L’AGRICULTURE AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES

L’agriculture aux XVIIe et XVIIIe siècles

 

L’agriculture, qui est l’unique richesse des habitants de l’immense majorité des villages, fut souvent encouragée par l’Etat, soit dans un but fiscal, soit dans une intention de bienfaisance. Elle fut également protégée par la justice et par la communauté, dans l’application des mesures relatives à la police rurale.

Il y a plusieurs manières de protéger l’agriculture ; il en est de plus funestes qu’utiles et qui tournent contre le but qu’on se propose. Tel est par exemple le système des prohibitions absolues ; tel est celui de la réglementation à outrance. Il n’en est pas de même des lois qui assurent la liberté et la sécurité du cultivateur.

Dès le XIVe siècle, les rois de France étaient entrés dans cette voie. Philippe-le-Bel interdit de prendre «  beste de charrue et de deschevaucher marchant.«  Charles V défendit de mettre les laboureurs en. prison pour dettes, et en même temps de saisir les chevaux, les bœufs et les autres bêtes employées à la traction des charrues. Ce privilège fut étendu à tout leur bétail et même aux instruments aratoires, que l’on ne put ni engager, ni saisir, même pour le paiement des impositions royales. Il consacrait un grand principe, inspiré des lois romaines, et qui fut inséré dans la plupart des coutumes, sans être toutefois universellement observé. Mais il était plus facile sous l’ancienne monarchie de formuler des lois que de les appliquer. Il fallut renouveler à, diverses reprises des ordonnances identiques pour faire respecter la personne et les biens des cultivateurs, en défendant d’user de la contrainte par corps à leur égard, et de saisir leurs bestiaux et leurs meubles.

Lorsque la monarchie fut devenue puissante, elle reconnut combien il était utile pour elle d’améliorer l’état des campagnes, dont elle tirait ses principales ressources. On sait que Sully disait  » Labourage et pâturage sont les deux mamelles qui nourrissent la France. » Il chercha à les rendre plus fécondes en réduisant le taux des rentes, en tarifant les salaires, en facilitant aux communautés la rentrée en possession de leurs biens. On peut douter de l’efficacité de ces moyens mais en même temps Sully assurait la liberté du commerce des grains; il améliorait les voies de communication ; il en ouvrait de nouvelles, et tandis qu’il favorisait la culture des mûriers, il poursuivait avec autant de fermeté que d’intelligence le dessèchement des marais.

Les traces de Sully furent suivies par Colbert. Il est reconnu aujourd’hui que Colbert ne chercha pas à sacrifier l’agriculture à l’industrie et qu’il en poursuivit simultanément les progrès. On a vu la part qu’il avait prise à la restitution des biens communaux , ainsi qu’à l’acquittement des dettes des communautés. Comme Sully, il réduit le taux des prêts , il encourage la culture des mûriers. On le voit favoriser la multiplication des bestiaux et l’amélioration des races, en faisant venir des béliers d’Angleterre et d’Espagne. « Il faut toujours travailler, écrit-il à l’intendant de Riom, à l’augmentation des bestiaux et au soulagement des peuples. » Aussi diminue-t-il les tailles, réduit-il les droits do sortie sur les boissons, et suspend-il, selon la quantité de la récolte, l’exportation des grains.

Ces mesures, dont quelques-unes étaient inspirées par des principes économiques erronés, ne remédièrent pas aux maux qu’ils étaient destinés à conjurer. Il aurait fallu, pour y parvenir, modifier profondément le régime des impôts et celui de la propriété. En vain, dans les époques de disette, on édictait des règlements, on fixait des tarifs, on soumettait à certaines formalités le commerce des grains ; ces expédients, dont les moyens n’étaient pas toujours justifiés par le but, ne produisaient aucun effet durable. Louis XIV, pour contraindre les propriétaires à rendre productives leurs terres incultes et à ne pas les abandonner afin de ne pas payer l’impôt, permit, dans le cas ou ils ne les cultiveraient pas eux-mêmes, « toutes personnes de les ensemencer et d’en recueillir les fruits « . Cette prescription, qui portait atteinte au principe même de la propriété, était moins juste que l’édit qui affranchissait de la taille pendant quatre ans ceux qui mettraient en culture des domaines abandonnés. Des résultats également efficaces furent obtenus, en fournissant des semences aux cultivateurs, et en rendaient l’équivalent après la récolte. Il faut aussi louer l’ordre qui fut donné à toutes les communautés d’élire des messiers pour la garde de leurs récoltes, et l’interdiction absolue de chasser sur les terres ensemencées.

