CONDITIONS DE L’OUVRIER AGRICOLE EN 1883





Depuis une vingtaine d’années, le matériel agricole s’est en partie transformé, et l’emploi des moyens mécaniques tend de plus en plus à se généraliser. On peut désirer connaître les changements survenus, pendant la même période de temps, dans la condition de l’ouvrier des champs. Les publications qui résument une enquête faite en 1879, à la demande du ministre compétent, par la Société nationale d’agriculture.

Les 71 réponses au questionnaire de la Société peuvent se résumer ainsi : dans 64 cas, le taux des salaires s’est élevé; dans un, il est resté stationnaire ; dans six seulement, il y a eu diminution. Le Nord-Ouest, c’est-à-dire la Normandie, est une des régions où l’élévation des salaires a été le plus sensible. Dans le Calvados, le journalier était payé, avant 1860, de 1 fr. 75cent. À 2 francs, sans la nourriture; il gagne aujourd’hui de 2 fr. 75 cent. à 3 francs. Les femmes qui recevaient de 1 franc à 1 fr. 25 cent., reçoivent maintenant de 1 fr. 50 cent. à 1 franc 75 cent. Un valet de labour, payé à l’année, coûtait 300 francs au plus : il coûte 450 ou 500 francs. La proportion entre 1860 et aujourd’hui est donc de 2 à 3 pour le Calvados : elle est la même pour le département de l’Eure.

Le nombre des bras employés à l’agriculture a diminué dans la plus grande partie de la Normandie en Bretagne, il est resté à peu près stationnaire sur le littoral, mais il a diminué d’une manière sensible dans l’intérieur des terres. L’ouvrier breton est nourri. Il était, payé 60 centimes par jour ; il reçoit, aujourd’hui 1 fr. 25 en moyenne. Dans toute la région du Nord, l’industrie minière, métallurgique et manufacturière attire de plus en plus les ouvriers par l’appât d’un salaire élevé. Le prix de la main-d’œuvre agricole s’est accru dans une proportion qui varie de 30 % à 60 %, suivant les localités. L’arrondissement de Dunkerque, par une singulière exception, présente à peu près le même nombre d’ouvriers agricoles qu’il y a vingt ans et le même taux de solaire.

Pour la région de l’Est, on signale des augmentations de 20, 30, 40 %, suivant les départements, tandis que dans, le centre de la France, l’augmentation dépasse quelquefois 100 %. Ainsi, dans l’Indre, un charretier nourri qui, en 1860, recevait 300 francs, en reçoit 600; une bergère, qui se louait de 70 à 100 fr., demande aujourd’hui 200 à 250 fr.; un garçon de douze à quinze ans, qui était payé 50 fr. au plus, gagne 120 ou 140 fr. Le prix d’une journée de travail est de 2 à 3 fr., outre la nourriture, et, au moment de la moisson, il peut s’élever jusqu’à 8 fr. Un juge compétent en ces matières fait remarquer que la grande hausse des salaires dans les départements du centre s’explique par l’émigration vers Paris et les grandes villes, qui s’est développée rapidement dans cette région avec le progrès dos voies de communication. Dans la Charente, le phylloxéra et l’arrachage des vignes ont arrêté la hausse des salaires. Dans la Charente-Inférieure (Charente Maritime), au contraire, le mouvement a été rapide : les serviteurs à gages y gagnent de 500 à 800 francs; les faucheurs reçoivent de 4 à 5 francs par jour, avec plusieurs litres de vin.

Dans la région du Sud, et surtout du Sud-Est, on signale une tendance à la baisse des salaires, qui est due des causes spéciales : la culture de la vigne a beaucoup diminué dans le Var, la Drôme, les Basses-Alpes, etc.; il en est de menu de la culture du mûrier pour plusieurs départements; la culture de la garance n’existe plus dans le Vaucluse; enfin, la culture du chanvre a diminue demi l’Isère.

En résumé, si l’on excepte les départements où la demande de travail cet moins grande qu’il y a quelques années, par suite des ravages du phylloxéra, de la suppression d’une culture industrielle ou de quelque autre cause accidentelle, on voit que la hausse du taux des salaires agricoles est la règle. On croit pouvoir évaluer cette hausse à 50 % au moins en moyenne. Il faut ajouter que, dans les cas où l’ouvrier est nourri , il a une alimentation de qualité supérieure à celle d’il y a vingt ans. En même temps, d’après le témoignage du très grand nombre des correspondants de la Société nationale d’agriculture, « la hausse des salaires accompagne une plus grande prospérité ».

On voit que l’introduction des machines dans les travaux des champs n’a pas été nuisible aux ouvriers. Parmi ces machines, les batteuses ont été les plus employées jusqu’ici; viennent ensuite les faucheuses et les moissonneuses. En 1860, on n’employait que très exceptionnellement les râteaux à cheval, les machines à faner, les hache-paille, les coupe-racines, etc., qui se trouvent maintenant dans beaucoup d’exploitations rurales. On peut objecter que les petits propriétaires ne pourront pas faire l’acquisition de de matériel perfectionné mais ne voit-on pas des entrepreneurs qui parcourent les régions agricoles avec une batteuse, une moissonneuse ou toute autre machine, qu’ils louent successivement aux cultivateurs de la contrée ? Cette habitude ne peut que se généraliser. Il est de plus permit d’espérer que les petits propriétaires arriveront à s’entendre pour acheter en commun une machine qui serait trop coûteuse pour chacun d’eux : ce serait là une excellente application de l’ idée d’association.

 

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