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ToggleUn procès en lèpre au XVe siècle
Il s’agit d’un procès en lèpre qui, quoique débattu devant un tribunal moins élevé que le Parlement, tire encore de son objet et de la rareté du cas, un intérêt véritable. Flore Giraud, femme d’Antoine Meffre, de Salles, près Grignan, fut soupçonnée d’être atteinte de la lèpre, mal dont le caractère contagieux obligeait à la séquestration.
Sur commission donnée par le juge ordinaire de Salles, Barthélemy. Jamot, docteur en médecine habitant Montélimar, s’étant adjoint maître Jean Galland, chirurgien juré habitant Valréas, visita cette femme. Après mûr examen, il donna, le 4 juillet 1493, un rapport basé sur des passages de Galien et autres médecins antiques traitant de la lèpre. II conclut que Flore était atteinte de ce mal, et en prescrivit la séquestration d’avec la société. Le rapport, commençant par les mots Jhesus Maria finissant par la signature B. Jamoti et l’avis conforme signé : Johannes Gallandi.
Par suite, Antoine Meffre, construisit sur les bords de la rivière de Berre près du chemin de Salles à Grignan, une maisonnette où sa femme alla demeurer. Mais celle-ci, après trente mois ou environ de retraite, se trouvant délivrée de son mal, ou du moins ennuyée de la solitude, retourna dans la société.
Les syndics de Salles prirent ombrage de ce retour, et, sur un rapport de Jean Guillerin, docteur en médecine, et de maître Jean de Prenap, chirurgien d’Avignon, concluant que Flore n’était pas présentement atteinte de lèpre, mais que, à cause de certains signes y indiquant disposition, il fallait qu’elle fût éloignée des communs rapports et des lieu .publics, l’honorable et discret homme Jean Hitel, commissaire député par les nobles co-seigneurs de Salles, prononça que cette femme devait retourner à la maison qu’elle avait habitée trente mois sur la rive droite de la Berre.
Flore appela de cette sentence à la Cour du baillage de Grignan, où comparurent, le 17 novembre 1497, André Penard et Antoine Fulcon, syndics de Salles, et discret homme maître Jacques Galvaire, notaire de Valréas, .suppléant de maître Jean Patin notaire procureur de Flore. Au tribunal siégeait égrège (1) homme messire Jean Vital, bachelier en l’un et l’autre droit, vi-bailli de Grignan, Les syndics firent valoir la décision d’Hitel et le danger qu’il y avait à laisser Flore dans la société des gens sains, en demandèrent l’éloignement, et protestèrent des dépens. Galvaire exposa dans un mémoire les griefs de sa partie, et protesta des dépens faits et à faire. Les syndics répliquèrent en demandant que, nonobstant tout ce qui avait été dit en sens contraire on pourvût à la sûreté publique.
Sur quoi,, le juge, tenant compte de tout, notamment des deux rapports susdits de docteurs en médecine et de chirurgiens, et de l’ordonnance du commissaire Hitel, ordonna que, pour éviter scandale, Flore serait séquestrée et retenue dans les lieux et maison où elle était déjà restée trente mois, ou ailleurs à son choix, pourvu qu’elle fût loin du public et de la société, et cela par mode de provision, tant que sa Cour n’aurait pas statué autrement. Il ajouta que, si les parties voulaient dire ou produire quelque chose, les médecins et chirurgiens susdits où autres étaient assignés pour le 15 octobre. Et acte du jugement fut donné par ledit lieutenant Vital.
La sentence lue, les syndics demandèrent qu’instrument public leur en fût fait par Hervé Liponartz, notaire présent. Galvaire, loin d’y consentir, protesta de vive voix contre la sentence, et en appela au grand sénéchal et à l’éminent conseil royal d’Aix, au juge des appellations de tout le comté de Provence et de Forcalquier et aux autres à qui par droit ou coutume ledit appel pouvait et devait être dévolu, et demanda des lettres dimissoriales. Mais le vibailli, regardant l’appel comme frivole et interjeté sans grief, refusa ces lettres, sauf toutefois l’honneur de ses, supérieurs et d’admission que ceux-ci pourraient faire de l’appel, et concéda acte de cette réponse.
Ces. choses, furent faites en présence de Michel Court, Jean d’Auriac et autres témoins, .et de Hérvée Liponartz, notaire, qui en prit note, et, à la demande des parties, en rédigea l’acte original que nous avons eu sous les yeux (2).
