DU PAPIER AU LIVRE, LE WEB DE LA REFORME

Du papier au livre, le web de la Réforme

 

 

Du latin au français, en passant du parchemin au papier imprimé, avec l’invention de Gutenberg (Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg, dit Gutenberg), le livre échappe au monopole de l’Église. Jusque là réservé aux clercs, aux princes et aux nobles, il passe entre les mains de tous ceux qui savent lire. Le papier va connaître les aléas de l’Histoire.

Inventé en Chine deux siècles avant notre ère sous le règne de Qin Shihuangdi, le premier papier est composé de l’écorce d’un mûrier de la même famille que celui qui sert à nourrir les vers à soie. C’est tout naturellement qu’il est désigné par le même idéogramme que la soie, le mûrier, le mûrier à papier : Tche. Dès l’origine, il y a confusion entre soie, mûrier nourrissant le ver à soie, papier de soie et papier. C’est par analogie avec le support de l’écriture égyptien que les Romains lui donnent son nom latin papyrus qui deviendra papier.

En 1063, en Espagne le pape Alexandre II proclame la croisade pour la Reconquista. Dans les zones reprises par les chrétiens, les conversions forcées chassent les Maures qui transmettent leurs biens aux juifs. Les croisés reprennent Xativa en 1248 et le roi Pierre III d’Aragon décrète : « Le moulin [à papier] pourra être utilisé par les chrétiens, sans réquisition des Sarrasins, afin que les premiers puissent s’initier à la parfaite technique des seconds« . L’industrie papetière florissante incite le pouvoir à s’en préoccuper dans une ordonnance du 8 février 1273 : « Redevances royales imposées aux juifs qui fabriquent du papier à Xativa: 3 deniers par rame« .

Par son mariage avec Marie, fille de Guihem VIII, Pierre II d’Aragon apporte Montpellier et le Roussillon à la Catalogne. Avec l’installation des papetiers à Gérone, la technique du papier et les marchands juifs franchissent les Pyrénées. Un moulin serait implanté à Montpellier dès 1316. En 1343 Philippe VI de Valois rachète Montpellier à Pierre II de Majorque, ruiné.

Par la Sicile, les Italiens connaissent le papier persan. Provenant de moulins siciliens, ou de croisés prisonniers des Turcs, le secret du papier se répand rapidement dans toute l’Italie. Par voie de terre et de mer, il entre en 1154 à Gênes, en 1224 à Sienne et en 1276 à Fabriano, près d’Ancône.

En Europe, les migrations commerciales sont rythmées par les grandes foires, en Flandre, à Paris et surtout en Champagne et en Brie. Les comtes de Champagne accordent franchises et protections aux produits et aux marchands pour favoriser l’essor de leurs foires et donc indirectement de leurs finances. Par la Savoie, les marchands transalpins arrivent jusqu’à Bourg en Bresse. Le rayonnement et la puissance de l’Église est immense. En 1309, le bordelais Clément V installe la papauté en Avignon. Vers la France, fille aînée de l’Église, convergent les marchands, les lettrés, les arts et les techniques. La Savoie est le passage obligé et privilégié de tous les marchands venant en Champagne. Ses territoires commencent sur les bords du lac de Côme, s’étendent autour du lac Léman et vont jusqu’à Bourg en Bresse. Au sud-ouest, les frontières sont en perpétuelle évolution entre deux affrontements opposant le dauphin Jean et le comte Amédée de Savoie. Clément V impose des frontières moins conflictuelles, au concile œcuménique de Vienne en 1311. En fait, le problème n’est réglé que lorsque le Dauphin, sans succession, lègue le Dauphiné à la maison de France, et qu’en 1457 à Chambéry, Louis XI épouse la princesse Charlotte, fille du duc de Savoie.

Le XIIIe siècle voit l’émergence des états de Bourgogne. Les fastes de la cour des grands ducs reflètent la richesse de cette région. La prospérité générale implique de nouvelles habitudes vestimentaires et les chemises fines en lin sont relativement courantes. Le marché des chiffes devient même lucratif, surtout avec la qualité de Bourgogne qui est très appréciée par les moulins italiens.

Jacques de Molay, grand maître des Templiers, du haut de son bûcher, maudit Clément V, Philippe IV le Bel et sa descendance, et les assigne à comparaître devant le Tribunal de Dieu. Le terrible et efficace Nogaret, avec un patient travail de sape, vient de détruire le Temple. Sans descendance, les rois passent le pouvoir aux Valois mais en 1328, Édouard III, fils d’Isabelle de France, fait valoir ses prétentions au trône de France. Philippe VI évoque la loi salique. Deux rois pour un seul trône, et la douce France se transforme en champs de bataille. C’est la Guerre de Cent Ans. Les routes ne sont plus sûres, les chemins de Turin à la Champagne de plus en plus incertains.Les fripes viennent à manquer.

