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ToggleAuparavant comment justifiait-on de son identité en France ?
Si passeport est un mot qui sonne doucement à nos oreilles, évoquant les vacances, le voyage, le soleil, le passeport c’est aussi le moyen de surveiller nos faits et gestes, et par-dessus tout sur nos mouvements. Et c’est comme cela depuis très longtemps.
L’identification des personnes durant l’Antiquité et le Moyen Âge est régie principalement par la « reconnaissance interpersonnelle ». Une des plus anciennes références au passeport a été faite dans le Livre de Néhémie. Néhémie, un officiel servant le roi Artaxerxès de l’antique Perse en 450 av. J.-C, a demandé la permission de voyager en Judée. Le roi, qui était d’accord, lui donna une lettre adressée « aux gouverneurs de la province par-delà la rivière » leur demandant de le laisser passer à travers leurs territoires.
Le principe reste le même au fil des siècles, et tout individu franchissant une barrière, que ce soit celle d’une ville, d’une région ou d’un royaume, doit avoir son laissez-passer. Quelle que soit l’origine du mot né au XVe siècle, le passeport est donc le sésame indispensable pour passer la frontière et pénétrer l’inconnu. – Voir en annexe une lettre de passeport pour un marchand génois de 1414 – Et à l’époque, l’inconnu est à nos portes : faute de temps, d’argent, de moyens de locomotion, on reste le plus souvent chez soi. Le simple déplacement dans le département d’à côté est donc soumis à autorisation car pour le roi de France, puis pour les premiers républicains nés de la Révolution Française, il est essentiel d’avoir un œil sur tout le monde. Il hors de question de laisser nos meilleurs artisans quitter le pays et de ne pas contrôler les flux de vagabonds ou de criminels entre les régions du pays ! Ainsi, quand Paris est engorgée de chômeurs, on limite le nombre de passeports intérieurs délivrés, pour éviter tout risque de tumultes. Et lorsque le voyageur obtient un passeport, il n’est pas pour autant libre de ses mouvements : les étapes du trajet sont consciencieusement répertoriées et on va pointer à chaque arrêt.
Progressivement les pouvoirs centraux instaurent un état civil, voulant connaître leurs ressources humaines pour des questions de fiscalité, de police et pour lever des troupes militaires. Cet état civil est notamment tenu par l’Église à travers les registres paroissiaux avant d’être porté à la responsabilité des mairies à la Révolution. Au XVIIIe siècle, alors que la justice royale se formalise, les papiers d’identité (sauf-conduit, extrait baptistaire) laissent place progressivement au passeport, qui sert au contrôle par la maréchaussée des « classes dangereuses » (vagabonds et mendiants,) registres de déserteurs, carnets sanitaires lors de grandes pestes, étrangers et ouvriers), parallèlement à l’essor du bertillonnage ( l’anthropométrie judiciaire) et de la dactyloscopie (prise des empreintes digitales).
Le terme « passeport » est très ancien : il remonte au XVe siècle et vient de « passe » et « port » : il s’appliquait à l’époque à la libre circulation des marchandises. Son utilisation pour les voyageurs est attestée dès 1464. Le mot ne proviendrait peut-être pas des ports marins, mais du document médiéval requis pour passer les portes des villes fortifiées. En France, lorsqu’il revient sur les monopoles commerciaux créés par Colbert, Louis XIV délivre dès 1669 des autorisations de commerce à certains ports, dont celui de Nantes, et qui ne relèvent que du bon vouloir royal, appelés « passe-ports ». C’est l’époque où sont créés dans chaque colonie des postes de gouverneur et d’intendant, la compagnie des Indes occidentales étant dissoute en 1674 par Louis XIV. Sous le règne de Louis XIV, le roi et son administration sollicitaient pour les Français se rendant à l’étranger la protection des autorités des autres nations. Il leur signait des documents appelés passe-port, la plupart des voyages s’effectuant par mer.
Des certificats étaient ainsi utilisés dès l’Ancien Régime, en généralisant le système inventé lors de la peste de Marseille. Un registre des soldats est notamment mis en place en 1716 par Claude Le Blanc afin de lutter contre la désertion.
A partir de 1724, les vagabonds eux furent tenus d’avoir un passeport spécial.
