COMMENT DEVENAIT-ON DOCTEUR EN MÉDECINE AVANT LA RÉVOLUTION ?

Comment devenait-on docteur en médecine avant la Révolution ?






Quels étaient les examens à la Faculté de Médecine de Paris avant la Révolution et à quoi correspondaient les multiples thèses, aux noms variés, que l’étudiant en médecine devait soutenir tout au long de ses études, jusqu’à l’obtention du grade de docteur ?

Les études de médecine comprenaient jadis trois stades : le baccalauréat, la licence et le doctorat, couronnés par l’acte de Régence qui agrégeait le nouveau docteur à la Faculté de Médecine, école et corporation tout à la fois, mais la qualité de Régent ne s’accordait qu’à ceux qui avaient mérité l’estime et la confiance de leurs pairs. La cooptation précédait l’examen.

 

Le baccalauréat

 

Pour briguer le baccalauréat en médecine, il fallait être auparavant maître ès arts de l’université de Paris ou d’une université de province. Sur présentation de leur diplôme et de leur extrait de baptême, les étudiants étaient admis à suivre les cours des professeurs et les répétitions de leurs aînés, les bacheliers émérites.

 

 Une licence à l’Université de Montpellier au XVIe siècle (l’évêque-président est à gauche, le candidat et les maîtres sont revêtus de la robe dite de Rabelais, à chaperon).
Gravure extraite d’Aesculape d’août 1913

 

Au bout de vingt-huit mois pour les fils de docteurs, de trente-six mois pour les maîtres ès arts de Paris et de quatre ans pour les autres, et munis de certificats de leurs professeurs attestant leur assiduité aux cours, les aspirants au baccalauréat adressaient le samedi de la Mi-Carême « une supplique courte et élégante » à la Faculté. Puis chacun répondait à une question sur les généralités de la médecine posée par un docteur.

Huit jours plus tard, après l’examen et l’approbation de leur dossier par une commission de docteurs, les candidats étaient admis à l’examen qui commençait la semaine suivante. On les interrogeait le lundi sur la physiologie, le mardi sur l’hygiène, le mercredi sur la pathologie, le vendredi étant consacré à l’explication d’aphorismes d’Hippocrate. Ce jour-là s’engageait une petite discussion, le doyen et chacun des quatre examinateurs proposant un ou deux syllogismes contradictoires.

Le lendemain, la Faculté assemblée, après avoir entendu le rapport des examinateurs, se prononçait par scrutin sur la capacité du candidat et proclamait le nom des nouveaux bacheliers. Ceux-ci prêtaient alors serment et s’engageaient à soutenir « trois fois une thèse quodlibétaire et une fois une thèse cardinale » et à « assister à tous les actes de la Faculté depuis le commencement jusqu’à la fin ». Ils juraient également « d’observer dans les disputes, la paix, la tranquillité et le mode d’argumentation de la Faculté ».

Il faut noter qu’au stade du baccalauréat il n’est pas encore question de thèses mais de « quaestiones medicae » et que parler de thèses de baccalauréat est une erreur. Tous ces examens avaient lieu en latin et visaient plus à jauger l’habileté intellectuelle du candidat, son aptitude au raisonnement et ses dons d’argumentation que ses connaissances médicales ou scientifiques. Il en sera de même pour toutes les autres épreuves que le candidat au doctorat aura à subir.

 

La licence

 

Cette nouvelle période durait deux ans et, ouvrait la série des thèses proprement dites. Deux mois après leur réception au baccalauréat, les bacheliers subissaient pendant une semaine un examen sur la matière médicale simple ou composée. Ils devaient également reconnaître des médicaments exposés sur une table.

L’hiver suivant ils commençaient à passer leurs thèses. Ces thèses de licence n’ont que de lointains rapports avec la thèse actuelle du doctorat en médecine et ne peuvent lui être comparées. Elles n’étaient en rien le fruit d’un travail personnel du candidat ni le résultat de recherches scientifiques poussées. Elles ne faisaient pas davantage le point sur une question controversée de médecine et n’ouvraient aucune voie nouvelle à la science. Dans les cas extrêmes, la dissertation est même copiée sur une thèse antérieure défendue douze, vingt ans ou cinquante ans plus tôt, ou presque composée par le président de la thèse.

Ces thèses étaient en effet avant tout des exercices de raisonnement et servaient de base à des débats oraux qui en prolongeaient la soutenance. Comme telles, elles se devaient toutes d’adopter le même mode de raisonnement, choisi une fois pour toutes, et qui était le syllogisme. C’est ainsi que le corps de la thèse se partage en cinq articles. Le premier corollaire établit la question, et exprime la majeure que le second prouve, le troisième pose la mineure que le quatrième démontre, et la cinquième comprend les objections. La conclusion découle des prémisses.

