Les papes en Avignon
L’arrivée et l’installation durable de la cour pontificale en Avignon marquent à jamais le destin de la cité provençale. Pourquoi les papes s’installent en Avignon en ce début de 14ème siècle ?
Après le règne de Charlemagne, le pouvoir politique centralisé s’est inexorablement émietté au profit d’une multitude de potentats locaux, les seigneurs féodaux.
La Féodalité triomphe au Xe et XIe siècle, le christianisme en est le fondement spirituel et l’Eglise occupe la place laissé vacante par l’effacement de rois sans réels pouvoirs. Le prestige de l’Eglise et de son chef, le pape, atteint son apogée avec les Croisades, au XIe et XIIe siècle, que ses richesses permettent de financer et d’organiser.
Le pape, souverain spirituel de la Chrétienté catholique, est aussi un souverain temporel. Il possède et administre à son profit des territoires, les Etats pontificaux en Italie et le Comtat Venaissin en Provence.
Forte des succès des Croisades, l’Eglise tente d’imposer en Occident une théocratie en soumettant les rois à sa volonté.
Mais les temps changent. Les templiers n’ont pas pu empêché la perte de la Terre Sainte. Les papes se heurtent au pouvoir croissant des souverains des grands royaumes d’Occident : le Saint Empire romain germanique, la France et l’Angleterre. Pendant le XIIIe siècle, une lutte sans merci entre guelfes (partisans du papes) et gibelins (partisans de l’empereur germanique) déchire la péninsule italienne morcelée. Le chaos politique est tel que le pape, craignant pour sa sécurité réside rarement à Rome où il est à la merci des factions qui se partagent la ville.
A la fin du XIIIe, le pape a évincé les héritiers de l’empereur Frédéric II des royaumes de Naples et de Sicile, avec l’aide de son allié fidèle le Comte d’Anjou et de Provence, désormais roi de Naples, mais l’Italie reste incontrôlable.
À l’intérieur de l’Eglise, le pape se heurte à une opposition interne, dont les ordres mendiants et à leur tête les franciscains sont les principaux propagateurs. Ils prêchent un retour vers un christianisme originel, critiquent la richesse et la corruption de l’Eglise. Simonie et népotisme sont il est vrai pratique courante dans l’Eglise souvent au plus haut de sa hiérarchie.
Confrontée à une perte d’influence spirituelle, elle tente d’accaparer le pouvoir temporel. Une grave crise oppose maintenant le pape Boniface VIII et le roi de France Philippe le Bel. Philippe le Bel y réagit très violemment, s’appuyant en particulier sur les universitaires et la bourgeoisie auxquels il donne une place politique plus importante par l’intermédiaire de la création des États généraux.
Philippe le Bel a besoin de ressources pour entretenir une armée et une marine capables de maîtriser les velléités d’autonomie des riches villes flamandes. Il décide de lever, en 1295, un impôt exceptionnel sur le clergé, la « décime ». Le pape Boniface VIII, qui tire d’abondants revenus de France, répond par la bulle de 1296, Clericis laicos. Dans cette dernière, il dit, à l’intention des souverains, que le clergé ne peut être soumis à aucun impôt sans l’accord du Saint-Siège. Les évêques sont tenus de suivre les recommandations du Saint-Siège sous peine d’excommunication.
En rétorsion, Philippe Le Bel interdit toute exportation de valeurs hors du royaume de France, ce qui a pour effet de priver le pape d’une part importante de ses ressources. Les rapports avec Rome se tendent ; en 1302, par la bulle Unam Sanctam, Boniface VIII affirme la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel et, de ce fait, la supériorité du pape sur les rois, ces derniers étant responsables devant le chef de l’Église. C’en est trop pour Philippe le Bel, qui réunit un concile des évêques de France pour condamner le pape. Il convoque aussi des assemblées de nobles et de bourgeois à Paris, cherchant l’appui de tous ses sujets pour légitimer sa lutte contre le pape. Ce dernier menace d’excommunier Philippe IV et de jeter l’interdit sur le royaume de France.