En plus de la guerre, les intempéries sont la cause de mauvaises récoltes. La famine sévit entre 1315 et 1316 et décime les populations. Mais cette malédiction n’apaise toujours pas ce Dieu offensé par les turpitudes des rois et des papes. Après les ravages provoqués en Italie au début du siècle, la peste noire arrive dans le beau royaume de France. Un bateau venant de la Mer Noire accoste à Marseille et l’introduit dans la vallée du Rhône. Le bubon maléfique se répand comme une traînée de poudre dans tout le royaume et au cours de l’année 1348, le tiers de la population trépasse. Les papetiers soupçonnent toujours les « pilharots » (chiffonniers) des villes de porter la peste. Ils préfèrent acheter directement leurs chiffons à ceux qu’ils connaissent et qui collectent dans les campagnes connues.

En France, le papier est connu depuis le XIIe et utilisé depuis le XIIIe siècle. En 1216, Raymond VII, fils de Raymond VI, duc de Narbonne, comte de Toulouse et marquis de Provence, écrit à Henry III, roi d’Angleterre, sur un parchemin de papier :  » avec prière d’obtenir le payement de 30 marks et de 91 livres de monnaie de Tours pour trois bateaux chargés de sel vendus par R. De Carof à David, le marchand de draps, de Londres « .

Les gens d’Église détenaient l’enseignement, l’édition des manuscrits et la censure. Lorsqu’ils voient ce concurrent bon marché susceptible de propager une autre culture, leurs réactions sont très négatives. L’armée de copistes et autres enlumineurs trouve tous les défauts à ce nouveau support. Suprême tare, son origine judéo-arabe n’est pas un bon passeport. Au XIIe, Pierre de Montboissier dit Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, dans son traité contre les juifs, raconte son pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle :  » Les livres que nous lisons sont faits de peaux de béliers, de boucs ou de veau, de papyrus ou de papiers de chiffons…. Cette matière est périssable et dangereuse « . Devant cette attaque du progrès, les esprits conservateurs de la profession font un barrage à la concurrence. En position de monopole, les utilisateurs font la grève des achats et jettent l’anathème sur l’intrus.

A partir du XIIIe siècle, des colporteurs, que sont les chiffonniers, sillonnent les villes et les campagnes pour ramasser les ferrailles, les peaux et les vieux chiffons. Ils les troquent contre aiguilles, épingles, lacets et rubans. La profession s’organise dès le XIIIe siècle. Saint-Louis concède aux « frépiers » un terrain sis près du cimetière des Innocents. Ils fournissent la matière première aux moulins et souvent se chargent de livrer le papier dans les villes où ils collectent les vieux chiffons. Leur réputation est douteuse, et les conflits sont nombreux avec les papetiers. Chiffons humides, chiffons de laine, sable et autres corps lourds à l’intérieur des ballots, prix prohibitifs, rien ne manque pour attiser les haines et les rancunes. Lors des grandes pandémies, ils sont soupçonnés de ramener la peste et le mauvais sort.

Actrice du processus de l’élaboration du papier, l’eau, force motrice du moulin, se comporte comme un catalyseur dans l’élaboration du papier et sert aussi à diluer la pâte dans la cuve pour assurer une bonne formation de la feuille. De sa qualité dépend le collage. Un autre acteur de la fabrication du papier est le maître papetier, ancien fils de maître, ou gouverneur marié à la fille du maître, il a passé 10 ou 20 années dans les moulins. Il apporte son savoir-faire et avec son épouse, il dirige l’entreprise. Autour de lui, il rassemble les compétences et se préoccupe d’acheter les vieux chiffons, de vendre les produits fabriqués et surtout de maintenir la bonne harmonie au sein de la turbulente équipe de papetiers dont il est issu.

L’Italie du Nord est le grand carrefour commercial entre l’Orient et l’Occident. Soieries et épices, draps et alun, idées et innovations transitent par la péninsule. Les Italiens inventent les assurances, développent le crédit et pratiquent le change. Les compagnies de marchands sont très actives et participent aux grandes foires des Flandres et de Champagne. C’est au moulin de Fabriano que se sont regroupés toutes les innovations et le savoir-faire papetier de la fin du XIIIe siècle. Créé en 1276, il est offert par Temperanza d’Abatuccio aux moines de Montefano. Implanté au pied des Apennins sur le Giano, il est le fleuron de la technique dans l’Occident médiéval.

