L’ÉPREUVE DU « CONGRES »

L’ épreuve du « Congrès »



 

En 1662 (ou 1656), une affaire assez curieuse amusa la Cour de Louis XIV et la ville de Paris.

Le « Congrès » est une pratique uniquement française, ayant duré environ 100 ans sous l’Ancien Régime, demandée par une femme en vue d’annuler son mariage pour cause d’impuissance de l’époux. Cette pratique humiliante, réalisée en public, rabaissant les humains au rang d’animaux fut heureusement abolie en février 1677.

Durant la Grèce antique, une femme mariée à un homme incapable de procréer, pouvait habiter avec un autre membre de la famille de son mari. L’empereur Justinien autorisait le divorce si pendant deux ans, le mari ne pouvait remplir son devoir conjugal.




Jusqu’au XVe siècle, en cas de demande de divorce, tout évêque pouvait décider et assigner le mari à jurer au pied de la croix.

L’église considérait qu’un homme, en se mariant, devait honorer sa femme. L’impuissance était donc vue comme un viol délibéré du sacrement du mariage et un manque de respect pour l’église. Il peut valider un divorce et exiger des dommages et intérêts du mari coupable de troubles de l’érection.

Durant cette période, on considérait que si un homme se mariait alors qu’il avait des troubles de l’érection, il trompait sa femme sur sa valeur. « Ils offrent une apparence mâle équivoque aux femmes qu’ils épousent. Ils ne sont pas en réalité de « vrais » hommes puisque leur virilité est défaillante. La femme est considérée comme dupée lorsqu’elle découvre la vérité le soir dans son lit de noces »

Dans ces cas là, l’homme pouvait passer devant le tribunal de l’impuissance. Ce tribunal devait juger si la femme disait vrai et si c’était le cas, punir le mari qui en échange devait  accepter le divorce et donner des dommages et intérêts.

La demande de la femme était d’autant plus prise au sérieux que celle-ci était dorénavant dévalorisée sur le marché du mariage. Le dépucelage ayant été impossible du fait de l’impuissance de son mari, elle était considérée comme « une patiente privée de soins ».

Certaines femmes profitaient de ce tribunal pour humilier et ridiculiser leurs époux publiquement, et c’est pour cela que le tribunal devait mettre en place une procédure pour prouver ce trouble de l’érection.

Toute impuissance incurable et naturelle entraîne la nullité du mariage et l’interdiction de se remarier. L’impuissance provenant de mutilation ou maladie n’entraîne pas systématiquement la nullité du mariage. Les impuissances d’origine magique, surnaturelle ou par maléfice ne sont pas passibles de punition car curables.

Mais à partir du 16e siècle un procès pouvait être initié par l’épouse. La procédure se déroulait en cinq phases . Tout d’abord, il fallait l’aveu du mari, ensuite on effectuait une enquête de voisinage avec des témoignages de la famille, voisins qui pouvaient affirmer ou infirmer l’impuissance de l’époux. Une épreuve probatoire de trois ans ou habitation triennale était ordonnée.

On interrogeait individuellement chacun des époux. par des magistrats devant un groupe d’ecclésiastiques et de greffiers qui pouvaient poser toutes les questions qu’ils souhaitaient, questions très intimes amenant quelques fois des sous entendus mal placés, voire du harcèlement. Après l’interrogatoire, une expertise médicale de chacun des époux est prévue : l’organe de l’homme est alors « vérifié, tâté, trituré, mesuré quant à la longueur et l’élasticité avec mouvement naturel d’érection ». Ainsi, on évaluait la virilité ou l’impuissance du mari et on se prononçait sur la virginité ou défloraison de la femme.

Soit les juges concluent rapidement à l’impuissance du mari et la femme n’est alors pas inquiétée, soit ils ne peuvent se décider et demandent l’inspection des parties intimes de la femme, quant à la largeur et la profondeur.