 

 


Depuis le règne de Louis XIV, les intendants ne cessèrent de s’occuper des intérêts de l’agriculture.

Dès 1670, ils recueillaient des éléments de statistique qui leur faisaient connaître, avec les ressources de la communauté, la nature des terres qui en composaient le territoire. Ils adressaient des questionnaires aux curés et aux notables sur les limites, les cultures , le territoire, la population, les fiefs, l’industrie, les dîmes, le nombre des hameaux et des feux du village. Mais ce fut surtout dans la seconde partie du XVIIIe siècle, que l’opinion publique, émue par les doctrines de Quesnay, de Vincent de Gournay et des autres économistes, se préoccupa davantage des intérêts agricoles et porta l’administration à les encourager directement et indirectement. Des journaux spéciaux se fondèrent, des ouvrages, soit nationaux , soit traduits de l’anglais, furent publiés ; on créa des prix et des fêtes pour l’agriculture ; des écoles vétérinaires furent instituées a Lyon et à Alfort. Des grands seigneurs, comme le marquis de Turbilly, dans l’Anjou, joignaient la pratique à la théorie. En Bretagne, une société d’agriculture se forma par les soins des états, avec des commissions spéciales dans chaque diocèse.

Le gouvernement autorisa l’ouverture de sociétés analogues à Paris, à Tours, à Montauban et dans plusieurs autres villes importantes. Plusieurs de ces sociétés avaient cessé d’exister avant 1789. Telles étaient celles d’Aix, de Clermont-Ferrand, de Bourges, de Rennes, de Mois, de Montauban, de La Rochelle, de Roanne, etc. Celles de Moulins, d’Alençon, de Tours, du Mans, d’Angers, d’Orléans, de Soissons, de Laon étaient restées en activité. Presque toutes avaient été fondées de 1761 à 1703. Le roi voulait favoriser ainsi les efforts de plusieurs de ses sujets, qui se portaient avec autant de zèle que d’intelligence à l’amélioration de l’agriculture; il voulait également encourager, par leur exemple , les cultivateurs à défricher les terres incultes, à acquérir de nouveaux genres de culture, à perfectionner les différentes méthodes en usage. L’Etat secondait le mouvement généreux de l’opinion publique. Non content de distribuer à ses frais, dans les provinces, des livres, des traités, des instructions relatifs à l’agriculture , il faisait donner par ses intendants des secours aux propriétaires de récoltes endommagées par les orages ou la grêle; il permettait l’exportation des grains, il favorisait les pépinières de mûriers et d’arbres de toute essence ; il encourageait les cultures nouvelles, comme celle de la pomme de terre en 1781 ; il accordait des encouragements et des exemptions à ceux qui défrichaient des landes et des terres incultes. Le défrichement, déjà demandé par Louis XIV, fut poursuivi par Louis XV avec une véritable persistance. Par l’intermédiaire des subdélégués, des questionnaires furent envoyés à, toutes les communautés, pour leur demander la quantité des terres incultes; le nom de leurs propriétaires; la nature de ces terres; leur qualité; leur situation; les moyens de les mettre en culture; le nombre de bestiaux qu’elles pouvaient nourrir. On demandait aussi la quantité des marais et des terres inondées, les causes des inondations et les moyens le les prévenir. Les syndics devaient réunir quatre les principaux habitants pour rédiger les réponses , faire à ces questions.

Les travaux des économistes firent recourir plus lue jamais aux statistiques. Outre celles qu’elle réa lamait pour les vingtièmes et pour le tarif de la taille, l’administration , surtout aux époques où le blé était cher, cherchait a se renseigner sur les ressources agricoles de chaque communauté. Les indics devaient remplir un tableau imprimé, dans quel étaient indiqués, pour chaque communauté, quantité de bestiaux, la superficie du territoire, importance des récoltes, la nature des diverses cultures. À une autre époque, on demandait, outre l’évaluation de la récolte, outre l’état des pertes causées par la grêle et les incendies, des notions sur la mesure du lieu, sur le rapport annuel du journal, sur l’industrie locale et sur les droits et redevances dont les habitants étaient tenus à l’égard du seigneur. Les syndics étaient aussi obligés de donner des renseignements précis sur le nombre, l’âge, la taille, l’exportation, les débouchés des chevaux dans chaque communauté; ils devaient indiquer combien d’entre eux étaient propres aux remontes des troupes du roi, combien étaient propres  » au tirage « .