Fort du soutien de la population et des ecclésiastiques, le roi envoie son garde des sceaux, le chevalier Guillaume de Nogaret avec une petite escorte armée vers l’Italie afin d’arrêter le pape et de le faire juger par un concile. Nogaret est bientôt rejoint par un ennemi personnel de Boniface VIII, Sciarra Colonna, qui lui fait savoir que le pape s’est réfugié à Anagni. Dans la nuit du 7 au 8 septembre 1303, ils investissent la petite ville d’Anagni dans le Latium, où réside le pape pendant l’été. Ils réussissent à s’emparer sans trop de mal du palais pontifical de la ville. Cependant, les buts de Nogaret et de Colonna divergent. Nogaret veut simplement lui notifier la citation à comparaître au concile ; Colonna veut s’emparer de la personne du pape et l’obliger à renoncer à sa charge. Nogaret parvient à calmer son complice et lit solennellement son acte d’accusation au pape. Celui-ci fait face avec dignité sans céder sur aucun point, déclarant : « Voici mon cou, voici ma tête. » L’entreprise échoue finalement, Boniface VIII résiste mais il est giflé par un chevalier. « L’attentat d’Agnani » provoque un scandale énorme dans la Chrétienté et la papauté sort discréditée.
Le lendemain, la population d’Anagni s’est ressaisie. Supérieure en nombre, elle réussit à chasser la troupe de Sciarra Colonna. Nogaret parvient à s’enfuir. Libéré, Boniface VIII repart pour Rome où il meurt un mois après, le 11 octobre. La légende dit qu’il est mort de chagrin, à la suite de toutes les humiliations subies.
Le choix de son successeur par le concile des cardinaux s’avère crucial. Son successeur, Benoît XI est élu le 22 octobre 1303 dans une atmosphère des plus tendue. Il abroge la bulle Super Patri Solio et annule la plupart des mesures de nature à vexer le puissant roi de France. Cependant il écarte de l’amnistie les coupables directs de l’attentat d’Anagni, Sciarra Colonna et Nogaret, en fulminant en particulier contre eux et quelques autres complices la bulle d’excommunication Flagitiosum Scelus, du 7 juin 1304, les citant à comparaître devant son tribunal, dans le délai d’un mois, à Pérouse, sous peine d’être condamnés par contumace. Nogaret, pour sa part, ne se présentant pas, reste canoniquement sous le coup de la sentence d’excommunication. Le nouveau pape décède à son tour le 7 juillet 1304.
Pendant onze mois de pénibles tractations se déroulent entre le parti français conduit par la famille romaine des Colonna, et le parti du défunt Boniface VIII mené par les Caetani. On décide finalement de choisir le pape à l’extérieur du Sacré Collège des cardinaux et l’unanimité ou presque se fait sur le nom de Bertrand de Got, prélat diplomate et juriste éminent, resté neutre dans la querelle entre Philippe le Bel et Boniface VIII. Le 5 juin 1305 les cardinaux, réunis en conclave à Pérouse, portent à la tête de l’Église Bertrand de Got qui choisit le nom de Clément V. C’est le dixième pape français. Il monte sur le trône de saint Pierre à l’âge de quarante ans, alors que l’Église traverse une grave crise politique. Le nouveau pape renonce à se rendre à Rome par crainte des intrigues locales et des risques liés au conflit des guelfes et des gibelins: Il choisit en définitive de se faire couronner à Lyon, en terre d’Empire, le 1er novembre 1305. A partir du 15 novembre, le pape Clément V entreprit une longue errance dans le royaume de France et la Guyenne anglaise. Il ne séjourna à Avignon que par intermittence et logea au couvent des Dominicains. L’ancien archevêque de Bordeaux avait été élu grâce au soutien du roi de France, dont il était le sujet mais non le vassal, en échange duquel soutien il lui devenait redevable
Clément V fait son possible pour se concilier les bonnes grâces du puissant Philippe le Bel, mais repousse sa demande d’ouvrir un procès posthume contre Boniface VIII qui aurait pu justifier a posteriori l’attentat d’Anagni. En 1307, il a un entretien avec le roi capétien où il est question en particulier du sort des Templiers. Philippe le Bel veut supprimer cet influent et riche ordre de moines-chevaliers qui répond de l’autorité du pape et non de la sienne à lui Philippe — et qui, au passage, est son créancier pour 500 000 livres. C’est chose faite le vendredi 13 octobre 1307, sans opposition du pape.
