FAMINES ET DISETTES EN FRANCE

 

Famines et disettes en France



 

 




La disette est un manque de nourriture qui affaiblit mais ne tue pas massivement. La famine est une pénurie extrême, dans laquelle les hommes meurent de faim.

Les langues européennes ont des équivalents exacts de « famine », autour de la notion de faim (fame, hunger…). Pour la disette, elles utilisent en revanche des mots comme carestia, qui évoquent, selon le contexte, soit le manque (latin carere), soit le prix élevé (latin carus). Cette dernière étymologie renvoie à une situation de marché, qui correspond aux mécanismes de disette spéculatifs exposés dans cet article. Le français a en ce sens « cherté ».

La France connaîtra en 1788 sa dernière grande famine et en 1789 de graves disettes dans la plupart des régions après un hiver très rigoureux qui restera quand même l’un des éléments précipitant à court terme la Révolution de 1789.

De multiples famines ont touché l’Europe au Moyen Âge. Les historiens en ont recensé 75 en France. Avec la peste et la guerre, la famine est l’un des trois fléaux, terriblement redoutés, qui sévissent périodiquement, quasi régulièrement, jusqu’au XIXe siècle.

Le climat de l’époque est beaucoup plus froid, on parle de petit âge glaciaire. Les hivers 1692-1694 sont très rigoureux, et les printemps humides. Les rendements des récoltes sont en baisse, ce qui provoque une rareté des grains et un accroissement des prix. La nourriture devient rare, les populations sont fragilisées, et donc beaucoup plus sensibles aux maladies. La plupart ne meurent pas de faim, mais à cause des épidémies qui prospèrent sur ce manque de nourriture. Emmanuel Le Roy Ladurie estime la surmortalité à 1,3 million de personnes. La population est à peine remise que survient la grande famine de 1709. Elle fait 600 000 morts.

Les crises alimentaires qui ont frappé l’Europe autour de 1300 et qui constituent les premiers symptômes de la dépression du bas Moyen Age. Ces séries de disettes commencent dans les années 1270 et culminent avec la « grande famine » qui ravage l’Europe du Nord-Ouest de 1314 à 1318 ; elles se renouvellent encore jusqu’à une autre année terrible, 1347, la seule où tout le continent est frappé. Leur origine habituelle est une mauvaise récolte, qui provoque une hausse du prix du blé. Lorsque plusieurs années médiocres s’enchaînent, on aboutit à des situations de famine véritable.

La faim n’est certes pas une nouveauté à la fin du XIIIe siècle : elle a rôdé à travers l’Europe tout au long de la phase de croissance économique et démographique entamée dès le VIIIe.

L’angoisse de ne pas trouver son  » pain quotidien  » a longtemps été très forte. Dans une société où chaque adulte consommait deux à trois livres de pain par jour, et où peu de gens – même chez les paysans – disposaient de réserves suffisantes pour assurer la nourriture du lendemain, tout déséquilibre entre la population et les « subsistances » déclenchait une pénurie momentanée : la disette. Celle-ci venait-elle à se prolonger, on entrait alors dans une véritable crise : la famine.

La famine est présente de manière lancinante dans les chroniques du haut Moyen âge. Troisième des chevaliers de l’Apocalypse, elle représente les terribles caractéristiques qu’elle a dans le monde contemporain : ventres gonflés, alimentation d’urgence, consommation de terre, cannibalisme. La famine permet en revanche de bonnes affaires pour les spéculateurs, producteurs et transporteurs.

Sous l’Ancien Régime, les famines pouvaient être liées aux difficultés nées des grandes guerres. Mais pour l’essentiel, elles étaient engendrées la plupart du temps par des conditions météorologiques défavorables au développement et aux récoltes des grains, depuis les semailles jusqu’à la moisson : pluies excessives ; grands hivers. Et inversement échaudage/sécheresse, l’un et l’autre étant nés notamment des canicules.

L’on connaît, grâce aux sources historiques, les années de grandes famines depuis le haut Moyen Âge. En l’an 584, Grégoire de Tours rapporte qu’« une grande famine ravagea presque toutes les Gaules : bien des gens firent du pain avec des pépins de raisin, des fleurs de noisetier, quelques-uns même avec des racines de fougère ». Au cours des IXe et Xe siècles, la gravité de certaines famines est telle qu’elle entraîne des pratiques de cannibalisme. En 1032, Raoul Glaber signale qu’on vit quelqu’un apporter de la chair humaine cuite au marché de Tournus. Après quelques siècles de relative accalmie, le fléau frappe de nouveau : lors de la crise de 1315-1317 – d’ampleur européenne -, puis au cours de la guerre de Cent Ans. Au XVIe siècle, les années 1515, 1521, 1531, 1563 et les deux dernières décennies des guerres de Religion sont marquées par la famine. Hormis des crises localisées mais chroniques – ainsi en Bourgogne, en Lorraine et en Champagne, ravagées par la guerre de Trente Ans, entre 1636 et 1648 -, le XVIIe siècle connaît des famines aiguës en 1630-1631, 1649-1652, 1661-1662 (la famine dite « de l’Avènement ») et 1693-1694. Cette dernière est une véritable hécatombe : 2 836 000 morts (soit une surmortalité de 1,3 million), un déficit de plus de 1,5 million de naissances et de 83 000 mariages. Avec un recul de la population de 7,65 %, elle fait presque autant de morts que la Première Guerre mondiale, dans une France à moitié moins peuplée. En comparaison, la crise de 1709-1710, malgré le Grand Hiver, est moins sévère : il en coûte néanmoins au royaume environ 650 000 décès supplémentaires, 420 000 naissances « perdues » et une chute de 140 000 mariages ; au total, un déficit de 810 000 habitants, soit un peu plus de 3,5 % de la population.

Les crises s’atténuent ensuite, faisant place à des disettes (1725, 1737-1738, 1789, 1795 ; puis 1812, 1817, 1829-1832, 1846-1847). Après 1817, si les crises agricoles ne sont pas accompagnées d’un nombre de morts élevé, la malnutrition continue néanmoins de sévir : ainsi, au milieu du XIXe siècle, on compte encore, en Alsace par exemple, une forte proportion de réformés pour faiblesse de constitution lors de la conscription.