Nous, ignorons le sort définitif de l’affaire. Mais n’en voilà-t-il, pas assez pour montrer quelle crainte inspirait le mal affreux de la lèpre, et quelle vigilance apportaient à la sécurité publique les syndics de Salles et les juges de la localité.
L’abbé FiLLET
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(1) Synonyme de sieur ou honorable (disparaît en principe à la fin du XVIIe) pour les professions du droit telles que les notaires.
(2) Orig. pap. Lat. dans les protoc. Liponartz, aux minutes de Me Long., notaire à Grignan, reg. coté bene, ff. CCXXV et CLXXIX
Sources : Un article de l’abbé Fillet, extrait de « la Revue du Dauphiné et du Vivarais (Isère, Drôme, Hautes-Alpes,Ardèche) » de 1878-11
La lèpre
Au Moyen Age, l’Europe est touchée par une grande épidémie de lèpre. Déjà dès le Haut Moyen Age, les contacts avec des zones de foyer se multiplient : raids vikings, invasions musulmanes, pèlerinages… La lèpre est souvent associée à la pauvreté notamment dans le christianisme. Pourtant de grandes figures de la noblesse ont été porteuses comme Robert Bruce en Écosse (contractée dans les Highlands) qui en meurt en 1329. Baudouin IV, roi de Jérusalem de 1174 à 1185 est un autre cas bien documenté. Il a été diagnostiqué par son précepteur Guillaume de Tyr dès l’âge de 10 ans à cause de son insensibilité à la douleur. Dépourvu d’autres symptômes il est tout de même nommé roi et déclenche la maladie un an plus tard. En 1183, il perd l’usage des mains, des pieds et des yeux et se déplace sur litière. Il meurt en 1185 auréolé par son succès contre Saladdin à Montgisard en 1177. On peut encore citer Alphonse II du Portugal, décédé à 38 ans. Les mesures d’exclusion sont très anciennes. Plusieurs sources mentionnent des processus de « mort civile » et de confiscations de biens. En 583, le concile de Lyon interdit aux lépreux de voyager ; en 757, si les deux époux sont d’accord, le mariage peut être dissout (texte annulé au XIIe siècle). Souvent la lèpre est associée à l’antisémitisme et à la xénophobie. Ainsi en 1321, les Juifs sont accusés d’avoir empoisonné les puits donnant lieu à de nombreuses persécutions au départ du sud-ouest de la France puis s’étendant au royaume et à l’Aragon. Philippe V ordonne de faire interroger les lépreux le 21 juin 1321 pour démêler cette histoire.
En 1119 fut créé à Jérusalem l’ordre hospitalier et militaire de Saint Lazare, dont les membres recrutés exclusivement d’abord parmi les gentilshommes lépreux se consacrèrent au soin des ladres et à la défense de la Terre sainte : ils vécurent aussi librement que les chevaliers du Temple ou de l’Hôpital, et plusieurs d’entre eux, attachés en Orient à la personne de saint Louis, l’accompagnèrent en France à son retour. Des chevaliers non lépreux entrèrent à leur tour dans l’ordre et partagèrent la vie de leurs confrères atteints de la maladie.
La lèpre a fortement marqué les esprits médiévaux, mais les mentalités et les attitudes envers les lépreux ont variées tout au long du Moyen Âge. Si, au Haut Moyen Âge, la lèpre est perçue surtout comme un châtiment divin, l’image du lépreux est valorisée à partir du VIIIe siècle puisque, comme les autres malades, ils ont été les bénéficiaires de la charité du Christ et deviennent des intercesseurs dans la quête du salut, d’où la fondation de nombreuses léproseries qui accueillent les malades. Cependant, peu à peu, du fait de l’incompréhension face à la propagation de la lèpre et de l’impossibilité de la soigner, la peur de la contagion grandit à partir du XIIIe siècle, justifiant l’isolement relatif des malades.
Nombre de textes littéraires se joignent aux documents diplomatiques pour témoigner que, jusqu’au XIIIe siècle inclusivement, la terrible maladie, « ki n’espargne ne roi ne conte », inspira surtout des sentiments de charité, de compassion et de pieuse sollicitude. Les chartes prouvent qu’il fut longtemps loisible aux lépreux d’hériter, d’acquérir; d’ester en justice, de se marier, d’exercer le commerce et même celui des denrées alimentaires.
