LE COQUETIER ET LE MARCHAND DE PEAUX DE LAPIN

Le coquetier et le marchand de peaux de lapin

 

Il existait autrefois dans les campagnes des métiers qui ont disparu aujourd’hui ou se sont transformés. Ils correspondaient évidemment aux besoins de l’époque.

 

Le coquetier


 


Le coquetier était en fait un marchand ambulant qui récoltait les produits frais tels que les œufs, le beurre, puis par la suite des volailles ou encore des légumes, parfois, aussi les peaux de lapins. Ils passaient dans les fermes acheter ces produits qu’ils revendaient ensuite au marché ou aux professionnels. Il s’agissait d’un commerce de négoce, très ancien, lien naturel entre la campagne et la ville et les « industries »de transformation.

Il est aussi appelé coquassier, cocassier, cocotier et même baloteur d’œufs suivant les régions.

C’est entre les deux guerres que ce petit commerce a été le plus florissant.

L’âge d’or de cette activité fut la fin du XIX° siècle et le début du XX° siècle, jusque dans les années 30. La guerre affaiblit les productions rurales. La finalité était l’approvisionnement des villes et des zones urbaines. Les plus grosses entreprises centralisaient la collecte des plus petites, pour remplir des trains entiers d’œufs et de beurre.

Ainsi étaient approvisionnés, alors, les particuliers, comme les industries de bouche, par wagons entiers, garnis de caisses en bois, de 996 œufs ( en fait, deux fois 83 doubles poignées… de 6 œufs ), (biscuiteries, fabricants de quenelles, pâtisseries, glaciers etc. Les productions hors-sol n’existaient pas, et ce sont elles qui, par leur production linéaire toutes saisons, mirent fin, (vers les années (1970), à cette activité plus que centenaire. La pasteurisation et la collecte du lait, avec la fabrication industrielle du beurre, tua la collecte des beurres « fermiers ». Ce sont donc les laiteries qui prirent la suite des coquetiers pour la production et la distribution de beurre, et les « casseries d’œufs » pour l’approvisionnement des industrie de bouche en ovo-produits, et les poulaillers industriels pour la production et la distribution des œufs frais

Il fut une époque encore récente (années 30, 40 voire 50) où n’existaient pas encore ces gigantesques poulaillers, pouvant abriter environ 1,2 million de volailles et produisant 700 millions d’œufs par an et 13000 tonnes d’ovoproduits (produits à base d’œufs pour l’industrie agroalimentaire). Ces monstrueuses dérives, à juste titre n’ayant pas encore cours, il fallait pourtant approvisionner les marchés et surtout les restaurants et autres pâtissiers tout au long de l’année et l’hiver en particulier. Les œufs étant produits en petite quantité dans des fermes familiales disséminées dans le territoire, c’est le coquetier qui les ramassait, les conservait et les livrait.

Les coquetiers passaient des contrats avec les pâtissiers, leurs plus gros acheteurs, qui demandaient à être approvisionnés toute l’année et surtout au moment des fêtes. Les pâtissiers passaient commande pour une certaine quantité d’œufs. Il fallait donc conserver les œufs et les stocker.

Comment conservait-il ces œufs plusieurs mois. Et quelle était la technique utilisée ?.

L’astuce était de conserver les œufs dans de grands bacs en ciment de un à plusieurs m3, chacun pouvant contenir plusieurs milliers d’œufs, immergés dans l’eau à saturation de chaux. Ils pouvaient y rester presque une année, de février ou mars, époque où la ponte est la plus importante, jusqu’à novembre ou décembre. On pouvait stocker jusqu’à 30 000 douzaines. Quand on avait besoin d’œufs, il fallait les retirer des bassins. On les prenait avec une épuisette.

Tout commençait par une élimination des œufs dont la coquille présentait d’éventuelles fêlures, pour cela, on les « toquait » manuellement les uns après les autres.. C’était un travail pénible Cette technique, comme de nombreuses autres utilisées suivant les pays, a pour objectif de rendre étanche à l’air la coquille d’œuf. Plongée dans cette eau, saturée de chaux, une mince pellicule se déposait sur la coquille et en bouchait les pores. L’intérieur (le blanc et le jaune) se trouvait alors protégé et pouvait se conserver plusieurs mois.

Plus tard, au lieu de toquer les œufs on les a «mirés»: il s’agissait de les passer sous une lampe qui les rendait transparents pour savoir s’ils étaient consommables ou non.

Dès la mise en œuvre des poulaillers industriels (dans les années1970), où les notions de mois d’hiver, de journées courtes n’ont plus de sens avec un éclairage permanent, la production devient régulière dans l’année et le métier de coquetier disparaît.