Face à la pénurie, les différentes catégories sociales ne sont évidemment pas sur un pied d’égalité. Les errants sont les premières victimes. Les témoignages ne manquent pas : en 1694, à Saint-Germain-de-Fly (Oise), des mendiants venus du Pays de Caux sont « tellement épuisés et abattus de la faim qu’ils ne pouvaient pas même desserrer les dents pour manger » ; en 1575, dans le Velay, « les pauvres mouraient de faim par les chemins, ne mangeant que de l’herbe qu’on leur trouvait à la gorge ». La vulnérabilité est aussi différente selon les lieux géographiques : une province telle que la Bretagne, grâce à la culture du sarrasin et à la proximité des ports d’importation de grains, a davantage été préservée que les plateaux céréaliers, voués à la monoculture, ou des régions isolées et surpeuplées, telles que le Craonnais, le Perche et la majeure partie du Massif central à la fin du XVIIe siècle. Quant aux villes closes, elles peuvent connaître des situations dramatiques. Qu’advienne un siège et les tabous alimentaires tombent : à Sancerre, assiégée par les catholiques en 1573, les habitants se replient successivement sur la viande de cheval – non consommée jusqu’à la fin du Second Empire – avant d’absorber chats, rats, taupes, cuir, parchemin bouilli, fiente, racines de ciguë … et l’on surprend un couple de vignerons s’apprêtant à consommer de la chair humaine. Semblables scènes se retrouvent en Franche-Comté en 1637 et en Livradois en 1694.

Une mauvaise récolte entraîne une élévation du cours des grains, et, par suite, du prix du pain, encore accentuée par la spéculation : les marchands qui disposent de stocks retardent les ventes pour profiter de la hausse qui culmine pendant la soudure, dans les mois qui précèdent la future récolte. Que celle-ci vienne à son tour à manquer et les prix flambent, l’accaparement s’accentue et les marchés se vident.

Concernant les céréales d’hiver, si essentielles, c’est l’excès d’humidité – empêchant le mûrissement ou entraînant le pourrissement des grains – qui est le plus à craindre en dehors des régions méditerranéennes. Que deux étés trop pluvieux se succèdent et c’est le désastre : ainsi en 1315-1316, en 1660-1661 ou en 1693-1694. La vulnérabilité des récoltes aux aléas climatiques, alors que les rendements, déjà irréguliers, n’atteignent pas toujours les dix quintaux à l’hectare, est l’une des raisons des « chertés ». Mais, plus que la rareté des denrées, ce sont la rapidité et la soudaineté de la montée des prix – caractéristiques d’un marché trop étroit – qui entraînent des famines. La difficulté des communications, la multitude des péages intérieurs, la lenteur des arrivages extérieurs, la résistance des populations à tout départ de convois, entravent en effet la circulation des grains. Les épidémies elles-mêmes peuvent susciter les famines par la mort ou l’exode des travailleurs agricoles, le manque d’entretien du sol, la fermeture de certains marchés.

La guerre a des conséquences dramatiques : désorganisation de l’économie (de la production comme des réseaux de distribution), destruction des récoltes et des habitations, pillages et violences. L’absence des seigneurs, enrôlés dans des actions militaires, désorganise les seigneuries et prive les paysans de leur défenseur attitré. La production agricole, vitale pour nourrir les villes, connaît des difficultés. La fiscalité royale augmente considérablement et de façon dramatique pour des populations appauvries, mais obligées de participer à l’effort de guerre. Les investissements productifs périclitent au profit des investissements non productifs (armes et ouvrages de défense).

Les méfaits des gens de guerre, enfin, aggravent tout : les champs ne sont plus ensemencés, les jachères ne reçoivent plus aucun labour, le cheptel de trait est décimé. Même en période de paix, les réquisitions abusives des troupes, au moins jusqu’aux réorganisations des armées par Louis XIV, sont insupportables quand elles suivent une mauvaise récolte (comme en basse Bretagne entre 1591 et 1597, ou au sud de Paris, lors de la Fronde des princes en 1652).

Quant aux révolutions, elles sont évidemment politiques ou strictement socio-politiques au sens plein et dramatique du terme. Mais elles peuvent pourtant traverser des périodes de cherté excessive des subsistances, cherté du pain quotidien : celles-ci accroissent le mécontentement populaire et elles jettent de l’huile sur le feu révolutionnaire ou simplement contestataire. Ainsi en 1788 (mauvaise récolte), avec les prolongements que l’on sait sur l’année suivante, 1789 ; et puis de 1827 à 1832, la cherté du pain encadrant ainsi les Trois Glorieuses de 1830, elles-mêmes indépendantes bien sûr de ce contexte ; enfin en 1846, chaleur-sécheresse anti-céréalière, parmi les innombrables antécédents, essentiellement politiques, eux, de la Révolution de 1848. Finalement, c’est la politisation du climat qui sera partiellement responsable des évènements de 1788 et surtout 1789 voire de 1848, ce qui est loin d’être négligeable.

En ce qui concerne les politiques d’assistances, elles sont quasi inexistantes de la part de l’État Royal. Les villes, seules, se mobilisent pour lutter contre les famines, avec l’aide des ecclésiastiques. Les seules réaction du Roi se résument à une pendaison (le financier Enguerrand de Marigny, accusé de spéculation), à divers emprunts pour relever des finances alors en chute libre (mauvaises récoltes, cela veut aussi dire moins d’impôts en nature), serfs libérés contre espèces sonnantes et trébuchantes, encore une fois pour remplir les caisses… Autrement dit, aucune politique d’assistance proprement dites qui seront, en 1315, le seul faits des religieux. Plus tard, en 1351, Jean le Bon, confronté à une petite crise de subsistance, aurait pris les premières mesures étatiques. Louis XI, bien plus tard, en 1482 au plus fort de la crise frumentaire 1481-1482, interdit de constituer des stocks de céréales, et d’exporter hors du royaume. Il s’assure se créer une libre circulation des grains des zones peu ou pas sinistrés vers les zones les plus sinistrés. Cependant, les grandes mesures étatiques (aides aux importations, ventes de grains à prix coûtant, ou même gratuitement aux frais de l’État, ne seront vraiment effectives que bien plus tard, à partir d’Henri IV de France puis sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. le Roi s’intéresse plus ou moins à régler les malheurs de ses sujets, et les sujets s’attendent donc à ce qu’il y réussisse, en cas d’échec, le Roi est vu comme responsable et non plus le climat, contre lequel on ne peut rien.

Les autorités ne savent pas comment soulager les maux du peuple. Les trafiquants de farine sont poursuivis, les taxes des péages sont baissées pour faciliter la circulation des grains. L’État s’endette pour acheter du blé à l’étranger. Ces mesures sont coûteuses, difficiles à mettre en place, et ne résolvent pas vraiment le problème.

