Sommaire
TogglePlumes, encriers et crayons jadis
Si plumes métalliques et plumes d’oie sont toutes deux usitées au Moyen Âge, les premières ne commencent à réellement s’imposer qu’à la fin du XVIIIe siècle.
Les plumes métalliques et les plumes d’oie
Les grands écrivains de la première moitié du XIXe continuent même de leur préférer les secondes, l’encrier, accessoire indispensable, ne devenant hermétique qu’au début du XVIIIe siècle. Quant au crayon à papier, plaque ronde avant de se faire cylindre, il doit aux artistes et architectes son essor à la Renaissance, importé d’Angleterre avant que le Français Conté parvienne à s’affranchir du plomb qu’il contenait.
Le livre de Job, qui date, on le sait, de 14 siècles avant Jésus-Christ, renferme les deux versets suivants reproduits dans le Larousse au mot Plumes : « 23. — Plût à Dieu que mes paroles fussent écrites ! Plût à Dieu qu’elles fussent tracées dans un livre ! 24. — Avec une plume de fer et avec du plomb, qu’elles fussent gravées pour toujours dans le roc ! »
C’est ce qu’on peut appeler le désir avant la réalité, à moins que le fer ne doive être considéré, ici, comme une pure image destinée à mieux faire ressortir la dureté de la plume. Il y a toutefois, dans la Bible, une autre allusion aux plumes métalliques, prêtant moins à la controverse. C’est le premier verset du chapitre XVII de Jérémie, lequel commence ainsi : « Le péché de Yehouda est écrit avec une plume de fer ».
Les plumes métalliques et les plumes d’oie
Les plumes métalliques étaient connues des Romains. L’on peut lire, à ce sujet, un très curieux article de Schuermans, premier président de la Cour d’appel de Liège, inséré en 1874 dans le Bulletin de l’Institut archéologique liégeois (tome XII, page 186). Le savant archéologue, décrivant une plume à écrire et un encrier, tous deux en bronze, figurant au Musée archéologique liégeois et qu’on y avait présentés comme des antiquités de l’époque romaine trouvées à Tongres, prouve leur parfaite authenticité.
Le chanoine Gal, prieur de la collégiale de Saint-Pierre et Saint-Burs, à Aoste, possédait dans sa collection d’antiquités romaines une plume en bronze, fendue, trouvée dans un tombeau parmi des lampes et des vases lacrymatoires. Ce n’est pas une plume, à proprement parler, puisque l’objet est en bronze d’une seule pièce, mais l’extrémité inférieure porte une fente absolument semblable à celle des plumes d’oie ou de fer employées par la suite.
Encriers et stylets gallo-romains
Les roseaux d’argent, pour écrire, étaient connus bien avant les patriarches de Constantinople. Un poète grec qui séjourna assez longtemps à Rome et fut en relations avec plusieurs membres de la famille impériale, Crinagoras, de Mytilène, envoyait à Proclus, jeune noble qui faisait ses études, pour son jour de naissance, une plume d’argent (Anthologie Grecque, chap. VI). Du reste, des plumes en métal avaient été déjà découvertes à Avenches (Suisse), à Nîmes, à Bavay, lors des fouilles exécutées pour la restauration de l’amphithéâtre, en 1860, par Revoil, architecte du gouvernement. La plume du Musée de Liège est, elle, fendue et taillée comme le furent nos plumes modernes.
On écrivait quelquefois, au Moyen Âge, avec un « stylus métallique » ou, peut-être, avec une plume métallique ; avec le premier, sur la cire, et avec la plume sur le parchemin ou le vellum. On trouve à Trinity-Collège, à Cambridge, une illustration manuscrite d’Eadwine, moine de Canterbury, et, à la fin, l’écrivain est représenté une plume métallique à la main.