Le concile de Vienne convoqué par Clément V pour juger l’ordre du Temple, nécessitait qu’il se rapprochât de cette ville. Il rejoignit donc le Comtat Venaissin, terre pontificale. Si son choix se porta sur la ville d’Avignon, possession du comte de Provence (roi de Naples et à ce titre vassal du Saint-siège), c’était que sa situation sur la rive gauche du fleuve la mettait en relation avec le nord de l’Europe, par l’axe Rhône/Saône. Par ailleurs dans cette vallée du Rhône, frontière commune entre la France et le Saint-Empire romain germanique, seules des villes desservies par un pont pouvaient postuler à un rôle de capitales internationales. C’était le cas d’Avignon avec le pont Saint-Bénézet, lieu de passage obligé entre l’Espagne et le Languedoc, la Provence et l’Italie.
De plus, l’importance des foires de Champagne jusqu’à la fin du XIIIe siècle et la pérennité de la foire de Beaucaire avaient fait d’Avignon et de son rocher une étape commerciale obligée. – Au cours des années 1312-1320, la régression de l’importance internationale des foires de Champagne avait fait diminuer puis, sur ordre du doge Giovanni Soranzo, réduit à néant le trafic des galères vénitiennes dans la « mer du Lion ». Elles avaient perdu l’habitude de faire escale dans le vieux port de Marseille et d’entreposer leurs marchandises qui remontaient par la vallée du Rhône vers la Champagne -. La présence pontificale allait lui redonner un lustre qu’elle était en passe de perdre et le conflit entre l’Angleterre et la France une importance politique que n’aurait pu avoir Rome trop excentrée vis-à-vis de ces deux royaumes.
Si Rome, dès l’Antiquité, avait dû sa puissance et sa grandeur à sa position centrale dans le bassin méditerranéen, elle avait perdu de l’importance et, dans cette fin du Moyen Âge, le centre de gravité du monde chrétien s’était déplacé. La situation d’Avignon était bien plus favorable géographiquement et politiquement.
Les sept papes d’Avignon
Au XIVe siècle pour des raisons essentiellement politiques, neuf papes résident à Avignon et font de cette ville la capitale de la Chrétienté.
Clément V installe la papauté à Avignon en 1309 et lève en 1311 toutes les condamnations portées contre le roi et ses conseillers, déclarant que durant tout le conflit l’attitude de Philippe le Bel avait été « bonne et juste. »
Il est vrai que Clément V, n’eut guère les moyens ni le caractère pour résister à de Philippe le bel. Ses successeurs furent cependant moins complaisants envers la monarchie française. Si les papes choisirent de résider en Avignon, aux portes du royaume de France, c’est qu’ils renforçaient ainsi le rayonnement et l’autorité de l’Eglise sur la Chrétienté. Ils intervenaient constamment dans les conflits et arbitrant les litiges entre grands souverains de l’Europe. En contrepartie, le roi de France renforçait son prestige en se présentant comme le protecteur de l’Eglise.
Le poète Pétrarque comparait le séjour des papes en Avignon à un « exil en Babylone », en soulignant le luxe, et la luxure, dans laquelle se complaisait la cour pontificale, signifiant aussi que la papauté était prisonnière du roi de France. Les historiens, à la suite de Pétrarque, ont longtemps méconnu la période des papes en Avignon, la considérant comme une période de décadence pour l’Eglise.