Après une période d’expérimentation dès la Régence, au début du XVIIIe siècle, les passeports sont abolis au début de la Révolution, au nom de la liberté de circulation, qui est l’un des premiers droits énoncés par la Constitution de 1791. Mais leur usage est vite rétabli, en droit sinon en fait, avec une multitude de décrets et de lois, après la tentative de fuite du roi, arrêté à Varennes, le décret du 1er février 1792 rend obligatoire la détention d’un passeport pour circuler dans le pays ; le décret de la Convention Nationale du 7 décembre 1792 permet à l’administration de refuser d’émettre un passeport à quelqu’un qui le demande — décret qui a « force de loi » selon le Conseil d’État (1991) ; loi des 28-29 juillet 1792 ; le décret du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795 ), etc. Ces textes réglementaires ne sont toutefois qu’imparfaitement appliqués.
La France a notamment utilisé le système du livret ouvrier tout au long du XIXe siècle. La loi sur les nomades du 16 juillet 1912 (soutenu en particulier par Pierre-Étienne Flandin) oblige aussi ces derniers à se munir d’un « carnet anthropométrique ». Selon l’art. 8 du décret d’application de 1913 :
« Il doit, en outre, recevoir le signalement anthropométrique qui indique notamment la hauteur de la taille, celle du buste, l’envergure, la longueur et la largeur de la tête, le diamètre bizygomatique, la longueur de l’oreille droite, la longueur des doigts médius et auriculaires gauches, celle de la coudée gauche, celle du pied gauche, la couleur des yeux : des cases sont réservées pour les empreintes digitales et pour les deux photographies (profil et face) du porteur du carnet. »
On impose en 1917 le port obligatoire de la carte d’identité à tous les étrangers, celle-ci ne devenant obligatoire pour tous que sous Vichy, avec la loi du 27 octobre 1940. Elle est amendée et redevient non obligatoire avec le décret no 55-1397 du 22 octobre 1955, qui institue « une carte nationale certifiant l’identité de son titulaire [avec] une durée de validité de dix ans ». (15 ans depuis le 1er janvier 2014)
Les gouvernements successifs institueront divers documents d’identité suivant la catégorie d’individus :le passeport interne, le certificat de civisme, la carte de sûreté, le livret d’ouvrier, le livret de circulation, le carnet de circulation, le carnet anthropométrique, le passeport jaune et la carte nationale d’identité.
Le passeport interne
Avec la Révolution on vit s’instaurer à partir du 1er février 1792 un passeport pour se déplacer à l’intérieur de la France, et sortir de son canton, les passeports pour l’intérieur (pour aller de province à province) toutefois les militaires et les fonctionnaires en service sont munis d’une « feuille de route » qui les dispense de la formalité du passeport.
Passeport de l’intérieur du 21 juin 1838
Passeport de 1871 avec l’intitulé rectifié « République à la place d’Empire »
Passeport d’un marchand de vin du 20 juillet 1806
De 1815 à 1870, c’est le décret du 10 vendémiaire an IV (2.10.1804) qui oblige les gens à avoir un « passeport à l’intérieur » (2fr) pour quitter les limites du canton et « un passeport à l’étranger » (10fr) délivré par la préfecture pour voyager hors des frontières.
Ce décret subit des modifications successives en 1807, 1810, 1814, 1815,1816, 1818, 1823 mais sans remettre en cause le passeport. En 1828 les gens doivent dire combien ils ont d’argent à emporter afin de ne pas être à charge des communes portuaires, doivent être en règle vis à vis du fisc, les jeunes gens de justifier leur situation militaire.
Pour obtenir un passeport, il fallait, soit en déposer un plus ancien et le faire renouveler, soit être bien connu du maire du village ou du préfet de Police à Paris, soit encore présenter deux témoins connus qui répondent du demandeur.
A titre d’exemple vers 1850 dans le département du Bas-Rhin, le demandeur devait fournir : certificat de naissance, de domicile, « casier judiciaire », attestation du receveur des actes judiciaires, du percepteur pour les contributions directes, attestation du greffe que le sujet n’est pas tuteur ou curateur, certificat du maire qu’il est libre d’obligations militaires, et en plus le commissaire de police doit certifier qu’il n’y a pas d’empêchement à l’émigration.
Qui demandait un passeport? Les voyageurs, itinérants, les voituriers, les petits métiers, charbonniers, divers marchands de marchandises, les colporteur migrants, moissonneurs ( soyeurs, piqueurs, sapeurs). Tous ceux qui avait besoin de voyager pour gagner leur vie.
