Sommaire
ToggleUn épisode peu connu des guerres dites « de religion »
» Les défenseurs de la cause commune »
et » La guerre des paysans »
» L’histoire des guerres de religion en Dauphiné n’est pas encore fait, écrivait en 1885 l’érudit Brun-Durand,… l’on est de plus en plus surpris de voir combien l’histoire qui est écrite dans les papiers du temps et que l’on peut appeler l’histoire vécue, diffère de celle qui est écrite dans les livres … Abstraction faite de quelques récents et remarquables travaux sur l’histoire locale, les historiens de cette province et de cette époque ne nous disent presque rien des misères, des souffrances et des efforts des classes roturières à cette époque tourmentée … ils oublient ou peu s’en faut le peuple, « ceux qui ne bougent de leurs maisons et qui paient les frais » (Brun-Durand, Préface aux Mémoires d’E. Piémond, p I-XXX).
Ces appréciations restent toujours valables. Certes Brun-Durand, Lacroix, Roman, ont publié de nombreux documents, mais il reste à en faire la critique et à les mettre en œuvre dans une étude d’ensemble; beaucoup d’autres textes sont encore à exhumer des archives municipales, comme le montre, pour Vienne, les recherches du chanoine Cavard, et pour Romans, l’étude de Thomé de Maisonneuve.
Cette esquisse vise seulement à donner une idée forcément schématique sur l’ampleur, les caractères et l’importance ds grands mouvements populaires qui, dans nos campagnes et nos villes, ont précédé les révoltes, beaucoup mieux connues, des « Gautiers » de Normandie, des « Croquants » du Périgord.
I – Les racines des mouvements populaires
– Si la Réforme a d’abord rallié, dans nos régions, de larges masses populaires, c’est avant tout en raison de son caractère antiféodal et égalitaire.
Les villes paraissent avoir été conquises presque unanimement. On a souligné, à Valence, le rôle des professeurs et étudiants de l’Université, le ralliement de « gentilshommes armés ». Mais, quel est pour l’essentiel, la composition ds grandes assemblées que tiennent les Réformés? On y trouve des marchands dont certains, à Valence, à Romans, étaient en relations d’affaires avec Genève, capitale de Calvin. Il y a les artisans, les boutiquiers, mais aussi la masse des « petites gens », et c’est ce qui suscite la méfiance des autorités, des notables. A Valence, par exemple, en 1560, selon le registre consulaire, à la suite » de conventicules et assemblées illicites, le Conseil de Ville prie et exhorte les sires Zappelon, Mervilloux et autres, fabricants de draps, de donner congé à leurs cardaires (ouvriers) pour quelque temps et pour y aider d’y employer MM. de Roux et aussi de prier M le juge de faire répéter ses proclamations , et donner ordre de faire sortir les vagabonds hors de la ville, et pour ôter le moyen à une infinité de gens étrangers qui se viennent retirer en, cette ville de faire fermer toutes les portes… sauf les portes Saunière et Tourdéon « . (6 mars 1560).Ces mêmes précautions étaient prises lorsque les autorités craignaient une émotion populaire. Les Cordeliers de Romans, pour leur part, se plaignent, en 1561, d’avoir été menacés d’expulsion par des séditieux de « bonne condition » appartenant à « la nouvelle religion ».
Ces gens ne se sont pas ralliés à la Réforme seulement pour les raisons religieuses, bien connues. Il se trouvaient qu’à Valence, Die, Saint Paul Trois Châteaux, les évêques exerçaient le pouvoir féodal; qu’à Romans, les chanoines de Saint Barnard jouaient le même rôle. C’est en tant que féodaux, depuis des siècles, ils étaient en conflit avec leurs vassaux. Long le reconnaît dans l’ouvrage souvent bien tendancieux qu’il a publié « La Réforme et les guerres de religion en Dauphiné« ; il y écrit à propos de Die: « les habitants ont embrassé la réforme avec empressement pour briser le joug de leurs évêques« .
