SUR LES CHEMINS DE L’ECOLE … DE 1626 A 1913

Sur les chemins de l’école … de 1629 à 1913

Les écoles d’Aouste sur Sye en 1920

En France, sous l’Ancien Régime, à côté des précepteurs attachés aux enfants de la noblesse, il existait divers types d’enseignement :

•          les « petites écoles » ou écoles saisonnières ouvertes quelques mois durant l’année et payées par les communes ou les parents,

•          les écoles permanentes payées par les communes qui en avaient les moyens,

•          les écoles religieuses tenues par les Capucins ou les Frères des Écoles Chrétiennes dans les villes importantes (à Crest vers 1739),

•          les écoles protestantes : en 1599, Lesdiguières rappelle, à Crest, qu’un décret royal, suite à l’édit de Nantes, donne autorisation aux protestants de « tenir pédagogues en leurs maisons pour l’instruction de leurs enfants » (1). Les luttes religieuses mettront fin à cette tolérance.

•          Les écoles de filles sont moins nombreuses encore (malgré les recommandations de Fénelon en 1687). A Crest, « en 1631 les Ursulines enseignaient pour 20 sols par mois les élèves aisées et instruisaient gratuitement les pauvres » (1), il en était de même à Die. Les créances étaient réglées par les consuls d’Aouste (2). En 1777, à Saillans, l’institutrice leur enseignait « le catéchisme, la lecture, l’écriture et les travaux manuels » (3).

De 1625 à 1789, les archives communales conservent l’essentiel des versements des gages de l’instituteur (12 livres par mois en 1629, 72 livres en 1740). Elles indiquent aussi le nom des « maîtres d’écoles » successifs au XVIIe et XVIIIe siècle – maître d’école est une expression née au XVe siècle -. En 1692, puis en 1721, ces indemnités seront de 150 livres par an, et en 1724, elles sont aussi versées à la maîtresse d’école. Les documents consulaires nous fournissent aussi des informations sur les coûts du service (en 1625 : confection d’une clé, en 1637 : location d’un logement pendant huit mois, 1646 : copies de documents payées une livre, et réparations diverses : portes, fenêtres, tables, etc.).

Par ailleurs en 1645, les protestants « qui payent un maître refusent de consentir à la réception du nouveau maître catholique, M. Faure qu’ils trouvent préjudiciable à leurs intérêts ». Le 6 mars 1689, l’Intendant « oblige les nouveaux convertis à envoyer leurs enfants aux écoles catholiques ». Les archives consulaires indiquent aussi, que des créances des Ursulines de Die (1669 et 1680) ou de Crest (1672) n’ont pas été honorées. En 1724, M Laborit de Castellan remplace le maître d’école « malheureusement assassiné », « il offre d’élever les enfants dans la crainte de Dieu, leur apprendre de bien lire, d’escrire, et de leur enseigner l’arremétique » (2).

La recherche effectuée par Les Études Drômoises « l’Enseignement et la Révolution dans la Drôme » (3) précise que, en 1776, les enfants scolarisés doivent, à Grâne, être âgés au minimum de six ans. La durée de l’enseignement journalier reste variable selon les saisons (de huit heures par jour pendant quatre mois et six heures tout le reste de l’année). Les enfants de divers niveaux sont réunis en classe unique (souvent 50 par classe). A la veille de la Révolution, un instituteur est encore présent à Aouste (1150 habitants) alors que les petites communes avoisinantes n’ont plus les moyens de payer les gages des maîtres.

De 1790 à 1793, de Talleyrand à Condorcet, nombreux sont les projets échafaudés pour l’enseignement. Ils seront suivis de peu d’effets. Or, en 1790 « l’analphabétisme global concernait encore 63% de la population française » (4)

En 1791, le projet de Constitution prévoit la création « d’une instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite. Les enfants seraient accueillis dés l’âge de sept ans, les maîtres recrutés par examens…les locaux seraient les châteaux abandonnés… » La réalité est assez différente ; l’accès à l’enseignement reste encore pour longtemps le privilège d’une minorité.

Robert Serre indique, dans son Étude « sur les Écoles Primaires dans le district de Crest » (op cité 3 p 54), qu’à Aouste, en 1791, se pose un problème de local: « l’hôtel de ville étant insuffisant pour l’instruction de la jeunesse et qu’il faudra deux ans pour réunir l’argent nécessaire à une reconstruction ». En 1793, à Aouste, 84 enfants sont scolarisés et en 1796 la municipalité se plaindra du mauvais état des locaux ; la salle de classe a été attribuée à l’administration cantonale (2).

Mais le recrutement des enseignants est aussi difficile: ainsi l’instituteur Lapierre, désireux d’ouvrir une école, est incité le 4 mai 1794, à aller à Beaufort, car la commune lui signe « un certificat de civisme » pour qu’il « ouvre sur le champ » une école (2).