 

 


L’amélioration de la race chevaline avait préoccupé le gouvernement depuis longtemps. Quoiqu’il en soit question sous Henri IV, c’est à Louis XIV qu’on doit l’établissement et le fonctionnement régulier des haras. En 1665, il fit acheter des étalons en Frise , en Hollande, en Danemark et en Barbarie (Du XVI e siècle jusqu’au XIX e siècle, la Barbarie est le nom utilisé dans les langues européennes pour désigner le Maghreb, à savoir le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et l’actuelle Libye) , et en confia la garde, dans les provinces où l’on élevait des juments à des particuliers auxquels il attribua certains privilèges. Plus tard, il y eut des gardes-étalons dans toutes les provinces ; ils étaient soumis à la direction de commissaires et d’inspecteurs chargés de réformer les chevaux mal conformés, vicieux ou caducs. Des états de tous les chevaux et de toutes les juments de la circonscription étaient dressés, et un extrait de ce rôle, contenant le nom du garde-étalon, devait être publié dans toutes les paroisses, à la diligence des consuls, des syndics ou des collecteurs. Les juments étaient passées en revue par les inspecteurs.

Quelques communautés étaient chargées du soin, de la nourriture et du remplacement des étalons, en vertu de règlements particuliers. Des seigneurs en sollicitaient. Voltaire, devenu propriétaire de Ferney, écrivait à l’intendant des écuries du roi pour qu’il le mit a même de peupler le pays de Gex de chevaux.  » Mon seul objet, disait-il, est de seconder vos vues pour le bien de l’État ; je n’ai nul besoin du titre glorieux de garde-étalon du roi, pour avoir quelques franchises qu’on dit attachées à ce noble caractère « . Ces franchises, dont on se plaignait en 1789, consistaient surtout dans l’exemption des tailles et de la milice.

On s’occupait moins de l’amélioration des races bovine et ovine, parce qu’il n’y avait pas, comme pour les chevaux destinés en partie a la remonte des armées, un intérêt public aussi direct. Cependant, à l’instigation de Trudaine, Daubenton s’occupa d’améliorer les races ovines; des mérinos espagnols furent importés et donnés par les soins des intendants. Des Etats prescrivirent l’élevage des bestiaux et promirent des primes à ceux qui s’y livreraient avec succès ; plus généralement des mémoires furent distribués par les soins de l’administration, pour indiquer les moyens les plus propres à perfectionner les races existantes. Les assemblées provinciales s’en préoccupèrent; celle de Champagne était d’avis de provoquer des souscriptions pour l’acquisition de taureaux suisses et auvergnats. En 1786, l’intendant de Paris donnait des vaches en secours aux paysans. Moyennant le paiement annuel d’une somme minime, le cultivateur devenait propriétaire des veaux ; quant aux génisses, il devait les remettre au syndic, après les avoir fait couvrir par le taureau.

 

 


Ce fut aussi pour protéger les bestiaux contre les dangers auxquels ils étaient exposés, que les rois instituèrent des grands louvetiers (Cette charge fut créée par François 1er vers 1520. Déjà, sous Charles VI, des commissions étaient données à certaines personnes pour prendre des loups) et prescrivirent à certaines époques des battues contre les loups. En 1601, Henri IV ordonna aux seigneurs de réunir leurs paysans de trois mois en trois mois, pour chasser avec chiens, arquebuses et autres armes, les loups, les renards, les blaireaux et les loutres. Le procureur fiscal requérait les habitants de se trouver au lieu indiqué, avec leurs fusils et leurs munitions, à peine de dix sous d’amende. Le seigneur ou son délégué commandait la chasse plaçait les tireurs et les batteurs, qui s’avançaient au signal donné dans les bois, en poussant des huées ou en frappant sur des tambours. Sous Louis XIV, c’étaient les officiers, les lieutenants ou les sergents de louveterie, qui convoquaient les habitants, faisaient dresser procès-verbal de la mort de la bête fauve, et requéraient contre les absents, qui pouvaient être frappés d’une amende de dix livres. On défendit aux louvetiers, qui parfois abusaient de leurs droits, de faire quitter leur travail aux laboureurs pour les employer aux battues , et de lever plus de deux sols par paroisse pour les frais des chasses. Les communautés ne pouvaient décider celles-ci de leur propre autorité, et si aucun louvetier ne répondait à leur appel, elles étaient réduites à creuser de grandes fosses garnies de pièges pour détruire les loups. Dans quelques provinces du centre, leurs têtes furent mises à prix par les intendants, et ce système qui est encore suivi de nos jours, produisit des résultats efficaces (Les primes données par Turgot sont, sauf pour les louveteaux, les mêmes que celles qui ont été fixées par une instruction ministérielle de 1818).

