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L’industrie des allumettes au XIXe siècle

Comment ce petit bâton enduit d’un produit qui s’enflamme lorsqu’on le gratte peut produire une flamme en le frottant et provoquer du feu.
Si l’invention de l’allumette moderne date du XIXe siècle, le terme d’allumette se retrouve bien avant cela. Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alambert, elle est définie comme un « petit fétu de bois sec et blanc, de roseau, de chènevotte, de sapin, soufré par les deux bouts, servant à allumer la chandelle, et vendu par les grainetiers et les fruitiers ». Confectionnée dans les campagnes, et notamment par des allumettiers, elle n’est alors qu’un simple petit bout de bois qui s’enflamme lorsqu’on le met en contact avec un corps enflammé.
La première allumette s’enflammant par friction est attribuée à l’anglais John Walker. En 1827, il met au point un mélange chimique à base de sulfure d’antimoine et de chlorate de potassium qui s’enflamme lorsqu’il est frotté sur une surface rugueuse, type papier de verre.
Cette idée donne naissance aux boîtes d’allumettes avec frottoirs qui commencent à être commercialisées dans les années 1830. Mais leur odeur est très désagréable, et le risque d’explosion est important. En 1831, le Français Charles Sauria ajoute du phosphore blanc afin d’atténuer l’odeur, et revendique la paternité des allumettes. Cependant, l’exposition au phosphore blanc s’avère nocive, surtout pour les ouvriers travaillant à la fabrication de ces allumettes. De plus, le risque d’incendie spontané ou d’explosion est toujours réel : par exemple, lors du transport, le simple cahot d’une voiture peut faire exploser des paquets d’allumettes.
Article paru en 1889
Toutes les fabriques d’allumettes en France appartiennent à une seule compagnie qui, depuis i874, jouit d’un monopole. Les usines sont au nombre de sept, dont l’une, celle de Pantin, où toutes les métamorphoses de l’outillage sont représentées, peut nous servir de type. Le bois généralement employé pour la fabrication des allumettes chimiques est le tremble de Riga: son essence a été reconnue la meilleure à utiliser.

Ln Machine à débiter les allumettes. photo
Les trembles, dans notre pays, sont trop petits et l’Administration des forêts cherche plutôt à les supprimer qu’à les développer. Dans quelques usines, on fait usage du peuplier de l’espèce connue sous le nom de « peuplier suisse », et qu’on exploite en France, mais le bois est plus cassant et moins flambant que le tremble de Riga. Dans une partie des usines, celles de Paris notamment , on reçoit le tremble de Russie tout débité en allumettes blanches. Dans les autres, où l’on débite le bois, on utilise le peuplier suisse, à défaut du tremble. Le tronc d’arbre est arrivé dans l’usine, voyons d’abord par quel moyen il est découpé tout menu et comment on obtient ces milliers de morceaux, tons de la même forme et de la même dimension, qui. après des manipulations variées, deviendront des allumettes.

Machine à mettre les allumettes en presse (photo :http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/)
La mise en presse des allumettes
Le débitage du bois en allumettes se fait comme suit : Les billes en grume après avoir passé à une série de scies ordinaires, sont amenées à l’état de blocs plats carrés dont l’épaisseur est égale à la longueur de l’allumette. Ces blocs sont appliqués au nombre de quatorze, les uns contre les autres, et posés sur la machine sur laquelle ils sont solidement maintenus par des griffes.
Le fonctionnement de la machine consiste en un double mouvement, à savoir le va-et-vient du chariot porte-couteaux fixé à l’extrémité de la bielle, et l’avance-ment en sens perpendiculaire des blocs.