Les passeports pour l’intérieur, ancêtres des cartes d’identité, donnent de précieux renseignements:
description du demandeur, âge, lieu de naissance et de résidence, motif du déplacement, témoins…
Le lieu de destination était indiqué. Arrivé sur place, le voyageur devait faire viser son papier que le maire paraphait au dos du passeport. Seuls ceux qui franchissaient les limites de leur canton demandaient ce laissez passer, qui coûtait l’équivalent d’une journée de salaire d’un manouvrier. Il fallait un motif sérieux pour le demander. Les personnes mendiantes ou véritablement indigentes avaient droit à un passeport gratuit ainsi que les prisonniers libérés à qui on remettait un passeport spécial jaune, « le passeport jaune ».
Certains arrivaient à circuler avec un passeport périmé et ne le faisaient renouveler que tous les deux ans .
Tous les passeports sont individuels; le mari, la femme et les enfants au dessous de seize ans peuvent toutefois figurer sur le même passeport, mais non les domestiques. Rares étaient les femmes qui accompagnaient leur mari sur les chemins, plus rares encore celles qui ont demandé un passeport pour voyager seules. Dans une société où la femme en se mariant tombe sous la puissance de son mari, on conçoit que la place d’une épouse n’est pas sur les grands chemins. Parfois quelques unes partagent le document de leur conjoint.
Ces actes officiels sur papier filigrané et imprimé, reflètent, par leurs variations, les changements de régimes politiques. Le dix neuvième siècle a vu se succéder de nombreux types de gouvernement: deux Empires: le neveu marchant sur les traces de son oncle; deux rois, frères du roi guillotiné, essayant de faire oublier la Révolution Française; un autre roi, dont le père avait voté la mort de Louis XVI; deux républiques… trois révolutions ayant un peu bouleversé les choses… Sur une période de cinquante ans, entre 1807 et 1857, les passeports montre la succession des gouvernements, la marque de l’histoire nationale à l’échelle d’un petit village.Mais il est arrivé que les événements prennent de court les secrétaires de mairie qui durent utiliser, sous un autre régime, les papiers du gouvernement précédent. Ils prirent soin de raturer, très proprement, les attributs du régime passé en attendant l’impression de nouveaux formulaires
L’usage des passeports pour l’intérieur fut peu à peu abandonné à partir de 1860. La locomotive provoquera finalement la crise du passeport intérieur au XIXe siècle. Quand la paperasse voyage moins vite que l’individu, il est certain que cela pose quantité de problèmes ! Pour les citoyens français, on préfère donc la carte d’identité, plus simple pour identifier une personne, et marquer notre appartenance à une même nation. Mais le passeport reste aujourd’hui indispensable pour traverser les frontières, pour un voyage dans les règles.
Le certificat de civisme
Pendant la Révolution française, le certificat de civisme était délivré à Paris par le Conseil général de la Commune de Paris, il attestait et énumérait les qualités du bon citoyen que celui qui l’avait en sa possession avait rempli ses devoirs civiques : « il a prêté son serment civique, a accepté la Constitution Républicaine, et a payé ses impositions »: une attestation de bonne conduite et d’orthodoxie politique en quelque sorte.. Principalement délivré aux responsables des affaires publiques, beaucoup demandèrent ce certificat sous la Terreur. En vertu de la Loi des suspects, votée le 17 septembre 1793, les personnes à qui on ne l’avait pas donné étaient susceptibles d’être arrêtées. Il fut supprimé au début de septembre 1795.
Un certificat de civisme recto
verso
Anecdote concernant le certificat de civisme de Daubenton :
Daubenton, collaborateur du célèbre naturaliste Buffon, avait acquis par ses travaux une espèce de réputation populaire qui lui fut très utile sous le régime de la Terreur. En l’an II, l’octogénaire Daubenton eut besoin d’un certificat de civisme pour conserver l’emploi qu’il avait au Cabinet d’histoire naturelle.
