Les monnaies en France de Philippe le Bel à Louis XIII
L’embarras des échanges en nature par la multiplication des besoins, l’impossibilité de conserver les choses échangées, constitue l’origine des monnaies.
Il fallait, pour représenter les objets, une matière facile à transporter, d’une nature incorruptible, et qui pût par sa valeur être un gage de ce qu’elle représentait ; et alors on choisit les métaux précieux. En France, l’histoire de la monnaie offre en quelque sorte celle de la position financière de l’État et en même temps les progrès de l’art.
Sous la première dynastie royale, celle des rois mérovingiens, on imita les monnaies romaines ; alors on comptait 72 sols dans une livre d’or, et chaque sol d’or pesait 96 grains. Lors de la prise de la ville de Trêves (deuxième moitié du Ve siècle), où les Romains avaient une fabrique de monnaies, les Francs se servirent des mêmes ouvriers et des mêmes machines.
Ce n’est que sous le règne de Philippe le Bel (1285-1314) que l’on commence à avoir des notions certaines sur la fabrication et la valeur des monnaies. Dans les premiers temps la monnaie était presque toujours frappée au nom du monétaire et du roi ; mais plus tard, et même sous les premières dynasties de la monarchie, on n’y inscrivit plus que le monogramme du roi et celui de la ville où on la frappait. Sous la dynastie carolingienne (751-987) , quatre-vingt-quatorze villes différentes avaient frappé des monnaies. Leur figure change continuellement. Sous Clovis nous en trouvons qui portaient un alpha et un oméga. Il est à présumer que c’était en l’honneur de Dieu, qui est le commencement et la fin de toutes choses ; ce qui porte encore à le croire, c’est que beaucoup de pièces de cette époque, et même postérieures à elle, portent l’exergue de Dieu. On en trouve d’autres, même sous Charlemagne, dont il est impossible de deviner les caractères.
On concevra la difficulté qu’il devait y avoir dans les échanges, conséquemment dans les opérations commerciales, lorsque l’on pensera que chaque province avait sa monnaie, quelquefois d’un poids, d’une valeur tout autre que celle des provinces voisines. Joignez à cet inconvénient le droit que, sous la seconde dynastie, chaque seigneur important, chaque évêque, etc., avait de battre la sienne. Lorsque Louis X le Hutin (1314-1316) voulut le leur ôter, il n’y put parvenir. Il fut obligé de se contenter d’indiquer le poids et la marque qu’elle devait avoir.
Néanmoins sa valeur intrinsèque et représentative ne devait plus être égale à celle des objets, et ceci est d’autant plus vrai que le batteur de monnaies levait sur elles un droit appelé seigneuriage et qui se prenait toujours sur la matière métallique. Ce droit, qui variait, se trouve marqué dans la donation que le roi Charles III le Simple (898-922) fit à la chapelle de Saint-Clément de la neuvième et dixième partie du revenu qu’on appelait alors monéages, de la monnaie fabriquée dans le château de Compiègne.
Notons que ce droit fut plus tard, sous Charles VII (1422-1461), un des principaux revenus de la couronne. Selon l’historien Philippe de Commines (1447-1511), le roi de France Jean II (1350-1354), à son retour de captivité d’Angleterre en 1360, et après avoir payé sa rançon énorme, avait mis le royaume en une si grande pauvreté que l’on fit une monnaie de cuivre avec un sou d’argent au milieu. Tout porte à croire que ce fait est faux, puisque le roi, au contraire, fit de fortes monnaies d’or et d’argent.
Charles II le Chauve : obole. © Crédits illustration : Comptoir des monnaies
Sous la dynastie capétienne (987-1328), le désordre des monnaies était à son comble ; chaque prince qui montait sur le trône décriait celles de ses prédécesseurs, en frappait d’autres. A cela joignez l’introduction des monnaies étrangères, la diminution que les rois apportaient à celles courantes, l’industrie des faux-monnayeurs et des rogneurs de pièces, et l’on aura une idée de ce que pouvait souffrir le peuple dont la fortune était si incertaine.
Pendant le règne de Charles VI (1380-1422), Henri V, roi d’Angleterre, introduisit en France les pièces de monnaie de son pays ; il en fit même battre en Normandie, dont il était maître, sur lesquelles on lisait : Hæres Franciæ. Pendant la minorité d’Henri VI d’Angleterre, qui lui succéda et qui fut proclamé roi de France et d’Angleterre le 12 novembre 1422, le duc de Bedford, régent, en fit frapper aussi aux armes du nouveau roi.