Cette forme de thèse portait le nom de quodlibétaire parce que d’une part le candidat avait le choix de son sujet, et que d’autre part il était tenu de répondre à une série de questions posées d’abord par ses condisciples bacheliers, et ensuite par les docteurs et le président, sans que l’obligation leur soit faite de poser des questions se rapportant plus ou moins à la thèse. Cette soutenance de thèse durait toute la matinée, de 8 h à 12 h.

Ces thèses étaient toujours imprimées et la Faculté de Médecine de Paris en possède une collection complète de 1539 à 1778 et avec des lacunes de 1778 à 1791. Sur ce modèle de thèse quodlibétaire le bachelier commençait par présenter une thèse de physiologie entre la Saint-Martin et le mercredi des Cendres. Puis entre le mercredi des Cendres et la Saint-Pierre une thèse d’hygiène appelée cardinale — ces thèses furent établies à partir du 18 mars 1468 — en mémoire du cardinal d’Estouteville, réformateur de l’Université de France en 1452.

Entre ces deux actes, après la réforme du doyen Th. Baron, en 1733, se situait en novembre, l’examen d’anatomie théorique et pratique qui durait sept jours consécutifs. Au cours de la deuxième année, deux autres thèses quodlibétaires devaient être soutenues dans la même forme que l’année précédente. La première roulait sur la pathologie ou la thérapeutique, tandis que la seconde ne concernait que la chirurgie uniquement. Ces thèses de chirurgie furent instituées par le doyen Ph. Caron et sont signalées pour la première fois dans les « Commentaires », le 1er avril 1724.

Pendant l’hiver de leur deuxième année de licence, les bacheliers passaient aussi depuis 1733, un examen de chirurgie théorique et pratique. Les étudiants devaient exécuter eux-mêmes et en présence de la Faculté toutes les opérations sur le cadavre.

Ces actes et exercices accomplis, les deux ans de licence expirés, le samedi de la veille des Rameaux, les bacheliers demandaient à la Faculté de les recevoir bacheliers émérites, et deux mois plus tard subissaient pendant quatre jours l’examen de pratique (de praxi) devant tous les docteurs de la Faculté, sur toute la pratique de la médecine.

Les bacheliers devenaient alors aspirants à la licence, ou licenciandes. Ils devaient encore subir la présentation au Chancelier de l’Université et la cérémonie du paranymphe, où un orateur faisait en latin un éloge pompeux de la Faculté et des candidats. Le lendemain, le Chancelier donnait sa bénédiction apostolique et conférait la « licence de lire, enseigner et professer la médecine » « Hic et ubique terrarum ». À partir de là, le licencié pouvait exercer la médecine, mais s’il était ambitieux, il couronnait sa carrière par l’obtention du titre de docteur, et de docteur-régent.

 

Le doctorat

 

Pour obtenir le titre de docteur, deux thèses étaient nécessaires : la vespérale et la doctorale. Ces thèses étaient très différentes des thèses de licence. Le mode de raisonnement change, en effet, totalement. Au lieu du syllogisme, c’est une double interrogation qui est posée et il faut trancher car ces questions doivent être rédigées de façon que tout en ayant des points communs, elles soient cependant assez distinctes pour ne pas admettre la même conclusion.

Ces thèses, à la différence des thèses quodlibétaires, ne sont pas imprimées car elles ne donnent lieu qu’à des développements oraux. Il est donc vain de vouloir en retrouver trace et seules sont parvenues jusqu’à nous, consignées dans les « Commentaires » de la Faculté de Médecine de Paris, les questions, point de départ de la discussion.

La thèse vespérale doit son nom au fait qu’elle était primitivement défendue l’après-midi. Elle est considérée comme un acte préparatoire au doctorat et le docteur-régent qui la préside doit aussi présider la thèse doctorale.

La thèse doctorale ou de doctorie ne se différencie pas de la thèse vespérale. Comme elle, elle repose sur une double question et ne comprend que des développements oraux. Après ce double examen, le récipiendaire prêtait serment à la Faculté et se voyait remettre son bonnet. À condition de ne pas rencontrer d’hostilité de la part de ses collègues, il pouvait prétendre à la dignité de docteur-régent qui l’agrégeait complètement à la Faculté.