Il est plus difficile de mesurer l’expansion de la Réforme dans les campagnes; Monsieur le doyen D. Faucher, dans son étude sur le pays de Quint, note que l’adhésion à la Réforme fut particulièrement générale et enthousiaste, la même où l’oppression féodale de l’Eglise était le plus sensible. Dans ce pays de Quint, où les Chartreux de Bouvante possédaient les forêts, se partageaient les pâturages avec les Cisterciens de Léoncel, où le prieure de la Commanderie de Sainte Croix percevaient les dîmes, comment les paysans n’auraient-ils pas avec empressement adopté la religion nouvelle, qui prêchait le retour de l’Eglise à la simplicité primitive par l’abandon de ses richesses ? N’en fut-il pas de même dans de nombreux villages, comme à la Baume Cornillane, où, d’après le curé de Beaufort, » il n’y en a pas un qui veuille assister à la messe« , tous les habitants étant de « la religion prétendue réformée » ?
Mais passer de la lutte contre l’oppression féodale de l’Eglise à une lutte plus générale contre les cens seigneuriaux, contre toute forme de féodalité, contre tous les seigneurs: il n’y avait là qu’un pas relativement facile à franchir; pour les féodaux le pouvoir il était dangereux de l’encourager.
– En prenant la direction du mouvement, les armes à la main, la noblesse évitait ce danger, dépouillait la Réforme de son caractère antiféodal, et en même teps pouvait espérer satisfaire ses appétits et ses ambitions politiques.
L’adhésion à la Réforme, vers 1560, d’une grande partie de la noblesse dauphinoise imprima une nouvelle orientation à ce qui devint « le parti des huguenots« , comme disaient les catholiques, en changea le caractère, modifia le cours des événements.
A Valence, pour ne prendre que cet exemple, les nobles, de suite, introduisent les mœurs militaires de l’ époque. Sans tenir compte de l’avis du consistoire de la jeune communauté, ils s’emparent à main armée de l’église et du monastère des Cordeliers. Selon le pasteur Arnaud, » plusieurs personnes de marque, entre autre Claude de Mirabel et Jean de Quintel … François de Saillans, François Giraud, François Marquet, procureur, et bon nombre d’autres s’établissent en armes dans le cloître attenant au temple... « . Par ailleurs la tradition veut que ce soit un de ces gentilshommes, Jean de Vesc, qui ait poignardé de sa main le lieutenant général la Motte-Gondrin.
En 1562, sous la direction du baron des Adrets les barons huguenots et leurs bandes de guerre remportèrent de foudroyants succès. Mais la noblesse huguenote, victorieuse dans notre province, ne tarda pas à démasquer ses véritables intentions. Les résolutions adoptées sous son contrôle, par l’assemblée des huguenots du Dauphiné, en 1562, à Montélimar, sous le prétexte de « régler et policer le présent païs« , ne laissant aucun doute, à cet égard: « Tous libertins et anabaptistes qui prétendent secouer la servitude qu’ils doivent à leur seigneur sous prétexte de l’Evangile, veulent affranchir tant le vassal de son seigneur, que les feudataires à la prestation censuelle ne paier autres devoirs de fiefs et seigneuries, doivent être punis comme séditieux et perturbateurs de l’Etat public. » Et immédiatement les seigneurs huguenots se mirent à s’emparer des biens de l’Eglise et aussi des biens des nobles restés catholiques. Et ils prélevèrent à leur profit droits féodaux et « contributions de guerre« .
Alors que les premiers propagandistes de la Réforme, les ministre, appelaient à la lutte, non seulement pour l’égalité, mais aussi pour la liberté de conscience – l’adhésion libre – , la contrainte directe ou indirecte, devint la règle. L’on nous dit que Montbrun, selon ses propres paroles, prétendait convertir ses sujets au calvinisme » en joignant les coups de bâton aux exhortations lorsque les vassaux persistaient dans la foi catholique« .
– Dans ces conditions les guerres dites de « religion » furent en réalité des guerres « de bandes »et de brigandage.
« Heurt de deux religions » ? Non, mais bien plutôt, selon l’expression de Brun-Durand, » une effroyable mêlée d’appétits, d’ambitions et de convoitises, dans laquelle la religion joua le rôle de cocarde et de drapeau« . De cette mêlée , les masses populaires et les bourgeois faisaient les frais.