Cependant le fléau ne cessait de faire des progrès effrayants; surtout dans les milieux urbains, dans les classes pauvres, parmi les déshérités, les mendiants, les vagabonds, les nomades si nombreux au Moyen âge. La nécessité de préserver de la contagion en isolant les lépreux se fit sentir de plus en plus : asiles, hôpitaux spéciaux se fondèrent en grand nombre dans toute l’Europe sous le nom de léproseries, ladreries, maladreries, maladières, misellaria, mézelleries, lazarets, etc… On évalue leur nombre à plus de 20 000 en Europe, 2000 ou environ pour la France. Là ou il n’y avait pas de léproserie, le lépreux avéré fut contraint d’habiter loin des habitations, le long d’un chemin, une borde, c’est-à-dire une cabane, une espèce de hutte isolée.
Les léproseries se multiplient au cours de la période d’épidémie, soit au XIe siècle : leur nombre est difficile à établir compte tenu du peu d’archives parvenues jusqu’à nous et du manque de traces architecturales. Certaines d’entre elles faisaient payer un droit d’entrer, certaines familles nobles pouvaient même y réserver des places en faisant notamment de nombreux dons. Les pauvres, associés à l’image de charité devaient y avoir des places gratuites, entretenus par la communauté. Certaines léproseries étaient mixtes donnant lieu à des descriptions de scènes de luxure dans diverses sources (en 1575, la visite annuelle de la léproserie de Troyes fait le constat de trois femmes enceintes alors qu’une seule est mariée). Une léproserie était organisée sur le modèle d’une communauté monastique avec des sœurs ou moines pour les soins, et même des serviteurs qui restaient au service des aristocrates ou bourgeois. Le nombre de malades variait en moyenne de 5 à 8, parfois la vingtaine avec des exceptions comme à Rouen, 40 personnes. En Angleterre, les chiffres varient également de 2 à 65 lits selon le lieu. L’espérance de vie d’un lépreux était de 3 à 5 ans avec là aussi des cas exceptionnels comme un malade d’Haguenau ayant vécu plus de 22 ans dans la léproserie. Les malades vivent de façon assez agréable : fêtes organisées pour les nouveaux venus, foires, donations en terre et rentes, autorisation à voir de la famille, à voyager entre léproserie et pour pèlerinage. Il existe également des lépreux nomades, isolés ou regroupés. Ils se sont soit échappés des maladreries, soit ont refusé d’y entrer ou en ont été exclus. Ce sont les plus inquiétants pour les autorités car incontrôlables, mal vus par la population, certains rançonnent les voyageurs pour vivre. L’exclusion se fait aussi dans la mort, les cimetières des léproseries sont d’ailleurs des lieux de fouille intéressants et révèlent que, dans l’ensemble, les diagnostics portés étaient assez justes. Le rejet du malade touchait aussi sa famille. Appelés de divers noms selon les régions et principalement « cagots », les proches du malade vivent à l’écart des villages ou villes, ne peuvent y entrer que pour aller à la messe et sont obligés d’exercer des métiers du bois ou du fer que l’on considère comme matériaux ne transmettant pas la maladie. Ce « titre » de cagot se transmet de génération en génération, comme un héritage des pêchés familiaux, ils sont cependant exonérés de la gabelle. Ainsi lors de la réforme fiscale de Louis XIV ils sont libérés et réintégrés en échange du paiement de cet impôt. Les dernières enclaves sont attestées en Navarre espagnole au début du XXe siècle.
Inspection du lépreux : gravure sur bois attribuée à Hans Waechtlin
La crainte de la contagion triompha bientôt des sentiments de pitié qu’avaient d’abord inspiré les pauvres malades. La charité se contenta de multiplier et de doter partout des léproseries, mais les malades devinrent un objet d’horreur, de dégoût et de haine. Les léproseries furent des asiles, plutôt que des hôpitaux; sauf exceptions, les malades y furent parqués plutôt que soignés; beaucoup d’entre elles se composèrent, outre une chapelle, d’un assemblage de cabanes ou chaque lépreux habitait individuellement. L’Église institua des cérémonies pour séparer les lépreux du monde, et beaucoup de coutumes les considérèrent comme morts civilement. Tout individu suspect fut soumis à l’épreuve, dévolue presque partout à l’autorité ecclésiastique (assistée par un jury de civils). Un certain nombre désignés: le manque de sensibilité, la mauvaise haleine, la nature de l’urine, l’aspect léonin de la face, le son de la voix, l’aspect des poils arrachés à la tête, devaient déceler à un praticien expert les premiers symptômes de la maladie. Un barbier fait également l’examen du sang. Déclaré lépreux, le malheureux était condamné par sentence de l’official à la séquestration. S’ensuit une sorte de cérémonie d’exclusion de la communauté.
