Entrée solennelle à Die de Mgr de Cosnac, évêque de cette ville, en 1734 (1)
A la première nouvelle de la nomination de Daniel-Joseph de Cosnac, neveu de Daniel de Cosnac, à l’évêché de Die, on sonne toutes les cloches; la ville éprouve la joie la plus pure; tous les corps et les particuliers accourent en foule au palais épiscopal, et félicitent l’ancien évêque sur la nomination de son neveu. Ce soir-là même, 2 juin, il y eut des feux de joie et des illuminations. Les consuls firent mettre sous les armes trois cents hommes qui firent plusieurs décharges. Le lendemain, jour de l’Ascension, la même troupe reprend les armes, et, après un grand souper, on allume un autre feu de joie dans le pré de l’évêché, directement au-dessous du palais. Les Diois, qui étaient sortis de la ville pour voir cette réjouissance et l’illumination du palais, entendirent plusieurs décharges et firent des acclamations.
Pendant ces premiers jours, l’ancien évêque de Die, qui attendait son neveu, donna à manger au chapitre de la cathédrale, à la noblesse et à tous les religieux, au corps des avocats et à tous les notables de la ville. Le dimanche, il y eut encore une illumination au palais, avec grande fanfare de fifres, son de violons et de hautbois que l’on mit à la tête de la bourgeoisie en armes, qui fit plusieurs décharges au bruit des tambours.
Daniel-Joseph de Cosnac étant parti de Valence, le jour de son départ, le marquis de Vachères, le marquis de Gramont, son fils, gouverneur de Crest, le marquis du Poét, M. de Saint-Michel (2), M. le prévôt du chapitre de Crest et un chanoine du même chapitre (3) montèrent en carrosse et allèrent au-devant de Mgr l’évêque, qu’ils rencontrèrent de joie illuminations, à trois quarts de lieue de leur ville. Après plusieurs démonstrations de joie et d’amitié, il monta dans le carrosse de M du Poët et alla dîner chez Mme la marquise de Pluvinel (4), où il était attendu.
A un quart de lieue de Crest, il y avait une affluence de monde qui augmentait à mesure que l’on approchait de la ville. Deux cents hommes armés et cocardes, avec des grenadiers en bonnets à la hussarde (5), bordèrent la haie des deux côtés de la rue, depuis la porte par où l’on entra jusque chez madame de Pluvinel , chez laquelle le corps de ville, le chapitre, les magistrats (6), les Cordeliers et les Capucins le complimentèrent. Il y eut plusieurs décharges pendant le dîner, et le commandant de la compagnie des invalides leur fit prendre les armes et monter la garde chez Mme de Pluvinel, par ordre du gouverneur.
Ce même jour, toute la bourgeoisie du bourg d’Aouste se mit sous les armes ; il s’y était formé une troupe de gens à pied et une autre à cheval : celle-ci alla au-devant, et Mgr. l’évêque fut reçu à la porte par le sieur Aimar, curé, qui, suivi de tous les officiers de la communauté (7), le complimenta. Il y eut des feux de joie et plusieurs décharges.
Mgr. l’évêque étant arrivé aux extrémités du territoire d’Aouste, il parut à une très-petite distance de là une troupe à cheval, composée des plus notables du lieu de Saillans, à la tête desquels était le sieur Peloux, capitaine châtelain (8), qui fit un compliment. Une autre troupe de gens à pied, fort lestes, vint au-devant du prélat jusqu’à une demi-lieue. A l’approche de l’évoque, ils firent une décharge et se divisèrent ensuite en deux quadrilles, dont l’une marcha devant et l’autre derrière la chaise, qu’ils escortèrent jusque chez le sieur Peloux, où Mgr. l’évêque logea avec toute sa suite.
Le lendemain, ils reprirent tous les armes, et l’infanterie borda la haie depuis la maison du sieur Peloux jusqu’à l’église, où l’évêque alla entendre la messe. Ils l’accompagnèrent ensuite, l’infanterie jusqu’à un quart de lieue, et la cavalerie jusqu’à une lieue loin, où elle fut relevée par celle de la ville de Die, qui alla à trois lieues au-devant.