» L’homme est en proie à l’homme: un loup à son pareil« , écrit le grand poète protestant Agrippa d’Aubigné. Il serait trop facile de céder au goût de l’anecdote, et de s’étendre sur le récit de ces atrocités, rappelant celles des guerres féodales et les « exploits »des Grandes Compagnies ». Deux exemples suffiront.
Le chef huguenot Montbrun, le 5 mai 1575, s’empare de la Motte Chalancon: » Tous les habitants qui s’y trouvèrent, déclare un témoin oculaire, le nommé Jacques Jony, furent meurtris et tués, leurs meubles pris, pillés, le dit lieu tout ouvert et démantelé, plusieurs maisons démolies; étant habité à présent la plus grande partie par gens étrangers, soudards de la dite religion qui ont épousé les veuves et filles de ceux qui furent tués. » Et voici, en contre partie, comment un témoin protestant, Thomas Gay, décrit la prise de Grâne par les catholiques et, – qui plus est – par les catholiques « soldats du Roy »: les hommes, écrit-il,réussirent à s’enfuir; « il en venait à petits troupeaux, morfondus ou dévalisés, sans armes… Les pauvres femmes n’eurent si bon moyen de se sauver, car aucunes d’elles furent meurtries, d’autres violées, d’autres mises à rançon; plusieurs filles après avoir perdu leur pudicité, furent vendues des uns aux autres; plusieurs autres méchancetés furent perpétrées; bref des choses si barbares que le Turc serait marri d’en faire de semblables sur les chrétiens ».
La vie quotidienne elle-même se dévide sous le signe de l’angoisse, de l’insécurité permanente des personnes et des biens. Le séjour, ou même simplement le passage des bandes se réclamant simplement des deux partis, des troupes royales dites « régulières », fait revivre sans cesse les mêmes scènes de banditisme et de brigandages : villages et bourgs mis au pillage, livrés sans recours possible aux viols et incendies. Entre temps, les impôts, les rançons s’abattent de toute part sur les campagnards et les citadins ruinés par les guerres et les garnisons; ce sont les « foules », contributions en nature ou en argent, exigées avec une impitoyable rigueur par les « capitaines », chefs de bandes, par les gouverneurs, les chefs des deux partis, et, bien sûr, par le fisc royal. La place manque pour évoquer la ruine de l’agriculture, de l’artisanat, du commerce, l’enchérissement du blé et des autres denrées provoqué par les pillages et d’incessantes réquisitions. La disette est permanente. Tout s’accumule pour rendre intolérable la misère. Ni le paysan, ni l’artisan ou le marchand ne peuvent être sûr du lendemain.
Pour d’aucuns, par contre, les guerres sont une fructueuse source de profits.Le plus grand bénéficiaire n’en est point le menu fretin des pauvres bougres et aventuriers de tout poil qui s’enrôlent dans l’une ou l’autre bande, un jour rassasiés de butin, le lendemain, repartent en quête, le bissac vide. Les profiteurs, pour l’essentiel, ce sont les nobles, les usuriers, les agents de l’absolutisme, qui bâtissent leur fortune par la misère des autres.
Les nobles, les « gentilshommes », comme disait Rabelais. Le risque, sauf exception, n’était pas bien grand pour les chefs de guerre qui presque tous appartenaient à la noblesse. La pauvre bougre y allait de sa vie, s’il était pris par une bande adverse ( à moins qu’on ne l’y admit). Mais le noble, lui, sauvait généralement sa peau au prix d’une bonne rançon. En vertu d’accords tacites, ses biens étaient presque toujours épargnés dans les pillages. Les loups ne se mangent pas entre eux.
Les féodaux huguenots et en particulier l’un des plus pauvres, le petit hobereau Lesdiguières, accrurent considérablement leurs biens, fonciers par la sécularisation de biens d’église, et diverses spoliations, ce qui fut à l’origine d’un important transfert de propriété; d’autre part, un pourcentage important des contributions, rançons et pillages s’investissaient en placements plus sûrs et plus durables, par des achats de terres, à vil prix, aux roturiers acculés à la misère.Nous trouvons un exemple de ce mécanisme dans une délibération du Conseil de Ville de Pierrelatte, (prise au lendemain des guerres): « depuis 1560 jusqu’à présent les nobles ont acquis des roturiers 1345 sétérées de terre ou de pré, 214 journaux de vigne et 1421 aunes de maisons …sans y comprendre un moulin qui est au dit lieu« .