Une effrayante cérémonie suivait la sentence. Nombre d’anciens livres ecclésiastiques en ont conservé le rituel qui ne variait guère d’un diocèse à l’autre; c’était, après une brève exhortation du prêtre à se montrer résigné à la volonté de Dieu, une messe funèbre; à genoux sous un drap mortuaire le lépreux assistait vivant à ses obsèques, après lesquels il était conduit processionnellement à la maladrerie ou dans la borde qui devait être son dernier asile. Là, nouvelle cérémonie : agenouillé, le lépreux recevait sur la tête une pelletée de terre en même temps que le prêtre lui déclarait qu’il était mort au monde. On lui donnait une robe de ladre de couleur particulière pour qu’on pût le distinguer à première vue, des sandales, une cliquette ou crécelle dont le bruit devait faire fuir ceux qui se trouveraient sur son chemin, des gants sans lesquels il lui était défendu de toucher à rien, un barillet, une écuelle de bois et une panetière; on lui lisait les prescriptions relatives aux lépreux défense d’entrer dans une église, un couvent, un moulin, une taverne; défense d’aller dans une foire ou dans un marché; défense de sortir déchaussé et sans habit de ladre et sans faire entendre sa cliquette tous les cinq ou six pas; défense de se laver ou de boire ailleurs qu’à son puits et avec son écuelle; défense de toucher à quelque chose avant de l’avoir achetée; défense d’acheter du vin autrement qu’en le faisant verser dans son barillet; défense de parler à quelqu’un sans se mettre sous le vent; défense de circuler dans les ruelles et les chemins étroits; défense de boire et de manger en compagnie sinon d’autres lépreux et autrement qu’avec son écuelle. Après quoi on l’abandonnait.
L’aumône doit être recueillie à distance dans un bol suspendu à un long bâton, les tenues vestimentaires peuvent porter des signes distinctifs, parfois propres à une région. Les clercs s’occupant du soin des malades peuvent également être obligés de porter ces symboles. Les biens du lépreux sont souvent captés par les léproseries, parfois leur maison et objets sont brûlés avant leur départ. Il est interdit de vendre les vêtements des lépreux sur les marchés (XVe siècle). Les biens des lépreux reviennent normalement à la léproserie à la mort du malade, ses vêtements aux autres malades de l’établissement. Ceux qui reçoivent des vêtements ou des affaires ayant appartenu à des lépreux ne doivent pas les vendre sur les marchés, sous peine d’amende. On doit être très vigilant à ce propos, sanctionner tous les contrevenants, confisquer et brûler ces vêtements et ces affaires pour éviter toute propagation de la maladie – ce qui justifie d’ailleurs l’incinération des biens confisqués.
Si beaucoup de maladreries étaient dotées de façon à fournir aux hospitalisés la nourriture et même quelques soins, si quelques-unes d’entre elles étaient en quelque sorte des établissements aristocratiques réservés à qui pouvait y payer largement son séjour, il semble bien que dans la plupart les malades ne trouvaient, avec un asile, que les objets indiqués ci-dessus, un misérable mobilier et des secours religieux. Pour le reste, ils devaient s’adresser à la charité publique, mendier leur nourriture, ou la menue monnaie qui pouvait leur permettre de se la procurer. C’était le cas particulièrement de ceux qui étaient établis dans des bordes isolées. Nombre de coutumes admirent que le lépreux ainsi séparé du monde était mort civilement; que son mariage était rompu (et l’Église malgré quelques protestations admit souvent cette doctrine), que ses héritiers devaient entrer en possession de ses biens.
Les léproseries étaient souvent de création ecclésiastique, gérées sous l’autorité des évêques ou dépendants de monastères dont la règle imposait qu’ils donnent l’hospitalité aux pauvres et aux passants. Elle dépend directement du maître qui nomme des administrateurs chargés du contrôle de l’établissement. Les lépreux sont également soumis à l’autorité d’un maître ou à la maîtresse qui est élu(e) par les membres de la communauté. Ils sont responsables de la gestion de la léproserie au quotidien et du respect du règlement par les lépreux.