Les famines déclenchent de folles rumeurs : on accuse le roi ou les nobles de stocker des grains et de provoquer volontairement la famine des populations : c’est le complot de famine. Des émeutiers se soulèvent à Paris et dans les grandes villes ; la troupe doit intervenir pour ramener le calme. En 1709, la France de Louis XIV est en pleine guerre de Succession d’Espagne. Aux troubles frumentaires s’ajoutent les troubles militaires : les soldats se nourrissent sur le terrain, la troupe détruit les champs, ce qui amplifie les problèmes.

C’est l’amélioration du système productif agricole qui permettra de donner de la nourriture à tous.

En supprimant les famines, le progrès technique a apporté la vie. Comme tous les pays d’Europe, la France fut lourdement touchée par les disettes et les famines, qui durèrent jusqu’au XIXe siècle. C’est la révolution agricole commencée au XVIIIe siècle qui permit de produire plus, d’atténuer les effets des aléas climatiques, et de faire baisser le prix du blé. Cela eut pour conséquence de diversifier la nourriture et d’éradiquer les famines.

En 1709, un ouvrier doit travailler 3 heures pour s’acheter un kilo de pain. En travaillant 9 heures par jour, il ne peut en acheter que 3 kilos, ce qui est à peine suffisant pour faire vivre sa famille. En 1901, l’ouvrier ne doit plus travailler que 1,2 heure pour s’acheter un kilo de pain. En 1985, c’est 17 minutes. Passage de l’araire à la charrue puis au tracteur, sélection des semences, amélioration des engrais, invention de la moissonneuse batteuse : en 350 ans nous sommes passés d’une économie de subsistance à une économie d’abondance, de la misère à la richesse. La crise économique n’est plus frumentaire et les famines ont disparu..

 

Les grandes famines en France

 

On distingue les famines locales, qui ne concernent que quelques régions, et les grandes famines qui touchent tout le royaume de France. Deux ont été particulièrement fortes : celle de 1693 et celle de 1709.

400–800

Série de famines en Europe de l’Ouest associées à la chute de Rome

En 585

Grégoire de Tours note pour l’ensemble de la Gaule, qu’ « il y eut cette année une grave famine dans toute la Gaule… Il y en beaucoup qui, n’ayant pas du tout de farine, mangeaient des herbes et mouraient parce qu’ils enflaient».

Vers l’an 650, sous le règne de Clovis II.

Dans une famine, Saint Landri distribua aux pauvres tout ce qu’il possédait, fit fondre, pour les assister, jusqu’aux vases sacrés de l’Eglise.

859-860

Grands froids suivis de famine, d’épidémies

874-875

Grands froids suivis de famine, d’épidémies. Près d’un tiers de la population en France (environ 2 millions)

941-942.

Au cours de ces années prend place une des premières grosses famines médiévales d’Europe occidentale

1005

Une famine anglaise et européenne

1016

Famine à travers l’Europe

1031-1033

Une famine liée à de mauvaises récoltes et à de fortes pluies estivales frappe la France et l’Allemagne. Les historiens évoquent des cas d’anthropophagie et la présence de viande humaine sur les étals des marchés.Vers 1033, le lettré Raoul Glaber a laissé un témoignage écrit de la famine qui a sévi en Bourgogne :  »  Au moment de la récolte les champs étaient couverts de mauvaises herbes. […] Le muid de grain monta à 60 sous. Quand il n’y eut plus d’animaux à manger, les hommes, tenaillés par la faim, se nourrirent de charognes et d’autres choses immondes. Ils allèrent jusqu’à dévorer de la chair humaine. Les voyageurs, attaqués par des hommes plus robustes qu’eux, étaient découpés, cuits et mangés. En plus d’un endroit on déterra les cadavres qui servirent eux aussi à apaiser la faim. On vit même quelqu’un porter de la chair humaine cuite au marché de Tournus pour la vendre... «

1066

Une grande famine européenne

1097

Famine et peste. 100 000 morts en France

1146/1150/1151/1152/1160

De mauvaises récoltes de blé prennent place au moment de la moisson, et une famine s’ensuit

1195-1197

Une grande famine

1270

Les séries de disettes commencent dans les années 1270, culminent en 1314-1318 et se renouvellent jusqu’à une autre année terrible, 1347

1314-1318

Après les années de disette de la fin du XIIIe siècle qui débouchent sur une flambée du prix du blé, une grande famine dévaste l’Europe du Nord-Ouest ; c’est le premier signe des difficultés du XIVe siècle. La Grande famine de 1315–1317 est considérée comme l’un des pires événements de l’histoire du Vieux Continent, récoltes inférieures de jusqu’à 50% à l’année commune, une des plus importantes du dernier millénaire (entre 5 et 10% au moins de la population française est passé de vie à trépas), la population meurt de faim ou d’épidémie corrélatives, qui fleurissent sur la faim. C’est une famine climatique pure en ce sens qu’il n’y pas de problèmes politiques ou guerriers majeurs en cet an 1315. Cette période de disette a été marquée par une forte recrudescence de la criminalité, des maladies de toutes sortes, d’infanticide et même de cannibalisme dans certaines régions.

De l’année 1315 à l’année 1322, une famine catastrophique connue sous le nom de  » Grande Famine  » avait sévi dans le Nord de l’Europe. Les maigres réserves de nourriture et la flambée des prix avaient fragilisé la vie des populations avant l’arrivée de la peste. Le blé, l’avoine, les fourrages et toutes les autres denrées alimentaires étaient en stocks réduits et cela entraînait des famines à répétition et une malnutrition généralisée. Cela eut aussi pour conséquences une chute des capacités immunitaires et une augmentation de la vulnérabilité humaine à tous types d’épidémies.

1347

Une crise alimentaire touche l’ensemble du continent européen et décime les campagnes. L’épidémie de peste noire déclenchée une décennie plus tôt va exercer ses ravages à partir de 1348 sur une population affaiblie. Elle causera la mort de millions de personnes. La peur et l’ignorance poussent les hommes à chercher des boucs émissaires et à se venger sur eux de ce fléau : les pogroms contre les juifs se multiplient en 1348 dans toute l’Europe, notamment en Alsace, ainsi que les violences contre les lépreux. Seung Hun Baek, de l’Université Columbia note  » Le 14e siècle est l’un des siècles les plus dynamiques du Moyen Âge  » ;  » ces deux événements (la peste noire et la guerre de Cent ans) ont été aussi dévastateurs en partie parce qu’ils se sont produits dans le contexte d’une Europe déjà affaiblie par des années de grande famine « .