En 1494, Franscesco Grapaldo en fait une description sobre et complète :  » Chez nous aujourd’hui, le papier se fabrique avec de vieux chiffons de lin et de chanvre déchiquetés. On les coupe en petits morceaux, on les trempe dans de l’eau et les met à macérer pendant onze jours; après les avoir pilés minutieusement au moyen d’un maillet dans un baquet d’eau où l’on ajoute de la chaux. Après les avoir enlevés, on les met dans des bacs pleins d’eau et puis, sur des châssis qui laissent passer l’eau, on les réduit en feuilles séparées qui, intercalées avec des étoffes de laine, sont ensuite pressées sous un pressoir. Puis, on les met à sécher sous un abri spécial, à l’ombre; on les immerge dans une colle préparée en faisant bouillir les déchets de cuir ou chutes de peaux que les peaussiers mettent de coté à cet effet; on les met de nouveau à sécher puis on les lisse avec du verre, et ils peuvent alors supporter la plume et ne laissent pas passer l’encre « .

Mais avant de devenir de beaux livres, il va falloir procéder à la fabrication du papier. Les moulins à papier et les piles à maillets entrent en action. Optimisant l’invention, les papetiers mettent au point trois stades de raffinage. D’abord le défilage et lavage des chiffons.Dans les piles, les chiffes sont « buquées » (frappées) par les clous acérés des têtes de maillets. Entre clous et platine, elles sont lacérées, déchiquetées et lavées dans un courant d’eau continu. Pour éviter l’usure de la tête des maillets, les papetiers de Fabriano ont l’idée de ferrer la partie active avec des clous. Ils s’aperçoivent qu’alors la qualité du papier est bien meilleure. Après plusieurs heures de défilage, c’est le raffinage. La bouillie ainsi obtenue est passée dans les auges des raffineuses. Là, il faut ménager les fibres et plutôt que de busquer, on « cravante » (écrase) avec des clous émoussés. Les chocs des têtes de clous sur la pierre ou la platine en bronze, transforme la pâte sure en une pâte grasse et onctueuse que la paume de la main aime à caresser. Pour la dernière opération, ou effelurage, effectuée par les « potatos », les têtes de maillets ne sont pas ferrées. Le bois caresse la pâte et ne sert qu’à affiner, coller et colorer. Les papetiers de Fabriano mettent ainsi au point le raffinage moderne qui sera utilisé jusqu’au milieu de XVIIIe siècle.

 

Piles à maillets au 18e siècle [Encyclopédie Diderot)

 


Pour éviter les contrefaçons, une autre invention des papetiers de Fabriano est mise au point : le filigrane.Entre les papiers provenant de Catalogne et d’Italie, les acheteurs ne peuvent déterminer la différence de qualité qu’en déchirant les feuilles. Même après ce test, ils ne sont pas certains que le reste de la rame est bonne, car certains marchands peu scrupuleux mettent à l’intérieur une deuxième qualité moins bonne. Pour pallier cet inconvénient et éviter les contrefaçons, les papetiers de Fabriano ont l’idée de coudre sur la forme un fil qui diminue l’épaisseur de pâte et fait un clair dans la feuille. C’est leur deuxième innovation majeure : le filigrane est le signe de la traçabilité, la griffe du papetier. « Il est la marque indélébile, l’expression d’un art qui comme un vitrail utilise la lumière pour transcrire l’immatérialité et l’approche de l’au-delà. Il n’apparaît, comme les encres sympathiques, que si vous le souhaitez. Il laisse la page blanche et sait se faire discret. Il ne resplendit que dans la lumière, et là, il marque le symbole, le luxe, les racines« .

Les marchands de papier doivent faire face aux aléas du transport sur les routes savoyardes et bourguignonnes, aux manques de marchandises, aux droits et taxes des princes savoyards. Le prix du papier est tel, et la pénurie parfois si importante qu’ils comprennent rapidement le profit qu’ils peuvent tirer de l’implantation sur place de moulins à papier. Moulin à blé ou à draps sont nombreux sur les routes menant de la Lombardie et du Piémont à la Champagne. C’est ainsi que de riches marchands italiens et des banquiers lombards louent des moulins en Champagne et dans le Comtat Venaissin. Ils fournissent peilles, colles et autres matières premières, confient la fabrication à des papetiers venus de la plaine du Pô ou des provinces transalpines de la Savoie et se réservent la production. Le papetier est alors un artisan sédentaire qui négocie avec les marchands un contrat annuel. Il embauche les compagnons et assure à son commanditaire la livraison d’un bel ouvrage à chacun de ses passages. Pour se libérer de cette tutelle, il va bientôt écouler une partie de sa production avec les merciers et épiciers du pays, puis il contacte des imprimeurs. Les chiffes sont négociées directement avec les péliarots, et le tanneur établi en aval sur le même cours d’eau fournit la couenne au sallerant.