Il fallait, pour ce faire, qu’il s’adressât à la section dite des Sans-culottes. Un professeur, un académicien aurait eu peine à l’obtenir. Quelques gens sensés eurent l’ingénieuse idée de présenter Daubenton sous le titre de berger, et ce fut le berger Daubenton qui obtint le certificat nécessaire au directeur du Muséum d’histoire naturelle. Voici cette pièce telle qu’elle lui fut délivrée :
« Appert que d’après le rapport fait de la société fraternelle de la section des Sans-culottes sur le bon civisme et faits d’humanité qu’a toujours témoignés le berger Daubenton, l’assemblée générale arrête unanimement qu’il lui sera accordé un certificat de civisme, et que le président de ladite assemblée lui donnera l’accolade avec toutes les acclamations dues à un vrai modèle d’humanité, ce qui a été témoigné à plusieurs reprises. » Signé, R. G. Dardel, président.
un autre certificat de civisme recto-verso
Recto et verso d’une « Carte civique » : forme primitive, municipale, d’une carte d’identité sous la Révolution (an III), inspirée des nombreux passeports intérieurs délivrés à cette époque et sous l’Empire.
La carte de sûreté
Les cartes de sûreté, instaurées sous la Terreur, par le décret du 19 septembre 1792, pour résider à Paris, afin de certifier que son porteur n’était pas suspect.
La carte de sûreté est une particularité parisienne, de septembre 1792 à début 1795 chaque parisien du sexe masculin âgé de plus de quinze ans devait être en possession d’une carte de sûreté, sorte de carte d’identité avant l’heure permettant aux habitants de Paris de circuler librement.
Avec, la finalité est d’assurer le retour de l’ordre, l’union de l’ensemble des citoyens et le concours de tous les pouvoirs pour le maintien de la tranquillité publique. Mais aussi elle réalise pour les individus une double réalité : celle de l’identité et celle du contrôle.
Cette identité a toutefois son revers : celui d’un contrôle accru. Les cartes de sûreté sont en particulier destinées aux hommes en activité, ayant besoin de cette caution politique pour travailler, surtout lorsqu’il s’agit de professions suspectes
Pour obtenir ce document, chaque citoyen devait se présenter accompagné de deux témoins à son Comité de surveillance, ou d’arrondissement après 1794 qui réalisait une enquête. Sur les cartes sont mentionnés la profession, l’âge, l’adresse, le lieu d’origine.
Elle resta en vigueur jusqu’en 1799.
Une « Carte de sûreté »recto et verso
Livret d’ouvrier
Pour « domestiquer le nomadisme des ouvriers » (cf. Denis Woronoff), le 9 frimaire XII (1er décembre 1803), le Consulat institue le livret ouvrier, annoté par les employeurs, visé par la police.
Au début du XIXe siècle, la condition ouvrière souffre de la méfiance policière et de l’autorité patronale qui s’abattent sur le salarié. Plus peut-être que sur le livret ouvrier, il convient d’attirer l’attention sur l’interdiction des coalitions ouvrières (1803) et sur la supériorité légale reconnue au maître . Celui-ci est toujours cru sur parole alors que l’ouvrier, traité en mineur, n’a même pas la possibilité de se défendre dans les conseils de prud’hommes (26 sont créés entre 1806 et 1813) où les patrons ont la majorité et où les salariés sont représentés par des chefs d’atelier, des contremaîtres et des artisans.
L’encadrement et la surveillance ont alors un double sens social et politique :
empêcher ceux dont la fonction est de fournir la force de leurs bras de s’évader de leur condition,
surveiller les migrants saisonniers et les ouvriers des chantiers publics qui sont particulièrement redoutés comme possibles disséminateurs de troubles. A Paris et en province, ils sont exposés à être arrêtés et expulsés des villes. Les ouvriers se déplaçant sans livret étaient considérés comme vagabonds jugés et condamnés.
Extrait de l’arrêté du 9 frimaire an XII
ARTICLE PREMIER. A compter de la publication du présent arrêté, tout ouvrier travaillant en qualité de compagnon ou garçon devra se pourvoir d’un livret.
ARTICLE 2. Ce livret sera paraphé sans frais, à savoir : à Paris, Lyon et Marseille par un commissaire de police ; et dans les autres villes par le maire ou l’un de ses adjoints. Le premier feuillet portera le sceau de la municipalité, et contiendra le nom et le prénom de l’ouvrier, son âge, le lieu de sa naissance, son signalement, la désignation de sa profession et le nom du maître chez lequel il travaille.