Cinquante cavaliers, en cocardes blanches et chapeaux bordés, ayant un étendard, un trompette et des timballes, composaient cette dernière troupe. Le sieur Viguier, premier consul, qui en était le chef, les fit mettre en bon ordre quand Mgr. l’évêque parut, et on le salua par une décharge; ensuite le sieur Faisan, avocat, l’un des deux capitaines de cette troupe, le complimenta.
Après le compliment, un détachement de six cavaliers commandés par le sieur Gueymar, avocat et lieutenant de la compagnie, marcha devant et le reste suivit sous les ordres des sieurs Reynaud et Faisan. À quelques portées de fusil de là, il y eut un feu de joie que fit allumer le sieur Barnave, de Vercheny (9). Ses officiers et lui vinrent sur le même chemin présenter leurs respects au prélat.
Aux approches de Die, on sonna toutes les cloches. Les chemins étaient si remplis de monde que l’on avait de la peine à passer, surtout auprès de la porte Saint-Pierre, par où Mgr. l’évêque entra sous un arc de triomphe. Il y en avait un autre à celle de l’évêché ; on y remarquait les armes de Mgr. l’évêque (10), et au-dessous cette inscription et les vers qui suivent :
ILLUSTRISSIMO AC REVERENDISSIMO DANIELI
JOSEPHO DE COSNAC EPISCOPO ET COMITI DIENSI
DOCTORI PARISINO (sic) SUMMO REGII ORATORII
MAGISTRO SANCTI BENEDICTI AD LIGERIM ABBATI;
DEA CIVITAS HOC PERENNE SVI AMORIS ET OBSEQUII
MONUMENTUM. D. D.
Te sacris, Cosnace, suis praeponit et aris,
Te Dea consiliis praeficit aima suis.
Munus utrumque ingens, utrique et sufficis unus,
Successuque pari munus utrumque gères,
Moribus ornabis, calamo tutaveris aras,
Ingenua populos dexteritate reges ,
Proderit et doctae soler facundia lingua
Et generis splendor multus et oris honos ;
Sic dicere pater, sic maxima cura tuorum,
Sic decus et columen Religionis eris;
Vive tuis, Cosnace ! tui sub proesule tanto
Vivant, et noster vive perennis amor.
Traduction française
« La ville de Die consacre ce monument d’amour et de respect à Illustrissime et Révérendissime Monseigneur Daniel-Joseph de Cosnac, Évêque et Comte de Die, Docteur Parisien, Grand-Maître de l’Oratoire du Roi et abbé de Saint-Benoit auprès de la Loire » (11).
L’antique Die, ô Cosnac ! te met à la tête de son clergé et de ses conseils ; tu suffis seul à ces deux emplois difficiles à remplir; tu t’en acquitteras avec un égal succès; tes mœurs les embelliront ; ta plume défendra les autels ; tu gouverneras les peuples sans effort; ils t’appelleront leur père; ils seront l’objet de ta plus vive sollicitude; la Religion verra en foi sa gloire et sa force. Vis pour tes peuples, ô Cosnac ! qu’ils vivent eux-mêmes sous un si grand prélat, et que notre amour soit durable.
A peine arrivé à la porte Saint-Pierre, Mgr. l’évêque y fut reçu par MM. les consuls. Le sieur Viguier, premier consul, le complimenta au nom de la ville. Après le compliment, on revêtit le prélat de ses habits pontificaux; le chapitre vint en procession le recevoir sous le dais que portaient les consuls et les magistrats, et lui fit un compliment par l’organe de M. le doyen. Ce cérémonial terminé, Mgr. l’évêque, en crosse et en mitre, marche sous le dais jusqu’à l’église cathédrale; la double haie qu’un corps d’infanterie formait, sous les ordres de MM. de Montauban, de Jansac, de La Bâtie et de Saint-Aignan, ayant un drapeau, un fifre et quatre tambours.