C’est entre 1330 et 1340 qu’est probablement loué le premier moulin dans la région de Champagne. Dès 1341, les papeteries de Troyes et d’Essonnes auraient eu leurs contrôleurs et leurs gardes-jurés. Élus annuellement par leurs pairs, ils visitent les moulins pour relever les fraudes. Le premier moulin à papier implanté en France et connu à ce jour d’une manière indéniable, date de 1348 : « Perrard Granier loua le moulin de la Moline, ou moulin aux toiles pour la somme annuelle de 128 livres » . » Avec Étienne le Pevrier, dit de Verdun, il en loua un autre appartenant au chapitre de Saint-Pierre pour une redevance annuelle de 22 livres tournois, payables par moitié à Pâques et à la Saint Rémi. Dit moulin Le Roi ou de la papeterie ».Le paupelleur ou papetier Pierre Garnier continue son activité « en le moulin de Pielle, sis dans le quartier de Vouldye, ancien faubourg Saint-Denis de Troyes ».

La demande est grande, les applications innombrables

      • Papier des marchands : il est utilisé pour protéger les produits pendant le transport, et les présenter aux acheteurs. La macule qui enveloppe les rames en est le premier exemple.

      • Papier des scribes : c’est l’application la plus importante. D’abord pour les utilisations subalternes – listes d’inventaires, carnets de bord, billets de correspondance, de victoire des troupes en campagne et tracts de propagande des princes – puis plus nobles avec les livres profanes et enfin religieux. Pour présenter leurs œuvres les peintres et artistes transportent leurs « cartons » in plano. Ces feuilles au format Grand Aigle ou Grand Soleil demandent une journée de travail par rame. Ils peuvent être parfumés pour l’agrément, mais aussi par les ingrédients (musc, graines de poivrons) qui éloignent les insectes. Par souci d’esthétique, on les colore et les maîtres papetiers débordent d’imagination : Blanc Royal, Blanc Incunable, Ivoire Médiéval, Voile Écrue.

      • Papiers à usage très personnel : appréciés depuis les Tang, ils sont parfois parfumés et même colorés.

      • Papiers spéciaux : au XIVe siècle, les parchemins huilés des fenêtres sont remplacés par les verres « en cul de bouteille », mais leurs coûts très élevés les mettent hors de portée des classes moyennes qui n’utilisent que le papier huilé jusqu’au XIXe siècle.

La France se couvre rapidement de moulins à papier :1348 : Ville sur Saulx ; 1354 : Essonnes ; 1374 : Carpentras ; 1376 : Saint-Cloud ; 1383 : Beaujeu ; 1389 : Houplines ; 1396 : Thiers et Chamalières ; 1400 : Clermont. Sur le chemin de l’Italie, en Savoie, la première implantation date de 1350 à Faverges et le monastère de Hauterive installe le « bastoir à papier ou pâterie » de la Glane en 1479.

Malgré la mauvaise image de marque auprès des principaux clients potentiels, le saut technologique majeur entraîne une baisse importante du coût de la page et le nouveau support prend place sur le marché. Tout d’abord dans des utilisations subalternes dédaignées par les princes de la profession. Les actes de commerce, les documents de peu d’intérêt élaborés entre consommateurs de peu d’importance commencent à s’établir avec le réprouvé. Parfois l’avantage technologique de la légèreté dans le transport prime sur la pérennité du produit.

Face à la demande croissante de papier et au déclin des foires de Champagne, l’Université s’inquiète et incite le pouvoir à accorder des avantages aux papetiers pour favoriser leur implantation . En 1354, Jean II le Bon accorde aux papeteries de Troyes et d’Essonnes, l’exemption de tout impôt ou taxe. Les papetiers devant la demande en profitent et ne respectent pas la déontologie du métier. En 1398, Louis de Tignoville, bailli de Troyes, alerté de la tromperie sur les formats publie une ordonnance, dit de Troyes, réglementant le format régulier : «  Paupelleurs ou ouvreurs de pappier, ne doivent sous aucun prétexte faire retraire ou appetiser les moles où il font le dit pappier d’environ ung bon doy de long et autant de large, sous peine de confiscation « . Le pouvoir en profite et se mêle d’imposer des règles puis cherche à en tirer profit en instituant taxes et redevances. S’appuyant sur l’Université, puis plus tard sur l’Église propriétaire de moulins, les papetiers essaient de garder le maximum de liberté en faisant leur propre police avec les gardes-jurés.

