les Romains l’utilisaient pour annoncer l’ouverture et la fermeture des marchés ou des bains. Strabon narre la mésaventure d’un poète qui, ayant commencé à déclamer ses vers, vit toute l’assemblée partir lorsque la cloche annonçant l’arrivée de la marée eut sonné (Pratique attestée également par Plutarque). De plus petites cloches étaient utilisées aussi pour annoncer l’arrivée d’un hôte à l’entrée des maisons. L’usage s’en est donc répandu en Gaule au fur et à mesure de l’implantation des cités construites par les Romains. De même, le développement de la chrétienté au gré des déplacements des moines évangélisateurs a conduit à la multiplication des monastères, puis à la construction des « maisons d’église » dans les bourgs et villages, avec un besoin d’instrument sonore de convocation des fidèles. D’abord suspendue aux branches d’arbre, la cloche trouve abri dans un édifice distinct qui progressivement sera intégré à l’édifice religieux proprement dit. Certains auteurs disent que les villages et leur église ont été implantés « à portée de cloche » de façon à transmettre des messages sonores de village en village (notamment pour alerter la population en cas d’invasion). De même, pour que la cloche puisse jouer pleinement son rôle de communication à distance, les clochers se sont élevés de plus en plus haut et les cloches ont été de plus en plus grosses. Enfin, dans les villes où les édifices religieux et civils étaient nombreux, on prenait soin de mettre en place des cloches de sonorités différentes pour que la population puisse distinguer aisément l’origine de la sonnerie et du « message ».
Le son produit par la cloche a donc été utilisé au fil des siècles pour différentes fonctions de
communication : fonction d’ alerte, fonction d’information, marquage sonore du calendrier,
instrument d’appel civil ou religieux, instrument de localisation, etc. Elle fait partie du « paysage
sonore » en se distinguant d’autres productions, volontaires ou non, de sons.
Le « message » transmis par la sonnerie d’une cloche ou d’un ensemble de cloches s’appuie sur trois composantes :
la sonorité de la cloche ;
la modalité et le rythme de frappe sur celle-ci ;
le nombre de cloches mises en œuvre simultanément ou successivement.
Les combinaisons possibles autorisent donc un nombre assez grand de « messages ». Mais pour qu’un son devienne « signe », il est nécessaire qu’émetteur et récepteur accordent la même signification au signe transmis. Cette signification est connue par la tradition.
La sonnerie horaire : le choix de la cloche et le nombre de coups permettent d’indiquer à distance l’heure qu’il est, au quart d’heure prés.
La sonnerie du couvre-feu (appelée parfois « Salve ») : cloche spécifique ; sonnerie à la volée assez longue ; encore en vigueur dans quelques villes françaises (Strasbourg, Pont-Audemer…) ; annonce la fin de la journée, la fermeture des portes de la ville, des boutiques ou des cabarets.
L’Angélus : 3 tintements suivis d’une volée ; trois fois par jour, pour appeler le peuple à la prière.
Les Offices religieux : autrefois dans les monastères, chacun des sept offices de la journée faisait l’objet d’une sonnerie spécifique ; normalement, le nombre de cloches mises en volée varie selon le degré de solennité et donc selon le calendrier liturgique (la cloche « La » pour les jours ordinaires, le « plenum » – totalité des cloches disponibles – pour les grandes fêtes. Dans certaines régions françaises, la fête de Noël est précédées pendant plusieurs jours par des sonneries particulières (le « Nadalet »).
L’Alerte (le tocsin) : jusqu’à la mise en place des sirènes municipales, il revenait au sonneur de « toquer » la cloche pour alerter la population lors de menaces d’invasion ou le début d’incendies ; cela se traduit par un tintement à rythme rapide ; après la première volée, le nombre de coups indique la direction du sinistre ; il existe aussi une tradition de sonnerie pour annoncer ou faire fuir les orages.
L’abandon d’un enfant : dans le Sud-Ouest, autrefois, on tintait une cloche spécifique pour annoncer qu’un enfant venait d’être abandonné ; la sonnerie durait jusqu’à ce qu’un parrain d’adoption se manifeste.
Le Glas (annonce d’un décès) : c’est sans doute la sonnerie la plus codifiée ; selon les régions, le code peut varier, mais il s’agit d’indiquer à la population, par le nombre de coups, non seulement qu’il y a eu un décès mais aussi s’il s’agit d’un homme ou d’une femme ou encore d’un enfant ou d’un ecclésiastique (par exemple 3 fois 3 coups puis la grande volée avec la grosse cloche pour le décès d’un homme, et 2 fois 3 coups puis la grande volée pour une femme et 1 fois 3 coups pour un enfant).
La convocation : le rôle de la « bancloque » ou cloche banale (communale) est d’annoncer les séances communales (convocation des magistrats ou des conseillers de la ville) ; cette cloche (hébergée dans les villes du nord de la France dans un beffroi) servait aussi pour rassembler la population sur la place au pied du beffroi et leur transmettre certaines informations la concernant.
Les ordonnances de sonnerie :
On ne sonne pas les cloches d’église n’importe comment ni n’importe quand… ! Voix sonore qui accompagne les offices et les événements cultuels, l’ensemble campanaire obéit à un véritable « langage » qui permet à la communauté qui l’entend de distinguer l’ordinaire du festif, les moments heureux des moments tristes. Il faut donc réglementer ou codifier les sonneries. On parle d’ordonnance de sonnerie.
Dès le Moyen Âge, toutes les églises cathédrales, collégiales ou abbatiales, de même que la plupart des grandes églises paroissiales, étaient dotées d’ordonnances de sonnerie. A chaque type de fête correspondait un rituel d’annonce propre, en principe composé de trois sonneries distinctes (le plus souvent espacées entre elles d’un quart d’heure), chacune étant réalisée avec une ou plusieurs cloches déterminées. Ce code était généralement commun aux vêpres et aux messes chantées (ainsi qu’aux matines, pour les églises soumises à l’office canonial).
De même, une distinction était toujours opérée entre les différentes messes, une messe basse (c’est-à-dire une messe uniquement lue) n’étant pas annoncée de la même manière qu’une messe chantée ou qu’une messe solennelle.
On comprendra donc aisément qu’une ancienne ordonnance de sonnerie sera un outil de travail précieux mais devra toujours être confrontée à la liturgie en vigueur et aux usages actuels.
Le but essentiel d’une ordonnance de sonnerie est l’identification. En effet, elle permet aux fidèles de reconnaître facilement les différentes cérémonies qui se déroulent à l’église, tout comme les moments importants, tant de la journée que de l’année liturgique. Les cloches remplissent alors pleinement leur fonction de messagères.
Pour établir une ordonnance de sonnerie cohérente et qui tienne compte de la musicalité des cloches, il convient de faire appel à un campanologue ; celui-ci effectuera un travail de recherche préalable, consistant d’une part à collecter des renseignements sur les cloches, d’autre part à s’informer sur les anciennes traditions de sonnerie et les usages liturgiques du lieu.