René de Belleval, dans un très savant volume sur la première campagne d’Edouard III en France (publié en 1864), dit à propos des pièces fausses fabriquées par Robert d’Artois : « Un clerc de Jeanne écrivit les pièces et se servit d’une plume d’airain pour mieux déguiser son écriture. » Ce fait rappelle le grand reproche que faisait à la plume de fer un maître écrivain du XIXe siècle, Chateaubriand : « Plus dure, plus géométrique et, aussi, moins personnelle. »
Si l’on s’en rapporte au Livre Commode des Adresses de Paris (1692), André Dalesme, mort en 1727, membre de l’Académie des sciences, aurait été le premier à fabriquer des plumes d’acier, mais, pendant près de quarante ans, il n’en fut plus question jusqu’au jour où, dans son numéro du 18 mai 1772, l’Avant-Coureur, Journal où sont annoncés les objets particuliers des sciences, de la littérature, des arts et métiers et de l’industrie, publia sous le titre de : Plumes économiques d’Angleterre, en acier, propres pour écrire, la notice suivante :
« Ces plumes ne sont point sujettes à s’émousser et forment toujours le même caractère d’écriture. Elles sont, pour cette raison, très propres aux personnes, aux dames surtout, qui n’ont point l’habitude ou ne veulent point se donner la peine de tailler leurs plumes. Comme ces plumes d’acier sont ajustées à des plumes ordinaires, elles sont aussi légères et d’un usage aussi facile. On en trouve à choisir chez le sieur Fontaine, marchand bijoutier à Paris, rue Dauphine, carrefour de Bussy, au Médaillon Royal. Prix : 1 livre 10 sols, chaque plume. »
Bizarrerie des choses d’autrefois : la plume d’oie était née chez les plumassiers de plumes à chapeau ; la plume d’acier faite, elle aussi, pour écrire, élisait domicile chez un marchand-bijoutier. Du reste, étant donné son prix de 1 livre 10 sols par unité, l’on conçoit facilement qu’elle ne fut pas d’usage courant. Économiques par leur titre, et peut-être d’usage, elles ne l’étaient en tout cas point d’achat, et il est permis de croire qu’elles ne durent donner à leurs premiers acheteurs que médiocre satisfaction, car, quelques jours plus tard, c’est-à-dire le 22 juin, le sieur Fontaine insérait, dans le même Avant-Coureur, une nouvelle notice pour défendre sa fabrication :
« On a objecté que les plumes étaient susceptibles de se rouiller, et que, par conséquent, elles ne pouvaient point durer longtemps. Le sieur Fontaine a déjà répondu que, si on se donne le soin de les laver et de les essuyer aussitôt qu’elles ont servi, on n’a rien à appréhender de la rouille ; mais, pour épargner même ce soin à ceux qui s’en serviront, il débite de l’encre de composition qui ne mord point sur l’acier et qui peut contribuer à conserver ces nouvelles plumes dans le même état. »
Après quelques nouvelles réclames, suivies de quelques nouvelles objections dans la même feuille publique, les plumes d’Angleterre semblent avoir disparu, mais on les verra revenir, peu de temps après, refrancisées. Nouvel exemple de ce constant échange d’inventions entre la France et l’Angleterre. La Gazette de France, du 12 septembre 1777, annonce, en effet, des « Plumes économiques, garanties trois ans », d’un sieur Arnoux, dont le bureau se trouvait être « chez le sieur Barrachin, négociant-commissionnaire, rue Saint-Nicaise, ainsi qu’à la Manufacture de la rue des Juifs ».
Mais voici qui est plus curieux encore, et qui prouve, à nouveau, que les plus fameuses inventions ne sont jamais que du réchauffé, du déjà vu, car l’auteur du Journal d’un Voyage à Paris (1657), publié par Faugère, parle de plumes à réservoir qui contenaient, dit-il, « assez d’encre pour escrire de suite une demy main de papier » et qui ne se vendaient que dix francs — moins cher que les plumes d’acier de 1772. Et ces plumes à réservoir durent se fabriquer un certain temps puisque l’on voit le sieur Cabaret, marchand-papetier, À l’Aigle d’or, inscrire sur la liste des objets en vente chez lui en 1704 : Plumes sans fin en or et en argent ; puisque l’on voit figurer, à la vente des effets précieux de S. A. R. le duc de Lorraine, en 1787, des plumes qualifiées : plumes perpétuelles, absolument comme si l’on était en plein XIXe siècle.