C’est l’invention de Johannes Gensfleisch dit Gutenberg en 1445 qui est à l’origine de la fulgurante expansion du papier. La première édition d’une bible de 170 pages en 30 exemplaires sur parchemin montre l’incompatibilité de ce support pour une production de masse. Gutenberg adopte pour son deuxième livre le papier qui est plan, inerte et souple. Sans le papier, son invention n’aurait pas connu le succès, sans l’imprimerie le papier n’aurait pas connu son fulgurant essor. Entre 1450 et 1500, l’Europe imprime un livre pour cinq habitants. En 1470 : Fichet implante la première imprimerie à Paris. En 1500, on dénombre 240 imprimeries et au cours du XVIe siècle, 200 millions de livres sont imprimés, portant la consommation de papier de 400 à 2000 tonnes par an. Papier, imprimerie, jamais l’un sans l’autre.

Pour ses premiers essais, Gutenberg enduit un bloc de lettres avec un tampon imbibé d’encre puis dépose un papier qu’il imprime « au frotton ». Ce procédé demande une pression importante pour compenser les irrégularités du bloc moulé et provoque un « foulage » au dos du papier qui interdit l’impression du verso. Sa véritable invention est la presse à imprimer qui, par la pression d’une platine sur un bloc d’impression parfaitement plan, permet une impression sans foulage. Les types moulés en métal répondent seuls à cette exigence. Pour les impressions xylographiques avec des surfaces en bois, on utilise au Moyen Âge de l’encre composé de noir de fumée avec de la colle et du fiel de bœuf. Pour le nouveau procédé, il faut un produit plus gras et plus adhésif. Avec pour base le noir de fumée, on ajoute alors de la térébenthine et de l’huile de noix que l’on réduit par cuisson jusqu’à obtenir une sorte de vernis.

 

 


Au XVIe siècle, le livre sort du giron de l’Église. Du latin au français, du parchemin au papier, l’Église perd le monopole de l’édition. Le livre, réservé aux clerc, aux princes et aux nobles, passe entre les mains de tous ceux qui savent lire. Tout le monde écrit et publie.

En 1588, Marguerite d’Angoulême présente « L’Heptaméron » à la duchesse d’Étampes.  Marguerite d’Angoulême est la fille de Louise de Savoie. Mariée à 17 ans en 1509 à Charles d’Alençon, elle est veuve et se remarie en 1527 avec Henri d’Albret, roi de Navarre. Sa fille Jeanne sera la mère d’Henri IV. Marguerite est une femme de lettres, elle occupe une place de choix dans la vie culturelle de son temps, grâce à sa grande culture et son intarissable besoin d’apprendre (elle connaît le grec, le latin et l’italien). Son rayonnement intellectuel est considérable et fait de son château de Nérac un centre distingué de l’humanisme. Comme nombre d’humanistes de son temps, elle est sensible aux idées nouvelles. Elle protège de nombreux protestants et les accueille à sa cour. Dès 1517, elle se lie avec Lefèvre d’Étaples et Briçonnet, évêque de Meaux. Comme eux, elle se rapproche de la Réforme, sans pour autant rompre avec l’Église. Son œuvre poétique la place au premier rang de la littérature de son temps. Ses poésies rassemblées sous le titre de Marguerites de la Marguerite des princesses, sont éditées à Lyon en 1547. Son œuvre la plus connue est l’Heptameron, recueil de contes à l’imitation du Decameron de Boccace. Son grand père, Jean d’Angoulême, lui a enseigné le goût pour la philosophie et la théologie. Plus ouverte que son frère aux nouvelles idées, elle parle le latin, l’hébreu et le grec. Elle protège les réformateurs de Meaux. Marguerite d’Angoulême est biblienne. Dans son « Heptaméron », Louise de Savoie (Dame Ousile) est présentée comme une femme de son temps, croyante, grande voyageuse, tolérante, humaniste et cultivée. Elle ne condamne pas les frasques de son fils et accepte les « gauloiseries » de l’époque. Elle meurt trois ans avant les « placards ».