ARTICLE 3. L’ouvrier sera tenu de faire viser son dernier congé par le maire ou son adjoint, et de faire indiquer le lieu où il se propose de se rendre. Tout ouvrier qui voyagerait sans être muni d’un livret ainsi visé sera réputé vagabond, et pourra être arrêté et puni comme tel.
ARTICLE 4. Tout manufacturier, entrepreneur et généralement toutes personnes employant des ouvriers, seront tenus, quand ces ouvriers sortiront de chez eux, d’inscrire sur leurs livrets un congé portant acquit de leurs engagements, s’ils les ont remplis. Les congés seront inscrits sans lacune, à la suite les uns des autres ; ils énonceront le jour de la sortie de l’ouvrier.
ARTICLE 5. L’ouvrier sera tenu de faire inscrire le jour de son entrée sur son livret, par le maître chez lequel il se propose de travailler, ou, à son défaut, par les fonctionnaires publics désignés en l’article 2, et sans frais, et de déposer le livret entre les mains de son maître, s’il l’exige.
ARTICLE 6. Si la personne qui a occupé l’ouvrier refuse, sans motif légitime, de remettre le livret ou de délivrer le congé, il sera procédé contre elle de la manière et suivant le mode établi par le titre 5 de la loi du 22 germinal. En cas de condamnation, les dommages-intérêts adjugés à l’ouvrier seront payés sur-le-champ.
ARTICLE 7. L’ouvrier qui aura reçu des avances sur son salaire, ou contracté l’engagement de travailler un certain temps, ne pourra exiger la remise de son livret et la délivrance de son congé qu’après avoir acquitté sa dette par son travail et rempli ses engagements, si son maître l’exige.
ARTICLE 8. Si l’ouvrier n’a pas remboursé les avances qui lui sont faites, le créancier aura le droit de mentionner la dette sur le livret.
ARTICLE 9. Dans le cas de l’article précédent, ceux qui emploieront ultérieurement l’ouvrier, feront, jusqu’à entière libération, sur le produit de son travail, une retenue au profit du créancier. Cette retenue ne pourra, en aucun cas, excéder les deux dixièmes de salaire journalier de l’ouvrier : lorsque la dette sera acquittée, il en sera fait mention sur le livret. Celui qui aura exercé la retenue, sera tenu d’en prévenir le maître au profit duquel elle aura été faite, et d’en tenir le montant à sa disposition.
ARTICLE 10. Lorsque celui pour lequel l’ouvrier a travaillé, ne saura ou ne pourra écrire, ou lorsqu’il sera décédé, le congé sera délivré, après vérification, par le commissaire de police, le maire du lieu, ou l’un de ses adjoints, et sans frais.
ARTICLE 11. Le premier livret d’un ouvrier lui sera expédié, 1° sur la présentation de son acquit d’apprentissage ; 2° ou sur la demande de la personne chez laquelle il aura travaillé ; 3° ou enfin sur l’affirmation de deux citoyens patentés de sa profession, et domiciliés, portant que le pétitionnaire est libre de tout engagement, soit pour raison d’apprentissage, soit pour raison d’obligation de travailler comme ouvrier.
ARTICLE 12. Lorsqu’un ouvrier voudra faire coter et parapher un nouveau livret, il représentera l’ancien. Le nouveau livret ne sera délivré qu’après qu’il aura été vérifié que l’ancien est rempli ou hors d’état de servir. Les mentions des dettes seront transportées de l’ancien livret sur le nouveau.
ARTICLE 13. Si le livret de l’ouvrier était perdu, il pourra, sur la présentation de son passe-port en règle, obtenir la permission provisoire de travailler, mais sans pouvoir être autorisé à aller dans un autre lieu ; et à la charge de donner à l’officier de police du lieu, la preuve qu’il est libre de tout engagement, et tous les renseignements nécessaires pour autoriser la délivrance d’un nouveau livret, sans lequel il ne pourra partir.
