Les « Goulets »

Les Goulets




 



Dans les contreforts du Vercors, la route des Petits Goulets serpente sur 300 mètres dans une succession de tunnels creusés au pied des parois abruptes de la montagne
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Cette route fait régulièrement l’objet d’aménagements liés aux risques d’éboulements, comme actuellement les travaux de sécurisation et d’abaissement de la chaussée pour permettre le passage des poids lourds et des cars touristiques.

Qui se souvient de l’ardeur mise à ouvrir la première route du Vercors en 1852 ? Le nouveau tunnel a gommé ce parcours patrimonial ? L’actuel tunnel, percé en 1979, remplace le précédent ouvrage datant de 1866 et parallèle à celui-ci. Le samedi 28 juin 2008, le département de la Drôme a inauguré le nouveau tunnel des Grands Goulets

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Construit en 1866, le premier tunnel a été rebouché

Les Grands Goulets

Ils ont longtemps constitué la curiosité naturelle la plus sensationnelle du Vercors. Malheureusement, pour des raisons de sécurité, la fameuse route, construite au 19e s., qui s’accroche à flanc de paroi dans cet impressionnant défilé, a été fermée. Elle fait place depuis 2008 à un tunnel qui mène aux « Petits Goulets ». Ce défilé doit son caractère aux longues lames rocheuses tranchantes qui plongent presque verticalement dans la rivière.

Au XVIIIe siècle, l’itinéraire le plus utilisé pour relier le Diois à Pont en Royans passe par le Chemin de l’Allier, beau chemin muletier que l’on peut toujours emprunter aujourd’hui à pied , et qui relie Saint-Martin-en-Vercors à Pont-en-Royans par la vallée de la Vernaison. A la grande époque, c’est une centaine de mulets qui empruntent chaque jour ce chemin dans les deux sens, avec bien sûr la cohorte de piétons afférents. Comme pour les autres voies d’accès au Vercors, ce sont les nécessités du transport du bois qui conduisent les communes, entre 1774 et le début du XIXe siècle, à entreprendre des travaux pour l’amélioration du Chemin de l’Allier.

L’idée d’un chemin vicinal accessible aux voitures et longeant la vallée de la Vernaison, le chemin de l’Allier s’en extrait assez rapidement, commence à être envisagée, mais traîne en longueur à cause de deux obstacles jugés insurmontables : les Grands et les Petits Goulets. La décision de sa construction sera néanmoins prise par le Conseil Général de la Drôme en 1834. Les travaux débutent dix ans plus tard , et l’on s’aperçoit vite que les ingénieurs en ont mal mesuré l’ampleur et la difficulté, notamment les problèmes techniques pour le percement de la voie : plus d’un kilomètre et demi à tailler dans la falaise, du fait d’une érosion principalement verticale et de l’étroitesse du lit de la Vernaison. Du reste, les partisans, rares au début, de ce tracé, furent traités d’utopistes, voire d’aliénés.

Plusieurs entreprises vont se succéder sur le tronçon des Grands Goulets, sans pouvoir mener à bien ce travail, et il faudra que la commune de La Chapelle-en-Vercors vote en 1844 un budget extraordinaire pour que le chantier puisse être achevé. La route est terminée et accessible aux voitures en 1854.

 

Hôtel « le refuge » aux Barraques en Vercors

Parce qu’il fallait bien nourrir et désaltérer les ouvriers du chantier, une première baraque s’était installée au tout début de la route, côté La Chapelle, là où la Vernaison commence à attaquer la falaise. Elle fut bientôt rejointe par d’autres, qui donnèrent leur nom au hameau Les-Barraques-en-Vercors. Au début du siècle dernier, les baraques se sont transformées en hôtels accueillant les touristes qui faisaient l’aller-retour dans la journée, juste pour le plaisir de parcourir cette route hors du commun, dont la renommée est vite devenue européenne.

En 1904 on comptait aux Barraques-en-Vercors trois hôtels : l’Hôtel du Midi, à la belle exposition sud, l’Hôtel Grenoblois et l’Hôtel des Grands Goulets, bien calé contre le rocher à l’entrée même du premier tunnel.