Le fils de Dame Ousile, François Ier, est tolérant. En 1529, il fonde les « lecteurs royaux », futur Collège de France. Contre l’avis de Noël Beda syndic de l’Université et « plus grand clabaudeur de son temps« , il octroie à ses lecteurs le privilège d’une totale indépendance. C’est le délire, il n’y a plus de limite, l’Université et l’Église ne contrôlent plus rien. Noël Béda (1470-1537), syndic de la Sorbonne au temps d’Érasme, est resté dans les mémoires comme le symbole de l’obscurantisme scolastique. Aujourd’hui, on le qualifierait pour le moins de doctrinaire sinon d’intégriste. Il lutta avec acharnement contre Érasme, Lefèvre d’Étaples et naturellement Luther.Imbart de la Tour dit de lui :  » Retors au physique (bedonnant, petit, bossu et boiteux) comme au moral, mais dialecticien habile, intègre de mœurs légères, zélateur d’autant plus intrépide que lui-même a été censuré pour des opinions téméraires, insensible aux attaques, indifférent aux moyens, toujours prêt à montrer les crocs contre ses collègues aussi bien que contre ses ennemis…  »  et Michelet :  »  Béda, supérieur de Montaigu, chef des étudiants sans étude qu’on nommait Cappets, tribun de la gueuserie pieuse et de la république ignorantine, était roi sur sa montagne (Sainte-Geneviève) et difficilement permettait à l’autre roi, le roi de France, de rien usurper chez lui. « .  Noël Beda s’insurge et comprend clairement que si un profane peut se permettre une interprétation critique de la Bible, il ne sera plus possible de maîtriser la diffusion des Saintes Écritures.

Suprême hérésie, un lecteur, Guillaume Postel titulaire d’une chaire d’arabe, soutient :  » Qu’il n’y ait plus désormais de papistes, ni de luthériens, prenons tous le nom de Jésus, de qui nous attendons le salut. Soyons tous disciples de Jésus, alors nous souhaiterons avoir pour amis les Juifs et les Ismaélites, nous leur donnerons même ce nom, et en fin de compte à l’humanité tout entière « .

Bientôt, les outrances des extrémistes conduisent le roi à prendre des mesures pour contrôler la production littéraire. En octobre 1517, il instaure par lettres patentes le dépôt légal, et à Villers-Cotterêts en août 1539, il rend le français obligatoire dans l’administration  » pour faciliter la compréhension des décisions royales et de justice…….le français en lieu et place du latin  » et crée les registres d’état civil.

Les princes de l’Église dépensent sans compter. Pie III, Jules II et Léon X ont des cours fastueuses et sont les mécènes des artistes les plus réputés comme Michel-Ange, Vinci ou Raphaël. Tout cela demande beaucoup d’argent et la vente des indulgences est le moyen trouvé par Léon X à partir de 1515 pour remplir les caisses du Vatican. En 1517, scandalisé de voir que l’on peut recevoir l’indulgence moyennant finances, Martin Luther affiche ses « placards » des 95 thèses sur les portes des églises. Charles Quint le convoque à la Diète de Worms en 1521 et lui demande de se justifier. À la demande de renoncement à ses idées, la seule réponse de Luther – « Je ne puis autrement » – lui vaut le bannissement. Seul son enlèvement par Frédéric le Sage, électeur de Saxe, lui évite le bûcher. Bientôt relayé par Jean Calvin, il provoque une crise majeure en Europe.

C’est par le papier que le « mal » se propage en France. Par la Savoie, la Bible et les idées nouvelles de Genève pénètrent les milieux aristocratiques et bourgeois du Dauphiné qui sont les premiers touchés. Instruits, ils savent lire et sont ouverts à l’humanisme qu’ils ont appris à l’université de Valence. Même le clergé est touché par l’hérésie. L’archevêque de Vienne « sentait mal sa foy » et Jean de Montluc, évêque de Valence cité à comparaître à Rome, est condamné comme hérétique par le pape Pie IV. Il profita de la protection royale et son accusateur, ne pouvant apporter des preuves, dut faire amende honorable. Il composa une apologie du massacre de la Saint-Barthélemy.

 

 


Pour le peuple qui ne sait pas lire, la propagation se fait de façon plus subtile. Les « marchands à la balle » sont toujours très attendus dans les foires et les campagnes même si on se méfie d’eux. À l’entrée des villes, ils doivent présenter un certificat attestant qu’ils n’ont pas de maladies contagieuses, mais rien concernant leurs idées. Colporteurs, bardes, pilharots, jongleurs, conteurs de bonnes aventures, ils sont un peu tout cela à la fois. Beaucoup viennent de Genève, du Piémont et de l’ancienne terre dauphinoise du Faucigny. Après la Savoie, ils traversent l’Oisans, le Dauphiné et vont en Vivarais. Le passage est d’autant plus facile que les comtes de Savoie, lassés par les invasions incessantes des Français, s’établissent à Turin en 1562.

