LES ÉCOLIERS D’AUTREFOIS A TROYES AU XVIIe SIÈCLE

 

 

Il est apparu intéressant de faire revivre un vieux collège d’autrefois dans son intimité pittoresque.

Il s’agit de l’ancien collège des Oratoriens à Troyes, qui jouit en Champagne, au XVIIe siècle, époque à laquelle s’appliquent nos observations, d’une extraordinaire réputation. Un universitaire bien connu, M. Gustave Carré, professeur d’histoire au lycée Lakanal, a utilisé son séjour au lycée de Troyes, pour consacrer à l’enseignement secondaire à Troyes sous l’ancien régime, une thèse très curieuse et qui montre bien ce qu’était alors un de ces internats, que l’on maudit si vivement aujourd’hui.

Les Oratoriens de Troyes ont laissé tous les papiers de leur administration: la liste de leurs élèves, des appréciations sur chacun d’eux, l’histoire au jour le jour de la maison, avec ses fêtes, ses distributions de prix, ses cérémonies officielles; c’est là une collection de documents plus suggestive que nos registres et nos statistiques actuelles hérissées de chiffres.

L’écolier apparaît dans ce milieu ce qu’il a toujours été, ce qu’il est encore aujourd’hui. On en voit les types les plus variés, mais toujours les mêmes : le paresseux, l’étourdi, le bavard, le malpropre, le sournois, et même le bûcheur infatigable.

Les voilà à l’étude, dans une salle basse et enfumée, assis sur des bancs étroits; la posture de chacun trahit son caractère : il y a le paresseux qui trouve le moyen de s’allonger outre mesure sur la table; il manque de nerf et d’âme, dit le latin pittoresque des Pères. Cet autre, au contraire, ne peut rester silencieux c’est la mouche du coche, qui met tout son coin en révolution, il est plus bavard qu’une pie . Cet autre est l’arbitre des élégances de la petite société : il se fait les ongles, se mire dans une glace, soigne plus que de raison sa petite personne.

Et les types si multiples défilent, saisis d’un seul trait par la plume ironique des fins lettrés qu’étaient les Oratoriens : voilà le compilateur qui met tout son savoir dans ses cahiers ; le plagiaire, impudent poète latin à coups de Gradus; le pauvre Nicodème, pieux, mais sot; plût à Dieu que la vigueur de son esprit égalât sa piété. Voilà encore le travailleur, l’élève modèle, ce troisième Caton ou cet autre Cicéron.

Les sorties de classe étaient comme ailleurs d’horribles bousculades, l’un plus bruyant qu’un bœuf en furie, l’autre plus disposé à en venir aux mains qu’à manier la plume. Tels étaient les écoliers des Oratoriens de Troyes, un petit monde en raccourci.

Voyons maintenant ce qu’ils devenaient au départ du collège.

Beaucoup y étaient entrés par l’ambition de leurs parents, avec l’espoir d’aborder un jour les carrières libérales ou d’entrer dans l’Église et d’y couler une vie agréable en quelque gros bénéfice. Mais, comme aujourd’hui, que de mécomptes! que de désillusions! Combien abandonnèrent grec et latin pour retourner à l’échoppe paternelle : celui-ci est devenu menuisier; cet autre, cuisinier ; cet autre, mettant en pratique le précepte d’Horace, fait des souliers. Boileau disait alors la même chose dans son Art poétique : « Soyez plutôt maçon, si c’est votre métier ».

Mais la carrière la plus courue, en cas d’inaptitude aux belles-lettres, était celle des armes. Sans cesse on lit dans les registres cette mention : « celui-ci s’est engagé à la milice » . C’était sans doute quelque mauvaise tête incapable de se plier à la discipline des Pères, brebis galeuse à séparer du troupeau.

La plupart se destinaient à l’Église et portaient le titre de clercs; ils restaient au collège jusqu’à un âge très avancé, parfois vingt-deux ou vingt-trois ans. Aussi en usaient-ils librement avec leurs professeurs, venant rarement en classe ; il y en avait qu’on ne voyait même jamais, ils n’avaient d’ecclésiastique que l’habit, petits abbés de l’ancien temps. Aussi les Pères Oratoriens étaient-ils sévères pour les vocations forcées, pour celles qui fléchissaient; les Pères ne pouvaient admettre un changement sincère et ils l’expliquaient toujours par un trop vif amour du plaisir : « Un tel s’est détourné de l’état ecclésiastique pour s’adonner plus facilement aux plaisirs » .

Cependant les Oratoriens avaient l’esprit large et tolérant. Ils prenaient des élèves des cultes dissidents et savaient reconnaître leurs mérites Bon israélite ! écrivent-ils parfois. Ils étaient aussi très impartiaux pour leurs élèves, notaient l’orgueil de l’un, signalaient impitoyablement les espiègleries de l’autre à sa mère aveugle. Enfin ces élèves, de race champenoise pour la plupart, étaient mêlés de quelques étrangers, mais c’étaient de volages oiseaux de passage « Antoine Corps, dit l’impitoyable registre, aime à courir, il est parti pour Rome ».

Le collège de Troyes était très peuplé; il compta, au XVIIesiècle, jusqu’à 523 élèves, et les classes, peu nombreuses il est vrai, étaient très bien garnies : ainsi, en 1676, il y avait 53 élèves en théologie, 63 en philosophie, 68 en rhétorique, 84 en seconde. Il est vrai qu’à cette époque bénie des chefs d’institutions, la concurrence n’existait pas, la clientèle était assurée par la ville elle-même et les environs ; aucun danger qu’elle s’éloignât vers Paris, séparé par quarante lieues de routes difficiles et la peur des mauvaises rencontres.

