UN PRISONNIER D’ÉTAT AU XVIIIe SIÈCLE

 

Jean Charles Guillaume Le Prévot dit de Beaumont

 

La captivité de ce prisonnier, qui a duré vingt deux ans et deux mois, a eu pour origine un acte de patriotisme et de courageux dévouement.

Voici son histoire

Avocat à, Paris, dans une position honorable, investi de la confiance du clergé de France dont il était secrétaire et avocat, le Prévôt découvrit un jour, en 1768, par un effet du hasard, des documents administratifs et de la correspondance diplomatique, conservée au ministère des Affaires étrangères, qui lui parurent ne laisser aucun doute sur l’existence d’un pacte, soupçonné, d’ailleurs, depuis longtemps, auquel on devait attribuer les déplorables famines qui désolèrent successivement les provinces.

Ce pacte de famine qui visait à acheter à bas prix et d’accaparer le blé de France et de le stocker afin de le faire enchérir les années de bonne récolte, et de le rendre plus cher encore les années de disette, afin de revendre à un prix exorbitant ce qui était gardé dans des magasins hors du royaume et notamment dans les îles de Jersey et Guernesey. Pendant les années de disette, l’administration faisait acheter du blé à l’étranger pour nourrir la population du royaume.

Le 14 décembre 1763, François de L’Averdy est nommé comme contrôleur général des finances. Le 12 juillet 1765, le contrôleur général passe un contrat à bail pour le Royaume de France, pour douze ans, à trois hommes d’affaires ( Roi-de-Chaumont, Perruchot, Rousseau) pour faire stocker tous les grains. De l’Averdy sera secondé dans cette entreprise par trois intendants (Trudaine de Montigny, Boutin, Langlois), trois lieutenants de Police, six ministres, des membres du Parlement et des commis). Débute la spéculation sur le commerce des grains à partir de la libéralisation de ce commerce dès 1763-1764 qui eut pour conséquence d’affamer le peuple. Il y eut de fait une alliance objective entre gouvernants qui faisaient les lois et spéculateurs pour faire sur cette spéculation d’importants profits.

Persuadé qu’en révélant ce pacte il ferait un acte d’humanité et rendrait un immense service au pays, le Prévôt adressa un mémoire explicatif au Parlement de Rouen, qui passait pour être le plus sévère à l’égard des accapareurs. (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1519242g/f1.item)

Son mémoire ayant été malencontreusement intercepté par la police, il fut arrêté le 17 novembre 1708 et conduit à la Bastille.

Transféré successivement de la Bastille à Vincennes, de Vincennes à Charenton, de Charenton à Bicètre, il éprouva tour à. tour l’horreur de ces quatre prisons d’État. Couché presque nu, les chaînes aux pieds et aux mains, sur un grabat en forme d’échafaud , couvert d’un peu de paille réduite en fumier infect, ne recevant que trois onces de pain par jour et un peu d’eau pour tout aliment, il survécut à toutes ces tortures.

Possesseur d’un secret qui oppressait sa conscience, il écrivait, écrivait toujours, jusque sur les murs de ses cachots. On saisissait ses papiers, on les détruisait ou on les détournait; il recommençait par tous les moyens qu’il pouvait inventer.

On le changeait de cachot. Plus d’air, plus de lumière; il résistait encore : on essaya de le dompter par la faim : on réduisit sa ration à trois demi-livres de pain et un petit pot d’eau tous les huit jours, et il ne savait même où placer cette petite provision pour la conserver. « Les rats la sentaient, raconte-t-il, et je ne voulais pas m’en plaindre, parce que, plus officieux que mon geôlier, ils m’avaient, par leur travail dessous les portes de mon cachot, procuré un filon d’air qui m’empêchait d’étouffer, dans un lieu hermétiquement fermé; le défaut d’air fait plus promptement périr que la faim. » Dieu et les rats aidant, le prisonnier . réussit encore à vivre.