Quand le chariot est au bout de sa course, les griffes tenant les blocs avancent ensemble d’une quantité égale à une épaisseur d’allumette. Quant au chariot, il porte d’une part une batterie de quarante-quatre lancettes superposées, équidistantes d’une épaisseur d’allumettes, et d’autre part, un peu en arrière , une double lame de couteau disposée en guillotine. Lorsque ce chariot est tiré par la bielle, les lancettes rencontrent d’abord les blocs et les entaillent, après quoi les lames les tranchent précisément de la quantité dont ils viennent d’avancer. Par suite le bois, coupé déjà en longueur (épaisseur des blocs), entaillé par les lancettes puis tranché en une sorte de feuille par les lames, tombe en s’éparpillant. Chaque tour de machine reproduit ce travail et enlève ainsi d’un coup six cents allumettes découpées. La machine donne trente-six coups par minute.
On a donc obtenu des milliers et des milliers de morceaux de bois qui sont livrés aux ouvriers.
Ils sont chargés de séparer ces brins de bois et de les maintenir encore séparés et bien parallèles les uns aux autres , au nombre de 2250, dans des châssis nommés « presses ».
L’atelier où s’opère la « mise en presses » n’est pas des moins curieux. Des hommes et des femmes sont occupés à ce travail. Un seul ouvrier met en.mouvement la machine placée devant lui, et dans ce seul atelier il n’y a pas moins de quarante machines, toutes mues avec une activité fébrile. En effet plus le nombre de châssis remplis est grand, plus lucrative a été la journée. La machine reconnue la meilleure pour cette opération porte le nom de son inventeur M. Sebold.
Voici comment elle fonctionne :
Les morceaux de bois couchés les uns sur les autres horizontalement sont d’abord bien égalisés par des secousses. Après quoi, ils sont rabattus de manière à venir poser verticalement sur une plaque tubulaire percée de trous, ces derniers s’ouvrant et se fermant à volonté, grâce à une contre-plaque également trouée glissant sous elle. Chaque trou laisse passer un morceau de bois, un seul, et il y a 2250 trous. Il passera donc 2250 morceaux de bois, lesquels tombent entre deux rangées perpendiculaires de lames placées de champ, qui les isolent dans une sorte de maillage.
L’extrémité des bois est arrêtée dans la descente par une surface plane.
Une pression serre l’espèce de grillage ci-dessus décrit et l’on peut enlever simultanément tous les bouts de bois droits, parallèles et séparés avec ledit grillage qui constitue la presse.
Le procédé employé pour la fabrication de la pâte phosphorée
Il s’agit, maintenant d’enduire de soufre et d’un bouton de pâte phosphorée l’extrémité de ces morceaux de bois toujours bien serrés dans « les presses » et cependant répartis à une distance d’environ un demi-centimètre les uns des autres.
La pâte phosphorée est fabriquée à l’usine d’Aubervilliers et apportée toute préparée à Pantin. Cette fabrication a lieu dans un local absolument séparé du reste des autres ateliers et elle s’opère à l’aide d’un appareil spécial rendant tout à, fait mécanique la préparation des pâtes phosphorées et en supprimant complètement l’insalubrité.

Machine à fabriquer le phosphore (photo :http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/)
Le phosphore arrive à l’usine en estagnons de fer-blanc soudés, pleins d’eau et emballés dans une caisse en bois au milieu de la sciure. Sa proportion est environ de 20 % dans la composition de la pâte qui renferme également de la poudre de verre, de la colle, de l’oxyde de zinc vulgairement appelé blanc de zinc et une matière colorante, de la fuschine, par exemple. Toutes les quantités de ces matières sont pesées à l’avance.
