Tisane du XVIIe siècle pour la santé
(D’après « Revue d’histoire de la pharmacie », paru en 1984)
Un prospectus du XVIIe siècle, pareil à de nombreux du même type publiés à cette époque, vante les mérites d’une fabuleuse « tisane de santé », rejoignant les nombreux remèdes fantaisistes qui firent la fortune, souvent éphémère, de charlatans abusant de la crédulité des malades toujours prêts à tout essayer dans l’espoir de soulager leurs maux
Ce prospectus du XVIIe siècle porte en exergue la pensée latine Unicuique Deus mandavit de proximo, suivie de la traduction « Dieu ordonne à un chacun de prendre soin de son prochain comme de soi-même » — ce qui montre d’ailleurs qu’il faut quatorze mots en français pour traduire cinq mots de latin.
Il s’agit d’une « excellente tisane de santé, bonne à prendre par toute sorte de personnes, soit en maladie pour recevoir guérison ou en santé pour s’y maintenir et conserver bonne, même aux petits enfants, et surtout très bonne aux vieillards, et très fort expérimentée ».
La recette en consiste à prendre « une demi-mesure d’avoine de la meilleure, bien nette et lavée, et une petite poignée de racine de chicorée sauvage nouvellement arrachée ». On met le tout à bouillir dans « six pintes d’eau de rivière » pendant trois quarts d’heure « à moyen bouillon », puis on ajoute une demi-once de cristal minéral (nitrate de potassium) et trois ou quatre petites cuillerées de « miel à manger, choisy du meilleur ». On remet à bouillir tout ensemble pendant une demi-heure, puis on passe sur un linge, on met l’eau qui en sort dans une cruche et on laisse refroidir.
Le mode d’emploi prévoit de prendre la matin à jeun « deux bons verres (demeurant quelque heure de temps sans manger) et sur l’après midy trois ou quatre heures après son diner encore deux autres verres et continuer ainsy pendant l’espace de quinze jours, et ce sans besoin de garder le lit, ny la chambre, sans besoin de saignée, bouillons, oeufs frais ny autre délicatesse, mais aller et agir à ses affaires ordinaires et vivre ainsy qu’à la coutumée, comme si on n’avait rien du tout pris ».
Ce « breuvage » est facile à prendre, « fort doux en ses opérations », ne donne « aucune tranchée ny émotion quelconque », mais « il purge parfaitement les reins, fait fort uriner, cracher et moucher, décharge le cerveau, nettoye les poulments, le foys et la ratte, chasse toute ordure, putréfaction et malignité interne, ensemble tout mal de tette, toute gravelle et jusqu’à la pierre nouvellement formée, toute fièvre tierce, quarte même invétérée, toute colique et mal de coté, toute galle graiette et cloux, toute importune pesanteur et lassitude de membres, assoupissemens. Il réveille les sens, égaye la veüe, ouvre l’appétit, dans la nuit fait bien reposer et dormir, il rafraichit et engraisse, donne force et vigueur et entière santé, et semble encore opérer et bien faire jusqu’à un et deux mois après qu’il a été pris et avec tout cela il est fort nourrissant ».
Il a « tant de vertu et de bénignité » qu’on peut en prendre tous les jours « à l’exception toutefois du temps des grandes froidures et gelées », tandis qu’il est spécialement recommandé « lors des grandes chaleurs d’été qui est la meilleure de toutes les saisons et la plus propre pour user de cette ptisane de santé ».
L’auteur du prospectus expose que cette « bonne et bienfaisante » tisane a été expérimentée par le supérieur de Sainte-Catherine, médecin très célèbre, lequel en prenait trois fois l’année, avant l’hyver, vers Pacques, et dans les plus grandes chaleurs de l’été, et par la vertu de ce remède a vécu jusques à près de six vingt ans ».
Bien d’autres personnes en ont également éprouvé les heureux effets, dont une « demoiselle veuve déjà avancée en âge grièvement tourmentée depuis quinze ans d’un mal de tette… insupportable, sur laquelle tous les remèdes humains éprouvés pendant un si long tems n’avoient pu rien faire, son mal toujours empirant avec une défluxion tombée sur son bras gauche devenu froid et sans plus aucun mouvement ».
Elle était « hors de toute espérance » lorsque, ayant entendu parler de cette tisane, elle en prit « vers la pentecôte dernière 1665 » et en obtint un si grand succès « qu’elle s’est veüe en peu de jours entièrement dégagée de son mal de tette, et ensemble son bras froid, languissant et comme mourant a aussytot repris sa chaleur ordinaire et s’en ayde comme de l’autre bras ». Et la demoiselle d’admirer la vertu d’un remède « si simple et innocent qui semble avoir quelque chose de plus miraculeux que de medicinal ».
Après avoir invoqué « la vertu du Tout-puissant qui se sert ordinairement des choses les plus petites pour en faire ses plus grandes oeuvres », l’auteur termine par deux précisions. Un tel remède s’adresse évidemment aux pauvres, auxquels il faut le faire connaître, car :
Selon qu’aux pauvres bien ferés
ainsy Dieu vous recevrez.
Et on peut se le procurer « à Paris, chez Antoine Raffle, rue du Petit Pont, à l’Image St-Antoine ».