Que dire des usuriers, éternelles sangsues vivant des emprunts auxquels sont acculés les particuliers, les communautés et aussi, sur une plus large échelle, les Etats de la province! Ces derniers durent emprunter 200000 écus, à 14% d’intérêts, à des banquiers lyonnais, les Henry: le capital, à ce taux doublait en sept ans! Si la féodalité foncière accaparait la terre, cette féodalité nouvelle, déjà, commençait à accumuler des capitaux.
Les agents de l’absolutisme prélevaient aussi leur part, de diverses manières: agents du fisc, trésoriers, notables, gouverneurs…Tous ? Non! Le brave notaire Piémond, de Saint Antoine en Viennois, s’étonne, tant c’est chose peu commune, que le gouverneur de Gordes « payoit ce qu’il prenoit et vivoit du sien sans fouler personne« .De Gordes avait sans doute assez d’autres sources de profit.
– Le pouvoir royal et ses représentants dans la province, tout en accablant le peuple de charges et d’impôts, s’avèrent incapable de rétablir l’ordre et la paix.
L’absolutisme royal prétendait se plaçait au-dessus des clans et des classes. Ce rôle « d’arbitre » lui servait à justifier son existence et aussi les charges qu’il prétendait exiger pour prix de ses « services »: le maintien de l’ordre et la sécurité. Les gouverneurs et De Gordes, en particulier,affirment sans relâche leur profond désir d’établir la paix. Mais, en fait, ils sont partie dans le conflit; leurs intérêts sont liés à ceux du clan féodal qui se réclament du catholicisme. Les compagnies « régulières »sont des bandes comme les autres et on se défend des garnisons royales comme de la peste. L’absolutisme est aussi partie dans le conflit des classes : malgré les plaintes du Tiers Etat, il persiste à maintenir l’inégalité fiscale, à faire passer uniquement sur les malheureux roturiers tout le poids de charges sans cesse accrues. « Si les ligues sont entrées en action, écrit le chanoine Cavard, c’est parce que le gouvernement, malgré les promesses d’Henri III, n’avait rien fait pour le soulagement du peuple« .
Les victimes, pourtant, mirent longtemps à comprendre qu’elles pouvaient seulement compter sur elles-mêmes, à prendre conscience de leurs forces. Elles ne passèrent à la révolte qu’après avoir épuisé tous les autres moyens, et parce qu’elles n’avaient point d’autre solution pour mettre un terme à leurs maux. Après quinze ans de guerre et d’anarchie, la résistance s’organise, par en bas, . Les paysans et les citadins, des deux religions, s’unirent et prirent les armes pour répondre à la violence par la violence, et mettre ainsi fin au brigandage , au choc féodal et à la guerre.
II « Les défenseurs de la cause commune » et » La guerre des paysans »
» Les soulèvements des paysans dauphinois, écrit l’érudit J. Roman, furent à cette époque si soudaine et si formidable, ils touchèrent de si près au triomphe, et il fallut répandre tant de sang pour les comprimer que les historiens, comme d’un commun accord,ont évité d’en parler avec de longs développements, de peur de réveiller des haines encore mal éteintes ».
– En 1578, les paysans s’assemblent, s’arment et marchent contre les bandes de guerre.
Les origines de « l’Union » ou « Ligue » restent encore assez obscures. Ce qu’en dit le baron de Coston dans son » Histoire de Montélimar » mérite d’être revu et complété. Un sondage effectué dans les archives de plusieurs communes du Bas-Valentinois ( régions de Montélimar et Pierrelatte) prouve, en tout cas, que, dès la fin de 1577, dans ces régions, les communautés paysannes refusent de satisfaire aux exigences des « capitaines », et même par « rébellion au son du tocsin ». A Pierrelatte un messager du capitaine Huguenot La Cloche, retranché à Roussas, est reçu par les habitants à coups de bâton, alors qu’il venait réclamer du blé et de l’avoine.