1350 – 1382

Jusque vers 1380, diverses années sont déficitaires en grains en raison du climat froid et humide, citons notamment les famines bien avérées en 1351 et 1360 (échaudeuses par exceptions), en 1363-1364 (grand hiver), en 1369-1370 et une grande en 1374, due en partie à la désorganisation de l’économie après la peste, famines de pluies et de mauvais temps. Une mauvaise récolte aussi en 1382 génératrice de la Révolte des Maillotins. Le XIVe siècle est donc souvent marqué par des épisodes froids et pluvieux et les famines corrélatives, argument qui a permis de justifier, pour divers historiens, son appartenance au petit âge glaciaire.

1408 – 1438

Une famine prend place en 1408 dans le Nord de la France due à un grand hiver. Puis on trouve un épisode d’échaudage en 1420, suivi d’un hiver 1420-1421 rude.

Après une période de bonnes récoltes (années 1420, début des années 1430), l’an 1432 faisant exception avec une famine d’hiver froid et d’été pourri, on arrive à l’an 1438, de nouveau un hiver froid et un printemps-été humide, qui cause une grande famine, aggravée par des combats franco-anglais de la Guerre de Cent Ans.

1440 – 1481

Les années 1440, 1450, 1460, 1470 et 1480, très bonnes pour les récoltes, qui laissent la place aux famines de pluies et de froidures de 1481, avant le premier XVIe siècle nettement radouci. Le XVe siècle est donc dans sa première partie plutôt froid et humide, propice aux famines, dans sa deuxième partie, plus doux et moins riche en famines.

1515

Famine en Poitou, Aquitaine et Auvergne

1521

Famine en Ile-de-France

1527

Famine à Nantes

1528

Famine en Languedoc

1565 à 1567

Disette dans toute la France

1582

Famine en Ile-de-France

1586 et 1587

Famine en Ile-de-France, Normandie, Val de Loire et pays Lyonnais.

1589 et 1590

Famine qui fait 45 000 morts à cause du siège de Paris par les troupes d’Henri IV.

1595 à 1598

Disette

1621

Famine

1648 à 1654

Famines en Ile-de-France, en Berry, dans le Massif Central et le Nord-Est.

1660 à 1662

Famine qui s’étend à tout le Bassin Parisien et à la région Aquitaine.

1663

Famine dans le Gâtinais qui supprime 20% de la population.

1693–1694

Une pénurie alimentaire dûs à l’été pluvieux de 1693 et l’hiver glacial de 1694 tue plus de 1,5 million de personnes en France, sur une population totale d’environ 22 millions d’habitants à l’époque.

En France, la grande famine de 1693, extraordinaire catastrophe nationale préparée par des abats d’eau incessants et par une pluviométrie trop considérable dès l’été et l’automne 1692. Bilan de ces années diluviennes, famineuses et du coup épidémique en 1693 : 1 300 000 morts supplémentaires sur une population « hexagonale » de 20 millions de personnes en 1693-1694. Ce qui ferait aujourd’hui, la démographie ayant triplé, 3 900 000 décès supplémentaires, − près de 4 millions de personnes en notre temps.

1709–1710

Grande famine de 1709 due à l’hiver rigoureux ; 600 000 morts en France. Les mendiants pullulent dans les villes, causant des problèmes sanitaires et de sécurité publique. Les registres paroissiaux témoignent d’une chute brutale des baptêmes et des mariages, tandis que les enterrements s’accroissent.

1725

Famine en Normandie, la population vit d’herbe des champs

1726

Famine

1739

Famine en Touraine, la population mange de l’herbe

1740

Famine dans les régions atlantiques et le quart sud-est du pays, grande misère pain d’orge et d’avoine pour seul nourriture. Très dur épisode de 1740, disons, en simplifiant, quatre saisons froides dont trois hyper-pluvieuses, avec non pas une famine, mais une grosse disette en conséquence. D’où viendra l’expression « Je m’en fous comme de l’an 40 »

1747

Famine dans le pays Lyonnais, la vallée de la Garonne et le Haut-Languedoc

1750 /1752

Grande famine

1769/1770

Grande famine

1775

Grande famine

1782

Famine

1788

Famines peut-être liées à El Niño ou à l’éruption de 1783 des Lakagígar en Islande

1789

Graves disettes dans la plupart des régions après un hiver très rigoureux

1812

Grande disette

1816

Disette : année sans été 1816, faisant suite à l’énorme explosion du volcan indonésien de Tambora en 1815, qui a empoussiéré l’atmosphère de la planète.

1830

Disette : Révolution de 1830

Grande famine de 1315-1317

 

La Grande famine de 1315–1317 qui se déroule en Europe est considérée comme l’un des pires événements de l’histoire du Vieux Continent.

Les périodes de sécheresse alternant avec des pluies abondantes, entre 1309 et 1315, ont provoqué une grave crise dans la production agricole de vastes régions du nord de l’Italie, telles que le Piémont, la Lombardie et l’Émilie. En Angleterre, elle se serait même prolongée jusqu’en 1322. C’est la première grande famine à l’échelle du continent depuis l’an Mil. Elle est liée à des pluies excessives qui ont débuté dès l’été 1314 et qui ont été quasiment ininterrompues entre le printemps 1315 et l’automne 1316. Une équipe de chercheurs de l’Observatoire de la Terre Lamont-Doherty et de l’Université Columbia ont étudié l’Atlas des sécheresses de l’Ancien Monde, une base de données s’appuyant sur l’étude des cernes des arbres pour tenter de reconstituer les climats européens passés. On sait que les cernes d’arbres sont plus étroits les années plus sèches et plus larges les années plus humides. Les analyses de ces enregistrements ont alors confirmé les données historiques. Une grande partie de l’Europe du Nord a effectivement connu des précipitations annuelles bien au-dessus de la moyenne entre 1314 et 1316 (l’année 1315 était visiblement la pire).

La production céréalière chute brutalement, à un niveau qui rend impossible de nourrir les populations, qui avaient augmenté aux siècles précédents. Cette grande famine est mentionnée par tous les grands chroniqueurs de l’époque, comme Gilles Le Muisit à Tournai ou Jean de Venette à Paris, qui insistent sur le nombre de morts.

Pour de nombreux historiens, elle signe la fin de la croissance démographique du XIe au XIIIe siècle. Le nombre de morts est difficile à évaluer. À l’époque, on compte en feux et non pas en nombre d’habitants. Dans les grandes villes des Flandres (Bruges, Tournai, Ypres), pour lesquelles on a des relevés précis, l’estimation est de 5 et 10 % de décès. L’Europe comptant à l’époque près de 73 millions d’habitants, il semble probable que cette crise frumentaire a causé plusieurs millions de morts.