Les idées de Luther bénéficient de la protection de Marguerite d’Angoulême et de la bienveillance de son frère François Ier. Les disciples de Lefèvre, appelés « bibliens » ou « fabristes », se retrouvent à Meaux autour de l’évêque Guillaume Briçonnet. La Réforme s’implante, les temples sont nombreux et en 1560, on compte 40 pasteurs en Dauphiné. Dans les villes où ils deviennent majoritaires, les protestants abolissent la messe. Pendant les 5 ans de la trêve de l’Édit d’Amboise et avec un Bertrand de Simiane de Gordes plus tolérant, la Réforme progresse.

Devant la propagation de l’hérésie, l’Église réagit par le Concile de Trente. Pour François Ier, continuer à tolérer les idées de Meaux équivaut à créer une crise interne, avec la Sorbonne et l’Église de France, et une crise externe avec Rome et l’empereur. Le 17 mars 1521, une perquisition est effectuée chez les libraires, en avril la faculté de théologie condamne les propositions de Luther et le 3 août « est proclamé par cri public aux carrefours la confiscation de son livre ». L’intolérance des uns et des autres conduit une fois de plus à l’autodafé. L’affaire s’envenime avec la publication de la version française du Nouveau Testament par Lefèvre, et la profanation d’une hostie par le fils du contrôleur du grenier à sel de Châteaudun qui amène le roi à une procession de Nanterre à Saint-Germain. Le jeune profanateur est brûlé vif à Saint-Germain et commence ainsi la longue liste des martyrs de la nouvelle foi.

Dans un premier temps ce sont les livres qui sont brûlés sur le parvis de Notre Dame.  » Nous n’entendons avoir ou soutenir aucun hérétique en notre royaume, mais s’il n’y a nulle erreur, nous ne voulons ôter à personne la liberté d’écrire  » .Mais ce ne sont pas les idées qui brûlent, c’est cet hérétique de papier, ce suppôt de Satan… l’Église avait bien raison de se méfier. Le tour des idées et de leurs auteurs arrive. Un édit prescrit que ceux qui «  s’insurgent par blasphèmes horribles de l’invention desquels ils se glorifient contre l’honneur et le respect de Dieu et de sa glorieuse mère seraient brûlés après qu’on leur aurait ouvert la gorge avec un fer chaud, tiré la langue et la coupée par le dessous « . Enfin les « placards » de 1534, affichés par les extrémistes jusque sur la porte du roi et dénonçant violemment la messe, sonnent l’heure de la répression.On commence à voir les premiers réfugiés sur les registres des « rolles des estrangers françoys » à l’hôtel de ville de Genève, mais c’est à partir de 1568 qu’une grande partie de la population s’exile. En fait, derrière ces réformateurs et ces condamnation de l’hérésie se cache une lutte sans merci pour le pouvoir.

L’intolérance des catholiques n’a d’équivalent que celle des réformés. En 1553, Calvin condamne Michel Servet :  » Désirant retrancher de l’église de Dieu tel membre pourri. .nous te condamnons Michel Servet, à devoir être attaché à un pilori et brûlé vif jusqu’à ce que ton corps soit réduit en cendres; et ainsi tu finiras tes jours pour donner l’exemple aux autres « .

Devant la progression de la réforme, le duc de Guise, gouverneur du Dauphiné, lance la contre-attaque. D’avril 1562 à mars 1563, les Adrets, Montbrun, d’Acier, Maugiron, de Gordes, Mouvans, Nemours, Crussol et autres capitaines aventuriers rivalisent de cruauté et d’intolérance. « Plus avides de butin que de vérité religieuses », ils mettent le pays à feu et à sang. Tous se rendent célèbres par leurs exactions : Les Adrets par ses « sauteries de Pierrelatte » et ses multiples revirements d’alliances, Maugiron à Grenoble, son lieutenant chassé de la Côte par la population qui préfère Carrouges et ses 7000 protestants.

D’intolérances en autodafés, de bûchers en persécutions, l’impardonnable arrive. De Grenoble à La Rochelle, les idées de Calvin traversent la France. La Réforme s’implante dans tout le sud. Le pouvoir en place voit dans ces réformés des concurrents indésirables. Après la mise au pas des hérétiques cathares, les catholiques du nord s’attaquent à la « Religion Prétendue Réformée ».

