LES TOURS D’ABANDON EN FRANCE

Les tours d’abandon en France

 

 

Quand on parle d’abandon d’enfants, tout le monde a en tête les histoires tragiques racontées dans les grandes œuvres littéraires du XIXe siècle. Pourtant, à cette époque un procédé glaçant et qui lui, est bien réel, symbolise toute l’ampleur et le drame de ce phénomène : les tours d’abandons.

Pour éviter les infanticides et les abandons sur la voie publique, la société a tenté d’en organiser les modalités.

 

Ainsi va l’histoire de l’abandon des nouveau-nés depuis la nuit des temps. On le sait, quelle que fut l’époque, les nouveau-nés étaient abandonnés devant les églises, les couvents ou les hôpitaux Déjà, dans l’Antiquité, les lois autorisaient les pères de famille à abandonner aux bêtes sauvages les nouveau nés malformés Par exemple, à Athènes, si le père prenait l’enfant dans ses bras, le nourrisson avait la vie sauve, s’il le posait au sol, il était abandonné.

Une affiche est accrochée au milieu d’une rue sombre, elle ne ressemble à aucune autre. On y lit : « « Quiconque veut se débarrasser du soin d’élever son enfant, pour en donner la charge à la société est invité à le déposer ici, et sera dispensé de toute justification « . La femme et/ou l’homme observent, ils sont devant le tour d’abandon d’un hospice.

Les raisons pour lesquelles on prenait la décision d’abandonner un enfant étaient légion. On disait :  » Laisser son enfant c’est simple comme un tour de manivelle « . Une des raisons les plus courantes pour l’abandon des bébés dans le passé est le fait qu’ils étaient conçus hors mariage mais encore enfant adultérin, enfant né dans une famille trop pauvre, enfant orphelin ou enfant mal né (malade, handicapé, souffrant de malformation…). Ce geste n’étant bien souvent pas une volonté pure mais une décision contrainte par le besoin, les mères étaient autorisées à laisser  » une remarque « , c’est à dire un indice qui leur permettrait, si les jours devaient s’avérer meilleurs, de s’identifier auprès de leur enfant. Ainsi de nombreux petits étaient laissés avec des rubans, des médailles ou de petits billets déchirés en deux. La première moitié du billet était glissé dans le lange du bébé tandis que la mère gardait l’autre moitié afin de pouvoir le reconstituer. Mais aussi un enfant trouvé avec un bandeau noir signifié que la mère était décédée.

Ce genre d’arrangement était courant en Europe lors du Moyen Âge et dans les XVIIIe et XIXe siècles. Ils disparaissent vers la fin du XIXe siècle.

Aujourd’hui, les tours d’abandon sont le plus souvent utilisés par des mères ne pouvant pas prendre en charge l’enfant et ne souhaitant pas dévoiler leur identité.

Au Ve siècle, un enfant exposé et trouvé, doit être porté à l’église. Le prêtre annonce aux fidèles le recueil du nourrisson, et s’il n’est pas réclamé dans les 10 jours, il est confié à des parents adoptifs.

La règle était toujours la même, au Moyen Âge, l’enfant était exposé le jour même de sa naissance, mais loin du domicile des parents pour s’assurer que personne ne le retrouve. La raison principale de ces abandons n’était autre que la détresse. Michel Mollat rapporte une enquête menée à Tours au Moyen Âge :  » Parmi les Formules de Tours, l’une raconte d’ émouvante façon qu’un tour, à l’heure de matines, alors qu’ils ouvraient les portes de l’église, les marguilliers de Saint Martin y trouvèrent un tout petit enfant enveloppé de guenilles, sanguinolent et en danger de mort. Pendant trois jours, ils enquêtèrent en vain sur son origine et finalement lui trouvèrent un père adoptif « .

Il est malaisé de connaître le nombre exact des enfants livrés à la rue et à la merci des passants, avant d’être pris en charge. On raconte que pendant l’hiver 1420-1421, un des plus rigoureux de notre histoire, on découvrait à Paris, au petit matin, abandonnés sous les portes cochères et même sur les fumiers, dix, vingt et trente enfants morts de froid ou affamés. Un témoin rapporte qu’à Amiens, en mars 1481, «  à l’occasion de la grant chierté de blé et autres vivres comme aultrement, il y avoit certaine grant cantité de povres enffans trouvés en l’hostel Dieu et Monseigneur Saint-Jehan-Baptiste et jusques au nombre de deux cens « .