Incendiés en 1944 par les Allemands, ils furent reconstruits à la Libération. Mais leur sort était étroitement lié à celui de la route historique, dont la fermeture entraîna celle de ces établissements. Depuis mai 2014, l’hôtel-restaurant des Grands Goulets revit grâce à un nouveau propriétaire venu du sud de la France. Il s’est attaché à lui conserver un look rétro évoquant les années où l’endroit attirait une foule de touristes et vacanciers, dont des célébrités comme Marie Curie ou le roi du Maroc.

Au XIXe siècle, le franchissement du Col de Rousset était des plus dangereux, l’hiver surtout, et l’Inspecteur des Eaux et Forêts lui-même faillit y périr en 1850 ! Du coup, les habitants du Vercors central avaient pris l’habitude de se tourner de plus en plus vers Pont-en-Royans, et de moins en moins vers Die, où ils ne se rendaient plus que « pour des affaires judiciaires » . L’ouverture de la route des Grands Goulets en 1854 avait comblé les habitants du Vercors, parce qu’elle facilitait l’acheminement de leurs produits vers le Royans et la vallée de l’Isère (vers Saint-Julien, Villard-de-Lans et Grenoble, le « chemin vicinal à grande circulation n° 6 bis » ne fut achevé qu’en 1858), mais la grande question restait celle du débouché sur Die.

Après l’épique construction de la route des Grands Goulets, les communes de Die et celles de l’intérieur du massif finirent, non sans mal, par se mettre d’accord pour l’amélioration du « chemin de Die ». Le 14 août 1866, l’ouverture du tunnel de Rousset parachève la Grande Voie nº 10, Die – Pont-en-Royans, dont les Grands Goulets font partie.

 

 

Ouvriers du vertige

Dans la première phase des travaux, quand ingénieurs et ouvriers étaient confrontés à une simple falaise de calcaire au milieu de laquelle il fallait accrocher une route, était utilisée par les ouvriers « boute-feu » une technique incroyable qui demandait un courage forçant le respect. Pour la construction de la route de Combe Laval a été utilisée cette technique incroyable par laquelle les ouvriers, pendus à une corde munie d’une sorte de siège, commençaient par faire des trous dans la falaise à la barre à mine, y plaçaient un explosif, et, au moment de l’explosion, donnaient simplement un coup de pied au rocher pour s’en éloigner en se balançant au bout de leur corde.

Tout ceux qui ont parcouru la route des Grands Goulets avant 2008 en gardent un souvenir… inoubliable, et ont eu une pensée, c’est sûr, pour ceux qui l’avaient construite.

Un tunnel au top

Suite aux accidents survenus, la partie la plus spectaculaire, et aussi la plus dangereuse, de la route des Grands Goulets a été fermée en 2004, et rigoureusement interdite à tout usager. Il s’est dit un temps, dans le Vercors, qu’exception serait faite pour la transhumance des moutons, qui traditionnellement empruntait la route « historique ». C’est inexact, et désormais les moutons eux-mêmes passent par le très moderne tunnel inauguré le 28 juin 2008, qu’ils ont eu le privilège d’emprunter avant même qu’il ne soit ouvert au public !

La construction de ce tunnel, d’une longueur de 1 700 m, aura été le plus gros chantier du département de la Drôme. L’Hôtel le Refuge qui continue à surplomber joliment la Vernaison, a servi de bureau de chantier à la Direction des routes du département, à Bouygues BTP et à la cinquantaine d’entreprises, en majorité locales, en charge des travaux. Coût : 50 millions d’euros pour le Conseil Général, dont 6,5 millions d’apport de l’Union Européenne, avec des travaux sur 3 ans, 6 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Au gabarit actuel, ce tunnel est éclairé a giorno, et la vitesse y est limitée à 70 km/h.

 


Les lacets du col de Rousset


Le refuge du col de Rousset – coté sud – maintenant détruit, près de l’ancien tunnel

 

Voici ce qu’en écrivait l’abbé Fillet en 1880 dans la Revue du Dauphiné et du Vivarais.