Clément V meurt le 20 avril 1314, à Roquemaure ( Gard)
Le conclave de Carpentras trouve de nouveau les cardinaux divisés. De plus, des bandes à la solde des neveux de Clément V pillent la ville, brûlent des maisons et tuent des italiens, ils bloquent même les cardinaux à l’intérieur du palais épiscopal mais ils arrivent à s’enfuir. Après deux ans de tergiversation, il réussissent à élire Jacques Duèse, cardinal de Porto, au couvent des frêres prêcheurs où, bloqués cette fois par les troupes du Roi, ils mettent encore six mois à se décider. La nette prépondérance des cardinaux français, rapidement établie au sein du Sacré-Collège, assura ensuite l’élection d’un ancien évêque d’Avignon, Jacques Duèse. Et encore ! Jean XXII est élu en raison de son grand âge, 72 ans, qui ne le prédestinait qu’à un règne « intérimaire ». L’agitation violente de l’Italie, la turbulence des grandes familles et du peuple romains engagèrent le nouveau Pape à s’installer à Avignon. Ancien évêque d’Avignon, c’est tout naturellement qu’il s’y installe, et, malgré son intention de ramener la papauté à Rome, il y restera jusqu’à sa mort, 18 ans après. Il parvient à lever les cités guelfes d’Italie et le Roi de Naples contre l’empereur Louis de Bavière, couronné à Rome et qui avait fait proclamer un anti-pape, Nicolas V (1328). Ce dernier, chassé par les romains viendra implorer son pardon à Avignon où il mourra en captivité en 1333. Grâce à lui, l’église s’enrichit, Jean XXII perfectionne en effet la fiscalité pontificale. Il se réserve toutes les nominations épiscopales et diffuse le christianisme en Orient. Il se révèle aussi un fervent combattant de l’inquisition qu’il réprimera durement. Sur son lit de mort, Jean XXII doit rétracter les propositions énoncées lors de ses derniers sermons. Il s’éteint le 4 décembre 1334.
Le 23 décembre 1334 le premier conclave d’Avignon se réunit. Les cardinaux élisent Jacques Fournier, moine cistercien et évêque de Pamiers, comme nouveau Pape sous le nom de Benoit XII dans un climat relativement apaisé. Les débuts de la Guerre de Cent Ans conjugués au discours persuasif de ses cardinaux, l’incitent à demeurer à Avignon. Il poursuit la réorganisation de la cour pontificale engagée par Jean XXII et accroît les revenus de l’Eglise. Grâce à cette manne financière, il fait ériger, par Pierre Poisson, un palais pontifical plus grand et mieux protégé que l’ancien palais épiscopal, richement décoré et plus adapté aux besoins du gouvernement centralisé de l’Église, ce sera le début de la construction du palais des papes en 1340. Contrairement à son prédécesseur, il donna l’exemple d’une vie austère et mit fin au népotisme. Il chercha à réformer l’Eglise, à rétablir la paix entre la France et l’Angleterre, et reprit les relations avec Louis de Bavière, il s’efforça de ramener le calme en Italie et d’apaiser la révolte des états de l’église. Il meurt le 25 avril 1342.
En mai 1342 Pierre Roger, ancien archevêque de Sens, de Rouen et chancelier de France, il fut élu à l’unanimité sous le nom de Clément VI. Il aimait le faste (il décida, par exemple, que l’année sainte n’aurait plus lieu tous les cent ans mais tous les cinquante et annonça la suivante pour 1350), les profiteurs écartés par Benoît XII se pressent par milliers. Pierre Roger homme d’exception, reconnu pour ses qualités intellectuelles, son éloquence, son sens de la diplomatie et sa culture théologique est élu à l’unanimité. Grand seigneur, homme d’Etat, amateur d’art, ses largesses le distinguent de ses prédécesseurs dont il dit qu’ils « n’ont pas su être pape ». Après un couronnement fastueux, en présence des princes de sang, ce grand mécène fait d’Avignon un creuset culturel et un foyer d’échanges européens. Homme de goût et amoureux des arts, il attira les artistes, savants et hommes de lettres et fit construire la plus belle partie du Palais des Papes et l’agrandit par l’adjonction de l’opus novum (palais neuf). Le luxe et ses actions ruinèrent le trésor pontifical, il fut néanmoins très admiré par ses contemporains et son règne marqua l’apogée de la papauté avignonnaise. En 1348, afin d’être définitivement maître des lieux, il achète la ville à la Reine Jeanne de Naples, comtesse de Provence.Il joua un rôle prépondérant dans le transfert du Dauphiné au Royaume de France après tractations avec Humbert II dauphin du Viennois. Clément VI meurt le 6 décembre 1352.