A Paris, les autorités tentèrent de lutter contre l’abandon des nouveau nés en encourageant les unions légitimes, mais en cas d’échec et avant qu’un hospice pour les enfants délaissés ne soit créé dans la capitale les petits étaient   » étés nuitamment a val des rues, ou déposés en certain lit à l’entrée de l’église Notre Dame, ils n’avaient guère d’autre secours à attendre que ceux de la charité privée. Les commissaires du Châtelet retiraient chaque matin des égouts plusieurs cadavres de nouveau-nés « . Il arrivait aussi de temps en temps qu’ils soient vendus aux bateleurs, aux magiciens ou aux mendiants.

Le déclassement est souvent précoce lorsqu’il commence dès la naissance avec ces  » enfants de mamelle  » , ces  »  pueri inventi  » ,  »  gectés à la rue « ,  exposés ou  »  habandonnez et delaissez soubz les portaulx  »  des églises, des bâtiments publics, des maisons, sur les marches des escaliers, bien en évidence pour qu’ils soient recueillis le plus vite possible :  »  ils laissoient ledict enffant quasi jusques au soir afin de voir s’il viendroit quelque personne de bien qui, par charité ou aumosne, le voulsist  » , dit un texte parisien du XVe siècle.

Abandonne-t-on plus aisément une fille qu’un garçon ? Ce n’est pas impossible. Les archives de Poitiers signalent plusieurs  »  petites filles  »  déposées sur l’autel de Notre-Dame-de-la-Paille dans le faubourg Saint-Cyprien. Beaucoup de ces  »  enfans malles  » , de ces  »  filles gectées sur champs ou sur maczonnerie  »  meurent en bas âge. La mortalité infantile est grande, plus de 22% des assistés en moyenne à Chartres en dix ans, de 1482 à 1491, jusqu’à 72,7% du total en 1494 !

Jusqu’au XVIe siècle, l’État refuse de se charger du problème des enfants trouvés ou abandonnés et demande aux seigneurs d’y faire face. Les crises de subsistances, très fréquentes au XVIIe siècle, sont l’occasion d’abandons massifs. On voit alors se développer un esprit de charité et la prise en charge de ces enfants par les institutions hospitalières. En 1656, le pouvoir royal décide de construire 33 hôpitaux sur l’ensemble du royaume.

La fin du XVIIIe siècle et le début XIXe siècle sont marqués par une multiplication des abandons d’enfants à la naissance. Plusieurs raisons l’expliquent : tout d’abord, la détérioration de la situation économique,  puisqu’on observe que l’augmentation des abandons durant la seconde moitié du XVIIIe siècle coïncide avec la hausse de la mercuriale du prix du blé, ce procédé étant alors le seul moyen de limiter la taille des familles à une époque où la contraception n’existait pas et l’avortement n’était pas toléré. Un deuxième facteur de multiplication des abandons est l’essor du libertinage à cette époque, qui explique que davantage d’enfants naissent hors mariage Enfin, le développement d’une classe bourgeoise fait que la domesticité augmente, et avec elle les amours ancillaires entre maître et servante, durant une période historique où les mariages arrangés étaient encore monnaie courante. Les servantes ne pouvant courir le risque de prendre un enfant à charge et de se faire renvoyer, la plupart d’entre elles étaient contraintes soit à un avortement clandestin et dangereux, soit à l’abandon de l’enfant. Au total, on estime à 3 millions le nombre d’enfants abandonnés en France aux XVIIIe et XIXe siècle, un chiffre considérable pour un pays dont la population était de 27 millions d’habitants en 1800.

 

 

Parmi les enfants abandonnés sur des marches d’ églises figurent quelques célébrités dont l’illustre d’ Alembert, l’un des rédacteurs de l’Encyclopédie du XVIIIe siècle. En effet, Jean le Rond d’Alembert (16 novembre 1717 – 29 octobre 1783) était l’enfant naturel d’ un commissaire d’artillerie, le chevalier Destouches, et de la marquise de Tencin, mais il fut abandonné sur les marches de la chapelle parisienne de Saint-Jean Le Rond et recueilli par la femme d’un artisan vitrier.