 

Les Goulets (Drôme) en 1880

 

Le Vercors est un pays montagneux se rattachant aux Alpes. Il forme un canton du département de la Drôme, et limite au midi le canton de Die, au couchant celui de Saint-Jean-en-Royans, au nord et à  l’est le département de l’Isère.

Quoique situé au cœur du Dauphiné, ce pays fut jusqu’au milieu de notre siècle comme isolé du reste du Dauphiné, ou plutôt du reste du monde, par la difficulté de ses communications avec le voisinage.

Qu’on se figure un bassin irrégulier de 30 kilomètres de long sur 7 ou 8 de large, dont le fond, composé de terre arable et de luxuriantes prairies, mais découpé ça et là  par des monticules rocheux et boisés, est encaissé de toute part entre des rochers couverts de hêtres et de sapins, le dominant de plus de 800 mètres, et s’élevant à plus de 1600 au-dessus du niveau de la mer.

Or, sauf quelques fissures, appelées vulgairement fialés (scialets), et par lesquelles l’eau s’infiltre pour aller sourdre on ne sait où, cette enceinte aux parois rocheuses n’a qu’une issue, ou plutôt une solution de continuité. Encore celle-ci est-elle tellement étroite et sinueuse, qu’on se demande si la première pluie abondante ne va pas produire une masse d’eau trop considérable pour s’échapper avant d’avoir changé tout le pays en lac.

Mais, cette issue, espèce de gorge obscure, appelée le Grand-Goulet, et par laquelle s’échappe la Vernaison, rivière formée des divers ruisseau et torrents du Vercors, ne tarde pas à  s’élargir sensiblement pour former la vallée d’Echevis, couronnée, elle aussi, de bords rocheux ; puis, après cette vallée de 10 kilomètres de long, les flancs de la montagne se rapprochent de nouveau et forment la gorge, moins resserrée et moins longue, appelée le Petit-Goulet, et par laquelle la Vernaison débouche dans la plaine du Royans, pour se jeter bientôt dans la Bourne, sous les murs du Pont-en-Royans.

On comprend que, dans ces conditions, la viabilité n’était guère avancée au Vercors. Les quelques voies qui traversaient son sol et aboutissaient par les points les moins escarpés des collines environnantes, d’un côté à  Die, de l’autre au Villars-de-Lans et à  Grenoble, d’un troisième au Royans, n’étaient que de misérables chemins, où des piétons courageux et des montures solides ne pouvaient passer sans danger et surtout sans peine.

On avait, il est vrai, essayé de passer au fond de la gorge du Grand-Goulet et de celle du Petit-Goulet -, on a remarqué, près de l’eau, des excavations taillées de main d’homme dans le rocher, et qui devaient recevoir les extrémités de poutres posées en travers de la rivière et supportant des planches. Mais que cette voie devait être défectueuse, si tant est qu’on soit jamais parvenu à l’ établir ! Quelle difficulté de construire avec les ressources minimes dont on disposait, ces ponts en bois sur un parcours considérable, surtout aux endroits où la rivière se précipite au lieu de rouler, va de cascade en cascade se briser contre des rochers ! Aussi avait-on depuis longtemps renoncé à  ce système, tout en conservant l’idée de faire une route de Die au Royans par le Vercors, à  laquelle les gorges en question pouvaient seules ménager la brièveté et une pente assez douce. Idée belle et inspirée par la nécessité, mais dont la réalisation paraissait si difficile, qu’on regardait, si non comme des fous, au moins comme des téméraires et des utopistes, ceux qui osaient en émettre l’espoir ou en chercher les moyens. Toutefois, c’était là  un rêve chéri auquel on aimait à se livrer à cause de sa beauté, et à la réalisation duquel la science ne voyait d’ailleurs rien d’absolument impossible.

