L’AFFINAGE DU CHANVRE DANS LES CAMPAGNES AUTREFOIS




L’affinage du chanvre dans les campagnes



Parmi les plantes textiles, le chanvre avait naguère, en France une importance de premier ordre. Comme le lin, le chanvre fournissait une excellente fibre textile à fabriquer de la toile pour la confection des vêtements de la famille, le linge de ménage, mais aussi des cordes pour le travail de la ferme ou pour la marine et une huile très prisée.

La culture intensive du chanvre date du II eme siècle, elle aurait été importée en Gaule par les Romains en même temps que la culture du seigle et de la gesse. Mais des traces de culture qui datent d’avant l’époque Romaine démontrent que les « gaulois » cultivaient déjà le chanvre, et surtout dans la ville de Marseille. Au Moyen Âge, Marseille devient l’un des plus grands comptoirs de chanvre au monde pour l’utilisation des fibres de cannabis sur les navires et c’est la Canebière qui en est son élément central! La Canebière aurait même accueilli des plantes de chanvre pendant trois siècles (entre le 14 eme et le 17 eme ). C’est en fait sur la Canebière qu’on fabriquait et qu’on entreposait le chanvre. Tellement même que la Canebière s’appelait autrefois « Cannebis » qui vient du Provençal « Canebe » qui provient lui-même du latin « Cannabis ». A l’époque, Marseille était l’une des plus grandes cités productrices de chanvre dans le monde. Le chanvre est alors devenu en France, une denrée stratégique en raison des nombreuses utilisations de sa fibre (vêtements, cordages, voiles, …).

Parmi les plantes textiles, le chanvre occupait autrefois dans le monde et en France une place de premier ordre. 175 000 ha ensemencés en 1830, 3 000 ha en 1970 et 15 000 ha en 2000. Ce nouvel essor stimulé par de nouvelles utilisations des fibres (pâte à papier, matériau d’isolation, litières pour les animaux..)   A vrai dire peu de cultures ont subi une telle régression.

Plus tard, avec les invasions arabes, les Européens ont appris la fabrication du papier de chanvre. Ce savoir avait été acquis par les arabes au contact des chinois quelques siècles avant.

Avant la première guerre mondiale, la France était devenue la plaque tournante du chanvre au niveau mondial car l’hexagone était le premier producteur mondial avec plus de 200 000 hectares exploités !

Entre les deux guerres, en 1937, les USA instaurent le « marihuana tax act » et l’imposent aux pays Européens. Cette décision a un impact sur l’industrie chanvrière Européenne. En effet il faisait concurrence à la production de coton, au nylon et aux composés pétrochimiques pour lesquels les USA étaient les leaders de l’époque. Elle entraîne la chute de la production de chanvre sur le sol français, obligeant la France a importer la quasi-totalité de ses besoins.

Dans les années 1988, des nouvelles découvertes scientifiques ont permis de montrer les nombreux avantages et bienfaits du chanvre et ont donc rassurer l’opinion publique.

Aujourd’hui, la France a su redémarrer une production de chanvre. Elle est le troisième pays producteur mondial spécialisé dans le traitement de la fibre (derrière la Chine et le Canada). Le chanvre français, produit d’une culture très encadrée et réglementée, est principalement orienté vers le marché de l’écoconstruction et le traitement de la fibre (papier, textile, plastic biosourcé …).

La culture du chanvre textile évolue de jour en jour. ne nécessitant que très peu d’eau et d’énergie pour pousser. Elle a un fort potentiel et offre une nouvelle façon de promouvoir l’agriculture locale qui respecte la terre et le consommateur. Le chanvre pourrait remplacer certaines de nos pratiques et des produits industriels qui polluent notre planète.

Le chanvre textile (autrement dit cannabis sativa) donne la filasse pour tisser la toile ou faire des cordages. C’est une plante annuelle à racine pivotante, à tige élevée (de 2 à 3 mètres de hauteur).

Le chanvre se cultive dans les sols profonds, humides et riches ; on peut le cultiver plusieurs années de suite sur le même champ bien fumé appelé  » chènevière « . 

On semait  le chènevis fin avril début mai lorsque les gelées printanières ne sont plus à craindre, après un labour profond à l’automne, et un labour plus léger suivi d’un hersage pour préparer le semis. Il a une croissance très rapide, il est récolté en été.