D’un village à l’autre, les consuls, représentants des communautés paysannes, échangent des informations; dès de début de 1578, se tiennent, surtout à Marsanne, et à Savasse, des assemblées où l’on se rencontre, où l’on se concerte. Les archives locales renferment un grand nombre de ces petits papiers qui servent de convocation à ces réunions. C’est, le 25 mai, par exemple, une convocation à une assemblée devant se tenir à Marsanne, le lundi suivant. Le message adressé aux consuls de la Garde-Adhémar les prie de « ne faire faute d’y venir, et en avertirez vos voisins« ; le 5 août , les consuls de Mirmande lancent une nouvelle convocation; elle circule, entre autre lieux, à Donzère, Pierrelatte, Château neuf du Rhône, et arrive à la Garde Adhémar. Une autre, encore, avertit les consuls de Marsanne, Sauzet, les Tourettes : » Messieurs les Consuls, nous avons avisé de vous mander la présente pour vous prier de venir ici vendredi prochain pour, tous assembler et délibérer de nos affaires qui sont telles qu’elles requièrent qu’on y donner ordre, nous assurant que vous y viendrez« . La lettre recommande de faire « tenir la présente demain en main« .
Si ces fréquentes rencontres, les idées de solidarité, de communauté d’intérêts, et aussi la conscience de la force que donne l’union gagnent de jour en jour. « Nous avons besoin tant les uns que des autres », écrivent le 15 mai les consuls de Château neuf du Rhône à ceux de la Garde-Adhémar. Ainsi ce constitue peu à peu ce que les villageois , entre appellent simplement « l’Unyon ». Contrairement à ce qui a été supposé par De Coston et Brun-Durand, c’est un mouvement spontané et venu d’en bas.
En octobre 1578, la ligue des communes de Valdaine et de la vallée du Rhône se sent assez forte pour passer à l’action. Le 19 octobre, les consuls de Sauzet adressent à leurs voisins la lettre suivante: » Ne faites faute de ramasser tant de gens que vous pourrez, avec armes, suivant l’union qui a été faite entre nous, et rendez-vous à Mirmande, et si vous voulez passer ici de grand matin, nous en irons ensemble, car espérons partir devant jour, et ce, pour empêcher une troupe de gens , qui descendent et ont pris terre à la Paillasse, et se sont logés par tous les villages ouverts et font de grands désordres, comme ont fait ceux qui ont déjà passé, jusques à emmener de jeunes pauvres filles avec eux, que doit faire penser que peut nous en autant advenir de nous, si nous ne sommes unis ensemble pour résister à telles méchancetés , pour ce vous assurant que ne faudront à notre devoir. Montboucher mandera à Espeluche et Allan, Allan mandera à Châteauneuf et Rac; Espeluche mandera à la Touche et Puygiron, etc... »
A la même époque se constitue à Montélimar une ligue pour le refus de l’impôt; le 22 août, l’exacteur de la taille déclare au Conseil de Ville » qu’il y a plusieurs particuliers qui à l’occasion de la ligue qu’ils ont faite…. ne veulent payer aucune chose« . Cette ligue établit une liaison avec l’Union des communautés paysannes.
Le mouvement fait rapidement tache d’huile. En janvier 1579, des actions analogues s’engagent au nord de l’Isère – la rivière – : les habitants de Chantemerle, Marsaz et des villages voisins s’assemblent, se groupent et s’arment. A l’approche des bandes, le tocsin sonne, toute la région se soulève. C’est ainsi qu’une compagnie de soudards aux ordres du roi, commandée par le gouverneur d’Embrun, est contrainte à abandonner son butin, et à « se sauver de vitesse » dans la pays de Lyonnais. Quelques jours après, « pourchassée par les paysans« , une autre compagnie , celle du gouverneur de Provence, est contrainte à s’enfuir.
– 1579 : les villes, elles aussi, passent à l’action, et chassent leurs garnisons.
Sans l’appui des villes, les paysans n’auraient pu élargir leurs actions, imposer leurs objectifs, ni même poursuivre longtemps leur résistance. Mais la bourgeoisie urbaine souhaitait, tout comme la paysannerie, en finir avec la guerre, le brigandage, l’insécurité, les insupportables charges fiscales.