Toute infraction au règlement entraîne une convocation devant le tribunal de la léproserie composé des administrateurs, de l’économe et du chapelain, parfois d’autres lépreux. Des sanctions sont prononcées après enquête, sanctions qui peuvent aller de la simple amende à l’exclusion définitive de la léproserie. Les différentes affaires sont en général consignées dans des registres. Les nombreuses affaires qui y sont décrites montrent que les lépreux prennent, au quotidien, un certain nombre de libertés par rapport au règlement.
La léproserie emploie des domestiques sains qui assurent son fonctionnement quotidien. Chaque maison dispose d’une servante qui fait les achats demandés par les lépreux, prend en charge la préparation des repas, le feu, l’eau chaude, et qui s’assure du respect des horaires établis par le règlement (en particulier l’heure du coucher). Les servantes des différentes maisons sont épaulées par un homme sonne la clochette. Celui-ci doit son nom à sa principale tâche : tous les matins, muni d’une clochette pour se faire remarquer, il quête dans les rues de la ville au nom des lépreux. À son retour, la somme collectée est partagée entre les résidents : beaucoup d’entre eux sont très vite dénués de ressources (surtout lorsqu’ils exerçaient une activité professionnelle avant de tomber malade) et la quête est donc une source de revenus non négligeable pour eux.
Tout lépreux doit en effet prendre en charge lui-même ses besoins quotidiens. Il a dû apporter avec lui quelques objets nécessaires à la vie quotidienne : quelques meubles (un lit, une table, un buffet), quelques pots, etc. Il est d’ailleurs fait mention des armoires que possèdent des lépreux. Le vol est lui aussi une infraction importante puisque les lépreux apportent les objets indispensables à leur vie quotidienne et qu’ils sont en charge de leurs repas et de leurs soins. Hormis quelques jours par an, il doit aussi prendre sa nourriture sur ses propres revenus tout au long de son séjour dans la léproserie. Les lépreux se font saigner régulièrement en espérant assainir leur sang et ralentir l’évolution de la maladie. On trouva aussi la mention des ventouses et de pulmonaire, la pulmonaire, elle est utilisée contre la toux, les bronchites, les maux de gorge, etc. Il est probable qu’un endroit spécifique existait pour recueillir les sécrétions corporelles des lépreux. On pense en effet que la maladie se répand par l’intermédiaire des sécrétions du corps, en particulier les urines et le sang, ou par le toucher.
Le lépreux est séparé de sa famille et de ses amis. Une visite hebdomadaire – et de jour – est prévue pour les enfants. Le malade ne peut recevoir qu’une ou deux visites de son conjoint par semaine si celui-ci est en bonne santé, et également de jour. L’entrée à la léproserie marque donc la fin de la vie familiale et de la vie de couple pour le malade et apparaît bien comme une rupture difficile avec la vie d’avant pour le malade et pour la famille puisque tous sont prêts à prendre le risque de la contagion.
Les lépreux ne sont ni complètement enfermés dans la léproserie, ni complètement à l’écart de la société. Ils peuvent changer de léproserie, et donc voyager d’une ville à l’autre. Ils peuvent également partir en pèlerinage ou aux bains pour espérer soulager leurs maux si les autorités leur en ont donné l’autorisation. Les lépreux peuvent se faire accompagnés au marché d’une autre personne saine de connaissance malgré leur installation à la léproserie.
Les malades ont parfois le droit de se rendre en ville. Le mercredi précédant Pâques, un repas est par exemple organisé pour eux par les chanoine . Ils peuvent franchir essentiellement les remparts pour mendier. Les prébendiers n’ont l’autorisation de quêter qu’aux alentours de la léproserie, avant l’office pour les hommes, à la fin de l’office pour les femmes ; sauf autorisation très exceptionnelle du maître, ils n’ont pas le droit de mendier en ville. Mais certaines léproseries bénéficient de ce privilège, qu’ils partagent avec quelques groupes bien définis (ordres religieux, écoliers, etc.) jusqu’à ce que les interdictions de la mendicité ne les atteignent au XVIe siècle. Par peur de la contagion, de nombreuses contraintes leur sont alors imposées. Les jours (en particulier les jours de fêtes) et les lieux de grande affluence (églises, marchés, etc.) leur sont interdits ; ils ne doivent pas être plus de huit ; ils doivent porter un vêtement reconnaissable : un manteau gris, des gants, un chapeau ou une coiffe de même couleur ; il est probable qu’ils soient munis d’une clochette qui annonce leur venue.