En montagne, les terres alluviales des fonds de vallées lui étaient réservées 

Si l’on désire une filasse fine on devra semer dru, 250 à 350 litres de semence par ha, par contre si l’on désire une filasse grossière (cordage) 150 à 180 litres / ha suffisent.

Pendant l’Ancien Régime, son affinage est un revenu d’appoint pour les paysans. Dans les campagnes presque toutes les paroisses ont des chènevières. Cette culture du chanvre a laissé de nombreux toponymes.

Les tiges de chanvre subissent les opérations suivantes pour arriver jusqu’au tissage : le rouissage, le teillage et/ou le broyage, le peignage, le filage et le tissage.


La récolte


Vers le commencement d’août, les pieds de chanvre… commencent à jaunir, à la cime et à blanchir par le pied ; ce qui indique qu’il est en état d’être arraché. Arrivés à maturité en été, les pieds mâles étaient récoltés en premier, vers la fin juillet-début août puis les pieds femelles, vers le début septembre, ils plus grands et surtout porteurs des graines. Séparées des plants et dûment sélectionnées, certaines graines servaient de futures semences ; les autres, après passage sous la meule et la presse au moulin, servaient à produire de l’huile pour la cuisine et l’éclairage ; les tourteaux à nourrir la volaille. On tire d’abord tous les pieds mâles dont on fait des poignées arrangées au bord du champ … On a soin que les brins qui forment une poignée soient à peu près d’une égale longueur et on les arrange de façon que toutes les racines soient égales. Enfin chaque poignée est liée avec un petit brin de chanvre. Les pieds arrachés sont étendus à terre et liés en bottes. On les expose ensuite au soleil pour faire sécher les feuilles et les fleurs, et quand elles sont bien sèches, on les fait tomber en frappant chaque poignée contre un tronc d’arbre ou contre un mur, et on joint plusieurs de ces poignées ensemble, pour former des bottes assez grosses qu’on porte au routoir. Au bout de 10 à 15 jours le chanvre est rentré battu sur un tonneau ou égrené entre les dents d’un peigne.

La graine donne une huile comestible très utilisée pour les assaisonnements mais aussi pour l’éclairage dans les lampes à huile, et un tourteau riche en azote que l’on utilise comme engrais.


Le rouissage


Suivait le trempage des tiges dans les  » rouissoirs  » ou  » naïs « ,  » routoirs « , pour décoller les fibres du bois ; puis le séchage et enfin le  » teillage  » ou broyage, avec la  » braque « , afin de séparer la filasse brute de la tige, au bois résiduel autrement dit  » chènevotte « .

« Le routoir est le lieu où l’on donne au chanvre cette préparation qu’on appelle rouir ; c’ est une fosse de trois à quatre toises (6 à 8 m environ) de largeur, et de trois ou quatre pieds (0,90 m à 1,20 m) de profondeur, remplie d’eau…Cela peut être aussi une mare , un fossé ou un rivière.


Pour rouir le chanvre, on l’arrange au fond de l’eau, on le couvre d’un peu de paille et on l’assujettit sous l’eau en le chargeant avec des morceaux de bois et des pierres… On le laisse en cet état jusqu’à ce que l’écorce qui doit fournir la filasse se détache aisément de la chenevotte qui est au milieu ; et quand elle s’en détache sans difficulté, on juge que le chanvre est assez roui, et on le tire du routoir. »



Un routoir

Quand on a retiré le chanvre du routoir, on délie les bottes pour les faire sécher, on les étend au soleil le long d’un mur ou sur la berge d’un fossé, ou simplement à plat dans un endroit où il n’y ait point d’humidité. On a soin de les retourner de temps en temps, et quand le chanvre est bien sec, on le remet en bottes pour le porter à la maison, où on le conserve dans un lieu sec, jusqu’à ce qu’on veuille le tiller ou le broyer. »


Le teillage


Cette opération manuelle consiste à ôter l’écorce de la tige du chanvre. On commence par casser la tige au-dessus de la racine pour dégager les fibres de la chènevotte (qui est la partie ligneuse qui subsiste après qu’on a enlevé la filasse), puis on passe le pouce entre la fibre et la tige, et on le fait glisser le long de celle-ci jusqu’à l’extrémité. Ce travail simple parait un peu long, néanmoins comme il s’exécute dans des moments perdus, et aussi par les enfants qui gardent les bestiaux.