Plus tard, au XIXe siècle, la règle se durcit. Toute personne ayant trouvé un enfant était tenue de le remettre à l’officier d’état civil avec les vêtements et les effets qui l’accompagnaient. Ce dernier dressait un procès verbal sur lequel figuraient les circonstances et le lieu de la découverte, ainsi que le sexe de l’enfant. Le procès-verbal était ensuite inscrit sur les registres comme l’indiquait l’article 58 du code Napoléon.

Les tours ont été créés en Italie pour remplacer les crèches qui se trouvaient à l’entrée des églises et les coquilles dans lesquelles les nouveau-nés étaient abandonnés et recueillis le matin par un garde qui les inscrivait sur un livre appelé le  » Matricula « . En créant les tours, les enfants n’étaient plus déposés directement à l’extérieur des églises et de fait, les mères n’étaient plus vues de tous. En 1198, le pape Innocent III déclare qu’ils doivent être installés dans les orphelinats pour que les femmes puissent y laisser leurs enfants et non les tuer. Les premières  » boîtes à bébé  » sont nées et se répandent dans toute l’Europe. Ils ont commencé à se répandre sous le pontificat de Sixte IV (1471-1484). Le pape ordonna  » qu’ au dehors l’ Hospice de Rome, se trouve un tour avec un matelas pour recevoir le nouveau né « . Cet hôpital prit le nom de  « Conservatoire de la roue ou du tour ».

 

 

La plupart des tours étaient à des endroits bien précis dans les villes, c’est à dire dans des lieux isolés. Il s’ agissait souvent d’ un cylindre de bois fixé dans le mur des hospices. Du coté de la rue, il donnait l’image d’ une boite vide. II était d’ ailleurs important que le cylindre tourne sur lui même avec une grande facilité. La mère y déposait son nourrisson, tirait sur une clochette et disparaissait sans être vue. Aussitôt la personne de garde tournait le tour. De l’ autre coté, le nouveau-né était recueilli ainsi que les effets que la mère avait délaissés. II existait d’ autres modes d’ organisations du tour :

    • D abord, dans certains hospices, ils agissait d’ une petite pièce équipée de deux portes et dans laquelle se trouvait un berceau. La première côté rue était reliée à une cloche. Ainsi lorsque la mère poussait la porte, la personne de garde était immédiatement avertie. La seconde porte donnait dans l’hospice et lorsque la mère partait, la porte s’ ouvrait et l’enfant était recueilli.

    • Ensuite, à l’Hôtel-Dieu de Marseille, les nouveau-nés étaient déposés à la fenêtre de l’ hôpital.

    • Enfin, dans chaque chef lieu de chaque province du royaume de Naples, les hospices spéciaux des enfants trouvés proposaient un petit balcon couvert qui servait de tour.

Afin d’éviter que ces enfants sans famille ne deviennent le terreau de la délinquance future, à partir de la Révolution française, l’État décida d’intervenir dans la prise en charge des petits abandonnés. La loi du 4 juillet 1793 en fait des « orphelins de la patrie » et instaure sur eux une tutelle administrative du préfet, tandis que sous le Directoire, la tutelle passe au maire de la commune de l’hospice, président de son conseil d’administration. L’éducation physique et morale des enfants trouvés et abandonnés revient à la charge de l’État qui confie les enfants aux hospices civils, mais sans contrepartie financière.

Napoléon Ier lança la dynamique pour la réorganisation des tours. La prise en charge des enfants abandonnés est véritablement révolutionnée. Ainsi, après des mois de travail, sortit le décret impérial du 19 janvier 1811 qui indiquait dans l’article 3 :  » Dans chaque hospice destiné à recevoir des enfants trouvés, il y aura un tour où ils devront être déposés « .

En effet, l’Empereur a instauré  une législation familiale pour le moins sévère : d’une part le Code civil de 1804 interdit toute recherche de paternité, ce qui fait peser la charge des enfants illégitimes uniquement sur  les femmes, et d’autre part, en 1810, l’avortement est considéré comme un délit criminel passible d’une peine de prison. Ainsi, la prise en charge des abandons d’enfants sous le Premier Empire apparaît d’autant plus nécessaires que ces deux mesures ont pour conséquence une multiplication de ces-derniers, notamment pour celles qu’on appelle alors les filles-mères, condamnées à une vie de mépris social et qui ne peuvent ni avorter, ni exiger une reconnaissance paternelle de leur enfant. Napoléon Ier instaure donc différentes mesures qui renforcent l’action du gouvernement dans la prise en charge de ces enfants : il créé au sein de chaque préfecture un service des enfants abandonnés et trouvés, et créé le statut de « pupille de l’État » pour les enfants trouvés, dont la tutelle est de nouveau confiée aux hospices, mais avec des financements départementaux et municipaux jusqu’à leur douze ans.