On en était là , lorsque en 1829, des ingénieurs conçurent sérieusement le projet d’ouvrir une véritable route de voitures dans ces massifs de rochers à  travers lesquels la Vernaison avait su se créer un passage; et en 1832, MM. de Montrond et de Montricher, ingénieurs des Ponts-et-Chaussées des arrondissements de Valence et de Die, mirent la main à  l’œuvre et élevèrent la voix en faveur du projet.

En intelligents disciples de Vitruve, ils avaient pénétré dans la vallée d’Echevis, visité et soigneusement étudié ces lieux formidables, pris des nivellements, dressé des métrés, réparti des pentes, et conclu à  la possibilité de la route.

Le rapport rédigé par eux était un vrai chef-d’œuvre d’exactitude, une photographie écrite, comme on peut en juger par les principaux passages que M. Delacroix en a inséré dans sa « Statistique du département de la Drôme ». Tout en traçant la direction à  suivre pour la route, nos deux éminents ingénieurs y donnent l’idée la plus exacte des sites pittoresques et sauvages que présentent à  chaque pas la vallée d’Echevis et surtout les gorges des Goulets. D’après eux, la route devait, par des tunnels, passer sur la rive gauche de la rivière au Grand-Goulet, puis traverser Echevis, et aller, toujours du même côté, sortir par le Petit-Goulet sur la plaine de Sainte-Eulalie, et y rejoindre la route de Saint-Laurent au Pont, au hameau des Macaires. La dépense de percée du Grand-Goulet était évaluée à  79 200 francs; celle de la route depuis le Grand-Goulet jusqu’au Petit, et depuis celui ci jusqu’aux Macaires, à  85 000 francs ; celle des travaux d’art, dans la vallée d’Echevis, à  30 000 francs ; et celle de la percée du Petit-Goulet à  21 600 francs; soit une somme totale de 215 800 francs.

Ce rapport fit sensation, et, malgré beaucoup d’incrédules et d’opposants, alla si bien son chemin, qu’en 1834 le Conseil Général de la Drôme traitait, entr’autres questions utiles et urgentes, celle de la route du Vercors au Royans par Echevis, et appelait, sur le projet, la sollicitude spéciale du Gouvernement. Le Conseil proposait de faire supporter un quart de la dépense par les communes, un quart par le département, et le surplus par l’Etat, à  raison du grand avantage qu’il y trouverait comme propriétaire de la plupart des forêts du Vercors.

Le projet n’avançait guère, mais l’idée continuait son chemin en s’élargissant. On parla d’agrandir le cadre et de construire, par les Goulets, une route entre Pont-en-Royans et Die. Ce dernier terme, que MM. de Montrond et de Montricher avaient jugé bon d’abandonner pour le moment, donnait au projet plus de grandiose et d’importance, sans augmenter énormément la dépense. En 1836, le Conseil Général de la Drôme classa le chemin de grande communication n° 10, de Die au Pont-en-Royans, pour lequel M. Adam, conducteur des Ponts-et-Chaussées, aidé et dirigé par les études préliminaires de MM. de Montrond et de Montricher, dressa un projet au sujet duquel M. Saladin, préfet de la Drôme, consulta M. Picot, ingénieur en chef du département.

M. Picot, dans son rapport du 14 avril 1840, sur le projet de M. Adam, pour la partie comprise entre le Grand-Goulet et le Pont-en-Royans,proposait des modifications considérables, appuyées sur des observations faites récemment par M. Bernard, agent-voyer en chef. Celui-ci, du reste, ne s’en tint pas à  ce projet de refonte; après bien des recherches, il fit un second projet comparatif.

A la suite du rapport de M. Picot et des nouvelles études de M.Bernard, le Conseil Général prit, en 1842, la délibération suivante :

« Vu le rapport de M. le Préfet;

« M. l’agent-voyer en chef entendu dans ses observations, par les motifs ci-dessus exprimés, le Conseil Général est d’avis que ce nouveau projet soit préféré à  l’ancien. Il ne devra cependant être adopté qu’à  la condition que la partie qui s’étend sur le territoire de l’Isère, sera classée et exécutée aux frais de ce département

L’adoption de ce nouveau projet donnait lieu à  une économie de 80 à  100 mille francs pour le département de la Drôme. Mais le département de l’Isère ayant refusé tout concours, on se tint sur la Drôme.