Au vue de cet extrait que l’arrêté du 9 frimaire an XII (1er décembre 1803) était destiné à lutter contre le vagabondage, mais il renforçait dans de nombreux métiers la sujétion de l’ouvrier envers le patron qui conservait le dépôt du livret : un patron ne peut embaucher un ouvrier dépourvu de livret. Mais le livret vise aussi à empêcher les patrons, en période de rareté de main-d’œuvre, de débaucher les ouvriers de leurs concurrents. Cette situation dura jusqu’en 1851 malgré les protestations ouvrières. Le livret « ne disparaîtra définitivement qu’en 1890, mais avant cette date, il était tombé en désuétude dans beaucoup de secteurs artisanaux ou industriels, du fait même des employeurs, incapables de les tenir à jour, ou peu soucieux de s’infliger une tâche administrative au dessus de leurs moyens » (cf. Abel Poitrineau).
Carnet de circulation et carnet anthropométrique des gens du voyage
A la fin du XIX° siècle, les autorités réalisent qu’un des principaux obstacles au contrôle des personnes en l ‘absence d’instruments permettant de connaître avec cette certitude leur identité lorsqu’elles se déplacent . Ce phénomène contribue à rendre tout particulièrement problématique l’identification des vagabonds, forains et ambulants. Précisément, ces catégories suscitent, à cette période, l’inquiétude des observateurs et la fébrilité des forces de l’ordre. Les craintes provoquées par cette « population flottante » sont amplifiées par la presse à grand tirage qui multiplie les reportages sur l’insécurité dans les campagnes;la société républicaine en voie de construction voit dans ces populations jugées marginales, mobiles et criminelles, un « ennemi de l’intérieur » qui déchaîne les passions.
Le carnet de circulation
L’instauration d’un carnet de circulation en 1810 oblige les nomades à signaler aux autorités tous leurs déplacements Des circulaires ministérielles réglementent, entre 1854 et 1863 la circulation des non-sédentaires et impose l’usage d’un « carnet spécial de saltimbanque ». Sont concernés les gens du voyage et tous les artistes ambulants et autres itinérants. La loi du 8 août 1893 crée des registres d’immatriculation tenus par les maires pour ces populations qui doivent se faire inscrire lors de chaque séjour dans une localité. (parfois tous les jours) En mars 1895, on procède au recensement des nomades.
Les personnes dépourvues de ressources régulières sont particulièrement contrôlées, puisqu’elles sont passibles d’une peine d’emprisonnement de trois mois à un an si elles circulent sans ce carnet (de même pour le livret). Le fait de ne pas le faire viser au commissariat tous les trois mois est passible d’une amende (contravention de 5e classe). À la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a supprimé le carnet de circulation, mais pas le livret, le 11 octobre 2012
Le carnet anthropométrique
Le carnet anthropométrique était un document administratif français obligatoire permettant d’identifier et surveiller les déplacements des nomades sur le territoire français.
Testé en 1907 sur un groupe de nomades de Charente, le carnet anthropométrique est instauré le 16 juillet 1912, ce carnet était obligatoire pour tous les nomades âgés de plus de 13 ans et devait consigner tous les déplacements, rendant possible une étroite surveillance de ces populations .
Il contenait plusieurs informations anthropométriques, ainsi que les empreintes digitales et des photos d’identité . Selon l’art. 8 du décret d’application de 1913 :
« Il doit, en outre, recevoir le signalement anthropométrique qui indique notamment la hauteur de la taille, celle du buste, l’envergure, la longueur et la largeur de la tête, le diamètre bizygomatique, la longueur de l’oreille droite, la longueur des doigts médius et auriculaires gauches, celle de la coudée gauche, celle du pied gauche, la couleur des yeux : des cases sont réservées pour les empreintes digitales et pour les deux photographies (profil et face) du porteur du carnet. »
Le carnet anthropométrique, est généralisée par la loi du 16 juillet 1912. Il est supprimé par la loi du 03.01.1969 mise en vigueur le 01.01.1971. Cette dernière concerne une population élargie à toute personne sans domicile fixe. Il est remplacé en 1969 par le livret de circulation .
Le 3 janvier 1969 la loi est abrogée, les nomades sont maintenant appelés gens du voyage et le carnet est remplacé par le livret de circulation . La suppression de ce dernier est votée par l’Assemblée nationale en 2015 .
Un carnet anthropométrique
Le livret de circulation
En 1969 le livret de circulation est mis en place.
Le livret de circulation est un document requis et obligatoire en France pour toutes les personnes, enfants compris françaises ou étrangères, n’ayant pas de domicile fixe ni de résidence fixe depuis plus de six mois, et âgées de plus de 16 ans.