 

Grande famine de 1693-1694

 

La grande famine de 1693-1694 est due à un hiver très rigoureux en 1692, suivi en 1693 d’une récolte très médiocre, causée par un printemps et un été trop pluvieux, causant une flambée des prix des céréales et une sous-alimentation qui favorise les épidémies comme le typhus, jusqu’en 1694. La France, qui avait alors 20 millions d’habitants, eut 1 300 000 morts en plus de la mortalité normale, selon Emmanuel Leroy-Ladurie, qui estime à 600 000 morts la catastrophe suivante, la Grande famine de 1709.

L’historien François Lebrun estime même que la population française est passée de 22,25 à 20,75 millions d’habitants en deux ans, entre 1692 et 1694, soit une perte totale d’un million et demi de personnes.

Ces terribles événements étaient loin d’être exceptionnels. Selon les historiens de l’époque, la France a connu 13 famines générales au XVIe siècle, 11 au XVIIe siècle et 16 au XVIIIe siècle.

« Supposez que ce relevé soit complet et fiable (ce dont je doute), il laisse de côté les famines locales, et celles-ci, très fréquentes, surviennent presque chaque année, ici ou là », a souligné l’historien Fernand Braudel, qui note qu’avec « l’effroyable disette » de 1812, la famine de 1816-1817 et la succession de mauvaises récoltes survenues entre 1820 et 1830, en 1837 et en 1846-1848, même le XIXe siècle n’a pas été épargné.

Lors de la grande famine de 1693-1694, la mauvaise nourriture due à la disette a favorisé les épidémies : la typhoïde de l’automne 1693 et du printemps 1694 est décrite par des « fièvres putrides, malignes, pestilentes, avec atteinte intestinale, taches abdominales (le pourpre), prostration, rêveries, assoupissement ». Selon l’historien Grégory Quenet, « la famine de 1693-1694 montre les limites de la capacité d’intervention de l’État » à cette époque, qui se contente d’interdire en 1692 l’exportation des blés. La famine a aussi une origine économique, les mauvaises récoltes entraînent une augmentation des prix, qui rend le pain difficile d’accès avant même que les céréales ne deviennent difficiles à trouver. La famine de 1693-1694 a cependant épargné la région méditerranéenne dont l’agriculture a même profité un peu d’une meilleure pluviosité.

Cette famine se produit sur fond de guerre de la Ligue d’Augsbourg, de relèvement de la taille et débouche sur la création, en 1695, d’un nouvel impôt, la capitation. Même s’il maîtrise mal la dimension météorologique de la catastrophe, dans un mémoire au roi Louis XIV, Vauban dénonce en bloc, en 1700, les causes selon lui de la crise démographique que traverse alors la France : la misère effroyable des paysans, les mauvaises récoltes, la lourdeur des impôts.

Le duc de Saint-Simon, dans ses Mémoires, raconte comment il fut témoin des fortes pluies de juin 1692, événement déclencheur de la crise agricole, pendant le siège de Namur par l’armée de Louis XIV :

« Ses tentes [du roi] et celles de toute la cour furent dressées dans un beau pré à cinq cents pas du monastère de Marlaigne. Le beau temps se tourna en pluies, de l’abondance et de la continuité desquelles personne de l’armée n’avait vu d’exemple, et qui donnèrent une grande réputation à saint Médard, dont la fête est au 8 juin. Il plut tout ce jour-là à verse, et on prétend que le temps qu’il fait ce jour-là dure quarante jours de suite. Le hasard fit que cela arriva cette année. Les soldats, au désespoir de ce déluge, firent des imprécations contre ce saint, en recherchèrent des images et les rompirent et brûlèrent tant qu’ils en trouvèrent. Ces pluies devinrent une plaie pour le siège. Les tentes du roi n’étaient communicables que par des chaussées de fascines qu’il fallait renouveler tous les jours, à mesure qu’elles s’enfonçaient; les camps et les quartiers n’étaient pas plus accessibles; les tranchées pleines d’eau et de boue, il fallait souvent trois jours pour remuer le canon d’une batterie à une autre. Les chariots devinrent inutiles, en sorte que les transports des bombes, boulets, etc., ne purent se faire qu’à dos de mulets et de chevaux tirés de tous les équipages de l’armée et de la cour, sans le secours desquels il aurait été impossible. » (Mémoires, chapitre 1)

Ces pluies sont aussi évoquées par deux autres témoins : Vauban, qui dirigeait les travaux du siège, et le jeune ingénieur Jean-Martin de La Colonie qui insiste sur les souffrances des hommes, épuisés par la boue et la faim, et la forte mortalité des chevaux, nourris de feuillages faute de fourrage.

Le registre paroissial d’Aubergenville, à la fin de l’année 1694 indique 4 baptêmes, 2 mariages et 41 inhumations. Le curé en indique la raison :

« L’année 1694 fut nommée l’année de la famine, les bleds de la récolte de 1693 étaient de si mauvaise qualité que le pain ne nourrissait point comme à l’ordinaire. Peu de temps après avoir mangé, on était encore dévoré de la faim. C’est à cela qu’on doit la mortalité qui arriva alors. Le prix du bled en 1693 était de 45 livres 15 sols le septier mesure de Paris et en 1694 le septier de bled valait 61 livres 3 sols prix commun »

Mais aussi d’autres témoignages :

celui du curé de Monetay-sur-Allier

« famine fort grande ladite année 1694 le fleau de famine na esté plus grand de memoire dhommes par toute la france specialement depuis le Dauphiné jusques au dela de paris, cette province se seroit soubstenue si elle navoit este accablee des pauvres de Lovergne et Limousin, dont il en est mort grand nombre hommes morts sur les chemins et dans les granges, il nen est mort quantite ladite année en cette paroisse des pauvres passants en sorte que nous avons administré les sacrements quand nous avons este demande et donne la sepulture a ceux qui ont esté aportes et ensevelyDieu nous preserve d’une semblable année qui a mis au tombeau une grande partie du petit peuple pauvre, le boisseau de bled mesure de Moulins seigle valoit 50 livres en juin, on le ravissoit par force sur les chemins a ceux qui vouituroient les bleds, cette disette cause aussy grand mortalite toute lannee aux pauvres et riches. Jay ecrit ce que dessus pour servir de memorial a la paroisse, sur le registre public et dequelle foy et la cloture. « Il y eu beaucoup de maladies sur la fin de l’année 1693 qui ont continué en l’année 1694 et beaucoup de mortallités particulièrement de gens de qualité et Riches  » J.B De Villers curé de ladite Eglise « 

ou celui du curé Combes de la paroisse de Joux Commune de Joux (Rhône) qui rend les hommes responsables de cette famine, par leurs péchés et leurs excès :