 

La régence

 

Elle était octroyée après deux formalités : l’acte pastillaire et l’acte de régence proprement dit. L’acte pastillaire aussi appelé antiquodlibétaire était ainsi nommé en raison d’un vieil usage qui consistait à distribuer ce jour-là, aux frais du candidat, des pastilles à l’effigie du doyen. Il consistait en une soutenance de thèse orale analogue à la thèse vespérale ou à la thèse doctorale. La question à traiter était aussi passée sous la double forme interrogative. Cette épreuve subie avec succès, le nouvel élu faisait, à la Saint-Martin suivante, acte de régence en présidant, hors tour, une thèse quodlibétaire.

 

Annonce de doctorat de 1740

 

Ici s’achevait enfin la longue série d’épreuves qui d’un bachelier ès arts, faisait un docteur régent. Candidat pendant 3 ou 4 ans, bachelier pendant deux ans, licenciande, puis aspirant au doctorat, et pour finir docteur, puis docteur régent pendant un an, le récipiendiaire qui aspirait à la régence devait en trois ans adresser trois suppliques à la Faculté, résoudre vingt-quatre résumptes — qualifiées d’arguments muets, ces résumptes étaient des exercices faits en commun, qui émaillaient régulièrement toute la scolarité et dont nous n’avons pas parlé dans le cadre de ce rapide exposé —, soutenir sept thèses, présenter des arguments à celles de ses collègues et présider hors tour une thèse dont il était souvent l’auteur.

Après tant de débats académiques, nul doute que les nouveaux docteurs possédaient à fond l’art de la dispute, et le parfait maniement de la langue latine, mais victimes de cette formation anachronique il est évident qu’ils se révéleront incapables jusqu’à la Révolution de participer au progrès scientifique du XVIIIe siècle et encore moins de le susciter.

Sources : D’après « Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient », paru en 1973

 

Chirurgiens d’autrefois

 

Dans l’ancienne France, la chirurgie fut presque toujours séparée de la médecine ; ce ne fut que fort tard que l’on comprit que ces deux arts ne formaient qu’une seule et même science et que le médecin et le chirurgien ne pouvaient guère exercer l’un sans l’autre

Car si le médecin peut, à la rigueur, se dispenser de connaître à fond la pratique des opérations les plus compliquées, il n’en doit pas moins connaître l’anatomie ; et s’il n’est pas nécessaire au chirurgien de pouvoir reconnaître les symptômes et suivre la marche de toutes les maladies, du moins doit-il avoir une connaissance assez approfondie de la médecine pour savoir quand une opération est nécessaire et en prévoir toutes les conséquences.

Cela n’était pas aussi clair pour les gens du Moyen Age, surtout pour les médecins, qui redoutèrent toujours la concurrence des chirurgiens et réussirent à les maintenir dans une situation inférieure jusqu’au dix-huitième siècle. Si, à l’époque de la Renaissance, les chirurgiens parvinrent à secouer un moment le joug de la Faculté, ce ne fut que pour un temps ; et les Ambroise Paré et les Rondelet, qui d’ailleurs étaient aussi médecins, une fois disparus, la chirurgie retomba sous le despotisme de leurs rivaux.

Les plus anciens statuts de la corporation des chirurgiens sont de la fin du treizième siècle, du moins ceux des chirurgiens de Paris ; et nous ne pensons pas qu’il y en ait de beaucoup plus anciens pour les autres parties de la France. Il ne semble même pas qu’avant cette époque ils aient formé une association régulière, car nous voyons le prévôt de Paris désigner six d’entre eux qui, sous le nom de « jurés », devaient choisir ceux qui seraient jugés capables d’exercer leur art, et écarter soigneusement tous ceux dont l’ignorance était un danger pour le public.

Ces premiers statuts ne nous apprennent que très peu de chose ; ils contiennent cependant une disposition remarquable, maintes fois remise en vigueur par la suite, et même au XIXe siècle ; nous voulons parler de l’obligation pour les chirurgiens de faire une déclaration au prévôt chaque fois qu’ils soignaient un blessé, moyen assez simple de surveiller « les murtriers ou larrons qui sunt bleciez ou blècent autrui. »

Dès le commencement du XIVe siècle, la corporation des chirurgiens était complètement organisée. Elle était doublée d’une école. Le candidat était examiné par les maîtres chirurgiens, convoqués à cet effet par le premier chirurgien du roi, qui était le chef de l’association ; une ordonnance du mois de novembre 1311 nous le prouve assez clairement ; mais une de ses dispositions nous indique non moins clairement que, malgré toutes les peines édictées contre eux, de nombreux charlatans pratiquaient la médecine. Ils étaient passibles d’amendes, voire même de peines corporelles, et leurs enseignes devaient être brûlées.