Duc de Bedford (régent sous roi Henri VI d’Angleterre) : salut d’or
© Crédits illustration : Comptoir des monnaies
Henri IV (1589-1610), roi de France, donna cours lui-même à toutes pièces étrangères ; les marchands des États voisins en augmentèrent tellement le nombre qu’on ne pouvait plus s’y reconnaître ; il fallut que, par une ordonnance, on indiquât celles qui seraient reçues. De semblables faits étaient désastreux et entravaient la confiance publique et le crédit. Cependant tout ceci n’était rien en comparaison des maux qu’occasionnèrent les systèmes financiers des rois, que l’on peut appeler justement faux-monnayeurs. Ils ne trouvèrent pas d’autre moyen de résister à leur pénurie et de faire face aux dépenses énormes que les guerres continuelles contre l’Angleterre occasionnaient, que d’affaiblir leurs monnaies.
C’était pour le peuple un impôt intolérable, indépendamment de cet affaiblissement de valeur monétaire, le droit de seigneuriage existait toujours. Philippe le Bel, qui abusa le plus à cet égard de sa puissance, et à qui resta le surnom de roi faux monnayeur, commença par faire battre de la bonne monnaie d’or, d’argent et de billon (alliage de cuivre et d’argent). Celle d’or était : le gros royal, qui valait 20 sous parisis ; le petit royal, qui valait 11 sous parisis ; la masse et l’aignelet. Celle d’argent était le gros tournois. Celle de billon était : le bourgeois ou double parisis, le dernier parisis, le double tournois, le dernier tournois et l’obole.
Le peuple, mécontent, voulut refuser le dernier tournois. Le roi commanda : « Que nul ne soit si osé sur peine de corps et d’avoir, refuser parisis ni tournois ; partant qu’ils aient connaissance devers croix et devers pile, qu’ils sont parisis et tournois. » Mais ayant besoin de remplir le trésor qui se trouvait presque vide, il affaiblit d’abord la monnaie d’argent, et hypothéqua tous ses biens, ceux de ses successeurs, et fit intervenir le consentement de la reine, pour sûreté d’indemnité à ceux qui recevraient la monnaie affaiblie. Il n’en resta pas là : il affaiblit encore toutes les monnaies ; celles d’argent et de billon se trouvant d’abord diminuées de 2/3, les sujets se servirent dans leurs contrats et leurs marchés de monnaie d’argent, plus stable au milieu de ces changements. Philippe, voyant que cette mesure préjudiciait au cours de la monnaie affaiblie, ordonna que l’on ne contracterait qu’à livres, sols, et deniers.
Des troubles survinrent. Le peuple voulait payer avec la faible monnaie, les riches n’en voulaient pas. On pilla l’hôtel de la Monnaie, on assiégea le Temple, où le roi à cette époque demeurait ; on y commit mille excès ; on renversa le dîner royal, insulte très grave alors ; enfin la sédition s’apaisa peu à peu. Le roi ordonna qu’on fît désormais bonne et loyale monnaie, et que l’ancienne serait rétablie à sa valeur. Les notables furent assemblés pour remédier aux maux des systèmes antérieurs ; mais la mort vint surprendre Philippe (1314) au milieu de ses projets de réforme.
Philippe le Bel : gros tournois. © Crédits illustration : Comptoir des monnaies
Plus tard, Philippe VI de Valois (1328-1350), en montant sur le trône, commença aussi à décrier la monnaie antérieure et à en frapper une nouvelle, mais plus belle que celle qui avait paru jusque-là. C’étaient les doubles parisis, les gros à la queue et les couronnes d’or. Mais on ne jouit pas longtemps de ces améliorations. Il diminua sa valeur, mais en cherchant toutefois à la cacher au peuple. Nous lisons dans une ordonnance de lui : « Faites savoir aux marchands le cours du marc d’or de bonne manière, en sorte qu’ils ne s’aperçoivent de la loi et qu’il y ait mutation de poids. » De telle sorte qu’il prêchait un principe de législation tout contraire à celui qui existe maintenant, c’est-à-dire que nul n’est censé ignorer la loi.
Jean II fit encore prospérer ce système financier ; car sous son règne les monnaies changeaient de valeur presque toutes les semaines, et il cherchait aussi à rendre la chose secrète. Une de ses ordonnances porte : « Tenez la chose secrète le mieux que vous pourrez… et si quelqu’un vous demande à combien les blancs sont de loi feignez qu’ils sont à six deniers. » Puis un autre mandement porte : « Gardez si cher comme vous avez vos honneurs qu’ils ne sachent la loi par vous, à peine d’être déclaré pour traître… Faites refondre en feignant et disant aux fondeurs, afin qu’ils ne se puissent de ces choses apercevoir, que le maître avait failli à allayer [mettre les monnaies en conformité avec la loi] ; et pour cette cause les faites refondre. »
En présence de tout ceci, le pape Clément V, sous Philippe le Bel, le pape Jean XXII sous Charles le Bel, le pape Clément VI sous Philippe de Valois, et Jean, lançaient leurs bulles d’excommunication contre les faux-monnayeurs. Il ne sera pas sans intérêt de dire quelques mots sur les peines qu’on leur infligeait.