On trouvait encore, il y a quelques années dans les livres de cuisine de nos grand-mères mille et une autres méthodes pour la conservation des œufs :

    • Enveloppement : dans du papier journal, des torchons, de l’ouate non hydrophile. Serait suffisant pour un mois ou deux.

    • Enfouissement : dans du son, du poussier de charbon, de la sciure de bois (ni résineux ni odorant), des balles d’avoine.

    • Enrobage dans un bain de paraffine juste fondue (entre 35 et 60°), dans un mélange de silicate de potasse et de silicate de soude, dilué dans 10 fois son volume d’eau, par un badigeonnage d’huile de lin ou vaseline pure.

Et d’autres encore…

A noter que, durant la dernière guerre, pendant l’occupation, certains coquetiers étaient désignés et réquisitionnés pour récolter dans les villages les marchandises.

Jusqu’au début des années 1960, Mr Monier, coquetier, s’installait chaque semaine à Aouste sur Sye, sur la place de la Poste avec sa camionnette à trois roues, pour récolter ses produits mais aussi pour vendre aux ménagères du village. Le jour étant connu, les paysannes arrivaient alors avec les produits de la ferme : des lapins, des poulets et des poules dans un sac de jute, des œufs dans un panier d’osier, des chevreaux au printemps, ou, suivant la saison des escargots et des champignons mais aussi des peaux de lapins . En effet, quand un lapin domestique était tué pour la consommation familiale, sa peau était retirée avec délicatesse et  mise ensuite à sécher pour être vendue au coquetier. Les quelques sous retirés de la vente leur permettaient d’avoir des liquidités pour les achats courants à l’épicerie du village : café, sucre, planches de morues salées, boîtes de sardines, chocolat ou autres denrées alimentaires de première nécessité ainsi que des produits d’ entretien pour la famille et la maison (savon…).

 

Le marchand de peaux de lapin


Depuis les temps les plus reculés de l’histoire, l’homme, d’abord pour se vêtir, puis pour agrémenter son costume, employa les fourrures les plus diverses.


 


À des époques où rien n’est jeté et tout récupéré, ce petit métier de gagne-misère se pratique non seulement dans les campagnes mais aussi dans les villes.

Les peaux de lapin ont fait les beaux jours du métier de récupérateur. Ces peaux étaient grattées pour la fabrication de la colle et la fourrure était vendue pour réaliser des manteaux.

Dans les années cinquante et même soixante, dans les campagnes et les bourgades, on voyait passer des « marchands de peaux de lapin », qui achetaient les fameuses peaux de lapin aux campagnards, ces derniers les élevaient pour leur consommation personnelle et celle de leur famille. Les lapins, étaient tués et mangés, on gardait précieusement leur pelage que l’on faisait séché.

Dans les années 1950-1955, il n’y avait pas de supermarchés pour acheter les volailles, on élevait soi-même, les animaux dans la basse-cour, tels les pigeons, les poules, les coqs, les canards, les oies, les cailles, les pintades, les dindons, les lapins. C’était souvent une volaille ou un lapin qui faisait, le repas du dimanche. Quand on tuait un lapin, il était dépeçait et on faisait sécher sa peau.

Pour se faire la peau du lapin était retournée, poils au dedans, et on la suspendait à l’abri, dans une grange ou un atelier, afin que la peau, soit bien sèche, pour bien la détendre et pour qu’elle soit plus grande, elle était mise sur une fourche réalisée avec des branches de noisetier. Ainsi, elles paraissaient plus grandes et le marchand pouvait les payer quelques francs de plus…

Pour cet usage, la peau était alors débarrassée de toutes les adhérences qu’elle comportait, puis plongée dans un bain contenant de l’eau additionnée d’alun.

Ensuite, elle était mise à sécher sur un cadre et froissée périodiquement pour l’assouplir.

Si les peaux de lapins ne subissaient pas cette manipulation, elles étaient mises à sécher sur une baguette de noisetier, et étaient vendues lorsque le marchand de peaux de lapins passait dans le village.

Quand le marchand de peaux de lapin faisait sa tournée, on lui vendait les peaux, pour quelques francs de l’époque. Une peau de lapin représentait une valeur de 10 à 15 centimes en fonction de la beauté du poil, l’épaisseur, la grandeur, la couleur. et du nombre de peaux. Les peaux de lapins blancs (lapins aux yeux rouges) étaient achetées plus chères, car elles étaient plus rares et plus belles. Il estimait les peaux en les palpant, en tirant sur le poil, ajoutant souvent : « Hum ! Ça n’vaut pas grand chose tout ça ! ».