Le cardinal Etienne Aubert est choisi par le collège des cardinaux est devient le nouveau pape sous le nom d’ Innocent VI. Étienne Aubert est d’abord un réputé professeur de droit romain à Toulouse. Il entre dans les ordres et est nommé évêque de Nimes (1337), de Noyon (1338) puis de Clermont (1340). Cardinal-prêtre en 1342, il est nommé en 1352 cardinal-évêque d’Ostie, dans les États pontificaux. Il a devant lui une tâche ardue. Les caisses de l’Eglise sont vides, les mœurs se sont relâchées sous le règne de son prédécesseur Clément VI, la cour pontificale est parasitée par d’innombrables courtisans. En 1358, il fut même obligé de vendre argenterie et bijoux personnels. Il renoua avec l’austérité de Benoît XII, Innocent VI défend d’abord fermement son pouvoir face au collège des cardinaux qui entend lui retirer une partie de son autorité. Il impose des réformes dans le clergé, pour restaurer une rigueur nécessaire en ces temps troublés, dans une Europe ravagée par les épidémies, les famines et la guerre. Il parvient à imposer une nouvelle trêve entre la France et l’Angleterre, mais les mercenaires qui constituent une grande part des armées sont démobilisés et forment les « Grandes Compagnies », bandes de soldats errants. À défaut de se battre, ils sèment la désolation pour leur propre compte dans les contrées où ils passent. Lorsque la Compagnie d’Arnaud de Cervole apparaît dans la vallée du Rhône pendant l’été 1357, il négocie avec Innocent VI sous la contrainte et obtient à prix d’or la passage de ses mercenaires sans pillages. Le pape décide alors la construction de remparts autour de la cité. En décembre 1360, la Compagnie des « Tard-venus » prend Pont-Saint-Esprit. Le pape négocie encore leur départ à prix d’or. C’est aussi l’époque de la famine et de la peste qui ravagent à nouveau la ville. Sa politique maladroite ne connut pas un grand succès. Les évènements tragiques de pontificat n’enlèvent rien à la valeur d’Innocent VI, mais ils marquent un tournant pour Avignon. Le pape n’est plus en sécurité dans la cité provençale et le roi de France, Jean le bon, prisonnier des anglais, est incapable d’y remédier. En Italie cependant la situation semble apaisée. L’autorité pontificale a été rétablie sur ses Etats pontificaux grâce au cardinal Gil d’Albornoz. Rien ne s’oppose plus alors à un retour du pape à Rome. Accablé par tant de soucis, Innocent VI déclina rapidement et mourut en Avignon le 12 septembre 1362.
Guillaume Grimoard, d’abord moine bénédictin, devint abbé de Saint-Germain-d’Auxerre, puis de Saint-Victor de Marseille. Il est élu pape le 28 septembre 1362. Dès son arrivée à Avignon, il fut intronisé le 31 octobre sous le nom d’Urbain V, puis consacré évêque et couronné le 6 novembre dans la chapelle du Palais Vieux, sans aucun faste extérieur.
Il se distingue par sa modestie qui l’incite à limiter les excès de la curie. Il consacre son temps à la prière et manifeste une certaine défiance à l’égard de ses cardinaux. Ni évêque, ni cardinal, il n’a jamais entretenu de relations suivies avec la Curie. Il fut donc totalement étranger aux querelles de clans de l’Antique et Sacré Collège des cardinaux. De plus, sa carrière ne doit rien à l’administration royale française, et ses missions diplomatiques l’ont rendu très proche de l’Italie. C’est d’ailleurs contre leur avis qu’en avril 1367, il rétablit à Rome le Siège Apostolique, mais les luttes des factions romaines le forcèrent à revenir en Avignon trois ans plus tard, malgré les protestations de sainte Brigitte. Il y demeure cependant menacé par les troubles politiques. Il est à l’origine de nombreux développements architecturaux, de missions dans le monde entier et, avec la guerre de Cent Ans, a eu à arbitrer et à participer à plusieurs conflits. En 1370, la reprise des hostilités entre la France et l’Angleterre, le convainc de regagner Avignon où il meurt le 19 décembre 1370., peu après son retour.