Le premier usage des plumes métalliques est attribué aux solitaires et aux religieux de Port-Royal, qui les taillaient dans le cuivre. Voici la note que nous trouvons dans Sainte-Beuve (Port-Royal, III, page 513) : « On doit à Port-Royal l’usage des plumes de métal qui ont fait gagner bien du temps aux élèves et leur ont épargné bien des petites misères. » Fontaine écrivait à la sœur Elisabeth-Agnès : « Le Féron, le 8 septembre 1691. Si je ne craignois d’être importun, je vous demanderois si l’on taille encore des plumes de cuivre chez vous ; en ce cas, je prierais notre Révérende Mère de m’en donner quelques unes. Ce serait une grande charité pour un petit peuple de la campagne où nous sommes, dont on veut bien prendre quelque soin. »
Après les plumes d’Arnoux dont nous venons de parler, il convient de mentionner les plumes lancées en l’an X par un fabricant du nom de Barthelot, et sur lesquelles le Moniteur de la même année, devait s’exprimer comme suit : « On ne taille pas ces plumes, qui ont été approuvées par l’Athénée des Arts et admises par le jury d’examen des objets d’art à l’Exposition publique de l’année. Ces plumes sont d’argent préparé exprès, et infiniment supérieur pour la durée et par son élasticité à l’argent ordinaire, ce qui les rend aussi douces que des plumes d’oie. »
Ces plumes, d’un prix assez élevé, si l’on s’en rapporte aux annonces de l’époque, ne semblent pas avoir eu un grand succès auprès du public écrivant. Du reste, les inventions, les spécialités, se suivaient sans porter atteinte au succès de la plume d’oie ; malgré les avis favorables des spécialistes du métier, les plumes de fer n’étaient employées que tout à fait exceptionnellement par certaines personnalités, et il en fut ainsi jusqu’au jour où les Anglais conçurent l’idée de les fabriquer sur une grande échelle.
Wyse, vers 1803, avait donné les premiers types commerciaux dans sa manufacture établie à Birmingham ; mais, à cause de la qualité médiocre des produits, il fallut un certain temps pour que la nouvelle industrie pût se propager. Vers 1820, on imagina de substituer des tôles d’acier aux feuilles de cuivre mises en œuvre jusqu’alors ; il en résulta, pour la fabrication, une amélioration sensible à laquelle contribuèrent également les nouveaux procédés d’exécution trouvés en 1830 par Joseph Gillot, le véritable vulgarisateur de la plume, et James Perry, de Londres.
Des années durant, l’Angleterre fournit ainsi le monde entier de plumes métalliques. Vainement, en 1807, Barthelot, associé à un nommé Bouvier, puis Dejernon, en 1820, essayèrent d’implanter cette industrie à Paris. Elle ne devait pénétrer en France que bien plus tard, c’est-à-dire en 1846, avec la manufacture que Blanzy et Poure établirent à Boulogne-sur-Mer, À partir de ce moment, il est vrai, ce fut le succès, car, en peu d’années, cette manufacture acquit une importance telle que les plumes françaises firent partout une rude concurrence aux plumes anglaises.
On sait que les premières plumes métalliques ne pouvaient se faire qu’à la main : Perry, fabricant anglais, dont le nom vient d’être cité, les paya jusqu’à 4 fr. 35 pièce (plumes d’acier) ; au détail, il arriva que ces mêmes plumes se payaient 25 francs (eu égard, il faut le dire, à la nouveauté de l’objet). Et encore étaient-elles loin de valoir celles dont on se servait un siècle plus tard. Après même que plusieurs manufactures en eurent établi, le prix d’une plume d’acier demeura longtemps de 5 francs ; puis il descendit à 2 fr. 50, enfin à 0 fr. 70 ; pendant une assez longue durée ce fut le prix normal.
Échoppe d’un écrivain public. Estampe du XVIIIe siècle
Les plumes métalliques ne devaient pas être seulement en acier. De tout temps, on en fit en argent, en platine et en or. « Envoyez-moi des plumes d’or, si vous avez de la monnoie, je suis las de vous écrire avec des plumes d’oison », écrivait Voltaire à Thieriot, le 26 novembre 1738. La carte-adresse du papetier Cabaret ne fait qu’enregistrer à nouveau et confirmer l’existence normale, connue, de ces plumes en métal précieux. Bien avant, Juste Lipse, le savant jurisconsulte, dans son testament dressé en 1606, consacrait à la Vierge « sa plume d’argent ». Plusieurs inventaires du XVIIe font, du reste, mention « d’estuvs » contenant des plumes d’argent.