Dans une chaudière A on verse l’eau et la colle que l’on a fait détremper à froid au préalable. On favorise la dissolution à l’aide d’un serpentin dans lequel circule de la vapeur. Il suffit d’ouvrir un robinet pour qu’une partie de la colle dissoute puisse s’écouler dans la chaudière B. L’ouvrier prend alors dans une caisse pleine d’eau le phosphore et l’ajoute par poignées successive en manœuvrant à la main un malaxeur que la coupe de la chaudière permet de voir dans la figure ci-dessus. Lorsque toute la quantité de phosphore est ajoutée (40 kilos) par opération et que l’émulsion est complète, on ouvre un robinet placé au-dessous. Le liquide se rend dans une turbine C où Il est rejoint par le reste de la colle provenant de la chaudière A. Dans la turbine C on introduit alors la poudre de verre, l’oxyde de zinc et la matière colorante. Après dix minutes de malaxage dans la turbine, la pâte est terminée. On ouvre un troisième robinet et la pâte s’écoule dans un chaudron placé au-dessous. Avec l’appareil actuellement en usage on fait des pâtes de 50 kilos. et un seul ouvrier peut arriver à produire 1 000 kilogrammes de pâte phosphorée en dix heures de travail.
Avant d’enduire de pâte phosphorée l’extrémité des allumettes, on procède à l’opération du soufrage. Les presses garnies de leurs brins de bois sont superposées sur un chariot et amenées par un système de rails qui traverse une cour dans un atelier spécial. Comme nous l’avons dit, toutes les allumettes sont régulièrement espacées dans les presses. L’ouvrier prend un châssis et trempe l’extrémité des brins de bois dans un bain de soufre en fusion dont la profondeur est de deux centimètres environ. Un guide, sorte de rebord, empêche que l’allumette soit soufrée sur une trop grande hauteur. La hauteur généralement adoptée est de 8 à10 millimètres. En Autriche, en Allemagne et en Italie, où le bois employé est le sapin, la hauteur du soufre appliqué est de 12 à 14 millimètres.
Dès que le soufre est refroidi, ce qui est presque immédiat, il s’agit de procéder au « chimicage » de l’allumette, c’est-à-dire d’appliquer sur son extrémité un bouton de pâte phosphorée. Le soufrage et le chimicage se font dans un atelier commun, mais séparé où l’on fait usage d’une machine. Cette machine sert tout particulièrement, au « chimicage ». L’appareil est assez simple. Un rouleau cylindrique dont l’axe est horizontal, plonge en partie dans la pâte chimique contenue dans une cuvette, de telle sorte que, lorsqu’il tourne, toute la surface s’enduit de pâte. Parallèlement à lt’axe et en avant du cylindre, est placée une règle dont la distance au cylindre détermine l’épaisseur de la couche de pâte. Enfin deux glissières fixes sont disposées au-dessus du tout, de telle manière que les presses étant appuyées dessus, l’extrémité des allumettes arrive presque au contact du dessus du cylindre, c’est-à-dire trempe dans la couche de pâte qui enduit celui-ci.
Pour effectuer l’opération , on pose la presse sur les glissières, puis on la pousse et on la retire. Le cylindre tournant d’un double mouvement de va-et-vient concordant, dépose la pâte qui le recouvre sur la presse, c’est-à-dire sur toutes les extrémités inférieures des allumettes, lesquelles reçoivent ainsi un bouton de pâte très régulier. Le bouton de phosphore a deux millimètres d’épaisseur.
Le cylindre vu au-dessus de l’appareil ne sert que de régulateur.
Le procédé de soufrage et de chimicage
On est maintenant dans l’atelier où se font le soufrage et le chimicage. On y voit une batterie de deux bassines à soufrer et de deux plaques à chimicage.
L’opération qui consiste à imprégner l’allumette d’un bouton de pâte phosphorée est moins mécanique et plus primitive que celle faite avec la machine spéciale que nous venons de décrire. La pâte apportée de l’usine d’Aubervilliers est refondue dans cet atelier et maintenue en fusion sur un bain-marie. L’ouvrier la puise avec une cuillère pour l’étaler au fur et à mesure de ses besoins sur une plaque en fonte chauffée. La presse est appliquée par le côté soufré sur la plaque, et un guide permet de n’appliquer à l’extrémité de l’allumette qu’un bouton de phosphore d’une épaisseur constante de 2 millimètres.