Le broyage


Le broyage a aussi pour but d’extraire la filasse de la chènevotte. Il consiste à briser la tige du chanvre et à en détacher la plus grande partie. Cependant la filasse ainsi obtenue est encore bien rugueuse. Il faut l’assouplir pour lui donner la douceur nécessaire à la qualité de la toile.

Deux façons de procéder; soit au moyen du battoir, soit au moyen du fer à espader. (Voir planche 1)

Dans les fermes où il n’y avait pas de battoir, on se servait du fer à espader. C’est un fer plat plié aux extrémités que l’on fixait à un pilier, de manière qu’il forme une sorte de coulant. L’affinage des fibres se faisait en frottant fortement la tresse dans ce coulant par un mouvement de va-et-vient. Les  » espadeurs « , débarrassent les petites parcelles de chenevottes restantes, ou des corps étrangers ; feuilles, herbes, poussière, et séparent du principal brin l’étoupe la plus grossière.

On se servait autrefois, pour les tiges les plus courtes d’un outil rudimentaire appelé broie, composé d’une mâchoire en bois entre laquelle on faisait passer la plante rouie. C’était l’écangage. Plus tard cet outil modifié remplacera le teillage à la main.




La broie est une sorte de chevalet percé de quatre longues rainures dans lesquelles viennent s’emboîter quatre lames de bois fixées à un manche muni d’une poignée. Pour broyer le chanvre, la personne frappe les tiges avec cette sorte de couteau qui peut entrer dans les rainures, jusqu’à ce que toute la chènevotte soit tombée et qu’il ne reste plus que la filasse dans la main.

Plus tard cet outil est modifié remplacera le teillage à la main, c’est le battoir.

Au Moyen-Âge on utilisait des levées de bois qui retombaient de tout leur poids sur la filasse d’où le terme de battoir, on trouva par la suite plus commode l’écrasement de la filasse par une pierre tournante. Le terme est resté pour les moulins installés à cheval sur le ruisseau. Ces moulins étaient entraînés par une roue horizontale à cuillères placée sous le plancher du bâtiment. L’axe le traversait en son milieu pour aboutir à une potence en traînant la meule en pierre tronconique.

La filasse destinée à faire des cordes, ne nécessitait pas le passage au battoir.

Depuis le XIXeme siècle, on emploie des turbines à teiller munies de cylindres cannelés qui broient les tiges. Ces machines font pendant le même laps de temps le travail de 400 teilleurs à la main.



Battoir et moulin à chanvre


Le peignage


Une fois la filasse préparée, il restait à la peigner. Cette opération souvent faite par des peigneurs ( ferrandiers) itinérants, consistait à frapper la filasse par poignée sur des plaques garnies de longues dents effilées (le peigne ou séran) tout en tirant à soi le chanvre pour le diviser en fibres de plus en plus fines, les paralléliser et les débarrasser des derniers restes ligneux. Travail très pénible et malsain occasionnait de graves maladies pulmonaires. Le peigneur de chanvre élaborait des « queues de chanvre » mises en poupées. Ce sont les dents des peignes qui doivent achever cette séparation, elles doivent comme l’on disait, « refendre » le chanvre.

Deux sortes de peignes étaient utilisées : le peigne à dégrossir muni de 42 dents de 17 cm de longueur; puis le peigne à affiner qui lui comptait le même nombre de dents mais plus courtes. (voir planche 2)

Au XVIIIeme siècle, un peigneur peut préparer jusqu’à 80 livres de chanvre par jour. Il ne fallait peigner le chanvre qu’à mesure de ses besoins

La filasse ainsi traitée pouvait être mise en poignées faisant chacune la charge d’une quenouille, en utilisant les queues de chanvre. Les fileuses tiraient le fil qu’elles enroulaient sur le fuseau et élaboraient le fil, destiné à la fabrication de la toile nécessaire aux besoins de la famille. Le fil est ensuite mis en écheveaux, à nouveau lavé, puis en pelotes destinées à être employées par le tisserand ou par le cordier pour la fabrication de toile ou de corde.