Malgré cette obligation quelques départements refusèrent d’ établir ces tours, ce fut le cas dans le Doubs, la Meurthe, le Bas Rhin, le Haut Rhin et l’ancienne Seine et Oise. Les 8l autres départements ouvrirent 259 tours. On en trouvait dans les hôpitaux, dont l’Hôpital des Enfants-Trouvés de Paris. Ce n’ est qu’ à cette date que les tours furent légalement institués mais le décret n’admettait dans les hospices comme enfants trouvés ou abandonnés, que ceux qui étaient ouvertement apportés par des personnes étrangères à l’enfant et qui n’ avaient aucun lien avec les parents.

Néanmoins, c’est véritablement le décret de 1811 qui va généraliser l’utilisation du tour d’abandon en France, motivée par plusieurs considérations sociales et morales. Tout d’abord, l’infanticide étant alors perçu comme un crime à la fois aux yeux de l’Eglise et aux yeux du pays, dans un contexte d’angoisse démographique, le tour d’abandon est perçu comme une solution pour les filles-mères d’éviter le déshonneur en leur permettant de confier leurs enfants à l’Etat en tout anonymat. En outre, à une époque où le patriotisme prend de plus en plus d’importance, l’idée est de donner une seconde chance à ces enfants en les coupant de tout lien avec leur passé et leur filiation. Enfin, on pense que cette pratique permettra, de par le caractère radical de la séparation qu’elle induit, d’éviter les abus de la part des parents qui font élever leurs enfants aux frais de l’Etat ou de la part des femmes qui abandonnent leur enfant à l’hospice puis se présentent comme nourrices afin de percevoir une gratification financière. C’est d’ailleurs pour cette même raison que le lieu où l’enfant est envoyé en nourrice est tenu secret et doit être situé à au moins 15 kilomètres de la ville où il a été recueilli. Les tours d’abandons connaissent rapidement une propagation rapide en France, et à leur apogée, ils sont 251 dans tout le pays. Une circulaire de 1812 prévoit même de donner aux enfants recueillis dans les tours des noms évoquant le lieu, la région ou l’heure à laquelle ils ont été trouvés.

Cependant, la mesure la plus emblématique de la politique impériale en matière d’enfants abandonnés est bien différente : il s’agit de l’obligation pour chaque hospice dépositaire de se munir d’un tour, un cône cylindrique pivotant qui donne à la fois côté rue et côté hospice et qui permet de déposer l’enfant de manière anonyme, avant de sonner une clochette pour avertir la sœur-tourière et de s’enfuir dans l’anonymat le plus complet. De tels tours ne sont pas une nouveauté : ils existent en réalité depuis la Renaissance en Italie, certains, comme l’historien Léon Lallemand, les font même remonter au XIIIe siècle, rapportant que le pape Innocent III, las de voir tous les cadavres de nouveaux-nés que l’on repêchait dans le Tibre, en aurait fait créer un à Rome en 1204. En France, ils existent aussi déjà dans plusieurs villes à la fin du XVIIIe siècle, même si l’origine du premier tour dans notre pays est incertaine : il se pourrait qu’il ait été créé par Vincent de Paul à Paris lorsqu’il fonda l’hôpital des enfants trouvés en 1638, devenu par la suite Maison des Couches, ou bien il pourrait s’agir du tour de l’hospice de Bordeaux créé en 1717.

Mais ce succès ne durera pas longtemps : à partir des années 1830, la présence de ces tours dans les hospices français suscite de vives polémiques.

En 1843, Achille Morin rapporte le cas d’ une fille âgée de 24 ans et qui en 1843 déposa son enfant dans le tour de Brest. Elle attacha aux vêtements de l’enfant un billet qui indiquait sa filiation. «  Traduite devant le tribunal correctionnel de Brest elle a été relaxée par le motif qu’ elle ignorait ne pouvoir faire ce dépôt, qui d’ ailleurs n’ avait pas eu lieu clandestinement. Sur l’ appel du ministère public, le tribunal supérieur de Quimper a jugé qu’il n’y avait pas eu délaissement, soit parce que le billet faisait connaître la mère, soit parce que l’ enfant déposé serait immédiatement recueilli « .