En moyenne, il faut de 22 à 25 kilogrammes de soufre et 12 kilogrammes de pâte pour faire un million d’allumettes. Il règne dans l’atelier une ventilation des plus énergiques, et l’existence des pâtes phosphorées y est peu perceptible. Du reste, afin de réduire au minimum les chances d’intoxication par le phosphore un roulement a été établi pour les ouvriers qui pratiquent les diverses opérations nécessaires à la fabrication des allumettes. Chacun d’eux passe à la mise en presse , puis au soufrage et au chimicage; enfin au séchage dont, nous parlerons ensuite, pour retourner à la mise en presse ou à toute. autre besogne dont sont exclues les vapeurs du phosphore.
La direction rencontre même, lorsqu’il s’agit d’opérer ce roulement, une certaine opposition et quelque difficulté, par cette raison qu’un metteur en presse gagne , environ 6 à 7 francs par jour, tandis qu’un ouvrier employé au soufrage on au chimicage peut gagner jusqu’à 12 francs.
Le personnel employé dans certains ateliers est très restreint. Il suffit de deux ou trois pâtissiers, ainsi qu’on nomme les ouvriers qui préparent la pâte phosphorée, pour fournir de la besogne à 500 travailleurs.— hommes et femmes.
L’atelier on s’opèrent le soufrage et l’imprégnation de la pâte phosphorée ou du chimicage n’occupe que trois ou quatre ouvriers. La besogne est facilitée par les appareils de fabrication actuellement en usage.
Dans les différentes parties de l’usine où, se font les manipulations décrites jusqu’à présent, depuis la salle où a lieu la mise en presse, jusqu’à l l’atelier du soufrage et du chimicage, l’aération est des plus vives. Un certain nombre d’ouvertures ont été ménagées pour permettre aux ouvriers de travailler dans une atmosphère débarrassée, autant que possible, de vapeurs pernicieuses. Et partout où passe le visiteur, il aperçoit, de distance en distance, sur les tablettes de travail, ou bien suspendus au milieu des ateliers, par des supports en fil de fer, de nombreux vases en terre ou en fer blanc, renfermant de l’essence de térébenthine qui est renouvelée au moins une fois par semaine. La térébenthine est employée pour neutraliser les vapeurs phosphorées.

Machine servant à enduire les extrémités des allumettes d’un bouton de pâte phosphorée
C’est une légende et l’action de cette essence est illusoire, disent quelques savants; elle est réelle, prétendent,entre autres, MM. Vauquelin, Bouchardat, Lethebv et Audant. En attendant que l’accord se fasse sur ce sujet, dans le monde scientifique, l’usage en est général.
L’allumette est enduite de soufre et d’un bouton de pâle phosphorée. Il s’agit maintenant de la faire sécher et, si l’atelier de mises en presse peut être considéré comme le sanatorium de l’usine, c’est dans le séchoir que se répandent surtout les vapeurs de phosphore; mais c’est aussi l’atelier où les ouvriers séjournent le moins longtemps. En outre , des appels d’air , installés au niveau du sol et répartis en un grand nombre de points, aspirent les vapeurs dans une cheminée en briques qui, haute de plus de vingt mètres, dessert la machine motrice de l’usine.
Dans l’atelier de soufrage et de chimicage, se trouve, dans le mur même, une armoire métallique à compartiments opposés et qui, tournant autour d’un axe, permet de faire passer dans le séchoir les presses fraîchement imprégnées.
Ces presses sont alors superposées. On laisse entre chacune d’elles un petit intervalle, dans des casiers en maçonnerie. La salle où a lieu le séchage est chauffée au moyen d’un calorifère et généralement à une température de 25 à 30°. Les allumettes sèchent d’autant plus vite que l’atmosphère extérieure est moins humide.
Les presses sont ensuite transportées dans un atelier voisin, dit atelier de dégarnissage. Des ouvrières jettent un coup d’œil sur les allumettes encore serrées dans leurs cadres et procèdent à l’opération préalable du « triage ». Il s’agit d’enlever les allumettes mal faites ou collées les unes aux autres.
