ABUS DES LOGEMENTS MILITAIRES AU XVIe SIÈCLE

Résistance des habitants de Prouais




NB : En 1972, les deux communes de Boutigny-sur-Opton et de Prouais unissent leur sort pour former la commune de Boutigny-Prouais situées dans le département d’Eure et Loir.



On a souvent dépeint l’état déplorable des campagnes au Moyen-Âge; on a raconté toutes les oppressions qu’avaient à souffrir les malheureux paysans de la part des seigneurs leurs voisins. Avec le système de la féodalité, les luttes devaient être, en effet, incessantes entre ces milliers de petits potentats qui se partageaient la terre de France. Mais quand la féodalité eut disparu, quand, avec Louis IX et Louis XI, la royauté fut devenue toute-puissante , le peuple put un moment se croire à l’abri de ces déprédations toujours renaissantes auxquelles l’exposaient les rivalités des grands et des petits seigneurs.

Il n’en fut rien; le mal, au contraire, fut plus grand. Ce n’étaient plus les hommes d’armes du château voisin qui s’abattaient en passant sur les terres, c’étaient des bande d’aventuriers venus des pays étrangers, qui ne ravageaient pas seulement par leur présence, mais qui voulaient le vivre et le logement, et qui ne partaient pas sans rançonner cruellement ceux qui les avaient forcément hébergés : aussi cherchait-on par tous les moyens à se soustraire à cette obligation du logement des gens de guerre. Les villes fermées obtenaient assez facilement du roi des lettres de sauvegarde qui les exemptaient de cette terrible imposition, quitte à elles à prendre les moyens de faire respecter leurs privilèges : aussi les plus pauvres bourgades construisaient à grands frais forts et murailles, et sollicitaient à grandes instances cette sauvegarde trop souvent illusoire au milieu de l’anarchie, triste fruit des guerres de religion du seizième siècle!

Rien ne démontre mieux ce malheureux état des campagnes que le récit suivant, «laissé à la postérité », comme il le dit lui-même, par le curé de Prouais, qui, à l’exemple des évêques du onzième siècle, luttant contre les déprédations des hommes d’armes féodaux, se mit à la tête de ses paroissiens contre les pirateries des bandes de mercenaires.

Prouais est un petit bourg du canton de Nogent-le-Roi, de l’arrondissement de Dreux : il compte aujourd’hui un peu plus de quatre cents habitants (en 1883); il en avait à peine autant au seizième siècle, et nous allons voir que c’était une ville fortifiée et qui soutenait vaillamment des sièges.

« L’an 1595, nous raconte le curé de Prenais, environ le mois de mars, le fort du village de Prouais, qui consiste dans la clôture du cimetière, avec fossés et hautes murailles de bauge fermées d’une bonne porte, fut recommencé à réédifier et reclore. Et lorsqu’il fut terminé, les habitants de Prouais ont tous d’une commune voix promis de le garder, et pour ce faire ont obtenu une sauvegarde du roi et une autre de Mgr le maréchal de Biron. Munis de ces sauvegardes, ils ont acheté armes et bâtons invasibles (propre à l’attaque, offensif), et ont commandé à tous les habitants d’en avoir, afin de se défendre des assauts et d’empêcher le logement des gens de guerre dans ledit village de Prouais. »

« Au mois de juin , une compagnie vint pour loger et entra de force dans le village. Les habitans, qui étoient retirés dans la tour, tirèrent dix à douze coups d’arquebuse; mais néanmoins les gens d’armes entrèrent et environnèrent l’église et la tour, voulant épouvanter les habitans, et les tinrent assiégés pendant trois jours : lesquels habitans ne pouvoient que faire, attendu qu’ils n’avoient pas de munitions de guerre, et furent contraints de laisser loger lesdits gens d’armes, qui brûlèrent les portes et les huis de tous les logis, brisèrent, rompirent et fractionnèrent tous les biens meubles qui étoient restés dans ledit village, et y prirent plus de cent écus d’argent clair »

«  Néanmoins les habitans ne perdirent pas courage et formèrent ensemble une confédération, jurant qu’ils garderoient leur village jour et nuit, jusqu’à la perte de leur vie ; on posa des sentinelles, on fit des rondes la nuit, et le jour on mit un gardien au clocher pour découvrir au loin. »