La sollicitude de l’administration éclatait surtout dans les épizooties. Elle ne reculait devant aucune dépense pour les combattre. Des arrêts du Parlement et du conseil prescrivaient aux juges, et à leur défaut aux syndics, de signaler les bêtes atteintes de maladies contagieuses. Le subdélégué en était immédiatement averti; les précautions les plus minutieuses étaient prises pour l’isolement des bestiaux atteints et pour empêcher qu’ils ne fussent vendus aux bouchers. Lors de l’épidémie de 1745, il fut interdit de laisser entrer les bestiaux d’une province dans l’autre ; des procédés furent employés pour la désinfection des étables ; les animaux morts furent enfouis par des ouvriers payés aux frais de l’Etat. Tandis que des indemnités étaient remises aux propriétaires de ces animaux, des vétérinaires étaient chargés par l’administration d’empêcher les progrès du mal et d’y remédier. Il en fut de même dans l’ épizootie de 1774. Des élèves de l’école royale vétérinaire étaient envoyés dans les communautés par les subdélégués ; sur leur réquisition, les apothicaires fournissaient les drogues nécessaires. Des cavaliers de maréchaussée vérifiaient si toutes les prescriptions de l’administration étaient exécutées. Dans le Languedoc, on évaluait à trois millions les dépenses que l’on avait faites pour combattre la maladie qui frappa les bêtes a cornes de 1774 à 1776.

C’était l’époque du trop court ministère de Turgot, qui s’efforça, par la suppression des corvées et par la libre circulation des grains, de donner l’agriculture les bras et les marchés qui lui manquaient. La réalisation de ces réformes fut ajournée. Malheureusement on n’avait pas hésité à conserver longtemps des prescriptions qui nuisaient aux intérêts qu’on voulait sauvegarder. Telle était l’interdiction, prescrite en 1731, de faire aucune nouvelle plantation de vignes et de rétablir sans autorisation celles qui auraient été deux ans sans culture. On croyait ainsi conserver et accroître la culture et la récolte des blés. Cet arrêt du conseil amena surtout des réclamations et des difficultés sans nombre. Vers 1750, le ministre engageait même l’intendant de Touraine à ne pas insister sur son exécution (Le marquis d’Argenson disait à l’occasion de l’interdiction de planter des vignes : «  Laissez libre, tout ira bien.« ). Dans le Hainaut, l’intendant limitait le nombre des moutons ou des brebis que pouvaient posséder les cultivateurs. D’autres règlements ou d’autres arrêts interdisaient de cultiver les jachères et de moissonner à la faux. « La faux, disait-on, agite l’épi avec violence, et en fait jaillir les grains qui. sont en pleine maturité. «

C’était surtout aux époques de disette que l’administration s’imaginait pouvoir y remédier à coups de règlements restrictifs. Tarifs, défense de conserver plus d’une certaine quantité de blé, ordre d’amener les céréales et les fourrages au plus prochain marché, visites domiciliaires, recensements amendes, confiscations, telles étaient les mesures auxquelles on recourait et qui furent imitées sous la Terreur, à l’époque du maximum. Les sages améliorations préconisées par les économistes étaient mises en oubli ; la liberté du commerce des grains était proscrite, et l’Etat se substituant à, l’initiative individuelle, endossait la responsabilité de la crise qu’il voulait par tous les moyens conjurer.

