Une navette Aouste-Crest en 1859
Le problème de la navette Aouste-Crest était déjà soulevé en 1859.
En effet, suivant un article de Mr Jules Juge de Crest exerçant la médecine à Aouste, celui-ci avait imaginé un projet de navette aller-retour entre Aouste et Crest par un nouveau mode de locomotion individuel et populaire. Il avait rédigé un manuscrit intitulé « Mémoire sur un nouveau mode de locomotion individuelle », où il pose et résout de la manière la plus originale et la plus élégante du système.
« Chemin de fer pour les piétons »
Système de Mr le Dr Jules Juge.
« … Nos principales lignes de chemins de fer seront achevées avant qu’il soit longtemps la construction des railways secondaires prendra bientôt un grand développement; nous aurons les routes à ornières creuses pour les voitures ordinaires; avec les hydro-locomotives de. M. Planavergne, on voyagera sur les cours d’eau et sur les canaux (grâce à l’ingénieuse écluse imaginée par M. Laurant), aussi vite et même plus vite-que sur les chemins de fer, et à bien meilleur marché, ainsi que nous le démontrerons en décrivant ces deux inventions remarquables.
Pour circuler à l’intérieur de ces villes interminables, dont les chemins de fer semblent avoir quadruplé l’étendue depuis qu’ils ont fait du temps la mesure des distances, nous aurons le système atmosphérique souterrain proposé dernièrement par notre illustre compatriote, M. Seguin, et sur lequel nous préparons un article.
Enfin, pour compléter ce beau système de circulation, en attendant la solution du problème de la navigation aérienne, nous pourrons essayer le mode charmant de locomotion décrit dans le précédent numéro sous le titre de Chemin de fer aérostatique, et dont M. Prosper Meller jeune est l’auteur. Quant à la locomotion pédestre, elle n’a fait aucun progrès. Nous marchons exactement comme on marchait à l’époque où les députés de Marseille à la première Constituante mettaient un mois pour se rendre en diligence dans la capitale. La proportion anciennement existante entre l’homme qui va à pied et celui qui va en voiture est donc rompue aussi te piéton qu’un convoi de chemin de fer dépasse fait-il à ceux que le convoi emporte l’effet d’une statue. Constater ce défaut d’harmonie, c’est démontrer, ce me semble, la nécessité de perfectionner la marche.
Dira-t-on que les inventions ci-dessus énumérées. devant avoir pour résultat d’envelopper tout le pays dans un réseau serré de voies de communication à grande vitesse et à bas prix, le progrès dont il s’agit, à supposer .qu’on puisse doter l’homme du pied rapide de la gazelle ou d’un équivalent, n’a rien de désirable ?
Mais, si multipliés que soient ces moyens de transport, ils n’existeront jamais partout où leurs affaires et leurs plaisirs conduisent les hommes. La marche restera longtemps, sinon toujours, le moyen te plus usité pour parcourir en diverses directions des pays très accidentés et peu fréquentés; enfin, une excursion pédestre aura toujours son charme. H faut donc reconnaître qu’un perfectionnement de la marche, qui aboutirait à la rendre beaucoup plus rapide, sans que pour cela elle exigeât plus de dépense de force, ou qui même procurerait des économe sur cet article, aurait un très-grand prix. Au reste, nous ne sommes pas seul de cet avis, c’est aussi celui de M. Jules Juge, qui ne s’est pas borné à poser le problème et qui en a cherché la solution il a même fait mieux que de la chercher, ainsi qu’on va le voir.
M. Juge est médecin. Si on prenait la peine de faire le compte de ce que la technologie doit aux médecins, on trouverait qu’elle leur doit un grand nombre de ses acquisitions les plus précieuses. Pour citer un exemple qui en vaut un million, je rappellerai que l’un des auteurs de la machine à vapeur de défrichement et de labour, (invention qui va de pair avec celle des chemins de fer et du télégraphe électrique), je rappellerai, dis-je, que l’un des frères Barrat est docteur en médecine. M. Jules Juge exerce la médecine à Aouste, département de la Drôme, et c’est de là qu’il nous a envoyé un manuscrit intitulé « mémoire sur un nouveau mode de locomotion individuelle », où il pose et résout de la manière la plus originale et la plus élégante l’excellent problème que voici : Au prix de dépenses très minimes réduire toutes les distances des cinq sixièmes au profit des piétons.
C’est à l’Opéra, pendant une représentation du Prophète, que M. Juge a trouvé sa solution. La lumière s’est faite dans son esprit pendant le ballet des patineurs. A ce charmant spectacle, tout ce qu’il a vu et tout ce qu’il a lu en fait de patins surgit dans sa mémoire. Ce gymnase des patineurs, où l’asphalte suppléait en toute saison à la glace heureusement absente ces patins à roulettes essayés avec succès en 1818 sur les trottoirs des boulevards; ces fermières hollandaises, un pot au lait sur la tête, un tricot entre les doigts, volant sur la glace à raison de six lieues à l’heure; ces régiments de patineurs suédois et norvégiens glissant avec la rapidité de l’éclair le long des pentes de leurs montagnes glacées et les remontant presqu’aussi vite en s’aidant de longs pieux; tous ces souvenirs passent devant ses yeux comme autant de visions.
Les éléments essentiels du système sont le patin à roulettes et l’ornière creuse.
Les patins s’adaptent au pied chaussé de la même manière que les patins à glace; mais, au lieu de poser sur une crête en acier, ils portent sur des roulettes en métal très-dur, roulant avec la plus grande facilité sur leurs pivots huilés d’une manière continue. En avant et en arrière des roulettes sont des plaques métalliques de la largeur du rail, et susceptibles de s’appliquer exactement sur lui par un simple mouvement du pied, le voyageur pourra amener ces plaques en contact avec les rails et déterminer un frottement tel qu’un arrêt aussi prompt qu’on voudra en sera la conséquence.
Comme aides des patins nous devons mentionner le bâton ferré de voyage qui permet de convertir en mouvement de translation la force musculaire des bras; les patins seront facilement renfermés dans une sacoche, et le voyageur pourra alterner entre la marche simple et le roulement.
De petits rails au nombre de deux, établis parallèlement à une distance de quelques décimètres l’un de l’autre, tiendront lieu des surfaces gelées; ils consisteront en de simples soliveaux travaillés du côté qui regarde le ciel et charbonnés ou goudronnés sur tous les autres. La face travaillée sera creusée d’une gouttière selon les données que fournira l’expérience, il est probable que la coupe -de cette gouttière figurera le quart d’une ellipse dont l’extrémité la plus courbe sera à la fois interne et inférieure. Ces gouttières seront revêtues de bandes de métal dur ou de matières vitrifiées. Munies de ces données, la logique et l’imagination du lecteur peuvent aisément, suppléer aux détails que nous passons aujourd’hui sous silence. On se représentera les voies nouvelles longeant partout les routes les plus directes et s’en séparant pour s’élancer à travers champs, où elles n’apporteront aucune gène aux cultures …. »
Une étude de la faisabilité du projet a même été réalisée par Mr. Boisson qui en avait proposé un devis.
Mais l’aboutissement de ce projet n’a jamais vu le jour, faute d’avoir convaincu.
Sources : Relevé dans la revue scientifique « l’Ami des sciences » de Victor Meunier 1859