 » le quatorziesme may mil six cens nonante quatre, et le mesme jour a esté enterré un petit garçon mendian qu on a trouve mort dans un chemin ce qui arrive tous les jours en plusieurs endroits a cause de la famine et de la disette de touttes sortes de vivres le bled seigle valant douze livres le bichet et le froment quatorze, le pain bis quatre sols la livre l’huile douze livres la quarte, le niv douze livres lasnée et quatorse les pauvres ne mangeant point de pain et ne mangeant que des herbes par les prés et quelque morceau de pain davoine toutte bourrue qui se vend jusques a trois livres le ras, meurent de defaillance par les chemins ou dans leurs maisons après avoir langui quelques temps, les causes de cette disette ne peuvent estre autres que les pechés des hommes, leurs excès et autres debordements dans les temps de prosperité et d’abondance qui ont irrité la colere de Dieu et ont attiré ces fleaux  qui sont une guerre universelle de tous les princes de lheurope contre la france qui a deja dure cinq ou six ans et na pas dapparence de finir encor si Dieu ny met dautres dispositions les impots excessifs sur toutes sortes de choses, destats, de conditions et de mestiers, la stérilité de l’année derniere qui a esté si grande quil ny pas eu le quart de la recolte mesme dans les meilleurs endroits, tout a esté sterile jusqus aux buissons on ne trouve point de bled ny autres grains pour de largent, on na fait venir quantité des pays etrangers, de Barbarie etc mais cela abonde peu, les villes retiennent tout et il est defendu de sortir du pain de Lyon passé deux livres par personne soubs peine damandes et de chastiment aux boulangers, et de confiscation du bled et du pain, et quand on la sorti la populace des fauxbourgs et des petites villes et villages et des personnes qui satroupes sur les chemins et lenlevent impunement aux pauvres gens qui l’ont acheptés on nattend plus que une peste generalle si Dieu par sa misericorde na pitié de son pauvre peuple, cette disette a commencé avec la guerre, et par des gresles extraordinaire et a toujours augmenté jusques a present et je ne sais quand elle finira, Dieu le sait« 

 

Grande famine de 1709

 

La grande famine de 1709 se produit en France sur fond de guerre de Succession d’Espagne, qui s’achève quatre ans plus tard, en 1713 par le traité d’Utrecht. Comme la grande famine de 1693-1694, elle est due à un hiver très rigoureux, même s’il est moins humide, causant une flambée des prix des céréales. Cette famine a entraîné la crise financière de 1709.

À la suite des rigueurs des hivers 1709 et 1710, les prix des céréales flambèrent en France (10, 12 ou 13 fois les prix de l’année précédente). Celui du setier de blé atteint 82 livres contre seulement 7 livres. Une défense d’exporter des grains avait été édictée en 1698, sous peine de mort, alors que la difficulté à s’approvisionner causait la colère populaire.

Nicolas Desmarets, directeur des Finances depuis 1703 et nommé contrôleur général des Finances le 20 février 1708, parvint à obtenir du financier Samuel Bernard un prêt de 6 millions et à réduire le montant des tailles, mais en 1710, il dut organiser la levée d’un nouvel impôt, l’impôt du dixième, frappant tous les revenus.

La famine déclencha dès le mois d’avril des émeutes à Paris contre le « complot de famine », selon l’économiste Jean-François Calmette, faisant dire au contemporain Boileau, « il n’y a pas de jour où la cherté du pain n’excite quelque sédition ».

Des émeutes urbaines furent constatées dans les villes de la Loire moyenne, en Normandie, en Provence, en Languedoc et même dans la ville des frères Pâris, Moirans dans le Dauphiné. En 1709, près de 400 faux-sauniers sont condamnés aux galères et près de 300 en 1710, ce qui témoigne de l’explosion de la contrebande.

En avril, une ordonnance oblige les détenteurs de grains à déclarer leurs réserves. Les grains qui circulent entre les provinces du royaume ou qui proviennent de l’étranger sont désormais exemptés de droits d’entrée, d’octroi et de péages. Pour faire face à la situation, les riches sont taxés et les municipalités sont contraintes d’organiser des distributions de vivres aux nécessiteux.

Selon l’historien Pierre Goubert, le « grand hiver » de 1709 gela toutes les cultures et les arbres fruitiers. Les récoltes de blé furent détruites sauf dans les régions qui purent semer des blés de printemps. Un texte publié en 1790 dans La Nouvelle Maison Rustique sous la plume du « sieur Liger » nous renseigne sur les conséquences des « gros hivers » sur la culture du blé :

« Plus que la rigueur et la durée de la gelée, le plus à craindre dans les grands hivers est la persistance de fortes gelées juste après des périodes de dégel. Si le froid vient peu à peu, que la terre reste couverte de neiges qui la préservent des fortes gelées ou que l’eau est bien égouttée, même très fort et très long, l’hiver n’a pas de conséquences irrémédiables. Il ne fait alors mourir que la fane. Le grain, conservé en terre, pousse de nouveau au printemps, comme lors du grand hiver de 1608, qui fut suivi d’une ample moisson, ce qui s’est à nouveau produit lors du long hiver de 1729.
Mais si la gelée prend lorsque la terre est découverte et imbibée d’eau, par exemple, après un prompt dégel, elle pénètre, saisit, brise, ce qui arriva en 1693 et en 1709.
 »

Au printemps de 1709, les magistrats du Parlement de Paris, se basant sur l’exemple de l’hiver de 1694 interdirent de charger en nouveaux grains, les terres emblavées avant l’hiver, dans l’espoir que le blé y repousse comme en 1608, ce qui manqua à cause des gelées survenues coup sur coup pendant les dégels. Ces décisions suscitèrent la colère et l’incompréhension populaire, car les inégalités de récolte étaient très importantes d’une région à l’autre.

Les grains n’ont pas totalement manqué, les récoltes d’orge ont procuré une nourriture de remplacement, et les mesures de secours des autorités se sont révélées efficaces (distribution de céréales provenant de régions peu touchées ou de l’étranger, distribution gratuite de pain). Malgré cela, au total, pour les deux années, on enregistre en France 2 141 000 décès contre 1 330 800 naissances, soit une perte de 810 000 personnes, 3,5 % de la population.