Le prélat étant arrivé à la porte de l’église cathédrale, entonne le Te Deum, qui fut chanté d’une manière solennelle. Le chapitre l’accompagne ensuite avec la croix jusque dans son palais, vis-à-vis lequel la cavalerie étoit rangée en bataille. Dès que Mgr. l’évêque y fut entré, la ville, le chapitre et la justice y allèrent en corps; il reçut les compliments de M. le doyen, de M. de Gilbert, juge mage, de M. Viguier, premier consul, des RR. PP. Jésuites, des Cordeliers et des Jacobins.
Durant cet intervalle, la cavalerie et l’infanterie allèrent se ranger dans le pré de l’évêché, autour d’un grand bûcher qu’on y avoit préparé ; on y mit le feu et il y eut plusieurs décharges. L’illumination aurait été magnifique, si le mauvais temps n’avait pas contrarié son exécution.
Le lendemain, M. Sibeud, subdélégué de l’intendance, maître particulier des eaux et forêts en la maîtrise royale de Die, à la tête de cette justice (12), complimenta Mgr. l’évêque. Le sieur de Lacondamine le complimenta aussi, au nom des avocats ses confrères, qui y vinrent en corps.
Notes:
1 – Je dois à l’obligeance de M. Gariel, conservateur de la bibliothèque publique de Grenoble, la communication de ce document, extrait des manuscrits de M. J. C. Martin, ancien curé de Clansayes, qui sont devenus sa propriété personnelle. C’est sans doute la copie d’une relation officielle rédigée à cette époque.
Le siège épiscopal de Die a été occupé par trois évêques issus de l’ancienne famille de Cosnac. Le premier, Daniel de Cosnac, désigné dans le diocèse sous le nom du Grand Cosnac, pour le distinguer de ses neveux, fut nommé évêque de Valence et de Die en 1654 et appelé en 1687 à l’archevêché d’Aix. C’est lui qui fit construire le château du Valentin, appartenant aujourd’hui à M. le marquis de Sièyes. Il a laissé des mémoires fort intéressants qui ont été publiés en 1852 par la Société de l’Histoire de France, avec le concours de M. le comte Jules de Cosnac et celui de notre savant président honoraire, M. le docteur Long, de Die, qui avait déjà attiré l’attention sur eux.
Le second, Gabriel de Cosnac, neveu du précédent, fut promu en 1701 à l’évêché de Die, séparé de celui de Valence depuis 1687. Il donna sa démission en 1734 et fut remplacé par Daniel-Joseph de Cosnac, son neveu, successivement vicaire général de Die, d’Aix et de Paris, doyen de Saint-Germain-l’Auxerrois et maître de l’oratoire du roi. C’est de ce dernier dont il s’agit. Ce prélat avait une fort belle bibliothèque, qui, après son décès, fut vendue aux enchères le 17 décembre 1741 et adjugée, au prix de 6150 livres, au sieur Charles Gilbert.
Son successeur, Georges-Gaspard-Alexis de Plan des Augiers, dernier évêque de Die, réclama 115 volumes d’ouvrages hétérodoxes qu’il se fit remettre à titre de prêt et .qu’il voulut conserver, en prétextant d’abord qu’ils étaient la propriété de l’évêché et ensuite qu’il était de son devoir pasl07*al d’empêcher que ces livres ne se répandissent dans soti diocèse, rempli de religionnaires.
Cette prétention donna lieu à un procès dont je possède le dossier complet, renfermant le catalogue d’une partie de la bibliothèque de Daniel-Joseph de Cosnac, avec 172 numéros, et l’indication des livres hétérodoxes retenus par le nouvel évêque. Ce procès, qui suivit toutes les juridictions, n’était pas encore terminé en 1790.
L’évêché de Die fut supprimé à cette époque, et Mgr de Plan des Augiers consentit seulement alors à restituer ces volumes aux ayant-droits.