Il a été instauré par la loi du 3 janvier 1969 « relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe » qui abroge la loi de 1912 sur les nomades, qui obligeait ceux-ci à se doter d’un carnet anthropométrique enregistrant notamment leurs empreintes digitales.
Il s’inscrit ainsi dans une tendance ancienne de l’État en France, remontant à l’Ancien Régime, qui vise à contrôler le nomadisme et le vagabondage. Dans certains cas (le « carnet de circulation » délivré aux personnes ne pouvant justifier de revenus réguliers et n’exerçant pas d’activité ambulante), le fait de ne pas l’avoir est passible d’une peine de prison. D’un autre côté, il est aussi un succédané de domicile, permettant à son détenteur d’exercer ses droits civils.
Les détenteurs de livrets ou de carnet de circulation doivent pointer au commissariat ou à la gendarmerie de façon régulière (l’intervalle varie selon les cas) pour se faire viser leurs livrets de circulation .
Ce livret ne permet pas de franchir les frontières de la France: pour cela, une carte d’identité ou un passeport est requis .
Une proposition de loi prévoyant sa suppression est adoptée en première lecture à l’assemblée nationale dans la nuit du 9 au 10 juin 2015.
Carte nationale d’identité
En 1917, un décret instaure une carte d’identité obligatoire pour les étrangers. Ce projet avait été défendu avant la guerre par le député de Briey, Albert Lebrun, pour lutter contre la délinquance d’origine étrangère et notamment italienne en Meurthe-et-Moselle. Quand la préfecture de police a tenté d’imposer une carte d’identité obligatoire pour tous, elle a dû renoncer devant la résistance des élites intellectuelles et des syndicats.
La carte d’identité pour tous ne devient obligatoire que sous Vichy, avec la loi du 27 octobre 1940.
De provisoire et limitée aux franges nomades de la population, la carte d’identité devient permanente et généralisée en septembre 1921. Le préfet de police du département de la Seine, Robert Leullier, institue une « carte d’identité de Français », qui demeure toutefois facultative. La carte remplace l’ancienne pratique qui exigeait la présence de deux témoins pour de nombreuses démarches afin de limiter les fraudes et de faciliter les contrôles de police et administratifs.
Le 27 octobre 1940, le maréchal Pétain décrète que « tout Français de l’un ou de l’autre sexe, âgé de plus de seize ans, ne peut [désormais] justifier de son identité […] que par la production d’une carte d’identité, dite « carte d’identité de Français » » dans la vague des mesures de contrôle de la population par l’État français. À partir de 1942, la mention « Juif » est apposée, le cas échéant. La carte d’identité est effectivement délivrée et généralisée à partir de 1943, le numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques (NIR) lui étant intégré.
Comme de nombreuses autres lois, elle n’a pas été abolie après-guerre. Elle est amendée et redevient non obligatoire avec le décret no 55-1397 du 22 octobre 1955, qui institue « une carte nationale certifiant l’identité de son titulaire [avec] une durée de validité de dix ans » (15 ans depuis le 1er janvier 2014). Elle était à l’époque considérée comme un moyen de contrôle des Français d’Algérie.
Des cartes d’identité
Des anciens passeports français
Passeport intérieur de 1815
Passeport à l’étranger de 1846
Passeport gratuit pour l’étranger 1917
Couverture du passeport de 1947
Autorisation de déplacement hors de France pour étranger en février 1933
Lettre de passeport pour un marchand génois (1414)
Source : Archives Départementales de l’Hérault, Série A, n° 8, folio 113 à 115
Voici une lettre de passeport donné à Arras (Pas-de-Calais) le 28 août 1414, par le roi Charles VI (1380-1422) en faveur de Frédéric IMPERIAL, marchand originaire de Gènes, en Italie, mais demeurant à Avignon (qui faisait alors partie des Etats relevant du Saint-Siège), pour lui permettre de circuler en France et exercer son métier de marchand.
Charles, par la grace de Dieu, roy de France, a nos amez et féaux connestable, mareschaux, admiral, maistre de nos arbalestriers, viceadmiral, sénéchaux, baillifs, prévosts, commissaires, maistres des ports, capitaines de gens d’armes, maires, consuls, eschevins, gardes de bonnes villes, citez, chateaux, forteresses, ponts, ports, passages, péages, travers, jurisdictions et destroits, gens d’armes, arbalestriers, patrons et maistres de nefs, bargues et galères et autres vaisseaux, et à tous nos autres justiciers, officiers et subjects, amis, aliés, adhérans et bienveillans, salut et dilection.