La fonction de l’école est l’apprentissage de la lecture, l’écriture, la connaissance de procédés agricoles, des arts et, essentiellement, l’éducation civique.

Les maîtres doivent aussi conduire les élèves aux fêtes révolutionnaires au cours desquelles les élèves sélectionnés récitent les cinq premiers articles de la Déclaration des Droits de l’Homme, comme à Saillans en 1794, An III de la Révolution. Il a été décidé qu’il devait y avoir une école pour 1 000 habitants mais se pose le problème du recrutement. M. Grimaud enseignera à Aouste et à Grâne. Par ailleurs, les relations avec le clergé ne sont pas apaisées : en 1794, suite à un violent différend avec le curé de Crest, M. Lapierre sera emprisonné à la tour de Crest. (op cité 3)..

A la fin de la Révolution, l’amélioration de l’enseignement ne correspond pas aux divers espoirs ; le XIXe siècle va voir de très importantes réformes.

En 1804 et 1814, les déficits publics justifieront la suppression de la gratuité de l’enseignement, sauf pour les familles indigentes. Napoléon a par ailleurs en 1802, 1806 et 1808 donné à l’Université une organisation et un statut qui se sont globalement prolongés durant plus d’un siècle.

Les lois fondamentales pour l’enseignement primaires sont celles de 1833 : la loi Guizot institue une école de garçons pour les communes de 500 habitants, puis une école de filles, liberté de l’enseignement primaire, fondation des écoles normales, enseignement élémentaire et école de la petite enfance, programme et statuts précisés (6). La loi Falloux de 1850 développe la notion de gratuité et la création d’une école de filles dans les communes de plus de 800 habitants ; elle accorde aussi la liberté d’enseignement aux congrégations religieuses. Les lois Ferry de 1881 et 1882 reverront les programmes et les disciplines enseignés, elles transféreront le financement de l’enseignement public aux communes ou aux départements.

Ceci aura localement des conséquences : à Aouste, en 1823, 60 élèves de six à treize ans fréquentent l’école primaire communale pendant les trois mois d’hiver, le reste de l’année ils ne sont plus que 30, alors qu’il y a 28 à 30 naissances par an (4). En 1838, à Aouste, sont scolarisés à l’école communale, 45 garçons et 15 filles dont 45 catholiques et 15 protestants, 15 garçons et 9 filles ne vont pas à l’école. Les causes sont : « distances trop grandes du domaine et occupations rurales ». 20 filles vont à l’école privée qui fermera provisoirement l’année suivante (4). Cependant, à Aouste, en 1850, sur les 81 ouvriers employés à la « réparation du pont », 32 d’entre eux signent d’une croix les fiches récapitulatives des salaires.

Le Comité local d’instruction publique contrôle les écoles (communales, congrégationistes ou privées. Ce comité est composé du maire, du curé, du pasteur, du notaire et de propriétaires. Il inspecte et visite les écoles et fournit un rapport à l’inspecteur. Il s’intéresse aussi à la vie privée des maîtres. Ainsi, en 1833, Joseph Lagier instituteur en classe primaire élémentaire, doit avoir un certificat de moralité. En 1838, on note, pour les services préfectoraux, si l’instituteur est laïc ou religieux. L’école communale de filles est dirigée par les religieuses comme l’atteste une lettre de l’inspecteur d’académie en 1876.

Sont toujours notées : l’indication de la religion, l’appartenance à une association, la situation familiale. C’est le préfet qui nomme les instituteurs. Rappelons aussi que,par arrêté ministériel du 30 juin 1860, « tout instituteur public doit en entrant en fonction prêter serment d’obéissance à la Constitution (modifiée en 1852) et fidélité au Président » (devenu Empereur). L’accomplissement de cette formalité est constaté par procès verbal dont la formule est adressée pour chaque nomination au maire qui la remplit et la renvoie directement à Monsieur l’Inspecteur d’Académie du département (6). En 1845, 26 chefs de famille protestants signent une pétition pour demander une école communale protestante ;la commune compte 285 protestants. C’est en 1869 que l’école mixte protestante deviendra école communale. En 1878, on aura une école primaire communale mixte dirigée par M. Evesque et une école primaire communale de garçons dirigée par M. Bourdaresche.

Les parents doivent participer au fonctionnement de l’enseignement public (abonnements annuels de 16 francs en 1874), le maire doit transmettre la liste nominative des enfants à admettre gratuitement. En 1861, il y a 7 inscrits par école, en 1866 ce sont 15 garçons et 19 filles, par contre en 1871 le sous-préfet indique au maire « que la liste des enfants à admettre gratuitement est trop étendue… le préfet engage à réviser cette liste » (5). En 1877, le nombre de garçons sera de 26. Les listes indiquent aussi les métiers des parents indigents (cultivateurs, ménagères, domestiques, journaliers) ainsi que parfois « l’origine nationale » des enfants aidés.