Les règlements de police, les ordonnances municipales furent pour les lépreux de la dernière rigueur : sous les peines corporelles les plus sévères, on interdit l’accès des maisons, des lieux publics, voire même des villes, sauf à certains jours, à ces malheureux qui cependant ne pouvaient vivre qu’en sollicitant la charité publique. Quoi d’étonnant que dans ces conditions les lépreux (et parmi eux devaient se confondre beaucoup de malades atteints d’autres maladies de peau, sans parler des simples suspects) ne soient venus à former comme une caste particulière de parias, qu’aigris par le malheur, par la misère, ils aient conçu une haine violente contre cette société qui les avait chassés, et qui, au moindre méfait, au moindre soupçon, les pendait, les brûlait ou les arquebusait sans pitié. Beaucoup de maladreries devinrent au XVe et au XVIe siècle des repaires de la délinquance et du crime, où les aubaines de la charité donnaient lieu à toutes sortes d’orgies, où les liaisons entre ladres formaient d’ignobles associations. La langue française en a conservé le souvenir; il n’est pas besoin de dire quelles maisons ont emprunté leur nom vulgaire, via le mot bordeau, aux petites bordes des lépreux.
Dans les Archives de Strasbourg en 1447, on a rapporté aux administrateurs qu’une épouse avait passé cinq nuits dans la léproserie, alors qu’elle n’avait pas d’autorisation pour cela, ce qui est contraire au règlement de la léproserie. C’est pourquoi ils ont fait comparaître l’homme pour l’entendre et il n’a pas nié les faits. Il a ajouté que le chapelain l’avait autorisée à passer une nuit, ce que le chapelain a reconnu. Il a aussi déclaré que sa femme a alors aidé à la lessive de la léproserie pendant deux jours et qu’elle a été hébergée, et elle est restée dans la léproserie sans mauvaise foi ; que les deux autres nuits, il l’a aussi laissée dormir dans la léproserie sans mauvaise foi, qu’il ne savait pas qu’il faisait quelque chose d’illégal ; qu’elle n’a pas passé les cinq nuits avec lui, mais chez la servante de la léproserie. Après que les administrateurs aient auditionné l’affaire, ils ont décidé unanimement que l’homme est redevable d’une amende de 10 sous pour que la léproserie ne sombre pas dans le désordre. Le respect de la règle est essentiel pour les administrateurs de la léproserie. Les juges font cependant preuve d’une certaine clémence. Si les juges avaient appliqué le règlement à la lettre, il aurait été chassé de la léproserie pendant six mois, et il aurait par conséquent dû soit trouver une autre léproserie, soit errer sur les routes.
La limitation des visites et l’obligation de chasteté qui l’accompagne s’expliquent par le fait que la communauté des lépreux est perçue et fonctionne comme une communauté ecclésiastique, à une différence près : le lépreux ne choisit pas volontairement d’entrer dans cette communauté. Malgré cela, la religion scande la vie des lépreux, comme dans un couvent : ils se doivent d’assister aux différents offices de la journée, de prier au moment des repas, de participer à des rites religieux tels que le lavement des pieds le jeudi saint.
Des légendes populaires se formèrent, de terribles accusations pesèrent sur eux. C’était, dès le XIIe siècle, une croyance universelle (on la trouve mentionnée dans des œuvres littéraires et dans des vies de saints) que la lèpre pouvait être guérie par un bain de sang humain. Une pareille croyance donne à croire que les crimes dont les lépreux furent accusés ne furent pas tous imaginaires. Enlever les enfants pour les égorger, empoisonner les fontaines, se livrer aux pratiques de la sorcellerie, entretenir commerce avec le démon, telles furent les accusations que subit la caste maudite des lépreux. En temps d’épidémie surtout, elles se réveillèrent terribles, excitèrent contre eux l’opinion publique et déchaînèrent contre eux d’abominables persécutions. En 1321 notamment, il en périt un grand nombre, victimes de la fureur populaire, et à plusieurs reprises l’autorité législative édicta en France contre eux de nouvelles mesures de rigueur (ordonnances du 18 août 1324, de février 1371, du 3 juin 1404, du 7 mars 1407, du 25 mai 1413, etc.).