Le marchand, annonçait son arrivée, en criant dans les rues, « Peaux d’lapins Peaux »…, cela d’ une voie forte et tonitruante, on entendait de loin sa litanie et les femmes se pressaient d’aller chercher les précieuses peaux rangées dans les celliers, accumulées au fur et à mesure des abattages domestiques de lapins, séchées, retournées et tendues Ce marchand, avait soit un vélo avec porte-bagages sur lequel il ficelé les peaux de lapins, soit un triporteur ou même une charrette tirée par un petit cheval, les peaux de lapins étaient suspendues, après achat, tout au long de cette carriole, à la vue de tous.

Selon les époques, il passe à pied avec un sac ou un bâton pour accrocher les peaux, avec une carriole à bras ou à chien, un vélo avec une remorque ou de grosses sacoches, une 2CV ou une 4L sur la fin. Il porte une veste, une blouse (avant 1914) ou un gros paletot aux multiples poches pleines de bouts de ficelles (pour attacher les peaux de lapin) et de billets (pour les payer). Et il n’hésite pas à s’arrêter quelques minutes pour boire un café ou un petit coup de rouge…

Le marchand de peaux de lapins achetait aussi la peau d’autres animaux, telles les peaux de chèvres, de moutons, de taupes, etc… Il faisait aussi le négoce de vieux papiers, notamment les vieux journaux les vieux chiffons et la ferraille. Mais le marchand de peau de lapin, qui était un marchand ambulant, en faisait lui-même commerce, il allait ensuite revendre ces peaux ramassées à droite et à gauche, à des tanneurs, afin que ces derniers les travaillent et en fassent de belles vestes, de beaux manteaux ou des bonnets pour l’hiver. A cette époque, il y avait déjà le recyclage quoique l’on puisse penser !.

En 1950, ces marchands ambulants collectent encore en France un total de cent millions de peaux de lapin par an ! Car toutes les familles élèvent autrefois quelques lapins pour la consommation personnelle, y compris en ville. Pas de souci d’espace : un clapier se loge partout. Pas de problème d’alimentation : de l’herbe des bords de chemin, les épluchures des légumes et des pommes, des quignons de pain rassis, c’est bon. Le lapin se mange le dimanche, et comme on ne jette rien, la peau sert aussi. Certaines ménagères ont appris à la tanner et l’utilisent pour fourrer des chaussons ou des bottes, ou pour réaliser un manteau ou une couverture. D’autres la vendent au marchand de peaux de lapins, une sorte d’acheteur ambulant qui passe dans les rues toutes les trois semaines ou tous les deux mois selon la taille des communes. Entre les deux guerres, la collecte se ralentit dans les villes. Elle continue dans les campagnes jusqu’aux années 1970 puis s’arrête. Les modes de vie ont évolué: les gens achètent leur lapin « nu » en boucherie ou en supermarché et les fermiers qui ont encore un petit élevage personnel jettent les peaux.

Dans les années 40, le marchand donnait environ un centime par peau ;en 1960, selon la taille, l’épaisseur du poil et son état, le marchand achète chaque peau de 0,10 à 0,15 F (le SMIC horaire est de 1,64 F). Il paie plus cher les peaux de lapins blancs, angoras ou bleus. Pour les femmes qui guettent son passage, les quelques sous laissés font un revenu d’appoint.

Pour quel usage ? : le marchand n’utilise pas les peaux récoltées, il les revend. Les plus belles partent chez des tanneurs ou des fourreurs locaux, les autres sont destinées aux chapeliers. Il faut environ cinq peaux pour la quantité de poils nécessaire à la réalisation d’un chapeau de feutre. Selon sa qualité, ce type de chapeau, à la mode jusqu’aux années 1960, consomme entre 75 et 100 g de poils de lapin. Et, comme rien ne se jette, la peau restée nue est ensuite découpée en lanière pour fabriquer de la colle.

Petite anecdote. Saviez-vous qu’un marchand de peaux de lapins a fini général ? Il s’agit de Jean Humbert (1767-1823), marchand de peaux de lapins en 1789, volontaire dans les armées républicaines en 1792, passé général de brigade en deux ans, en 1794 !

 

Au musée de la chaussure et d’ethnographie régionale de Romans, représentation d’une scène de marché : au premier plan, accrochées à un pilier, 2 peaux de lapin bourrées de paille devant des cages servant au transport des volailles ; au centre, une balance romaine.

 


Sources :

  • www.portedumedoc.free.fr/
  • Extraits du livre : les métiers d’autrefois, Archives et culture, Paris, 2014, p.134.

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