Le triage et le dégarnissage
Le triage se fait à la main. Chaque ouvrière a devant elle une caisse rectangulaire pleine de sciure de bois, dans laquelle elle peut plonger les allumettes qui viendraient à s’enflammer. Une poignée de cette sciure jetée sur le cadre suffît également à déterminer l’extinction.

Machine à dégarnir (photo: http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/)
L’allumette mauvaise une fois mise de côté. Les allumettes sont toujours dans leurs alvéoles, isolées, et dans une position parallèle. Avant de les mettre en paquets ou en boites, il faut procéder à l’opération du dégarnissage de là presse. Celte opération est effectuée à l’aide d’une machine qu’un seul ouvrier met en mouvement.
Le dégarnissage consiste exactement à défaire ce qu’a fait la mise en presse. Celle-ci a permis de soufrer, chimiquer et sécher les allumettes, au nombre de 2250 à la fois et dans les mêmes conditions de séparation que si l’on avait opéré une par une. Le dégarnissage enlève les 2250 allumettes de la presse et les dispose, en les arrangeant, dans une caissette, dite « bateau ».
La machine à dégarnir se compose d’une sorte de cadre horizontal cloisonné, formant des alvéoles.
Un premier fond mobile est formé par une plaque en métal poli, glissant dans des rainures horizontales, et dont l’extrémité recourbée à angle droit, forme un « poussoir ».
Un second fond fixe est placé plus bas. Une presse étant posée sur le cadre, on la desserre. Les allumettes tombent dans les alvéoles. Une seconde presse et même une troisième peuvent suivre jusqu’à ce que les alvéoles soient pleines sans l’être trop. Ceci fait, on tire le fond mobile. Les allumettes tombent et s’arrêtent contre le fond fixe, maintenues verticales par le bord inférieur des cloisons quelles dépassent légèrement. Ceci fait, on relève le cadre qui tourne autour d’un de ses côtés, et en même temps on repousse la plaque dont l’avant forme « poussoir ».
Avant que les allumettes aient eu le temps de culbuter, elles sont saisies, entraînées et poussées vers le fond dans la caissette disposée vide à l’avance et qu’on enlève pleine.
La fabrication des boîtes
Les différentes opérations décrites jusqu’à présent ont montré comment un tronc d’arbre était découpé en milliers de brins de bois, égaux en grosseur et en largeur, et l’on a vu par quels procédés ces brins de bois étaient enduits de soufre et d’un boulon de pâte phosphorée, c’est-à-dire « chimiqués ». Les allumettes maintenant sont faites et devenues inflammables. Il s’agit de les livrer à la consommation, et, si les opérations nécessaires à la fabrication de « l’allumette proprement dite » sont complexes — et pourtant il ne s’est agi que de l’allumette ordinaire — non moins complexes sont les opérations qui vont suivre.
On ne parle pas de la confection des paquets destinés à la consommation ménagère, qui est d’une très grande simplicité. Les allumettes, après l’opération du « dégarnissage », se trouvant dans des caissettes, connues aussi sous le nom de « bateaux », sont apportées dans un atelier spécial. Là, des ouvrières, à l’aide d’un moule dont la contenance correspond à un nombre allumettes déterminé à l’avance, les entourent de papier et en font un paquet sur lequel on colle une étiquette portant le prix et le nombre. Cette opération n’offre aucune particularité intéressante.
Il n’en est pas de même des outillages spéciaux qui servent à fabriquer la boîte vide, et ensuite à la remplir. Les boîtes sont de contenances variables, mais il en est une sorte connue sous le nom de « portefeuille », et dont l’usage est le plus répandu dans toute la France. Sa consommation, en effet, est de 50 % sur la production totale.

Machine à remplir d’allumettes les boîtes-portefeuilles.
La fabrication des « portefeuilles » est toute particulière.