Malgré mille difficultés, les travaux commencèrent en 1842, sous la direction de M. Bernard. L’adjudication principale eut lieu le 9 septembre 1844. En 1848 tous les obstacles étaient surmontés du côté du Royans; et la route du Vercors au Royans, livrée dès 1851, non seulement aux piétons et aux mulets, mais aussi aux voitures, était bien terminée en I852.

Une commission composée de MM. Reynard, ingénieur en chef, l’abbé Champavier, membre du Conseil Général, et Ménager, secrétaire général de la Préfecture de la Drôme, constatait le grand mérite de cette oeuvre dans son ensemble, et rendait hommage à  la persévérante activité de M. Bernard.

Cette route, en effet, est bien à  elle seule une sorte de merveille. Et d’abord, au Petit-Goulet, se succèdent à  des distances inégales 5 tunnels, dans les intervalles desquels la route est, en certains endroits, protégée contre les éboulements des parois supérieures par le rocher qui surplombe, taillé en forme de berceau. De ces galeries on voit à  150 mètres au-dessous de soi, la rapide et écumeuse Vernaison, et sur la rive opposée une montagne calcaire, singulièrement bizarre par ses formes, se dressant comme un géant.

Au sortir du Petit-Goulet, on entre dans la vallée d’Echevis, dont les premières pentes sont couvertes de vignes, de prairies et de champs parsemés de noyers, de mûriers, de châtaigners et d’autres arbres à  fruits.

Après avoir ensuite traversé la Vernaison sur un pont en pierre d’une seule arche, on suit la rive droite de cette rivière par une rampe de 5500 mètres de long et une pente moyenne de cinq pour cent. A quinze minutes du pont, on aperçoit au-delà  et sur la rive gauche de la Vernaison, la petite église d’Echevis et son presbytère neuf. Puis on arrive à  un grand lacet nécessaire pour l’adoucissement de la pente générale.

Ce lacet franchi, à  environ 600 mètres au-dessus du niveau de la mer et 300au-dessus de la sortie du Petit-Goulet, on commence à  apercevoir le Grand-Goulet, caché jusque-là  par l’inclinaison à  l’Est qu’a la vallée à  sa partie supérieure. Alors le paysage prend un caractère fort alpestre.

Bientôt on arrive à  un premier tunnel d’environ 60 mètres de long, souterrain ou plutôt sous rocher, précédé et suivi de remarquables travaux d’art. Sur ce point, en effet, le rocher surplombait tellement que toute base manquait pour asseoir la route. On dut creuser dans cette paroi des trous profonds destinés à  recevoir des barres de fer capables de supporter le tablier de cette route, espèce de pont latéral ainsi suspendu sur un immense abîme. Pour faire cette opération, on descendait les ouvriers mineurs du haut de la montagne jusqu’au milieu du précipice, avec des cordes munies de bâtons en forme de croix qui leur servaient de siège. Sur ce frêle support, balancés au milieu d’un vide horrible, ils essayaient d’atteindre dans un élan, sous l’espèce de grotte continue formée par le rocher, quelque aspérité assez saillante pour pouvoir s’y cramponner. Après avoir ainsi conquis, au péril de leur vie, une base solide, ils y plantaient un crochet de fer auquel ils s’amarraient pour creuser les trous de mines.

A partir de ce point, ce ne sont que tunnels, galeries et encorbellements. Du reste, la gorge se rétrécit, et on aperçoit à  une profondeur de moins en moins considérable la rivière qui se rapproche de plus en plus de la route.

Des deux côtés de celle-ci, entre les tunnels, se dressent des rochers d’un gris bleuâtre, dépourvus de végétation, et qui, d’une hauteur d’abord considérable, diminuent successivement par suite de l’ascension de la route et de l’abaissement du sol supérieur. Celui-ci, en effet, dessine sérieusement sa proclivité (saillie en avant) vers le fond de la vallée du Vercors, dont on est sur le point d’atteindre le creux infime, d’où coule la rivière.