Ensuite intervenait l’épreuve du congrès qui consistait en des travaux pratiques. Face à cinq matrones, cinq chirurgiens et cinq médecins, les époux devaient consommer le mariage. L’homme pouvait choisir la date et le lieu.

Vient ensuite la démonstration devant témoins « le Congrès » ! L’homme doit faire assaut de sa femme, devant des médecins, des juges, des matrones. S’il ne réussit pas, et bien souvent c’est le cas comme le mentionne le dictionnaire de Trévoux en 1771 « la pudeur et le trouble causés par laprésence d’experts produisaient le même effet que naturelle », il est déclaré impuissant, le mariage dissout, l’homme n’ayant plus le droit de se remarier. Bien sûr il était fréquent que cela soit impossible compte tenu du trouble que pouvait causer la présence d’innombrables témoins. Finalement, cette pratique est bien avantageuse pour une femme qui veut se débarrasser de son mari et prendre son amant.

Suite à deux affaires ayant défrayée la chronique dans les années 1650, le Parlement de Paris rédige une loi le 18 février 1677 « faisant défense à tous juges d’ordonner à l’avenir la preuve du congrès ». A partir de cette époque, lorsqu’une femme accuse son mari d’impuissance, il suffit de vérifier si les parties reproductrices sont bien formées ; dans le cas positif, la demande de la femme est alors rejetée.

 

Les aventures du Marquis de Langeais (ou Langey)

 

En 1656, le marquis de Langey 25 ans, est marié à une demoiselle Saint Simon de Courtomer âgée de 14 ans. Après trois ans de mariage, la mariée demande l’annulation pour cause d’impuissance de son mari. Les interrogatoires et examens d’usage sont pratiqués et même si la demoiselle n’est plus fille, elle invoque un amour stérile et « furieux » de la part de son mari. Le marquis ayant protesté, disant qu’il avait « en ses chausses, bonne artillerie à la disposition des dames », les juges décidèrent de le soumettre à l’épreuve du « congrès ».

M. de Langeais accepta l’épreuve. Le mari mécontent se soumet volontiers à la pratique du Congrès, voulant prouver qu’il n’est pas impuissant, devant une assemblée composée de prélats, de juristes, de témoins et d’une matrone « qui allait du lit à la pièce voisine où se tenait la compagnie pour rendre compte de la situation ». Hélas pour le marquis elle ne pouvait que répéter « c’est grand pitié, il ne nature point »Hélas ! La nature le trahit et , devant cinq juges hilares il dut, après un quart d’heure d’efforts, montrer avec honte « une sorte de champignon rabougri qui ne donnait point l’impression de vouloir rendre hommage à la marquise », « c’est grand pitié, il ne nature point ». Celle-ci eut donc gain de cause. N’ayant pas réussi, il perd donc son procès, doit rendre la liberté à sa femme et lui donner quelques terres.

Le lendemain plusieurs couplets ironiques furent chantés au Pont-Neuf. Parmi l’un de ces couplets, l’auteur égratignait au passage le nouvel archevêque de Paris, Harlay de Champvallon, qui venait de quitter le siège épiscopal de Rouen et auquel on attribuait de nombreuses maîtresses.

M de Langeais devait se réhabiliter. Décidé à se venger, quelques mois plus tard, il se remaria avec une protestante qui lui donna sept enfants. Ce qui prouve, une fois de plus, le peu de valeur qu’il faut accorder aux examens…

Pendant ce temps, son ex-femme se remariait également avec un Nompar de Caumont et eut trois filles.

Les juges ne sont pas revenus sur leur décision, estimant qu’un impuissant pouvait tout à fait «opérer» ponctuellement.

Puis devant maintes autres affaires, pas toujours éclaircies, cette procédure ne fut abolie, par arrêt du parlement de Paris, que le 18 février 1677.

Toutefois, en 1713, ce fut le marquis de Gesvres qui dut subir le « procès en impuissance » intenté par sa femme  et qui amusa beaucoup la foule.

 

Laisser un commentaire