Jusqu’à présent, l’ouvrier s’est trouvé, çà et là. en contact avec les vapeurs du soufre et du phosphore. De nombreuses précautions hygiéniques, entre autres l’emploi de l’essence de térébenthine et de gargarismes alcalins, ont été prises, on l’a vu déjà, dans l’intérêt des hommes et des femmes employés dans la fabrique. En outre, des affiches manuscrites, écrites en gros caractères, sont placées dans les salles, de distance en distance, sur les murs et les salles de travail: elles reproduisent un article. du règlement général, rappelant l’interdiction absolue de manger dans les ateliers. Énumérer ici les prescriptions multiples imposées aux travailleurs des deux sexes serait fort long. Qu’il suffise de savoir que les règlements édictés dans les fabriques d’allumettes en Allemagne sont, pour ainsi dire, une reproduction de ceux appliqués dans les différentes usines de la Compagnie. Ceci résulte d’une demande faite, en I878, au gouvernement français par le comte de Wesdehlen, chargé d’affaires d’Allemagne, au sujet de l’organisation des fabriques d’allumettes chimiques dans notre pays, et des mesures prises au point de vue de l’hygiène professionnelle et de la satisfaction accordée à cette demande par M. Waddington, alors ministre des affaires étrangères.
On laisse, un instant, de côté la fabrication des allumettes, et on quitte l’usine de Pantin qui nous sert de modèle pour nous rendre dans une de ses annexes, où il n’existe aucune réglementation particulière. Point n’en est besoin, en effet, car il s’agit ici tout simplement de la confection des boites en carton, plus ou moins grandes, selon le nombre d’allumettes qu’elles sont destinées à contenir. Ainsi qu’on l’a dit, le type principal est le « portefeuille ».
Les boites qui, en terme de fabrication, portent cette désignation spéciale, sont faites mécaniquement, et voici de quelle façon :
Le carton constituant la boîte a été préalablement découpé à l’emporte-pièce, à la forme voulue, avant d’être engagé dans la machine.
A peine le carton est-il tombé dans une gaîne d’entrée, qu’un mandrin, c’est-à-dire un morceau de bois dur ayant exactement pour dimension le vide intérieur de la boîte future, vient le rencontrer, en son milieu, en l’obligeant à se plier sur lui. Le même mandrin, entraînant son carton, est successivement poussé dans des gaines présentant, à leur entrée, des petites pièces formant des obstacles, lesquels obligent les différentes parties du carton à se replier successivement et à envelopper le mandrin.
Certaines de ces parties ont rencontré en route, et avant de se replier, des rouleaux enduits de colle. Elles s’en sont chargées et adhèrent, par conséquence, aux parties sur lesquelles elles se rabattent.
Finalement, on saisit les mandrins entourés de leurs cartons, au sortir d’une gaine assez longue pour laisser à la colle le temps de faire adhérence. On frappe le fond du carton sur un feutre enduit de colle, puis, pour former « le frottoir », on pose ce fond, enduit lui-même de colle à son tour, sur un mélange de sable et de poudre de verre; une partie du mélange se fixe au fond et produit la surface rugueuse nécessaire. Enfin, l’on sort le mandrin de la boîte complètement terminée.
Ce mécanisme est des plus ingénieux, et, si l’on visite l’annexe de la fabrique où sont confectionnés les « portefeuilles », on est tout surpris de voir les cartons confiés à la machine sortir, au bout de quelques minutes, à l’état de boites.
Bien peu ne sont pas utilisables. Du reste, un triage est fait ; les « malfaçons » sont mises de côté, et l’on transporte dans des paniers, à la fabrique d’allumettes, les boites reconnues « bonnes pour le service ». Il reste maintenant à introduire les allumettes dans ces boites.

Atelier de fabrication des boites dites « portefeuille »
L’emboîtage
De même que la mise en paquets, cette opération, connue sous le nom « d’emboîtage », occupe exclusivement des ouvrières. Elle se fait à l’aide d’une machine qui remplit les « portefeuilles » de la quantité voulue d’allumettes.