Ici, une cascade tombe dans un gouffre ; là , des tapis de mousse et de légers bouquets d’arbustes recouvrent la pierre ; ailleurs, dans un détour, on embrasse d’un coup d’œil le pli de la gorge parcourue et celui où l’on va s’engager. Mais rien d’aussi saisissant que ce passage, où les parois, sur le point de se toucher, réduisent la galerie, ou plutôt l’encorbellement, à  une obscurité aussi intense que celle de l’intérieur des tunnels.

Il a fallu faire passer la route de la rive droite à  la rive gauche par un pont que ce rapprochement a réduit à  un arc étroit, et au-delà  duquel les tunnels, devenus plus nombreux, se succèdent à  de plus courts intervalles.

Enfin, au sortir d’un dernier et fort court tunnel, qui est représenté par la gravure mise en tête du présent travail, on débouche subitement, et à  trois mètres à  peine du lit de la rivière, dans une petite vallée cultivée et habitée, appelée la Jarjatte, dépendante de la grande vallée du Vercors, et dont les cimes boisées sont éloignées les unes des autres d’environ deux kilomètres. On est à  la sortie du Grand-Goulet.

Là , plusieurs maisons ont été construites depuis le percement. Une baraque en planches, d’abord établie contre un rocher en encorbellement, sur la rive gauche de la Vernaison, pour le débit de boissons et vivres aux ouvriers et voyageurs, en laissant le nom de Baraque à  ce lieu, a fait place à  trois hôtels et à  quelques autres habitations.

De la Baraque, la route continue à  monter, en s’éloignant de la Vernaison, dont le cours est désormais lent et pacifique ; elle passe au bourg de la Chapelle, chef-lieu du canton, puis à  Saint-Agnan, où elle se remet à  suivre le cours de la susdite rivière, et au village de Rousset, au-dessus duquel elle arrive à  un tunnel souterrain d’environ 600 mètres. En débouchant de ce tunnel, qui permet de couper le col de Rousset sans en gravir les cimes, la route descend vers Die par de nombreux lacets.

Mais à  cette route s’embranche, au village de Saint-Agnan, une autre route qui, tirant vers le nord, passe à  Saint-Martin et à  Saint-Julien, et va se joindre vers le pont de Goule-Noire, à  la route de Pont-en-Royans au Villard-de-Lans. De plus, un embranchement de 1200 mètres, parti de la Baraque, au moyen d’un pont jeté en ce point sur la Vernaison, rattache la route de Die au Pont-en-Royans avec celle de Saint-Agnan au Villard-de-Lans, et contribue à  faire du hameau de la Baraque un des points les plus fréquentés du Vercors.

Du reste, il est facile de comprendre que les sites si pittoresques du Vercors, ainsi que les gorges et travaux d art par lesquels on y arrive, ont fait de ce pays un des plus intéressants du Dauphiné ; et nous n’avons pas besoin de dire que, pendant la belle saison, de nombreuses caravanes d’étrangers , des pays les plus éloignés même, gravissent, à pied ou en voiture, la route des Goulets et traversent le Vercors, ce qui donne à  celui-ci, pendant l’été, un ton de fête continuel et l’animation de la plaine. Plusieurs font mieux encore: après avoir eu soin de se munir des instruments requis, ils crayonnent ou photographient nos splendides paysages, afin de les faire admirer par leurs amis absents.

Qu’on ne nous accuse pas, au surplus, de trop vanter un pays qui nous est cher. Car, à  quiconque serait tenté de faire cette accusation, nous dirions : « Venez plutôt, et voyez. Si, comme il faut le supposer, vous avez le goùt des grandes et belles choses, vous avouerez que notre appréciation avantageuse est encore au-dessous de la réalité ».

L’abbé FI LLET.

Saint-Martin-en- Vercors, 24 juin 1880

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Sources :

  • https://jihel48.wordpress.com/
  • https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32859104w/date1880.item

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