Les maladies populaires furent fréquentes en automne, soit par la mauvaise qualité du grain qui n’a pas eu assez de nourriture, soit par le mélange qui s’y est fait des graines « de mauvaises plantes ».

Selon l’historien Pierre Goubert, en 1709, « comme en 1694, le petit peuple, aux réserves épuisées par les divers impôts, ne put vivre que de charité ou de charognes infectes. On enterra en série, on ramassa des morts le long des chemins… ». Le même auteur souligne que « les gens mouraient rarement de faim au sens étroit du mot, mais plutôt d’aliments infects des temps de crise, qui provoquaient diverses maladies contagieuses, surtout digestives ». L’historien, Marcel Lachiver, distingue trois grandes périodes de surmortalité : l’hiver 1709 avec, environ 100 000 victimes du froid entre janvier et mars 1709, une poussée de mortalité à l’été et l’automne 1709 en lien avec la mal-nutrition, voire la famine, et enfin une troisième vague de 270 000 morts de plus que l’ordinaire jusqu’à la récolte de 1710, ces décès étant, cette fois, liés à l’impact des épidémies (dysenterie, typhoïde,…). Pour évaluer l’impact démographique de la crise, il identifie également l’évolution du nombre de mariages (-140 000 sur les 1709-1710) et le déficit de naissances ( 1 331 000 naissances sur les deux années contre 1 753 000 habituellement). -422 000). De fait au 1er janvier 1709 le Royaume comptait 22 643 200 habitants. Il n’en compte plus que 21 800 000 au 1er janvier 1811. Comme aux époques récentes, le stress climatique est cause directe de mort, pour les populations jeunes et surtout âgées.

La grande famine fut ainsi plus ou moins importante selon les provinces : les zones littorales du Midi et de la Bretagne furent préservées en raison d’un climat plus clément, de facilités de ravitaillement par la route ou par la mer et surtout grâce à la consommation d’aliments de substitution : blé noir, maïs, laitages, poissons et coquillages. Par contre, la Provence et une partie du Languedoc virent leurs arbres fruitiers (oliviers, orangers, amandiers, …) en partie détruits et, si en Provence, on coupe pour faire repartir, quitte à attendre quinze ans pour obtenir à nouveau une récolte, en Languedoc, on opte pour la vigne.

Pour le reste du Royaume, il est possible de lire les conséquences démographiques des grandes gelées des hivers 1693-1694 et 1709-1710 dans les registres paroissiaux : on remarque souvent une multiplication par trois ou quatre du nombre des décès, une baisse sensible du nombre des mariages et une diminution plus importante encore du nombre de baptêmes (par suite d’aménorrhées ou de dénutrition).

Sans le secours des orges, qu’on sema dans certaines régions sur les blés, et qui fournirent avec tant d’abondance, qu’on appelle encore cette année, « l’année des orges », la famine aurait été bien pire encore.

Au printemps 1709, dans le Berry et ailleurs, on sema beaucoup de blés, qui levèrent bien, mais quand on vit qu’ils ne donnaient que des épis sans grain, on les faucha, pour faire paître les bestiaux. Les semis rapportèrent du grain l’année suivante, aussi abondamment que si on les avait semés de nouveau.

On apprit aussi que le blé semé dans des clos, le long des murs, à l’abri du vent du nord, y avait résisté à la rigueur du froid de cet hiver 1709. Quand le printemps est extrêmement humide et pluvieux, la récolte qui suit est ordinairement stérile, parce que le bon grain a été étouffé et affamé par une multitude de mauvaises plantes.

C’est grâce aux annotations des prêtres dans les registres paroissiaux, en marge des actes d’état-civil, qu’il est possible aujourd’hui de comprendre les conséquences démographiques des terribles hivers.


Témoignages de l’époque

 

Ceux de La Rochette en Charente rapportent : « En l’an 1709, l’hiver fut si cruel, qu’il tua tous les noyers et châtaigniers et plusieurs autres arbres fruitiers; un très grand nombre de personnes de l’un et l’autre sexe moururent de froid ; un nombre considérable d’oiseaux de toute espèce périrent ; à peine recueillit-on les semences qui avaient été jetées en terre, et le vin valait 400 livres le tonneau ; heureusement on put semer du blé d’Espagne (maïs) au printemps et une grande famine fut évitée ».

Ce témoignage s’ajoute à celui du curé Thomas de Bouëx (Charente): « L’année 1709, l’hiver a esté rude particulièrement vers la fin. Le six janvier il commencea un froid qui continua dix-sept jours avec de la neige épaisse de deux pieds qui dura autant que le froid c’est-à-dire qui ne fut fondue entièrement que le 25 dudit mois. Le froid fut si rude que toutes les rivières furent glacées ; à la réserve de la Toulvre, qui fut la seule sur laquelle on pouvait faire mouldre du bled ».

 

Autre.

 

« Tout cela commença le 6e jour de janvier de l’année 1709, fête des Rois. La veille, il avait plu et, le jour des Rois, il gela de manière prodigieuse. La gelée continua de plus en plus jusqu’au 28 du mois. Nul homme sur terre n’en a vu ni entendu parler ni lu dans l’histoire une semblable. Il gelait jusqu’au coin du feu et le vin auprès du feu ne dégelait qu’à peine. La rivière était prise sur plus d’un pied d’épaisseur. On coupait la glace avec des cognées et autres instruments pour permettre à l’un des deux moulins de tourner. Les glaçons qu’on en tirait étaient gros comme des pierres de taille. Les neiges étaient aussi prodigieuses que les gelées. On en avait jusqu’aux genoux. La gelée fut si forte que des chênes de 40 ans se sont fendus en deux ou trois par le milieu du tronc. On les entendait dans le vieux parc ou dans la forêt faire du bruit en s’ouvrant comme des pétards. Après la gelée, tous se sont refermés. Il n’y eut point de cave si profonde où la gelée ne pénétra. Dans les celliers, la plus grande partie du cidre fut perdue. Les volailles tombaient mortes dans les poulaillers, les bêtes dans leur tanière. Les hommes avaient bien du mal à se réchauffer. Certains allaient jusqu’à brûler leur lin pour ce faire. On trouvait des poules d’eau mortes le long des rives, des ramiers au pied des arbres, du gibier presque mort à même le sol ou dans les terriers. Il restait fort peu de lapins, encore moins de lièvres et très peu de perdrix. On leur faisait donner à manger, mais les corneilles s’en emparaient. On prenait les lièvres à la main. Ils n’avaient pas la force de courir. Le gibier était si maigre qu’il ne valait pas la peine de le manger. On ne voyait plus d’oiseaux et on n’en entendit guère au printemps. Jamais on n’avait vu tant d’oiseaux étrangers sur la rivière, certains extraordinairement beaux comme ces jacobins qui sont blancs de corps avec un collier tout noir et la tête de toutes les couleurs. Monseigneur de Vendôme et tous ses gens chassaient sans cesse sur la rivière, mais Son Altesse allait de temps en temps se réchauffer aux Cordeliers. La gelée frappa en majeure partie les animaux et les arbres d’un certain âge, épargnant un peu les jeunes. Il ne resta presque pas de vieux arbres, surtout pour ceux qui sont tendres. Pour dire une messe basse, il fallait deux réchauds : un près du calice et un autre près des burettes. Et de l’eau bien chaude pour faire l’eau bénite. Nous ne disions plus de messes hautes. J’y ai vu mes paroissiens à l’église avec les cheveux et la barbe tout blancs à cause de leur haleine qui gelait en leur sortant de la bouche. Le 28 janvier, il commença à dégeler. Le dégel continua tout doucement jusqu’au 18 février. C’est l’époque où se produisit à Evreux un meurtre qui remplit d’horreur tout le pays, tout le Royaume et même la Cour de Rome. […]