Celles-ci sont apportées sans cesse et superposées horizontalement dans une sorte de « magasin », dont le bas est animé d’un mouvement de trépidation qui les classe bien parallèlement. A un coup de pédale, deux lames formant une partie mobile du fond, s’écartent, laissant tomber les allumettes qui reposaient sur elles. Ces allumettes descendent dans une sorte de gaine demi-cylindrique, placée immédiatement au dessous, et de dimension telle, que 100 ou 50 allumettes de grosseur régulière — s’il s’agit de remplir des boites avec cette quantité — viennent exactement combler son volume. Les deux lames se referment, isolant les allumettes de la gaine de celles du magasin. On présente la boite vide à l’embouchure de la gaine, et un piston glissant dans celle gaine et mû par un coup de pédale, « pousse dans le « portefeuille » le nombre d’allumettes voulu.
Trois femmes sont employées à «l’emboîtage»; l’une remplit les boites, en faisant mouvoir la machine; deux autres ferment les couvercles des portefeuilles, égalisent les allumettes et réunissent aussi les portefeuilles en paquets de 20 ou 50. En une journée de dix heures de travail, avec une machine bien conduite, trois ouvrières peuvent remplir 18000 boîtes.
Il ne reste plus qu’à livrer aux consommateurs les boites pleines; ceci concerne le côté administratif de l’industrie des allumettes, et nous n’avons pas à nous en occuper.
Les allumettes, dont on a expliqué la fabrication dans ses détails, et dont on adécrit les manipulations avec ses différentes phases, sont celles connues sous le nom d’allumettes « presse », en bois, au phosphore ordinaire ou phosphore blanc.
Ces allumettes peuvent s’enflammer par simple friction sur une surface quelconque.
Leur consommation actuelle est de plus de 85 % de la consommation totale.
On va examiner la fabrication des allumettes au phosphore amorphe, soufrées ou paraffinées, et on dira quelques mots des allumettes en cire au phosphore ordinaire, et autres types de luxe, qui rentrent dans la fabrication française.
On a pris comme type de nos descriptions que l’allumette la plus commune.
Si l’on se reporte à la figure qui représente le seul atelier d’emboîtage et de paquetage à l’usine de Pantin, on aura une idée de son importance.
Mais si l’allumette commune représente 83 % environ de la production totale, nombreux encore sont les autres genres d’allumettes dont on se sert en France, depuis l’allumette en cire au phosphore ordinaire, jusqu’aux allumettes dites « viennoises », paraffinées, en bois strié ou cannelé, et aux allumettes dites « suédoises », paraffinées, au phosphore amorphe.
Chaque type exige des procédés spéciaux de fabrication et un outillage particulier, tant pour la fabrication de l’allumette elle-même, que pour la fabrication des boites qui doivent la renfermer.

Machine à gratiner les boîtes d’allumettes. (photo: http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/)
D’autres allumettes existent
La petite allumette-bougie allumette qui n’atteint que 3 % environ de la production totale, avec du fil de coton qui est dévidé, enduit de stéarine d’une manière méthodique, coupé à la longueur voulue, mis en presses et chimiqué pour constituer finalement cette allumette.
Ainsi que le « tison », cette allumette nouvelle que le vent ni la pluie n’éteignent avant qu’elle ait brûlé jusqu’au bout, ni l’allumette dite « viennoise », dont le bois est strié, qui est teintée de couleurs variées. Elle constitue un type de luxe et ne présente qu’une consommation infiniment faible.
Emboîtage et paquetage (photo: http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/)
Parallèlement au monopole d’État se mit en place, notamment en milieu rural, un marché illégal relevant de la contrebande. Ces allumettes de contrebande restaient fabriquées à base de phosphore, sable, colle et chlorate de manière très artisanal.
L’allumette au phosphore amorphe
On en dira quelques mots.
La caractéristique de l’allumette amorphe, enduite de gomme, de chlorate de potasse, de peroxyde de manganèse et de bichromate de potasse, est de ne pouvoir prendre feu que sur une surface préparée chimiquement, généralement à l’aide de sulfure d’antimoine, de phosphore rouge et aussi de colle ou de gomme. Dans ce cas, le phosphore se trouve, non sur l’allumette, mais sur le « frottoir ».