«  Au mois d’août, une compagnie de troupes de Saint-Denis-Malo vint un soir, un peu avant la nuit fermée, et étoient bien six- vingt arquebuses. Les habitans furent pris au dépourvu, étant presque tous à la maison, et il ne se trouva d’abord dans le village que quatre ou cinq hommes, lesquels, sans perdre courage, tirèrent sur les hommes d’armes quelques vingt coups d’arquebuse, qui firent accourir les autres habitants, et ceux-ci commencèrent incontinent à tirer. Le capitaine, voyant leur courage, envoya sa trompette demander seulement le couvert , promettant que le lendemain ils délogeroient , ce qui ne lui fut accordé. Alors il commanda à ses soldats de loger à loge qui pourra.; mais ils n’entrèrent que dans trois ou quatre maisons, et, le matin venu, dès qu’ils vouloient sortir, on tiroit sur eux des coups d’arquebuse; de sorte qu’ils n’osoient se montrer. implorèrent alors la liberté de déloger promptement , et on le leur permit. »

« Au mois d’octobre, le baron de Couromer vint avec plusieurs troupes pour se loger en ce pays; mais, à l’arrivée des soldats, les habians se mirent à tirer sur eux du haut de la tour tant de coups d’arquebusades, de mousquets et d’arquebuses à croc, que lesdits gens d’armes n’osèrent entrer et s’enfuirent. »

« Le jour de la Toussaint, les troupes de l’armée du maréchal de Lavardin vinrent loger en ce pays, et il y avoit de cinq à six mille hommes tant à pied qu’à cheval, et on donna l’ordre à la compagnie du baron de la Flotte de loger en ce village de Prouais. Outre les gentilshommes, il y avoit bien six-vingts argoulets à cheval (soldat qui appartenait à une troupe de cavalerie légère française, composée d’arquebusiers à cheval, servant à la reconnaissance et aux escarmouches), pires que Dieu n’est bon. Ils sommèrent les habitans de leur ouvrir les portes, ce qui leur fut refusé. Alors, s’écartant en divers endroits du village, ils commencèrent à rompre les murs et à entrer. Mais les habitans tirèrent sur eux par diverses fois des coups d’arquebuse, et les forcèrent à se retirer. En portant, ils menacèrent de brûler et d’incendier ledit village et de pendre tous ceux qui étoient dans le fort. Et tous les habitans étoient dans la crainte, car de tous côtés on les avertissoit qu’on venoit pour assiéger et brûler le village et pour les pendre; mais ils jurèrent tous qu’ils perdroient la vie plutôt que de se rendre. Et le lendemain, lesdits gens d’armes repassèrent en vomissant. de grosses menaces, mais sans rien tenter contre le village. »

« Le 10e de novembre, le régiment de M. de Crillon, capitaine des gardes du roi, qui avoir avec lui vingt-deux compagnies de gens de pied, fut logé dans le pays, et le conducteur de la cornette blanche, M. Drouet, envoya un soldat demander aux habitons, qui étoient réfugiés dans le fort, qu’ils lui baillassent un homme pour montrer les logis au village de Prouais; auquel fut répondu qu’on ne bailleroit personne, et que si les gens d’armes s’approchoient , on tireroit sur eux tant que la vie dureroit. Le soldat ayant reporté cette réponse, M. Drouet vint lui-même, accompagné de douze soldats et de quelques gentilshommes, jusque devant la porte du fort, et demanda à loger audit village; auquel fut fait la même réponse. Furieux de cette résistance, il se retira, laissant un gentilhomme pour parlementer. Celui-ci demanda qu’on fit un présent au conducteur, et qu’il iroit loger ailleurs; mais on répondit que l’argent n’étoit pas forgé pour le leur bailler, et que tous les habitans étoient résolus d’exposer leurs vies plutôt que de rien donner. Alors le gentilhomme, avec grande férocité, s’en alla, disant qu’il alloit quérir les soldats, et que si l’on en blessoit un seul, il mettroit tout à feu et à sang. Il vint, en effet, trouver le sieur Drouet; mais, par la miséricorde de Dieu, ils passèrent outre sans nous faire aucun mal. »

« Le vendredi 17e novembre , M. de Montigny, gouverneur de Blois, vint, accompagné de neuf compagnies de gens de pied, pour faire les logis en ce village de Prouais, prétendant que par sa commission il lui étoit permis de loger partout. Au contraire, maître Thomas Maillard, curé de Poouais, lui remontra qu’ils avoient sauvegarde du roi et des maréchaux de France. Mais lui, après avoir longuement contesté, ne voulut point se rendre et se logea dans ledit village, et rompit les clôtures des murs pour faire entrer ses soldats par les endroits où la tour ne commandoit aucunement. Néanmoins, il fut tiré par ceux de la tour cent ou six-vingts coups d’arquebuse. Le samedi matin , après que lesdits gens d’armes eurent bien fait dit mal dans le village aux maisons où l’on ne pouvoit les découvrir, ils partirent et délogèrent, un à un, deux à deux. Il se trouva qu’il y en avoit au moins quarante qui avoient été blessés, dont il en demeura beaucoup à l’Hôtel-Dieu de Houdan, qui y sont enterrés.»



L. Merlet., Archiviste à Chartres

 

 

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