Cependant, d’une part, les progrès de l’hygiène restreignaient sensiblement, dès la XIVe siècle, le nombre des cas de lèpre dans la classe aisée, et, d’autre part, dès le siècle suivant, l’isolement rigoureux des malades, ainsi que les persécutions et l’horreur dont ils étaient l’objet, produisaient une diminution sensible de cette classe de malheureux. Enfin, le nombre croissant et l’amélioration des léproseries, les libéralités dont elles étaient l’objet, les dotations dont elles jouissaient et l’attrait de la vie oisive qu’on y menait eurent cette conséquence singulière que nombre de misérables, de vagabonds, de mendiants essayèrent de se faire passer pour lépreux afin d’y être admis, et qu’il fallut dépister les faux ladres avec tout le soin qu’on avait mis autrefois à rechercher les véritables.
L’épidémie cesse en Europe de manière assez inexpliquée à partir du XVe siècle et jusqu’au XVIIe siècle. Au milieu du XVIe siècle, le fléau pouvait être considéré comme vaincu en Europe; les maladreries, presque désertes, entretenaient grassement avec de rares lépreux un plus grand nombre de « prébendiers ladres », qui, pour la plupart, n’avaient aucune atteinte du mal. Les derniers lépreux disparurent des léproseries au commencement du XVIIe siècle, et en France un édit de Louis XIV, en décembre 1672, les donna avec tous leurs biens à l’ordre restauré de Saint-Lazare et du Mont-Carmel. Aujourd’hui le souvenir des léproseries ou maladreries est seulement resté attaché à quelques rues, à quelques localités, à quelques maisons Isolées aux portes des villes, etc.
On pourrait avancer l’arrivée de la peste noire à partir de 1348 qui en touchant les lépreux réduit les foyers de contagion ; ou encore un petit âge glaciaire au XIVe siècle (pourtant elle persiste en Norvège pendant très longtemps) ; la fin des croisades donc des contacts avec les foyers orientaux ; les progrès d’hygiène ; l’amélioration des conditions de vie. D’après les recherches scientifiques, il n’y a pas d’immunité ni de transformation du bacille. En France, au XIXe siècle, on recense encore quelques foyers anciens en Bretagne et dans la région de Nice (rattachée en 1860). En Espagne, au contraire, les cas augmentent au XIXe siècle : 185 malades en 1851, 521 en 1878, 873 en 1914. Le sanatorium de Fontilles à Marina Alta, dans la province de Valence est fondé en 1909 pour accueillir les lépreux de toute l’Europe. Les mariages internes sont autorisés et il y a même des naissances. L’espérance de vie est de 4 ans pour la moitié des cas. Le lieu a ouvert ses portes à un total de 2600 lépreux jusqu’à sa fermeture en 1980. Aujourd’hui, l’Espagne compte chaque année de 15 à 20 nouveaux diagnostics sur des personnes arrivant du Maghreb ou d’Amérique du Sud. Au Portugal, la dernière léproserie a fermé ses portes en 1976. L’auteur mentionne également la vie assez douce de la léproserie de Spinalonga en Crète, fondée en 1903 et organisée en communauté autour de vergers, potagers avec l’organisation de pièces de théâtre et de mariages. Ils sont restés à l’abri de la seconde Guerre mondiale (par peur de la maladie) et a fermé ses portes en 1956 après la diffusion du traitement de la dapsone. Le dernier habitant est décédé en 1982, il s’agissait d’un prêtre orthodoxe. La vie sur l’île a inspiré l’ouvrage L’Ile des oubliés de Victoria Hislop. En Norvège les foyers se sont maintenus tardivement avec 650 cas en 1836 et 2858 en 1857. C’est également pour cela que ce sont les médecins norvégiens Danielssen et Hansen qui ont été les grands chercheurs de la lèpre. En 1991, une léproserie est découverte dans le delta du Danube, en Bulgarie, cachée par les communistes.
La léproserie de Saint-Bernard située dans un petit quartier périphérique de Saint-Denis de La Réunion est la dernière léproserie de France à fermer ses portes en 1982.
Sources :
http://www.crdp-strasbourg.fr/data/histoire/alsace_XV-XVI/lepreux.php?parent=7
https://clio-cr.clionautes.org/histoire-de-la-lepre.html