Il y a simple délaissement lorsqu’un individu porte à l’hospice un enfant âgé de moins de sept ans accomplis, en déclarant qu’il le délaisse.

Au XIXe siècle, l’article 34 du code pénal indiquait: « Ce délaissement est un délit si celui qui l’opère était dans l’obligation de pourvoir à la nourriture et à l’entretien de l’enfant « . Les partisans des tours reconnaissaient que ce texte permettait de protéger l’existence des enfants.

Le journal des commissaires de police ajoute en 1865 :  » il n’y a pas délit punissable dans le fait par une mère d’avoir déposé son enfant dans le tour d’ un hospice, si elle ne s’est retirée qu’après s’ être assurée que son enfant avait été recueilli par un préposé de l’ hospice « .

Il existait une différence entre le dépôt de l’enfant dans un lieu considéré comme une  » exposition  » et l’abandon d’un enfant sans aide, considéré comme un  » délaissement « . On distingue les  » enfants trouvés « , exposés dans les lieux publics, recueillis et transportés dans une institution, des  » enfants abandonnés  » que leurs parents confient à un proche, à une autorité locale ou à une institution. Autrement dit, la nuance entre  » enfant trouvé  » et  » enfant abandonné  » réside en ce que le premier est né de parents inconnus alors que le second est né de parents connus.

La Révolution française autorise l’accouchement secret à l’hôpital par le décret du 28 juin 1793 de la Convention nationale avec alors la possibilité pour la mère de ne pas mentionner son nom dans l’acte de naissance. Mais le code pénal de l’année 1791 ne contenait aucune disposition pénale applicable au fait d’abandon ou de délaissement. Ce n’est que, plus tard, par la loi du 27 frimaire an V (17 décembre 1796) dans son article 5 que fut rétablie la punition pour abandon :  » Celui qui portera un enfant abandonné ailleurs qu’à l’hospice le plus voisin sera puni d’une détention de trois décades par voie de police correctionnelle ; celui qui l’en aura charge sera puni de la même peine «  .

L’Empire, dès cette époque, fut divisé en deux. Les adversaires estimaient qu’ils encourageaient l’immoralité et l’ abandon sans raison valable, des enfants.

Il semble que la mise en application du décret de 1811 donna raison aux adversaires des tours car le nombre d’enfants abandonnés augmenta considérablement :

    • • 1er janvier 1815: 67966 enfants abandonnés
    • • 1er janvier 1817: 92626 enfants abandonnés
    • • 1er janvier 1818: 97919 enfants abandonnés
    • • 1er janvier 1819: 99346 enfants abandonnés.

Ces derniers soupçonnaient que l’établissement des tours soit aussi un moyen astucieux pour certaines femmes de gagner de l’argent. En effet, ils pensaient qu’en déposant l’ enfant dans le tour, la mère se ferait engager comme nourrice à l’hospice et de fait serait rémunérée pour allaiter son enfant qui, de fait, lui serait restitué. L’hospice de Paris payait pour l’entretien d’ un enfant d’ un jour à un an, une somme de 7 francs par mois. Jean Baptiste Say, de Gouroff ou Mr De Gérando appartenaient à ce courant de pensée tout comme Bernard Benoît Remacle. Ce dernier fit paraître en 1838, un ouvrage intitulé « Des hospices d’ enfants trouvés en Europe et principalement en France depuis leur origine jusqu’ à nos jours « .

Dans son livre, il écrivait :  » Le système des tours peut être envisagé sous trois points de vue différents en lui-même,dans ses rapports avec l’état des mœurs, et comme partie intégrante de la législation générale. Considéré en lui-même, le tour repose sur l’absence du principe d’autorité, c’est à dire sur la négation de ce qu’il y a de plus vital, de plus essentiel dans les sociétés. Le pouvoir public ne veut pas examiner si l’abandon qui est fait de l’enfant est juste ou injuste, utile ou nuisible, opportun ou hors de propos. Il abdique son droit d’examen en faveur des auteurs de l’exposition Son abdication est le premier titre de l’institution [… ] «