En 1876, les autorités préfectorales souhaitent que l’école publique d’Aouste accueille les enfants au-dessous de six ans : « cette commune renferme des fabriques dés lors il y a urgence à assurer le travail des parents en facilitant aux enfants jeunes l’entrée en classe » (5).

Ce trop rapide survol des documents archivés en mairie se doit aussi d’indiquer qu’en 1868, des cours « d’instruction primaire pour les adultes » étaient délivrés. Un document indique qu’à Allex, depuis 1856 existe une « ferme-école de Pergaud » accueillant des élèves apprentis âgés de plus de 16 ans, la formation rémunérée dure trois ans. Les programmes alliaient enseignement théorique et pratique.

Le problème des locaux apparaît. Un projet très intéressant de construction « d’une maison d’école » voit le jour en 1881 « route de Cobonne – rue de Surville.» Les plans prévoient deux écoles (garçons et filles) avec deux classes de 42 élèves chacune, un préau, le logement et les jardins de l’instituteur et institutrice ainsi qu’une école enfantine pour 60 élèves avec préau et jardin. Ce projet ne sera pas réalisé. En 1897, après vingt ans de tergiversations administratives (refus de création de poste d’adjointe à l’école de filles, refus d’autorisation de nouvelle construction…), deux classes de garçons sont aménagées lors de l’agrandissement de l’Hôtel de Ville (la Poste actuelle). Le problème des bâtiments scolaires sera plus important après 1905.

C’est en 1906 que naît le projet de construction d’un ensemble – mairie-école-préau-logements des instituteurs-, au delà de la Drôme, sur une surface totale de 710 m2. Ce sont deux écoles (garçons et filles séparés) pouvant accueillir 96 élèves répartis sur deux classes. Le coût global de la construction achevée en 1913 est de 72 400 francs. Ce projet a été réalisé, comme vingt trois autres écoles de la Drôme, grâce à une aide du ministère (5).


Notes

(1) Eugène Arnaud : Histoire et description des Antiquités ecclésiastiques et militaires de la ville de Crest en Dauphiné. éd. Gratier et J Rey Grenoble, 1903.

(2) A.C. 1594/1790 Aouste BB 3 à 24 et GG 11 et 22 : Courrier clergés catholique/protestant /écoles.

(3) Études Drômoises : L’enseignement et la Révolution dans la Drôme, mars 1989.

(4) Marianne l’Histoire : l’école de la république septembre-octobre 2011.

(5) archives communales Aouste : 1R1 enseignement primaire 1832-1880; MN 7 classes primaires 1883 1897; MN15 bâtiments : Écoles.

(6) extrait du Statut sur les écoles primaires communales 1834 (archives communales 1R1) fiche en annexe.


Voir aussi l’étude
sur « l’enseignement congrégationiste et privé catholique à Aouste »


A lire aussi:

Charles Chalamel : Le vieux Crest en Dauphiné, imprimerie  Clavel, 05 Gap, 1979, les

pages 28 et 29 consacrées aux Ursulines à Crest .

J M Chapoulie : Organisation de l’enseignement primaire de la 3ème république – 1850-1880. www.inrp.fr

Bouchet Gérard : L’école dans la Drôme,La Bouquinerie,Valence, 2006.

  • Jean Louis  Brun : Mémoire de Crestois : Chronique de l’enseignement congrégationiste et républicain, Le Crestois, 1998.


NOTA

1 – Comme l’école, la mairie d’Aouste s’est déplacée au cours des siècles. D’abord située au château, elle se trouvait, au milieu du XIXe siècle, sur l’actuelle place de l’église. Après de longs débats, à la fin de ce siècle, c’est le bâtiment de la Poste actuelle qui l’accueille, et en 1913, elle déménagera au delà de la Drôme.

2  –  Parallèlement à la formation scolaire, à partir de 1859, la formation agricole d’ Allex a une durée de 3 ans pour quelques heures par semaine, « il faut avoir 16 ans et être vacciné ». Cette formation permet « d’être bon fermier et bon régisseur ». A C Aouste : GG 11.

3 –   1946 verra l’ouverture, sur décision du ministre d’une école à une classe dans la maison Bonnet, quartier Saint-Alban. En 1962, sera construite « l’école prototype » du Pas de Lauzun, celle ci, après diverses tergiversations, sera fermée en 1985. La construction de l’école maternelle date, elle, de 1978.

4 –   L’usine Latune à Blacons dispose, à la fin du XIXe siècle d’un accueil pour les enfants commençant à marcher jusqu’à l’école primaire avec salle de jeux, c’est une employée de l’usine qui s’occupe d’eux. Les activités très diverses de la « petite école » perdureront jusqu’en 1940. Papeteries Latune Mirabel-et-Blacons Historique et témoignage – la vie sociale VIII,  Conseil municipal Mirabel-et-Blacons, 1996.

René Descours

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