Le XIXe siècle, en sa seconde moitié, n’a pas vu seulement triompher la plume métallique, de fer ou d’acier ; il s’est complu à orner la plume d’inscriptions et d’ornements ; il a même créé les plumes des grands hommes. Ce n’est pas sans une certaine surprise qu’on lit dans Le Manuel du Marchand-Papetier (1828) : « Comme tous les objets de fantaisie, les plumes métalliques ont eu leur vogue, mais, dans l’opinion des écrivains, elles ont, depuis longtemps, perdu la majeure partie de leur mérite. Aussi sont-elles peu demandées et je ne les cite ici que pour mémoire. » En réalité, cela ne devrait pas surprendre outre mesure, car c’est seulement vers 1839 que les plumes métalliques commencèrent à se répandre dans le public. Alexandre Dumas, George Sand, Gustave Flaubert, Victor Hugo, la plupart des grands écrivains de la première moitié du XIXe siècle se servirent, presque toute leur vie, de plumes d’oie.
J. Alexandre, de Birmingham, l’inventeur des plumes en acier doublement cémenté, devait être également l’inventeur de la plume à noms et à portraits de personnages célèbres. Il créa la plume Humboldt, la plume du grand Humboldt, sans doute parce que, comme le savant illustre, il s’appelait Alexandre. Alexandre Humboldt, cela faisait bien, si bien, même, que d’aucuns s’y trompèrent, oubliant que le vrai était mort en 1809. Les plumes Humboldt donnèrent le signal d’une industrie, d’une création nouvelle : la plume avec le portrait des grands hommes. Combien de premiers ministres, combien de politiciens de haute envergure, combien de littérateurs en renom devaient être ainsi emplumés. On vit la plume Jules Favre, dite pas un pouce du territoire ; la plume Gambetta, qui semblait s’envoler dans les airs ; il y eut la plume Thiers, la plume du maréchal Mac-Mahon.
Et, comme tant d’autres objets, le porte-plume se trouvera être, suivant le goût du moment, de toutes formes, de toutes matières, en bois ou en métaux divers. On verra des porte-plumes en cuivre composés de tubes rentrant les uns dans les autres, véritables étuis de poche, en réalité ; on en verra en forme de pinces, les deux mâchoires se trouvant réunies par un coulant ; on en verra en ivoire découpé et ciselé, en os, également, avec les fameuses petites vues photographiques placées en un trou au haut du manche, le grand succès, la grande joie des enfants aux approches de 1865 ; on en verra en métaux précieux enrichis d’émaux et d’élégantes damasquinures.
Les encriers
Il ne faut pas confondre, ainsi qu’on le fait trop souvent, l’encrier et l’écritoire : l’encrier est un petit réservoir, un petit vase, destiné à recevoir et à conserver l’encre pour écrire, et comme, autrefois, tout en pouvant, à l’occasion, se détacher, s’isoler, il faisait partie d’un tout, de ce qu’on appelait l’escriptoire, c’est ce qui a amené les confusions.
Dans l’escriptoire, c’était une petite bouteille de verre ou de corne, généralement placée près des pennes (plumes), du canivet (canif), du style de plomb à régler le parchemin ; séparé, il s’appelait cornet. À partir du XIVe siècle, on le trouve mentionné, seul, dans les inventaires, et c’est grâce aux inventaires princiers que nous pouvons citer, comme ayant appartenu à Charles V, « un escriptoire d’argent blanc, sans cornet », « un g. cornet d’argent esmaillé de vert », « un g. cornet d’yvoire, bordé d’or, à mectre anque ». Les plombs trouvés dans la Seine, et conservés au musée de Cluny, ont rendu populaires, pour tous, les encriers du XVe et du XVIe siècle.
Jusqu’au XVIIIe siècle, comme ils étaient mal fermés, ils se répandaient fréquemment. « Fi le vilain homme ! il a renversé tout son cornet », lit-on dans une pièce satirique de 1682, en laquelle apparaissent toutes sortes de gens de loi. Baradelle, ingénieur du roi, inventa, en 1735, un encrier à fermeture hermétique qui prit son nom ; il s’en fabriquait de toutes les façons, en cuivre, argent, or, étain.
En 1775, l’Académie royale des sciences fut saisie de l’examen d’encriers nouveaux dits économiques, « fournissant, pendant dix ans de suite, une encre du plus beau noir en y administrant simplement quelques gouttes d’eau » et propagés par le sieur Pochet, marchand-mercier, rue du Four-Saint-Germain. En 1780, le sieur Marchand, leur « inventeur », ouvrit pour leur vente un second magasin. On peut donc conclure qu’ils avaient obtenu un certain succès auprès du public. Les « encriers à pompe » devaient faire leur apparition un peu plus tard, vers 1789, si l’on s’en rapporte aux cartes et factures-réclame de quelques papetiers.