Les partisans des tours, comme Lamartine ou l’abbé Gaillard, s’appuyaient sur des idées chrétiennes et religieuses, à savoir, venir en aide à son prochain. En Italie, à cette même époque, les prêtres étaient les plus fervents partisans pour la conservation des tours. Lamartine disait du tour qu’il s’agissait   » d’une ingénieuse invention du christianisme (le tour est né au couvent, la sœur tourière lui doit son nom. ) Le tour qui a des mains pour recevoir, n’a pas d’yeux pour voir, point de bouche pour révéler. Un tintement de cloche annonce que le tour a été visité. De pieuses sœurs qui veillent par derrière accourent pour recueillir le nouvel hôte. S’il est nu, on le vêt, s’il est couvert de haillons dégoûtants, on les change contre des langes propres et tièdes [… ] « .

L’instruction ministérielle du 8 février 1823 établissait que  » l’admission des enfants trouvés dans les hospices ne devait avoir lieu que par leur exposition au tour, lorsqu’ils sont apportés à l’hospice juste après leur naissance par un officier de santé ou la sage femme qui a pratique l’accouchement, si l’abandon de l’enfant résulte après l’accouchement dans un hospice, que la mère ne peut s’en charger ou lorsque l’officier de l’état civil déclare que l’enfant a été exposé « .

Très vite, les combats des partisans de la réduction du nombre de tours l’ emportèrent. Ainsi, une circulaire en date du 27 |juillet 1838, institua cette diminution progressive. Alors que le département du Nord en comptait trois en 1835, ils avaient tous disparu en 1840. Dans cette France du XIXe siècle, le nombre de tours passa de 54 en 1833 à 32 en 1855.

En 1826 il existait en France 217 hospices dépositaires avec tours et 56 hospices dépositaires sans tours. 165 ont été supprimés de 1826 à 1853, il ne restait donc plus que 52 hospices avec tours mais on a ouvert 2  tours dans cette même période, l’un dans le département de l’ex Seine  en 1827, l’autre dans le département de la Cote d’Or en 1836. Il n’y a que pour les années 1827, 1830, 1831, 1847, 1848 et 1849 qu’aucun tour n’a été fermés.)

Les départements où l’on a fermé des tours :

    • 1 tour : Ain , Ariège , Corse, Cotes du nord, Creuse, Indre et Loire, Jura, Morbihan, Nièvre, Oise, Seine inférieure, Seine et Oise, Deux sèvres.

    • 2 tours : Aisne, Hautes Alpes, Ardèche, Ardennes, Aube, Bouche du Rhône, Cantal, Drôme, Finistère, Haute Garonne, Hérault, Isère, Loire, Loiret, Lozère, Meuse, Hautes Pyrénées, Somme, Tarn, Vendée

    • 3 tours : Charente, Eure et Loir, Gard, Landes, Loir et Cher, Haute Loire, Orne, Puy de dôme, Basses Pyrénées, Tarn et Garonne, Var, Vaucluse, Vienne, Yonne

    • 4 tours : Allier, Aude, Charente Inférieure, Indre, Lot et Garonne, Maine et Loire, Seine et Marne

    • 5 tours : Basses Alpes, Aveyron, Calvados, Corrèze, Dordogne, Nord

    • 6 tours : Manche et Pas-de-calais

Total 62 départements dans lesquels on a fermé 165 tours.

A Paris par exemple, pour limiter les abandons, les mères étaient obligées après l’accouchement dans des hôpitaux d’ allaiter leur enfant plusieurs jours avant de sortir et de l’emporter à la sortie. Les mères disposées à garder leur enfant et à le nourrir recevaient une layette et une petite somme d’argent.

Mais l’Hospice de Paris ne supprima pas définitivement le tour. Pour dissuader les mères, le préfet de police plaçait des agents de police à proximité du touret lorsqu’ une mère déposait un enfant, elle devait expliquer les raisons de cet abandon. Quatre siècles auparavant, Sixte IV ( 1471-1484) avait défendu sous de grosses peines et même de punitions corporelles, de s’informer et de suivre celles et ceux qui déposaient un enfant dans un tour.