Louis XV était mort, Louis XVI était monté sur le trône. Les ministres se succédaient.

De temps en temps, on venait faire une visite officielle d’apparat dans la prison.

Le prisonnier protestait, renouvelait énergiquement ses révélations. « Ce pacte existe, criait-il, je l’ai vu ». On passait et on s’éloignait rapidement de ce prisonnier dangereux.

Sa famille réclamait au dehors et multipliait les instances et les sollicitations; on lui répondait avec ce laconisme cruel : Rien et faire. Il espérait, il attendait et écrivait toujours du fond de sa basse- fosse. Ni la soif, ni la faim, ne pouvaient amollir cet homme a tête de fer, cet incorrigible.

On le transporta à Bicètre , en le traitant de fou. Toujours indomptable, il faisait encore entendre là le cri de sa conscience que rien ne pouvait étouffer. Cependant un moment vint où un nouveau lieutenant de. police, de Crosne, adoucit le sort du prisonnier et le fit transférer à Bercy dans une maison de force, où l’on espérait qu’il se ferait oublier et qu’il s’oublierait lui-même; mais les événements qui se précipitaient déjouèrent ces prévisions.

Le 14 juillet 1789, le Prévôt aperçut de Bercy une fumée noire sur le faubourg Saint-Antoine. C’était la Bastille qu’on prenait.

Pendant trois jours, le prisonnier regarda tomber cette forteresse, attendant toujours sa délivrance: Sa délivrance n’arrivait pas.

Ce fut le 5 septembre seulement qu’après diverses péripéties, il parvint à recouvrer la liberté, grâce aux récents décrets de l’Assemblée nationale et à la sollicitude du ministre, le comte de Saint Priest.

Libre enfin, le Prévôt, qui semblait, selon les expressions de l’auteur de l’Histoire des Montagnards, Alphonse Esquiros, un revenant sorti de la tombe, s’empressa de publier une brochure intitulée:« le Prisonnier d’État, ou Tableau historique de la captivité de J.-C.-G. le Prévôt dit de Beaumont durant vingt-deux ans et deux mois, écrit par lui-même. Paris, 31 décembre 1790. »

Dans cette brochure, il raconte en détail toutes les souffrances qu’il a endurées; et publie en même temps ce terrible secret qui le tourmentait intérieurement et qu’on avait voulu ensevelir avec lui.

Ce secret était celui d’un pacte aux termes du-quel la France était donnée à bail pour douze années à quatre millionnaires désignés par noms, qualités et domiciles, lesquels masquaient toute une ligue comprenant les personnages les plus puissants de l’État : on y avait. imaginé une série de mesures qui avaient pour effet d’établir méthodiquement des disettes par l’accaparement des blés et farines, pour le plus grand profit de la ligue.

Ce pacte, qu’on a flétri du nom de pacte de famine, quoi qu’on en ait contesté l’existence, est aujourd’hui un fait tristement acquis à l’histoire, notamment relatée dans Histoire parlementaire de la révolution française, tome II, de Buchez et Roux, page 461 et suivantes.

Le Prévôt, malgré les nombreuses années qu’il avait passées dans les prisons et tout ce qu’il avait souffert, vécut longtemps encore. Retiré en Normandie, dans une petite ville voisine de celle où il était né, à Bernay, sans autre ressource qu’une modique pension, qui lui avait été accordée par l’État à titre de dédommagement de son injuste captivité et de la perte de sa fortune, dont il avait été dépouillé au moment de son arrestation, il s’est, éteint le 22 décembre 1823, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans.

Une étude historique a été publiée par un des compatriotes de le Prévôt, M. E. Lemercier, le ‘Prévôt dit de Beaumont, prisonnier d’État. Bernay, Miaulle-Duval; Paris, Dentu.



Le mémoire : https://www.beaumont-le-roger.fr/je-visite/personnalites/jean-charles-guillaume-le-prevot/

 

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