Pierre Roger de Beaufort est élu 11 jours seulement après le décès d’Urbain V. Il est le neveu de Clément VI. Cultivé et habile diplomate, il redonne toute leur importance aux cardinaux en nommant de nombreux membres de sa famille. Grégoire XI veut ramener la cour pontificale à Rome car la situation en Italie menace de lui échapper. Il annonce son intention en février 1374. Le 17 janvier 1377, cédant aux prières et conforté dans son choix par les visions mystiques de Sainte Catherine de Sienne et de Sainte Brigitte de Suède, faisant fi des lamentations de son entourage, attaché au Palais des Papes et à son luxe, le pape Grégoire XI, dernier pape français, met fin à la «captivité d’Avignon» et réinstalle le Saint-Siège à Rome. La monarchie capétienne, affaiblie par la guerre de Cent Ans, n’est plus assez forte pour retenir le pape. . Poussées par Florence, les villes des Etats pontificaux se révoltent contre l’administration injuste de légats français. Le pape Grégoire XI doit pacifier d’abord ses Etats en enrôlant une grande Compagnie mater les villes rebelles. Avant son départ, il cherche vainement à stopper la guerre entre la France et l’Angleterre pour lancer une croisade. Le voyage pour Rome par la mer se révèle périlleux et épuisant. A son arrivée, il s’emploie à remettre fermement de l’ordre dans ses Etats. Mais, affaibli, et de santé précaire, il s’éteint le 27 mars 1378. Son règne y est complexe et de courte durée. A sa mort s’ouvre une grave crise de succession qui donne naissance au grand schisme d’occident.
A sa mort, Grégoire XI semble avoir définitivement ramené la papauté à Rome, et il a pacifié des Etats en ébullition. La paix est cependant bien relative et le conclave des cardinaux qui se réunit au Vatican pour élire un nouveau pape sera le détonateur d’une des plus graves crises de la Chrétienté : le Grand Schisme qui perdura près de 40 ans, à cause de la faiblesse des grandes puissances. La France et l’Angleterre étaient engluée dans la Guerre de 100 ans. Le problème fut résolu grâce à l’énergie et à la volonté de l’empereur Sigismond.
Le Collège des cardinaux comporte une majorité de français, eux-même divisés en deux clans. La populace romaine, craignant qu’un pape français ne s’en retourne en Avignon, se rassemble autour du conclave et exige l’élection d’un pape italien. La foule menaçante effraie les cardinaux si bien qu’ils élisent sous la pression Barthélemy Prignano, l’archevêque de Bari, qui prend le nom d’Urbain VI et est intronisé en avril 1378. C’est un pape très autoritaire ; le collège des cardinaux, composé majoritairement de cardinaux français, lui reproche alors d’avoir été élu sous la pression de la population romaine en insurrection. Urbain VI se rend tellement odieux auprès des cardinaux français que, six mois plus tard et malgré les avertissements et les reproches de la mystique Catherine de Sienne, ceux-ci se réfugient à Fondi dans le Royaume de Naples et élisent l’un des leurs, Robert de Genève, qui prend le nom de Clément VII (antipape). Celui-ci reçoit bientôt l’appui du roi Charles V de France qui espère voir la papauté s’installer de nouveau à Avignon afin de pouvoir mieux la contrôler. Effectivement, Clément VII s’installe à Avignon,jusqu’à sa mort le 16 septembre 1394, où il renoue avec le faste et les arts et fonde le Couvent des Célestins, d’où il entreprend de lutter contre Urbain VI. Ce dernier perd peu à peu ses alliés, devenant un tyran paranoïaque. Il fait torturer et disparaître ses propres cardinaux mais nomme 29 cardinaux afin de contrer les rebelles. Il meurt le 15 octobre 1389.
À la fin de l’année 1378, la France est acquise à l’antipape Clément VII, auquel se rallient ensuite l’Écosse, la Savoie, le Portugal – qui changera de camp en 1381 – la Castille, l’Aragon et la Navarre. L’Angleterre reconnaît l’autorité d’Urbain VI, tout comme le Saint Empire romain germanique, la Pologne, la Hongrie, les Flandres et les pays du nord et du centre de l’Italie. N’ayant pu évincer Urbain VI du Vatican, Clément VII se replie à Naples, mais s’en fait chasser par la population, acquise à son rival. Il gagne Avignon le 20 juin 1379 : la division de l’autorité pontificale est consommée et avec elle, celle de l’Église romaine.