Romans, dans cette histoire a joué un rôle capital. Le 10 février 1579, s’y assemble devant la maison de ville » un grand nombre de peuple de ladite ville, tant artisans que laboureurs jusques au nombre d’environ mille au moins « … Sous la pression populaire , les consuls, réticents doivent s’adresser au gouverneur de la province, qui est alors Maugiron, pour exiger de lui un retour à une paix effective et un allègement des charges » tant par tailles que par diverses impositions, auxquelles ils se trouvent tellement opprimés qu’il est impossible qu’ils les puissent plus endurer, et se voyant la plupart désespérés pour aller tout leur travail et moyens au paiement desdites tailles et impositions. »
Effrayé par l’annonce de » l’émotion romanaise », Maugiron répond par retour de courrier: il chérit le peuple « plus que sa vye » , lui veut « servir de père » ; pour ce qui est de la paix, il n’en est meilleur artisan que lui, etc … Mais en même temps il envoie des troupes à Romans. Les Romanais savent par expérience ce que valent les promesses et ils sont sur leurs gardes. Les drapiers qui constituent la corporation la corporation la plus nombreuse et la plus active, organisent le mouvement que dirige l’un d’eux, Jean Serve dit Paumier. Ils s’arment, ferment leurs portes et se refusent à laisser entrer les troupes dans la ville, Romans est au pouvoir de la ligue et en devient la citadelle.
Suivant cet exemple, les Valentinois, le 15 février, expulsent la garnison royale. A cette date, la ligue ou « Union » étant son influence du Tricastin jusqu’au nord de Vienne, sur plus de 150 km du nord au sud. Un mouvement analogue se développe en Vivarais.
– Qu’est ce que l’Union ? Quels sont ses objectifs, ses moyens d’actions ?
L’Union est d’autant plus difficile à définir que ses adversaires pour attirer et justifier la répression en ont altéré l’image. Contrairement à certaines affirmations, elle ne semble avoir ni organisation centrale véritable, ni chefs, bien que Paumier et son adjoint Brunat , tous deux marchands drapiers, exercent une influence réelle en dehors de Romans. L’Union paraît bien être une coalition assez lâche de de Ligues locales, les unes paysannes , les autres urbaines, un mouvement décentralisé et démocratique, venu d’en bas? La bourgeoisie des villes, seule capable d’assurer les liaisons et d’organiser un mouvement d’ensemble, a pu souhaiter lui donner plus de cohésion, d’orienter vers ses objectifs propres, et le contrôler, car elle ne tient ni à une jacquerie, ni à une révolte de la plèbe urbaine contre les possédants. Mais n’a t-elle pas, par ailleurs, craint de trop se compromettre, en prenant ouvertement la tête de la rébellion, en l’organisant ? Cela pourrait expliquer l’attitude hésitante , contradictoire des notables, en particulier à Valence, et aussi la trahison ultérieure d’une fraction de la bourgeoisie romanaise.
Cet ensemble de mouvements a cependant des objectifs communs. D’abord et avant tout, la Paix. » Les Amis de la Paix » , voila l’un des noms désignant cette Union aux contours assez flous, mais qui veut en finir avec les guerres de brigandage, avec les bandes, qu’elles aient des chefs se réclamant du catholicisme ou du protestantisme, qu’elles soient ou non aux ordres du roi. L’accord est général pour les expulser du pays et pour ne plus accepter l’intolérable fardeau des garnisons royales.
L’autre objectif commun , c’est la « Défense de la cause commune« , celle du Tiers Etat, des roturiers. Sous ce nom, plus expressif, l’Union revendique l’égalité de tous devant l’impôt, exige que l’église et la noblesse contribuent, elles aussi, aux lourdes charges fiscales dont les ligueurs dénoncent les excès.