Je reviens à mon histoire que j’ai interrompue au 18 février 1709. Ce jour-là, la gelée recommença aussi fort qu’auparavant, surtout du 18 jusqu’au 23. Vent et rible provoquaient des coupures sur les visages. Ce rible découvrit les terres et les vignes recouvertes d’un bon pied de neige et emporta toute la neige dans les fossés et les sillons. La terre se trouvant ainsi à nu, après la fonte des premières neiges vint la gelée, de sorte que tous les blés du Royaume et de presque toute l’Europe furent perdus, sauf quelques sillons çà et là après le 23. Le vent et le rible sont tombés mais la gelée a continué jusqu’au 3 mars. Après, ce fut le dégel. Alors, on commença à tailler les arbres. Tous les vieux furent trouvés morts. Dans les jeunes, l’écorce était verte et le bois noir. Ils ont tous repoussé à cette sève, mais à la sève d’août une partie se fana et, au printemps, il en mourut un tiers, ainsi que beaucoup d’autres pendant l’été et l’automne. La plupart des vignes gelèrent. Un tiers ne repoussa pas. Un autre tiers repoussa dans sa souche. Les bourgeons qui avaient été sous la neige donnèrent du vin, mais il y en eut peu parce que le vent avait mis tout à nu dans le vignoble d’Ezy. Il n’y en eut que trois ou quatre pièces. L’année suivante on n’en eut pas davantage à Ezy, mais un peu plus sur la rivière de Seine. Néanmoins le vin fut rare pendant trois ans. La première année fut la proie du gel le 29 mai, mais il restait beaucoup de vin vieux La deuxième lors de l’hiver dont je fais l’histoire. La troisième fut insuffisante parce que le jeune bois qui avait poussé dans la souche n’était pas propre à faire du frais, sans parler du fait que le gel s’y mit début mai et que plus des deux tiers des bourgeons furent gelés. Le cidre aussi devint rare. Le prix du vin monta jusqu’à 300 sols la queue, celui du cidre à 140 le tonneau. On fut contraint de faire de la bière mais on avait du mal à s’y habituer dans le pays. Pendant ce temps la question des blés faisait toujours grand bruit. Les uns disaient qu’ils étaient gelés. Les autres soutenaient que non. Il fallut une défense royale pour empêcher de les relabourer. Il y en eut qui le firent en cachette pour semer à la place du seigle ou du méteil, mais quand les épis furent montés, ils étaient vides. En un mot, les grains n’étaient pas venus à maturité. Du début mars jusqu’à la fin de cette année 1709, les grains poussèrent, mais lentement. Le meilleur blé ne valait pas 30 sols à Pâques, mais sitôt qu’on comprit que la récolte serait médiocre, le prix monta à tous les marchés, tant et si bien qu’au mois d’août il valait 82 sols le septier, et jusqu’à 85 pour le plus beau. L’orge monta jusqu’à 45 sols le septier, et même jusqu’à 50. J’ai fait don de toute la réserve que je possédais pour ensemencer la paroisse à crédit, et pour 30 sols le septier, ce qui permit d’en produire beaucoup dans la paroisse. Les blés gelés se trouvaient surtout à Coutumel. On fit des listes pour nourrir les pauvres, conformément aux arrêts du Parlement. On était imposé à un sol la livre pour les deux tiers de son revenu. L’autre tiers en était exempt, de même que les portions congrues et les hôpitaux. Monseigneur de Vendôme dut payer 60 sols pour les pauvres d’ici sur les deux tiers de ses 1800 sols de rente. À cette époque on prit l’habitude de manger du pain de son. Les pauvres en vivaient. On le faisait remoudre auparavant et la remouture était encore fort chère. On faisait aussi du pain d’avoine. Monseigneur de Vendôme, celui qu’on appelle Louis Joseph, qui avait fait tant de beaux exploits en Italie, était alors retiré à Anet pendant qu’on prenait toutes nos frontières. Son Altesse, fort touchée de la misère des pauvres, fit confectionner du pain d’avoine pour en goûter et voir si on pouvait en vivre. Celui-là était passable. J’en ai moi-même goûté. Mais celui des pauvres gens étranglait, tant il était rude et amer. J’en ai goûté exprès. A chaque bouchée, il fallait un coup d’eau pour le faire passer. Il était impossible d’en manger sans beurre ou sans formage. Pour rendre ce pain un peu bon, il ne fallait tirer qu’une quarte de farine sur un minot de grain. Il revenait alors aussi cher que le pain d’orge. La plupart préféraient mourir plutôt que d’en manger. On eut beau essayer de toutes les manières, on ne réussit pas à en faire un bon. Le pain de sarrasin était meilleur. Il tirait sur le vert d’où son nom de « bis vert », mais on ne l’appréciait guère plus que le pain d’avoine. On en fabriqua beaucoup. »

 

 

 

Sources :

 

 

  • http://angeneasn.free.fr/

  • https://www.larousse.fr/archives/histoire_de_france/

  • http://seance-cinq-academies-2011.institut-de-france.fr/

  • L’Histoire N°383 janvier 2013

  • François Menant dans mensuel 383 daté janvier 2013

 

 

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