Très souvent, les enfants d’ à peine quelques heures étaient amenés de la province à Paris dans des conditions déplorables. Les nourrissons étaient placés dans des charrettes qui empruntaient des chemins mal entretenus. Arrivés à Paris, ils étaient déposés dans un tour de l’ Hospice de la rue d’ Enfer. Mais par de petits arrangements passés avec quelques familles et surtout après que les bébés aient été nourris par de bonnes nourrices, ils retournaient d’ où ils venaient. La petite histoire veut qu’une nouvelle meneuse dévoilât par erreur publiquement ces basses manœuvres. Malheureusement durant le temps où le bébé était à Paris pour être nourri par de  » simples machines à lactation » comme les appelait Alphonse Esquiros, les liens entre la mère et l’ enfant étaient détachés l’ un de l’ autre. Il en était de même pour les nourrices qui étaient amenées à Paris par des charretiers de province. Des meneurs allaient chercher des femmes à la campagne récemment accouchées pour allaiter les nouveau-nées au sein.

En 1772, le Parlement appela à la sévérité sur les transports des enfants envoyés de province. Il fut constaté dans les hospices parisiens que les deux tiers des enfants venaient de Paris et de la région parisienne et qu’ un dernier tiers venait de la province.

Pour limiter le peu de soin avec lequel les nourrissons étaient transportés en direction de Paris un arrêt du Conseil en date du 10 janvier 1779 interdit, même si elle continua tout de même à être observée par la suite dans de moindres mesures, aux voituriers et aux messagers sous peine d’ une amende de mille livres d’emmener des petits enfants si ce n’était pour les remettre à des nourrices où à l’ hôpital des enfants trouvés le plus proche.

Pour les bébés survivants ou les nourrissons qui n’avaient pas à subir cet atroce trajet, un autre trajet les attendait dans les jours suivant leur admission à l’hospice, celui vers la maison de la nourrice, le plus souvent une femme aux revenus modestes vivant dans la campagne, qui l’élevait jusqu’à ses sept ans, ou jusqu’à ses treize ans selon les cas, dans des conditions souvent dictées par la pauvreté économique et auxquelles une autre partie de ces enfants ne survivaient pas. Ainsi, au début du XIXe siècle, environ 90% des enfants abandonnés dans les hospices y décèdent; à titre de comparaison, le taux de mortalité infantile était de 20% pour la population, illustrant bien les inégalités criantes entre les enfants abandonnés et ceux qui étaient élevés par leurs parents. Enfin, passé leur treizième année, les enfants abandonnés étaient envoyés chez des cultivateurs locaux, demeuraient travailler à l’hospice comme domestiques, ou bien parfois étaient même envoyés dans les colonies pour les peupler. Le symbole matériel de la marginalité sociale de ces enfants est le collier qu’ils doivent porter avec eux jusqu’à leur treize ans, et qui est décrit en 1888 par Emile Zola dans son roman Le Rêve comme un objet de  détestation pour la jeune orpheline Angélique.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les nourrissons n’ étaient plus transportés pour les longues distances à Paris dans d’ infâmes charrettes mais grâce au chemin de fer. Le train a eu l’ avantage de réduire les distances mais comme les hospices ne pouvaient payer que des voyages en wagon de troisième classe, c’est à dire non couverts, les pauvres nourrissons souffraient terriblement des mauvaises conditions climatiques.

Un tournant dans la politique vis-à-vis des enfants trouvés est amorcé sous la IIe République,  lorsqu’en 1849, est créée officiellement l’Assistance publique, service déconcentré de l’État qui coordonne au sein de chaque département les politiques sociales et médicales, et notamment l’action des hospices dépositaires. Cette ingérence de l’État dans la gestion des hospices est accentuée sous le Second Empire, avec l’obligation à partir de 1869 de constituer un dossier individuel pour chaque pupille de l’État. La loi du 5 mai 1869 impose la création d’un service préfectoral chargé du suivi des enfants assistés. Ce service produit des dossiers individuels pour chaque enfant pris en charge, indiquant son état civil, les motifs de son abandon et son parcours. L’identité des parents n’est pas nécessairement indiquée, notamment quand il s’agit d’un dossier d’accouchement sous X.

Finalement, c’est en 1904, sous la Troisième République, que la tutelle des enfants abandonnées sera définitivement retirée aux conseils d’administration des hospices et confiée à l’État. C’est également à cette date que la suppression des tours d’abandon est officiellement actée, remplacés désormais par des bureaux d’abandon ouverts jour et nuit dans les commissariats, dans lesquels la mère, la sage-femme ou tout autre proche est tenu de venir déclarer le délaissement de l’enfant; néanmoins, la mère ou l’accompagnateur de l’enfant n’est pas obligé de déclarer son identité, et le secret filial demeure ainsi préservé si les déposants le désirent.