Comme quatre siècles plus tôt avec les Almoades, l’intolérance pousse les papetiers à l’exil. Les harangues de Farel traversent les frontières aussi vite que les livres interdits irriguent les campagnes et les foires, et finissent irrémédiablement avec les chiffes dans les battoirs à papier. Par les pilharots et les imprimeurs, les papetiers sont toujours très bien informés même dans les vallées les plus reculées où se cachent les moulins. Volontiers frondeurs ils n’ont pas de mal à adopter la nouvelle religion. C’est ainsi que la foi réformée se trouve répandue dans les moulins en Vivarais et en Auvergne. Les réformés sont nombreux dans le métier du papier. La famille Montgolfier crée son premier moulin à Ambert. Un descendant, Jacques, voit sa papeterie détruite lors de la Saint-Barthélémy et s’installe en Beaujolais sous la protection du sire de Beaujeu.  » En 1577, lors de la prise de la ville d’Ambert par les protestants, on détruisit cinquante moulins situés aux abords immédiats de la ville parce qu’ils auraient pu faciliter l’approche des troupes ennemies« .  » En 1592, le duc de Nemours à la tête de l’armée des ligueurs vient mettre le siège devant la ville et met le feu à plus de 40 moulins « .

Au milieu du XVe siècle, la France est devenue la nation d’Europe la plus exportatrice de papier. En 1554, Montholon, recteur de l’Université de Paris, dit au roi :  » Est la papeterie une manufacture qui ne s’est pas ci-devant faite qu’en France, et ce sont les estrangers, mesmes ceux d’Espagne toujours fournis en France et c’est le moyen de la papeterie, plus que par autre trafic des marchandises qui se passe en France , tiré l’or estranger. Il n’y a en France mine d’or n’y d’argent et n’avons moyen de trafiquer avec l’estranger et d’avoir leur or et leur argent que par le moyen de manufacture de la papeterie « . Les battoirs sont nombreux et un document du 22 août 1567 recense 27 maîtres papetiers pour la seule ville de Thiers.

Au début du XVIe siècle, comme les frères Estienne à Paris, Christophe Plantin est humaniste et imprimeur. À Anvers, il emploie 80 ouvriers, et imprime 50 titres par an sur 16 presses. Il est considéré comme l’un des plus grands imprimeurs de l’époque. En 1568, il vient à Troyes pour acheter le papier nécessaire à l’impression de sa Bible polyglotte dite d’Alcalà commandée par Philippe II d’Espagne. Sur grand réal in-folio il imprime huit volumes en 960 exemplaires. C’est par 1000 rames à 72 sous chacune qu’il s’approvisionne. Christophe Plantin, tourangeau d’origine, « haricote » (réclame) sur la qualité des produits pour obtenir des rabais et ristournes. Les papetiers de Troyes soumis à ce chantage, s’entendent et restent fermes sur les prix sachant que pour une telle qualité seules les papeteries de Troyes sont capables de le servir. En 1533 Pierre Grognet écrit une chanson à leur gloire :

« Le bon papier est fait à Troyes, de sorte

Qu’il est le meilleur qu’autre que l’on apporte

De divers lieux, y sont imprimeurs

Bons et parfait et gens de bonnes mœurs »

Sous la protection royale, exemptés de tous droits, exempts de la collecte des tailles, du logement des gens de guerre et de la milice, dispensés de tirer à la milice, les papetiers vivent un âge d’or dans cette période troublée par les affrontements entre catholiques et réformés.

Si, en France, le livre évangélique naît modestement durant les années 1520. Durant deux décennies, la diffusion des idées nouvelles se fait de manière dispersée : plusieurs tendances se partagent le terrain et plusieurs centres typographiques, en France et ailleurs, sont sollicités par les réformateurs. Avec l’installation définitive de Calvin à Genève en 1541, la propagande religieuse par le livre prend un nouvel essor et Genève acquiert une position dominante. Après une période d’intense propagande du vivant de Calvin, le livre réformé prend une place modeste moins orientée vers la conquête de nouveaux adeptes que vers la polémique savante ou l’éducation religieuse.

Dès le XVIe siècle, certains Réformés ont parfaitement compris le rôle essentiel joué par l’imprimerie dans la diffusion des idées des Réformateurs, si, à leur suite, on ne cesse de répéter que « la Réforme est fille de Gutenberg », on ne saurait oublier que pour Luther lui-même, les livres inutiles et même nuisibles abondent. De son côté, Mathaeus Judex, dans son De typographica inventione (1566), tout en étant convaincu que l’imprimerie a fait avancer la « restauration de la pureté de la doctrine et la révélation de l’Antéchrist », se préoccupe de la mainmise des autorités civiles et religieuses sur le livre. Pendant cette période, la situation du livre n’est pas figée ; elle évolue dans le temps et dans l’espace selon les fluctuations du développement de la Réforme et selon les pays aux mentalités diverses.

 


Sources :

      • http://cerig.pagora.grenoble-inp.fr/

      • divers sites

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