Pour avoir offert l’hospitalité à Clément VII, la reine Jeanne Ire de Naples (1326-1382) est excommuniée par Urbain VI. Ce dernier la dépouille en 1380 de son royaume, qu’il confie au cousin germain de Jeanne, Charles III de Duras (1345-1386) – lequel fera assassiner Jeanne en prison –, avant d’excommunier Charles et de frapper Naples d’interdit en 1385. L’armée napolitaine affronte les forces du pape lors de la bataille de Nocera. L’évêque d’Aquila et les cardinaux coupables d’avoir intrigué contre Urbain VI sont faits prisonniers et tués brutalement. Les États pontificaux basculent dans l’anarchie. Urbain VI meurt à Rome le 15 octobre 1389, probablement empoisonné.
Les deux antipapes d’Avignon
C’est le début du Grand Schisme d’Occident, qui verra deux (et même parfois trois) papes sur le trône pontifical et qui ne prendra fin qu’en 1417 avec le Concile de Constance
Durant 39 ans, l’Eglise est déchirée en deux obédiences, avec un pape régnant à Rome et un autre à Avignon. Malgré des tentatives de compromis et des menaces de déposition, sept papes se succèdent en Italie et deux à Avignon.
Pedro de Luna élu le 28 septembre 1394 sous le nom de Benoit XIII (antipape) se retrouve à la tête d’une Eglise déchirée. Malgré le souhait du Roi de France d’entamer des négociations avec Rome et de mettre un terme au schisme. Déposé à deux reprises, il s’acharne cependant à conserver la tiare. Enfermé dans le Palais des Papes, il résiste à deux sièges. Toutefois, comme il y avait toujours deux papes, il s’était engagé, comme les autres cardinaux, à se démettre s’il le fallait, pour faciliter la réunion de l’église. Originaire de la région d’Aragon, cet homme « têtu comme une mule de son pays » ne tiendra jamais sa promesse. Mais si Clément VII bénéficiait du soutien du Roi de France, Benoît XIII voit se retirer le clergé et le gouvernement français de son obédience. Cette décision fut suivie par la plupart des cardinaux, des avignonnais et des comtadins. Pendant ce temps, les bandes armées écumaient toujours le pays et la lutte avec Raymond de Turenne se poursuit. Indésirable, Benoît XIII est contraint de s’enfermer dans le Palais des Papes, les cardinaux et les avignonnais louent les services d’une bande de mercenaires menée par Geoffroy le Meingre. Pendant 3 mois, les assiégeants essaient de se rendre maîtres du palais par tous les moyens, la ruse, la violence, le feu même, sans aucun résultat ; on se contente alors de soumettre la forteresse au blocus. Puis, lorsqu’à la suite d’un accord, on évacue la garnison qui s’y trouvait, on s’en tient à empêcher le pape de s’enfuir en gardant toutes les issues. Dans la nuit du 11 au 12 mars 1403, après 5 ans passés à l’intérieur du palais, Benoît XIII réussit à s’enfuir et gagne Châteaurenard par la Durance. En retrouvant la liberté, il retrouve aussi tout son prestige et tous se soumirent à nouveau à son autorité. La peste menaçant à nouveau Avignon, il s’installe à Carpentras et au chateau de Sorgues, puis, gagnera l’Italie pour essayer de trouver une solution avec Grégoire XII, pape de Rome. Mais le concile de Pise de 1409, déposa les deux papes pour en élire un troisième, Alexandre V, qui décédera rapidement pour être remplacé par Jean XXII. Le neveu de Pédro de Luna, Rodrigue, parvint un temps à profiter de l’influence de son oncle (Avignon et le comtat ne se rallièrent à Jean XXII qu’un an après le concile de Pise), mais il s’ensuit un second siège du palais des papes qui dure 17 mois, jusqu’au 2 novembre 1411. Affamé et ne recevant pas les secours promis par son oncle, il finit par se rendre. Pedro de Luna mourra à Peniscola en 1424