Les juges locaux et les officiers municipaux étaient tenus, sous peine de fortes amendes, de concourir à l’exécution des mesures qu’édictait l’administration, soit dans l’intérêt de l’agriculture, soit dans celui des approvisionnements. Ils participaient également à la police rurale, d’ordinaire réglementée par les juridictions supérieures. Les maîtrises des eaux et forêts veillaient à la conservation des bois et réprimaient les délits qui s’y commettaient. Les bailliages et même les parlements publiaient des règlements de police pour les campagnes. Le bailli de Troyes, en 1693, ordonne, non seulement de réparer les routes, mais de faire écheniller les arbres dans les vergers, au mois de mars et d’avril de chaque année. Il défend l’entrée des vignes après

la vendange, et celle des champs emblavés après le 25 mars. Il prescrit enfin aux habitants des villages et des bourgs de se réunir avant la Saint-Remi pour nommer des messiers, chargés de garder les emblaves et, immédiatement après la Notre-Dame de mars, pour élire des preyers et des viguiers, préposés à la garde des prés et des vignes.

Les messeliers, qu’on appelait aussi messiers ou blaviers, souvent désignés par les juges seigneuriaux, furent, à partir de 1709, élus par les habitants. C’était une ancienne coutume qu’on trouve dans certaines chartes du XIIIe siècle (« Les bourgeois (de Veronnes) feront garder leur bois, leurs bledz, leurs preys, leurs vignes, leurs jardins et leurs autres biens aux champs, ainsi comme ilz ont usé tousjours« ). Selon l’usage des lieux, leurs fonctions étaient annales ou triennales; quelquefois même, elles cessaient après la récolte. Ainsi que les gardes des bois , le messier prêtait serment entre les mains du juge local ; responsable des dégâts, il pouvait saisir, mais sans les maltraiter, les bestiaux en contravention et les garder jusqu’au paiement de l’amende. Cette amende appartenait au seigneur. Outre les cotisations payées par les habitants, le messier jouissait de l’exemption de la corvée royale pendant l’année de sa charge, et parfois de quelques autres indemnités.

Les habitants, qui intervenaient dans la police rurale par l’élection des messiers, y intervenaient aussi, dans certaines provinces, en provoquant la nomination de prudhommes pour reconnaître les anticipations et y remédier. En 1783 , sur les remontrances des habitants, le juge remplace ceux qui négligeaient de remplir leurs fonctions en leur âme et conscience. Deux prudhommes procèdent ensuite, avec le procureur fiscal, à la visite. Ils dressent, à l’occasion des raies retournées qui empiètent sur les champs des voisins, des procès-verbaux qu’ils rapportent au juge . En 1789, le tiers-état du Bassigny demande que ces prudhommes soient élus annuellement par les communautés.

Les habitants sont presque toujours consultés sur les questions qui les touchent. En 1746, l’intendant de Bourgogne prescrit que le curage des fossés sera fait à leurs frais. Un commissaire enquêteur convoque une assemblée communale, et fait dresser dans cette assemblée, par le syndic, la liste des riverains. La proclamation du ban de vendange n’a lieu que sur le rapport de vignerons et de prudhommes ; après l’avoir entendu, les habitants réunis dans la cour du château arrêtent, à la majorité des suffrages, le règlement qui doit être fait à ce sujet, et que le juge local rédiges.

Les questions de police rurale engendraient parfois des procès. Un habitant menait sur les pâturages publics un troupeau de trois cents dindons. Le seigneur et son juge s’y opposent. L’habitant s’obstine ; il prétend qu’il peut conduire sur ces terres dépouillées de leurs récoltes des dindons aussi bien que des vaches et des moutons. Le juge local le condamne ; appel est interjeté de son jugement, d’abord au juge haut-justicier, enfin au Parlement de Paris; et sur cette grave question intervient, le 20 juin 1785, un arrêt qui limite le nombre des oies et des dindes à l’appréciation des juges des lieux, et la quantité de terres où ils pourront pâturer à la désignation des syndics des paroisses.

Parfois des questions de ce genre étaient soumises à l’intendant. Il était appelé par des requêtes à examiner quels dangers présentait la fréquentation d’un abreuvoir par des oies et quels dommages pouvaient causer aux vignes voisines des noyers sur lesquels se réfugiaient des hannetons Ces appels au Parlement, ces requêtes à l’intendant pour des affaires d’un intérêt si minime, démontrent la faiblesse de la justice seigneuriale, dont les décisions étaient rarement sans appel; elles démontrent aussi que le paysan n’hésite pas à s’adresser à la justice supérieure ou à l’administration, qui pendant la seconde partie du XVIIIe siècle s’était occupée d’une manière persistante de ses intérêts , et plus d’une fois les avait efficacement protégés.


Sources : Au village sous l’Ancien Régime

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