Ouye l’humble suplication de nostre amé Frédéric Impérial, marchand geneuois, demeurant en Avignon, contenant que il a demouré continuellement en la dicte ville d’Avignon et a fréquenté marchandement nostre royaume par l’espace de trante ans ou environ sans avoir demeuré à Gennes, fors en passant seulement durant le dit temps et toujours ayt esté nostre bon, vray et loyal subiet et obéissant, sans avoir onques esté consentant ne participant à la rebellion darrière ne autrefois commisse par aucuns gennevois, nos rebelles et ennemis, et encores a entention à présent de fréquenter iceluy nostre royaume et y faire et exercer fait de sa dite marchandise et mesmement à Montpellier et ailleurs en plusieurs partyes de nostre royaume, laquelle chose il n’oseroit bonnement faire sans avoir nos exprès congié et licence nonobstant la dite rebellion et certaines ordonnances par Nous, sur ce faites, en Nous humblement requérant que comme il ayt toujours esté nostre bon et loyal subiet et obéissant a volonté d’estre toute sa vie et luy ayt moult grevé et desplu la dite rebellion, Nous luy veueillons iceux nos licences et congié gratieusement octroyer.
Nous, ces considérées au dit Frédéric, avons donné et octroyé, donnons et octroyons congié et licence de venir en nostredite ville de Montpellier et ailleurs en nostredit royaume et villes et citez, ou bon luy semblera y estre, demourer et marchander licitement et faire ses faits et besongnes sans empeschement ne destourbier aucun, si mandons, commandons et expressement enjoignons à vous, nos justiciers, officiers et subjets, prians et requerans vous, nos amis, aliiés et bienveillans, et chacun de vous, que ledit Frédéric luy troisesme de personne, ses facteurs, familliers ou serviteurs, lesquels avec leurs cevaux, mulles, armes, arnois, mullets, bahus, bouges, sommes, sommers, robes, argent et joyaux et autres choses, marchandises et biens quelconques licites et non déffendus, Nous avons pris et mis, et par ces présentes prenoms et mettons en nostre sauf et seur conduit, vous faites, souffrez, laissez aller, venir, passer, repasser, estre, demourer, séjourner, retourner et revenir de jour et de nuit, à pied et à cheval, par eau et par terre, sainement et seurement par les terres, villes, citez, chasteaux, forteresses, pont, ports, passages, péages, travers, jurisdictions et destroits de nostre royaume et de vous et à vous connus, sans leur faire mettre ou donner, ou souffrir estre mis, fait ou donné pour occasion des choses susdites en corps, ne en biens aucun destourbier ou empeschement en quelque manière que ce soit, ameois leur pourvéez ou faites pourvoir de bon et seur conduit, compaignée, vivres et autres leur necessité à leurs depen fere et par juste et raisonnable prix se mestier est, et ils vous en requèrent et tant en faites vous, nos justiciers, officiers et subjets dessusdits, chacunen droit soy qu’il n’y ayt de vostre part aucun deffaut et vous nosdits alliez, amis et bienveillans, comme vouldrez que Nous fissions pour vous en cas pareil, car ainsy Nous plaist il estre fait et audit suppliant, l’avons octroyé et octroyons de grace espéciale par ces présente, nonobstant quelconques ordonnances, instructions faites contre lesdits gennenois et lettres subrepties impétrées ou à impétrer à ce contraire, ces présentes après un an non valables.
Donné en nostre ost devant Aras, le vingt huitiesme jour d’Aoust, l’an de grace mil quatre cents et quatorze, et de nostre règne le trante et quatriesme, par le Roy, présents Messire Régnault de Soleville, les Sieurs de Blenville et de Converville, maistre Jacques de Montinot et autres, P. Nanton.
Sources :
- http://www.wikipédia.org
- http://www.histoire-genealogie.com
- http://www.senat.fr/rap/l96-283/l96-2831.html
- http://barthes.ens.fr/clio/revues/AHI/articles/preprints/asseo.html
- http://miroir.mrugala.net/Arisitum/cdf/paspor.htm
- http://www.persee.fr/docAsPDFmefr_1123-9891_1999_num_111_2_4670.pdf