2 – On retrouve en 1790 deux membres de ces familles, l’un M. le marquis de Gramont duc de Caderousse, gouverneur de Crest, et l’autre M. le baron de Bruyère de Saint-Michel, maréchal des camps et des armées du roi, commandant de la place.
3 – L’église de Saint-Sauveur de Crest avait été érigée en collégiale en 1277 par Amédée de Roussillon, et son chapitre fut reconstitué en 1467 par Louis de Poitiers. D’après un mémoire manuscrit de l’intendant Bouchu, rédigé à la fin du XVIIe siècle et qui fait partie de ma bibliothèque, ce chapitre était alors composé d’un prévôt, d’un chantre et de six chanoines; le revenu de la prévôté était de 650 livres, celui du chantre de 450 livres et celui des chanoines de 100 livres. L’Almanach du Dauphiné pour 1790 désigne deux chanoines de plus.
4 – Louis XIV avait érigé, en juin 1693, la terre d’Egluy près de Crest et ses dépendances en marquisat, sous le nom de Pluvinel, en faveur de Joseph de La Baume de Pluvinel, dont le père avait été gouverneur de Crest et écuyer de la grande écurie du roi. (ROCHAS , Biographie du Dauphins, tome II, page 256.)
5 – En 1790, la milice de Crest avait quatre compagnies, une de grenadiers, une de chasseurs et deux de fusiliers, sous les ordres d’un colonel. Chaque compagnie était composée de soixante hommes et d’un tambour. Voici leur uniforme : habit bleu, revers, parements et collet chamois, doublure blanche, veste et culotte blanche, boutons blancs sur lesquels étaient gravées les armes de France et celles du Dauphiné, ayant au-dessous le nom de Crest.
6 – 11 y avait une sénéchaussée érigée en 1449 par Louis XI. Son personnel comprenait un vice-sénéchal, juge mage, lieutenant général civil et criminel; un lieutenant particulier, commissaire enquêteur; deux conseillers, un avocat du roi, un procureur du roi, un greffier, un substitut, deux huissiers spéciaux, un huissier du roi et un garde de la connétablie, en outre huit procureurs et des avocats,
7 – Un châtelain assisté de deux consuls présidait aux affaires du mandement d’Aouste, aux assemblées des notables, à la police et à la garde du bourg. Les délits et les infractions étaient réprimés par une judicature fonctionnant au nom de l’évêque de Die, seigneur haut-justicier d’Aouste, et ressortissant de la justice mage de Die. (Notice sur Aoste, par l’abbé VINCENT , pag. 19 et 38.)
8 – La communauté de Saillans était aussi administrée par deux consuls. Le châtelain était surtout chargé de veiller à la sécurité publique. Il y avait une milice fortement organisée. (Notice sur Saillans, par l’abbé VINCENT , page 21.)
9 – On sait que la famille de Barnave était originaire de Vercheny. Son père y naquit le 20 mai 1709. Ils furent appelés tous les deux à représenter le bourg de Saillans à l’assemblée générale des trois ordres de la province, qui se tint à Romans en 1788. (Œuvres de Barnave; Notice historique, par M. BÉRENGER, tome I, pag. IV et XXX.)
10 – D’argent au lion de sable, armé, lampassé et couronné de gueules, semé d’étoiles ou molettes de sable.
11 – A Saint-Jean-d’Orbestier, au diocèse de Luçon. Cette abbaye avait été déjà accordée à son grand-oncle Daniel et ensuite à son oncle Gabriel, auquel il succédait.
12 – Le subdélégué de l’intendant résidait en 1789 à Crest, qui était alors le chef-lieu de la subdélégation. La maîtrise des eaux et forêts était distincte et avait son siège à Die; elle comprenait dans sa juridiction toutes les communes des élections de Valence, de Montélimar et de la principauté d’Orange.
Source :
Communiqué et annoté par M. VALLENTIN, juge à Montélimar, membre de plusieurs sociétés savantes. extrait du Bulletin de la Société d’archéologie et de statistique de la Drôme ( 1866)