Le nombre d’abandons d’enfants à la naissance diminuera de façon constante tout au long du XXe siècle, et ce d’une manière encore plus significative avec la mise en place des allocations familiales en 1932, l’essor de la contraception autorisée par la loi Neuwirth en 1967, et enfin la légalisation de l’avortement par la loi Veil en 1975. Aujourd’hui appelés « accouchements sous X », les abandons à la naissance sont encadrés par le Code Civil et le Code de l’action sociale et des familles, et représentent environ 500 à 600 accouchements par an en France. Néanmoins, l’imaginaire associé aux tours d’abandons et aux contraintes d’une époque où le délaissement de son propre enfant était parfois la seule solution possible demeure encore aujourd’hui vivace, comme en témoigne l’intérêt touristique suscité par les quelques tours encore visibles en France.

Il va de soi que la question des tours et des enfants abandonnés fut tout au long de l’ histoire une affaire politique. Rappelons que l’ abandon n’était pas un délit mais la suite était bien triste car le sort des enfants nouveau-nés déposés dans les tours était précaire. Christian Mesnier précise :  » En période de crise les municipalités surchargées réduisaient la dépense sans soucis des conditions sanitaires, sans faire un bilan de mortalité « . L’ argument des adversaires du tour au XIXe siècle qui prétendaient que ce dernier était un lieu de spéculation est à notre avis très irrecevable. En revanche, il est indéniable que la réflexion qui fut menée autour de l’ existence des tours intéressait la moralité de toutes les classes de la société et probablement visait à limiter le libertinage.

Au IIe siècle de notre ère le débat sur l’abandon était déjà vif. Ainsi, un jurisconsulte romain, Julius Paulus écrivait :  » J’ appelle meurtrier non seulement celui qui étouffe l’enfant dans le sein de celui qui l’a conçu, mais encore celui qui l’abandonne, celui qui lui refuse des aliments celui qui l’expose dans un lieu public « .

Ces tours n’ ont ils pas aussi contribué, comme le suggèrent Heinz Gerhard Haupt et Françoise Laroche dans le livre «  Histoire sociale de la France depuis 1789  d’une façon archaïque à limiter la taille des familles « .

De toute manière par le passé, dans les Etats de l’ Europe orientale «  des politiques qui ont institutionnalisé l’abandon des enfants ou incité les parents en difficulté à remettre leurs enfants à l’ Etat, ces politiques ont laissé des traces dans les mentalités des populations et dans celles des personnels des maternités  » précise la résolution 1624 (2008) de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Les généalogistes sont aujourd’hui en mesure de retrouver les enfants abandonnés dans les tours grâce à une circulaire de 1812 qui recommandait d’ attribuer des noms évoquant le lieu le pays où l’ heure de l’ abandon. Jean Pierre Bardet cite pour exemple deux cas :  » Seuls les lieux d’ abandon des enfants sont évoqués à travers les noms choisis ainsi, un enfant est dénomme Tour (1843) et deux autres Tournin (1844 et 1849) « .

Les tours d’abandon sont fermés en 1863 et remplacés par des « bureaux d’admission » où les mères pouvaient laisser leurs enfants de manière anonyme tout en recevant des conseils. Ils sont abolis par la loi du 27 juin 1904 qui réglemente l’abandon. Les femmes conservent le droit d’accoucher anonymement dans les hôpitaux et d’y laisser leur bébé, puis d’être prises en charge gratuitement pendant 2 mois par le décret-loi du 2 septembre 1941 qui organise l’ « accouchement sous X « . Cette loi, modifiée depuis, sera à l’origine du droit moderne à l’accouchement anonyme (accouchement sous X), comme souligné par le Code d’action sociale et des familles (art. 222-6). Il couvre les enfants jusqu’à l’âge d’un an. En 2003, la Cour européenne des droits de l’homme soutiendra cette loi, déclarant qu’elle ne viole pas la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Sources :

    • https://sup.sorbonne-universite.fr/sites/default/
    • https://compediart.com/index.php/
    • http://geneanneogie.free.fr/

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