Mais il faut souligner , comme un aspect nouveau, et important, dans l’histoire des mouvements populaires, l’indifférentisme de l’Union en matière de religion. Il ne s’agit point d’indifférence des participants en cette question. Mais sans renier leur foi, protestants et catholiques s’unissent pour leurs intérêts communs et dans des actions communes. Qu’elles se réclament de l’une ou l’autre religion, les villes liguées expulsent les gens de guerre de l’un et l’autre parti. Dans les assemblées populaires on prête sur les Evangiles, le serment de » rester unis, tant d’une religion que de l’autre« , et on ajoute, pour n’être taxé de rébellion, » sous l’obéissance et service de Dieu et du Roy « .
De quelles forces disposent l’Union ? Si l’on en croit certain témoignage, elle aurait compté, en 1578, 14 000 arquebusiers sous les armes? Celles-ci étaient fournies à Romans par un quincaillier du Forez. Les Ligueurs prêtaient le serment de » vivre et mourir pour la cause commune « . Ils avaient, parait-il, des signes de reconnaissance: un chaperon sans cordon, signe d’égalité,. Ils s’avertissaient en cas de nécessité d’un village à l’autre, par le son du tocsin, par le tambour et des cornets » à la mode de Suisse « .
La force de l’Union se révéla lorsqu’elle décida en 1579, de donner l’assaut aux deux puissants repaires où s’étaient fortement retranchés deux des plus audacieux chefs de bande se réclamant des huguenots : Roussas, à l’est de la plaine du Tricastin, et Châteaudouble, en marge de la plaine de Valence. Des milliers de paysans et de citadins armé, venus de Valence, de Romans, des bourgs et des villages, en firent le siège, et emportèrent la victoire.
– Les forces de réaction, liguées contre « l’Union » , écrasent le mouvement.
Il serait trop long d’exposer dans le détail comment un mouvement si large et si profond peut être brisé. Les causes de l’échec sont complexes.
A Paris, les nouvelles de cette rébellion qui embrasait le Dauphiné provoquaient de grandes craintes. Catherine de Médicis se trouvait alors à Aix en Provence, et c’est de là, que le 28 juin 1579, elle annonce au roi Henri III sa volonté de » rompre ces ligues et communautés qui sont dangereuse et pernicieuse conséquence « . Les autorités de la province, impuissantes, auraient déjà fait appel à la reine-mère pour qu’elle vint les aider à résoudre leurs difficultés.Elle arriva à Montélimar le 16 juillet 1579 et passa trois mois en Dauphiné, entre le 16 juillet et le 16 septembre. Elle était accompagnée par le cardinal de Bourbon, le prince de Condé, le célèbre « escadron volant » mais n’avait qu’une faible escorte. Dans ses lettres quotidiennes à son fils, elle se plaint de l’accueil réservé et méfiant que lui ont fait les Valentinois. Mais à Romans, c’est bien pis. Les ligueurs, hors des portes de la ville, sont venus à sa rencontre « en bon nombre, et bien armés »Paumier, « ce méchant drapier, a si grand crédit et autorité parmi ces ligues qu’au moindre mot qu’il dit, il fait marcher tous ceux de cette ville et des environs « .Ce roturier n’a t-il pas l’insolence de recevoir sa souveraine, d’égal à égal, allant jusqu’à refuser de plier devant elle le genou ?
Catherine, au cours des trois mois qu’elle passa à Grenoble, multiplia les intrigues, les promesses et les séductions. Elle parvint en particulier à trouver des auxiliaires dans la bourgeoisie romanaise. Au cours d’un reinage Paumier et Brunat furent assassinés par traîtrise, Romans fut reprise en mains et l’Union décapitée. La noblesse se mobilisa pour traquer et pourchasser les révoltés. Une puissante armée royale, rassemblée à Lyon, fit le reste.Les paysans de la Valloire ne cédèrent pourtant qu’à la force. Mais la lutte était trop inégale. La « guerre des paysans » s’acheva à Moirans, le 28 mars 1580 par un horrible massacre, la chasse à l’homme et une impitoyable répression. » Ce qui échappe au fer est pendu « , écrit Roman. Et, comme il en conclut, il ne restait plus aux historiens , après tout ce sang versé, qu’à » éviter d’en parler avec de longs développements, de peur de réveiller des haines encore mal éteintes.«
Roger Pierre
Sources : Extrait du bulletin N° 15 de février 1968 de l’Association Universitaire d’Etudes Drômoises