Le chanvre le plus grossier était destiné aux cordiers. Une machine à corder est animée par rotations inversées. Elle est constituée de trois parties, nécessitant trois personnes qui devaient être mobilisées pour l’utilisation de cette machine.

  • A une extrémité, une planche comportait quatre attaches rotatives sur lesquelles étaient fixés des fils de chanvre.
  • Ces fils étaient ensuite reliés à un « toupin », permettant de les positionner et d’effectuer le « toronage » en réunissant les fils en un seul groupement.
  • La corde en formation était alors attachée à une dernière extrémité composée d’une manivelle, qui était apposée sur un socle fabriqué en pierre de leste.



Des toupins


Avant que le fil soit enfin apte au tissage, il fallait l’adoucir : après l’avoir lavé et battu dans l’eau, on le mettait dans un cuvier à raison d’un lit de fil surmonté d’un lit de cendres ordinaires alternativement et ainsi de suite.

On faisait bouillir pendant une journée en remplaçant l’eau au fur et à mesure de son évaporation. De nouveau le fil était porté à la rivière et battu jusqu’à ce qu’il rende une eau claire. L’ensemble de l’opération était renouvelé une seconde fois puis le fil après avoir bien séché (le séchage dont dépendait la couleur du chanvre) était enfin prêt pour le tissage. Dans les ateliers plus importants les divers lavages et passages s’effectuaient sous la meule du « foulon » afin de blanchir et assouplir le chanvre.



Métier à tisser le chanvre


Sur son métier à tisser, le tisserand fabrique des rouleaux de toile, mesurés en « aunes » (1,18 mètre). La machine à tisser est composée d’un cadre en bois dans lequel des tiges fabriquées en chêne sont fixées sur les deux extrémités horizontales. Les fils sont suspendus à la première tige, et sont passés au dessus puis en dessous d’une autre tige de chêne.

De grandes pièces de toile, cousues entre elles dans le sens la longueur, constituaient les draps de lit. En fin de chaîne, le tailleur confectionnait des vêtements pour toute la famille, en particulier, des chemises.

Ces tâches demandent bien du travail pour peu de filasse. Leur mécanisation à la fin du XVIIIe siècle fait disparaître cette activité… et le revenu qu’en tire les paysans !

De nos jours, le chanvre s’est de nouveau glissé sous les feux des projecteurs et connaît un net retour en grâce, mise à profit, pour fabriquer des vêtements et des farines, mais aussi de la bière, des cosmétiques, des matériaux d’isolation, etc.

Après des années de prohibition dans de nombreux pays dans le monde, les populations commencent à renouer avec le cannabis et à comprendre que c’est bien plus qu’une substance psychotrope.


Planche 1


Fig. 10. Mâchoire supérieure de la broye vue par dessous. On voit qu’elle est fendue dans toute sa longueur pour recevoir la languette du milieu de la mâchoire inférieure, et former avec celle-ci deux languettes ou tranchants mousses propres à rompre et briser la chenevote.

Fig. 11. La broye montée : la mâchoire supérieure est retenue dans l’inférieure par une cheville qui traverse tous les tranchants.

Fig. 12. Chevalet simple

Fig. 13. Chevalet double

Fig. 14. Une des planches du chevalet, soit simple, soit double.

Fig. 15. Espadon (grand couteau à deux tranchants) vu de face en A, et de côté en B.


Planche 2


Fig. 6. S, Grand peigne ou seran garni de quarante-deux dents de douze à treize pouces de longueur (environ 32 cm). Il sert à former les peignons.

Fig. 7. T, Peigne à dégrossir, garni du même nombre de dents de sept à huit pouces de longueur (environ 21 cm).

Fig. 8. V, Peigne à affiner. Les dents en même nombre ont quatre ou cinq pouces.

Fig. 9. Peigne fin de trente-six dents .

Fig. 10. Fer à espader : fer séparé du poteau auquel il est attaché dans la vignette. La branche coudée qui traverse le poteau en B étant terminée en vis, est reçue dans un écrou. C, représente une autre manière de le fixer : c’est une clavette double qui traverse la branche coudée, et l’empêche de sortir.

Fig. 11 et 12. Frottoir.


Sources :

  • www.culture.gouv.fr%2FMedia/Les%20savoir-faire%20du%20chanvre%20textile-1.pdf
  • https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9979q.image
  • Encyclopédie Diderot et d’Alembert

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