Ce qui ne contribua pas peu à maintenir les chirurgiens dans une position inférieure fut le titre de « barbiers » qu’ils portèrent jusqu’au XVIIIe siècle, à la grande joie des médecins. Les mêmes individus qui pansaient les plaies et remettaient les membres se réservaient aussi le privilège de prendre soin de la barbe de leurs concitoyens. Jaloux de conserver cette attribution, ils soutinrent et perdirent plus d’un procès contre la corporation des barbiers barbants, qui se forma au commencement du XVIIe siècle.

Dans presque toute la France, saint Côme et saint Damien se partageaient le patronage de la confrérie. A Paris, elle se réunissait dans l’église de ce nom ; à Rouen, dans l’église des Carmes. Dans cette dernière ville, nous trouvons un troisième patron, saint Lambert.

Les examens des chirurgiens consistaient surtout en épreuves pratiques. A Beaune, par exemple, l’ouvrier est tenu de rester quatre jours dans la boutique de chaque maître « et d’y faire ung fer de lancete bien tranchant, bien poignant, pour bien doulcement et seurement seigner tous lieux que l’on doibt seigner sur corps d’homme et de femme. » A Bordeaux, où la corporation était dirigée par quatre jurés élus annuellement, les épreuves portaient sur la botanique, la saignée, la composition des emplâtres et onguents, l’usage des ventouses, etc.

Les statuts faisaient défense à tout chirurgien de nuire à ses confrères. Ils ne pouvaient être deux pour soigner le même malade, à moins que ce ne fût d’un consentement mutuel ; règlement fort bien entendu au point de vue de l’intérêt des praticiens, mais qui pouvait mettre le malade à la merci d’un chirurgien incapable et ignorant, sans qu’il lui fût permis de réclamer les soins d’un autre plus habile.

La chirurgie fut florissante surtout à l’époque de la Renaissance, époque à laquelle beaucoup de chirurgiens pratiquèrent aussi la médecine. Mais les opérations étant en somme fort rares, sauf durant les guerres, les barbiers demeurèrent bientôt presque exclusivement chargés. Un tel abandon ne fit guère avancer la science : aussi, à la fin du XVIIe siècle, l’exercice de la chirurgie n’était-il plus considéré que comme un métier. Au Moyen Age, les chirurgiens avaient absorbé la corporation des barbiers ; au XVIIe siècle, la corporation des barbiers absorba les chirurgiens.

L’enseignement de la chirurgie était donc tombé très bas, quand, en 1724, on décida l’établissement de cinq démonstrateurs royaux pour enseigner la théorie et la pratique dans l’Académie de Saint-Côme. En 1731, la qualité de maître ès arts fut exigée des candidats au titre de chirurgien. Ce que voyant, les médecins intentèrent un procès ; l’Université fit de même, prétendant avoir seule le droit d’enseigner. Les chirurgiens se tirèrent cependant de ce mauvais pas en prouvant que, par leur qualité de maîtres ès arts, ils faisaient partie de l’Université, et par conséquent avaient le droit d’enseigner.

Quant à leur différend avec les médecins, ils le virent aussi terminé en leur faveur, et un arrêt du conseil d’Etat de 1750 compléta l’organisation de l’Ecole de chirurgie. On établit une école pratique de dissection ; les cours devaient durer trois ans ; au bout de ce temps, on soutenait une thèse de licence qui donnait entrée dans le collège de chirurgie. Enfin, les chirurgiens furent retirés de la dépendance de l’Université.

On voit que vers le milieu du XVIIIe siècle, les études s’étaient bien relevées. Du reste, dès 1731, l’Académie royale de chirurgie avait été fondée. Confirmée par les lettres patentes de 1748, elle fut placée, comme les autres académies, sous la direction du secrétaire de la maison du roi. A partir de cette époque, elle tint des séances régulières le jeudi de chaque semaine, et tous les ans décerna des prix aux meilleurs travaux.

L’étude de la chirurgie d’une façon suivie est donc une chose toute moderne. Personne n’ignore qu’au Moyen Age on n’avait point les éléments nécessaires ; pendant longtemps, les dissections ne purent se faire que clandestinement, et ce n’est guère qu’à partir du XIVe siècle que l’on fit sérieusement de l’anatomie.

En 1356, nous apprenons qu’on ordonna aux juges de Montpellier de donner tous les ans le cadavre d’un condamné à la Faculté de médecine : ce n’était guère. Aussi, au XVIe siècle, les étudiants ne se faisaient pas faute de dérober des cadavres pour se livrer à l’étude de l’anatomie

 

(D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1881)

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