Ces mêmes cartes-adresse nous donnent les formes multiples des écritoires de bureau, de poche, de valise, dont il existait déjà tant de types au XVIIIe siècle ; des écritoires fermant à clef et à secret, des cornets de plomb les encriers, des bouteilles de cuir bouilli, et autres, servant à conserver l’encre.
Les formes les plus diverses, les matières les plus variées furent prises, dès le XVIe siècle, par ces grands encriers de table qu’on pourrait appeler les encriers stables. Encriers « façon ébène », écritoires en cuir du Levant — tels ceux qui figurent sur l’Inventaire des meubles de Catherine de Médicis, en 1589 —encriers Louis XIV à deux lumières, avec sonnette, en bronze doré ou en argent, encriers en marqueterie de cuivre et écaille rouge, garnis d’ornements en bronze ciselé et doré, voire même avec bustes ; encriers Louis XV, en bois de rose, montés en cuivre doré ou argenté, ou en bronze — tel l’encrier de la du Barry — ou en porcelaine de Sèvres, encriers Louis XVI, en faïence décorée, faïence d’art ou faïence populaire, encriers en faïence monochrome provenant des fabriques de Delft, encriers en faïence polychrome provenant de Nevers, de Rouen, de Strasbourg, de Moustiers, spécimens amusants des goûts et des préférences du jour, qui devaient donner un intérêt si grand aux pièces révolutionnaires.
On ne saurait compter les pièces capitales qui virent le jour, au XIXe siècle, sortant d ateliers de spécialistes renommés et vendus par les grands papetiers à la mode, papetiers-maroquiniers-graveurs. Entre tous, il en est un, qui fut célèbre, dont on parla longtemps, qui se retrouve dans tous les ouvrages d’art décoratif, un encrier de bois sculpté par Gayonnet et vendu par Maquet. Voici, d’après Le Magasin pittoresque, les détails qui le concernent :
« Un encrier de Maquet. Exposition universelle de 1855. Le plateau dans lequel est creusé l’encrier est une espèce d’emplacement marécageux, isolé de tous côtés par des branches d’arbres. Deux canaux de peu de profondeur, et destinés à recevoir plumes et crayons, se courbent en parties de cercle dans la longueur du meuble. Des tiges de convulvulus, de renoncules et de graminées des marais, rampent et promènent leurs fleurs entrouvertes et leurs légers feuillages à la surface du sol. Elles forment un frais encadrement aux trois petites citernes, dont deux en forme de puits, reçoivent les vases en verre destinés à contenir l’un l’encre et l’autre la poudre ; la troisième, de forme carrée, peut cacher sous sa vitrine les pains à cacheter ou recevoir le presse-papier. Le poudrier et l’encrier sont surmontés de deux groupes décoratifs, sculptés en bois, représentant deux épisodes d’un combat d’animaux imaginaires contre les lézards.
« Entre ces deux sujets, et de proportions plus grandes, une chimère, aux ailes à demi ouvertes, est accroupie dans l’attitude du combat. Un vigoureux serpent l’entoure et la mord à la poitrine. Sur le devant de l’encrier, un crocodile semble sortir d’entre les plantes bordant le plateau, et. à quelque distance, on aperçoit une grenouille rampant sur les rocs. Au sommet d’un rocher, une magnifique chimère accroupie et les ailes majestueusement déployées tient dans ses griffes des tablettes encore vierges : ses pattes de derrière portent sur la pierre, et celle de droite écrase un énorme serpent. Deux des pieds du meuble sont formés de troncs de chêne ; ceux de devant représentent des chimères accroupies, dont la queue se perd dans les branchages et dont la tête domine fièrement les solitudes d’alentour. »
Les portraits, ceux du XVIe siècle surtout, sont une mine particulièrement précieuse. Tout le monde connaît l’admirable Holbein représentant Erasme écrivant : or, ce qu il faut dire, c’est que nombre de savants, de penseurs, de réformateurs de ladite époque ont été représentés de même. Dans l’œuvre de Holbein on en trouverait toute une collection, et plusieurs ont été gravés en bois pour servir de frontispice à des ouvrages.