Ce genre d’allumettes comprend deux types distincts :
Dans le premier, l’allumette est paraffinée, renfermée dans une boite en bois composée d’un tiroir glissant dans une coulisse, et présentant deux frottoirs résistants. C’est le type connu sous le nom d’allumette suédoise. La confection des boites, en copeaux de bois découpés, est entièrement mécanique et emploie des machines aussi ingénieuses que variées.
Dans le second, l’allumette est soufrée et renfermée dans une boîte « portefeuille » en carton. L’enduit est appliqué sur la boite au moyen d’une machine dite « machine à gratiner ».
Cette machine se compose essentiellement :
1° D’un bâti en fonte, fer ou bois, auquel sont fixés deux cadres. Le cadre inférieur supporte un arbre de commande et les divers renvois de mouvements nécessaires au fonctionnement de l’appareil. Le cadre supérieur reçoit les boites et supporte les divers organes qui constituent la machine;
2° D’un récipient principal dans lequel on place la pâte ou «gratin» qui, appliqué sur les boites, doit former « frottoir ». Ce récipient est renfermé dans un bain-marie chauffé par un serpentin à vapeur;
3° De deux autres récipients analogues munis d’agitateurs;
4° Enfin de deux molettes qui tournent en plongeant partiellement dans ces deux récipients, et s’y enduisent de gratin, qu’elles appliquent sur les boîtes, grâce à un entraînement continu de ces dernières et à leur passage successif devant les dites molettes.
Un guide, en forme de coulisse, permet de régler l’épaisseur du gratin, et un galet de pression assure de contact des boites avec la circonférence des molettes. Chacune des deux molettes gratine isolément une série différente de boites. l’appareil est donc à double effet: il suffît d’y employer deux ouvrières, qui gratinent par jour 40 000 boites chacune.
La vente de l’allumette au phosphore amorphe n’est que de 10 % environ de la vente totale.
Il serait à désirer que l’allumette amorphe s’étendît davantage.
Beaucoup de personnes souhaiteraient même de la voir entièrement substituer à l’allumette commune, au phosphore blanc, et cela ajuste titre. Elle oblige, il est vrai, à avoir avec soi le frottoir sans lequel elle ne peut s’enflammer. Mais, par contre, elle offre des avantages nombreux. En premier lieu, elle écarte l’emploi du phosphore ordinaire, si malsain aux ouvriers et aux personnes qui l’emploient, tant par les vapeurs qu’il émet que par ses propriétés éminemment toxiques. En second lieu, elle supprime les nombreuses chances d’incendie dues à l’inflammation spontanée, possible, tant à la chaleur qu’au frottement. Ces deux résultats font plus que compenser les petits inconvénients rappelés plus haut.

Détail d’une machine à appliquer le « gratin » sur les boîtes d’allumettes
L’Académie de médecine et plusieurs sociétés savantes se sont, à différentes reprises, préoccupées de l’emploi du phosphore blanc dans la fabrication des allumettes, au sujet du terrible mal connu sous le nom de « nécrose phosphorée ». L’usage de cette sorte de phosphore a été condamné sans appel. L’allumette au phosphore amorphe sera certainement l’allumette de l’avenir.
Aujourd’hui
D’un tissu artisanal, le secteur est donc rapidement passé à une organisation industrielle unitaire, le monopole étant affermé à la Société Générale des Allumettes Chimiques. En 1935, il est pris en charge par le Service d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes, qui devient en 1980 une société anonyme, la SEITA, privatisée en 1995, aujourd’hui fusionnée dans Altadis, société holding de droit espagnol du secteur du tabac et de la distribution, née de la fusion en 1999 entre la Seita française et l’espagnole Tabacalera. Elle a été rachetée en 2008 par Imperial Tobacco.