À la suite du concile de Pise de 1409, l’Église catholique se retrouvait avec trois papes à sa tête : Alexandre V, Benoît XIII et Grégoire XII. Pour sortir de la crise une Église qui a trois papes, l’empereur allemand Sigismond impose au pape Jean XXIII de convoquer à Constance un concile qui s’ouvre le 5 novembre 1414. C’est le seizième concile général ou œcuménique. Le vote se fera par « nations », allemande, française, anglaise et italienne, la cinquième voix étant donnée au collège des cardinaux. Évêques et abbés sont minoritaires face aux mandataires des absents et aux corporations ecclésiastiques (universités, chapitres…). Malgré la fuite de Jean XXIII, le concile décide de se maintenir en affirmant par le décret Sacrosancta qu’il tient son pouvoir directement du Christ pour la réforme de l’Église. Jean XXIII (Pise) et Benoît XIII (Avignon) sont déposés tandis que Grégoire XII (Rome) démissionne. Le concile réalise son unité en condamnant Jean Hus au bûcher (6 juillet 1415). Après avoir décidé que l’Église serait désormais dirigée par des conciles périodiques, des représentants des « nations » et les cardinaux, élisent le pape Martin V (11 novembre 1417). Les projets de réforme de l’Église demeurent sans aucun effet quand le concile se dissout le 22 avril 1418.
Mais quelles conséquences ?
Le Concile de Constance a réglé le Grand Schisme d’Occident. La crise a profondément marqué la chrétienté occidentale et notamment remis en cause l’autorité du pouvoir pontifical accusé de dérive absolutiste. Désormais le concile conteste la suprématie du pape, pour un temps en tous cas. Le scandale a discrédité la papauté et intensifié au sein de la communauté chrétienne, l’appel à la Réforme qui verra le jour peu après avec la Réforme protestante. La division de l’Église ouvre un espace aux critiques et aux remises en cause. Des théories nouvelles telles que celles de John Wyclif peuvent se répandre, alors que les ecclésiastiques se déchirent entre partisans du pape et de l’antipape qui se discréditent mutuellement. Le terrain est préparé pour la Réforme dont Wyclif est l’un des précurseurs. En outre, il aboutira à deux autres conséquences importantes, l’accélération de la dissolution de l’ordre féodal et aux affirmations des particularismes nationaux.
Un siècle de papauté à Avignon marque la ville définitivement. Le poète Pétrarque comparait le séjour des papes en Avignon à un « exil en Babylone », en soulignant le luxe, et la luxure, dans laquelle se complaisait la cour pontificale, signifiant aussi que la papauté était prisonnière du roi de France. Les historiens, à la suite de Pétrarque, ont longtemps méconnu la période des papes en Avignon, la considérant comme une période de décadence pour l’Eglise. Les papes Benoît XII et Clément VI enracinèrent la papauté en Avignon en bâtissant le Palais des papes. Le pape Clément VI « le Magnifique » est déjà un « Prince de l’Eglise » annonciateur des papes de la Renaissance. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui ce que fut Avignon au temps des papes : une ville cosmopolite débordante de vitalité, en perpétuelle construction. On estime à 40 000 la population maximale d »Avignon, ce qui en fit une des principales villes occidentales du 14ème siècle. Les papes recevaient des ambassadeurs des royaumes l’Europe, et de plus loin encore. On y parle la langue d’Oc, l’italien, le français. Les cardinaux y tenaient des cours fastueuses, attirant courtisans, marchands, quémandeurs de toutes origines, mais aussi les artistes et les intellectuels européens. Avignon des papes est un creuset où le carcan des valeurs médiévales traditionnelles est remis en question. Le germe de la culture humaniste est planté, il s’épanouira en Italie au siècle suivant.
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Papauté_d’Avignon
https://francearchives.fr/commemo/recueil-2009/40088
http://www.palais-des-papes.com/fr/content/9-papes-a-avignon
https://www.avignon-et-provence.com/personnages-celebres/papes-davignon
https://www.horizon-provence.com/papes-avignon/