Les crayons
Le crayon des anciens (plumbum) n’avait aucun rapport avec le nôtre. « Il consistait, dit Spire Blondel dans son curieux volume Les outils de l’écrivain, en un morceau ou plutôt une plaque ronde et mince et non en un long cylindre. Cette forme dispensait de tailler le crayon et l’empêchait de se courber ou d’écorcher le parchemin. »
Arthur Forgeais a publié dans le Musée archéologique du 26 octobre 1875 plusieurs spécimens de crayons historiés en plomb, du XIIIe siècle, trouvés dans la Seine, à Paris. La plupart de ces « styles » sont surmontés d’un écusson en forme de spatule ou de croissant, ornés de croix latines ou de fleurs de lis et reposant quelquefois sur un nœud ajouré en forme de quatre feuilles. C’est une pointe sèche, en métal ou en matière dure, dont la partie supérieure se termine par un bouton en tête de clou.
Les pays qui possèdent des gisements de carbure de fer naturel eurent l’idée, dès le XVe siècle — sans qu’il soit possible de donner une date à l’invention —, d’appliquer le graphite ou plombagine au même usage que les petits stylets de plomb qui, eux, avaient le grand inconvénient d’inciser le papier, ayant vu par expérience qu’il laissait sur le papier une teinte grise et luisante. Cette substance étant très fragile, on imagina de la rendre plus solide en l’enfermant dans des petits cylindres de bois. Ainsi naquit, en Angleterre ou en Allemagne, peut-être même dans les deux pays à la fois, la fabrication des crayons modernes dits grafes ou graphes — de graphein, écrire — et que nous appellerons, par la suite, les « crayons de mine de plomb ».
La notice la plus ancienne sur le crayon se trouve dans l’ouvrage de Conrad Gessner, publié en 1565 : De rerum fossilium figuris. Non seulement le célèbre naturaliste suisse donne sur le crayon des renseignements précis, mais encore il en reproduit l’image. Il note, en outre, que quelques-uns appellent le mélange dont il est composé stimmi anglicanum. André Césalpin, médecin et savant italien, en parle également, dans son traité De metallicis (1596), et il appelle le métal employé molyboides. En 1599, Imperato nomme le crayon grafio plombino, et en donne une description plus complète.
Crayon de charpentier de 1630
En réalité, la renaissance du crayon au XVIe siècle, c’est-à-dire à l’époque de toutes les renaissances, se trouva être chose naturelle, étant donné le besoin qu’en avaient les artistes et les architectes, ces grands crayonneurs.
Au commencement du XVIIe les crayons de mine de plomb étaient généralement recouverts de bois, « de peur qu’ils ne se rompent ». L’Anglais Pettus, dans un ouvrage paru en 1683, indique la nature de cette « couverture » en spécifiant que les crayons faits avec la mine de Cumberland sont enchâssés dans du bois de sapin ou de cèdre, et Tavernier, toujours si intéressant à consulter, explique excellemment, dans son Voyage des Indes : « à mesure que le crayon s’use on oste du bois pour le découvrir. »
À partir du XVIIIe, les crayons destinés à prendre des notes ou à fixer la pensée d’une façon plus certaine, se trouvèrent être d’un usage général. Jusqu’à la Révolution l’Angleterre et l’Allemagne, seules, pour ainsi dire, fournissaient l’Europe en crayons, car Delaruelle n’avait pas pu leur faire une concurrence bien redoutable. Lorsque la guerre eut privé la France des crayons anglais, le Conseil des Ministres de la République chargea le chimiste français, Jacques Conté, de rechercher les moyens de fabriquer des « crayons artificiels ». Ceci se passait en l’an III, vers la fin de 1794. Dès le 2 pluviôse, Conté avait résolu la question en mélangeant avec de l’argile parfaitement purifiée, soit du carbure de fer pour obtenir des crayons jouant le rôle de la plombagine, soit du noir de fumée pour obtenir les crayons noirs, soit diverses substances pour obtenir des crayons diversement colorés dits crayons Pastel.
Mines de Plomb
Ainsi furent inventés les crayons artificiels dits gris, ou « en mine de plomb », les crayons dits noirs de toutes nuances, les crayons bistres, les crayons rouges, les crayons bleus. Pendant plusieurs années la France tira d’Angleterre la plombagine nécessaire à la fabrication de ses crayons. Vers 1835, Fischtenberg, de Paris, employa avec avantage celle des environs de Briançon.
(D’après « Papeterie et papetiers de l’ancien temps » (par John Grand-Carteret) paru en 1913)