Jean II : franc à cheval. © Crédits illustration : Comptoir des monnaies
Les ordonnances ont mis le crime de fausse monnaie au rang des crimes de lèse-majesté ; c’est un cas royal dont la punition a toujours été très sévère. Anciennement on les faisait bouillir. Cette pénalité rentrait dans l’esprit des lois romaines, puisqu’elles infligeaient le supplice du feu, et la confiscation des biens. C’est ce qu’on voit au code théodosien, loi 9e. C’était au marché aux pourceaux que le supplice avait lieu à Paris. Sauval (livre V des Antiquités de Paris) racontant l’exécution de deux faux-monnayeurs ainsi bouillis, dit qu’en outre on les avait attachés en croix. Cependant l’incompatibilité de ces deux supplices réunis fait douter de leurs concours.
Dans les cas ordinaires, c’était dans l’eau que l’on faisait bouillir les criminels ; mais on y ajoutait de l’huile lorsque le crime était plus grave. Sauval à cet effet, rapporte qu’un Gautier fut, pour crime de fausse monnaie, bouilli tout vif en 1460 environ, dans l’huile, à la croix du Trahoir. La fausse monnaie se trouvait alors assimilée aux crimes de premier ordre, car les accusés étaient soumis aux épreuves ou ordalies de l’eau et du feu. En 1580 on pendait simplement les faux-monnayeurs, bien que les ordonnances ne changeassent rien aux supplices. Ce ne fut qu’en 1626 que ce nouveau supplice, moins rigoureux que le premier, fut confirmé par un édit.
Nous avons dit plus haut qu’un autre motif de dépréciation des monnaies était l’industrie des rogneurs, qui les rendaient à la circulation dans un état tel que le public les refusait. Les pièces d’or étant très légères, le travail qu’ils opéraient dessus était moins apparent et plus profitable pour eux ; aussi s’attaquaient-ils toujours à elles. Louis XIII fut le premier qui apporta remède à ce désastre, en ordonnant, par sa déclaration du 30 mars 1640, que toutes les pièces d’or légères du pays ou ayant cours seraient fondues et converties en d’autres espèces d’or de poids.
Les rogneurs s’attachèrent alors aux pièces d’argent légères ; mais Louis XIII, par une autre ordonnance du 18 novembre 1641 les convertit en louis d’argent, et en frappa de 60 sols, 30 sols, 15 sols et 5 sols. Un siècle avant, on n’avait pu arrêter les désastres des rogneurs ; mais tout individu saisi de rognures, ou convaincu d’avoir acheté de ces rognures était puni de la même peine que les faux-monnayeurs.
Louis XIII : double tournois de 1612. © Crédits illustration : Comptoir des monnaies
*Ce ne fut que sous Henri IV que les monnaies portèrent le nom du roi ; ainsi on dit des henriques, comme dans l’ancienneté on avait appelé les philippes de Philippe, roi de Macédoine, les dartques de Darius, les jacopins du roi Jacques.
Nous arrêterons ces aperçus au règne de Louis XIII, qui fut appelé le restaurateur des monnaies. Un auteur a prétendu que l’impossibilité dans laquelle il mit, par la force, la régularité et la beauté des pièces qu’il fabriqua, de les rogner ou de les contrefaire, sauva la vie à un grand nombre des sujets du roi. Jusqu’à cette époque la monnaie s’était frappée au marteau ; lorsque Nicolas Briot voulut se servir de la machine du balancier, tous les ouvriers qui travaillaient à la cour des Monnaies se liguèrent pour l’en empêcher. Malgré les efforts de Briot, qui montrait ce qu’on pouvait tirer de la presse, du balancier et du laminoir, la cabale l’emporta. Il alla offrir son industrie et son invention à l’Angleterre, qui en profita, en faisant les plus belles pièces du monde. Ce ne fut que le chancelier Séguin qui parvint, en dépit de tout, à introduire ces nouvelles machines en France.
Voici les noms de toutes les monnaies d’or, d’argent et de billon qui circulèrent en France pendant les premières dynasties royales :
MONNAIES D’OR : le sol, le demi-sol, le tiers de sol, le franc ou florin d’or, le besant, l’obole, l’aignel, à cause de la figure de mouton qu’elle portait ; l’escu d’or, le royal d’or, la masse ou chaise, ainsi appelé parce que le roi y tient une masse ou est assis ; la reine, le parisis, le lyon, le pavillon, la couronne, l’ange, le denier d’or à l’escu, le florin george, le denier d’or aux fleurs de lys, le franc d’or fin, la fleur de lys d’or, le salut, l’escu à la couronne, le henry, le louis d’or.
MONNAIES D’ARGENT : le denier d’argent, le sol d’argent, le gros tournois, le parisis d’argent, le teston, le franc, le quart d’escu, le louis, le demi-escu.
MONNAIES DE BILLON : le blanc, le douzain, le sizain, le liard, le hardi, le double, le denier, la maille, l’obole, la bourgeoise, la pile ou la poitevine.
Article d’après « La Gazette pittoresque: bulletin littéraire illustré des failles », paru en 1855