Ces élèves étaient en grande majorité externes, très peu étaient internes : 8 sur 523 en 1673, 40 en 1737 et 44 en 1742, c’était tout ce que pouvait contenir la table de la pension. L’internat était encore plus en défaveur qu’aujourd’hui et Montaigne, dès le XVIe siècle, lui avait fait une mauvaise réputation en parlant de ces « geôles de jeunesse captive ». La journée pour les internes était bien remplie; voici l’emploi du temps :

  • 5 heures et demie : lever.
  • 5 heures trois quarts : prière et étude.
  • 7 heures trois quarts : déjeuner.
  • 8 heures : messe, classe.
  • 11 heures : litanies de Jésus-Christ, l’hymne O gloriosa domina et l’Angelus, puis dîner et récréation.
  • Midi et demi : étude.
  • 2 heures classe, puis goûter.
  • 5 heures : étude.
  • 6 heures et demie : litanies de la Sainte-Vierge et Angelus, puis souper et récréation.
  • 8 heures : étude.
  • 8 heures et demie : prière et coucher.

Chaque élève avait son alcôve bien fermée, comme une petite chambre, il pouvait ronfler à son aise. Il était chez lui, il n’avait qu’a se tenir prêt, le matin au signal du départ, pour suivre ses camarades.

Il y a loin de ce régime à celui de nos lycéens. Il en était de même pour la toilette : les élèves des Oratoriens changeaient de souliers tous les jours et de linge deux fois la semaine, le dimanche et le jeudi, de bas le plus souvent possible. Tous les soirs on mettait des papillotes et le matin on se faisait peigner et ajuster par le perruquier de la maison, surtout les jours de fête.

Ces petits-maîtres différaient étrangement de nos hirsutes candidats à l’X; ils sont au contraire les ancêtres de nos élégants cornichons, futurs élèves de Saint-Cyr, dont l’impeccable élégance ravit l’enfance naïve de nos lycées.

Ces jeunes gentilshommes portaient l’épée; il est vrai qu’on la leur enlevait à leur entrée dans la maison ; un jour l’un d’eux en avait menacé son maître. Le règlement était très rigoureux et très sévère pour l’éducation : défense de se pousser, de porter la main les uns sur les autres, de se tirer par les vêtements, d’ôter les redingotes sans permission, de déboutonner les vestes à plus de moitié, et surtout de susciter des querlles et des disputes, de lancer des menaces, des jurons ou « autres mots de celte espèce ».

L’éducation mondaine tenait alors une grande place dans la vie des gens de qualité, les exhortations reviennent sans cesse sur la toilette : il est recommandé aux pensionnaires de prendre soin « de leurs affaires », de ne pas frôler le poêle avec leurs habits ou de n’y pas appuyer leurs souliers pour se chauffer.

Il y avait un véritable code de civilité pour .tous les actes de la vie. Il fallait être plein de déférence pour les personnes de qualité, ne s’en approcher qu’avec respect, les écouter avec attention, leur répondre avec candeur et sincérité, ne jamais les interroger, ne point affecter de répéter ce qu’on avait entendu dire à d’autres, etc.

Pour la table, c’était la grande école de la politesse et du bon ton. Il y avait tout un rituel très compliqué qui, imposé à ces jeunes gens, en faisait promptement des hommes du meilleur mande; du reste, la table était excellente comme dans toute bonne maison ; il y a bien dans les comptes, par-ci par-là, une tonne de morue, un baril de harengs, mais le plus souvent des plats abondants et des délicatesses sucrées du bon pâtissier de la ville.

Après le repas, la récréation. On ne sait rien des jeux du temps, mais on jouait de l’argent, et même avec l’autorisation des Pères, qui, malgré leur surveillance, ne pouvaient pas toujours empêcher le scandale. Mais aussi, quelle singulière indulgence ! II semble qu’elle ne puisse s’expliquer que par la généralisation de cette faiblesse dans les classes riches.

Il y avait aussi les arts d’agrément qui formaient une utile distraction écriture, dessin, musique ; seuls les « maîtres en fait d’armes » restaient exclus de l’Oratoire, sans doute à cause du dévergondage de leurs mœurs.

Les dimanches et fêtes étaient réservés aux exercices de piété ; les jours de sortie, les pensionnaires allaient en promenade avec ordre « de se conduire avec toute la décence possible, sur-tout dans les rues de la ville, et sur les promenades publiques, de ne pas s’éloigner du préfet, de ne toucher à rien, de ne cueillir ni fruits, ni baguettes, ni autres choses ».

Du reste, la discipline intérieure était garantie par des préfets d’études, véritables maîtres de la vie quotidienne, qui surveillaient les moindres actes des élèves: visites au parloir, commissions, correspondances, lecture de livres étrangers à la classe. C’étaient dans la maison des personnages considérables, le plus souvent les plus sévères et les plus pieux ; ils ne consentaient même pas à prêter leurs élèves pour remplir des rôles au théâtre de l’établissement, et en 1743, à cause de leur rigueur intempestive, les Oratoriens et leurs élèves durent se passer de tragédie.

Ils avaient établi pour les études une règle rigoureuse : le silence le plus profond régnait partout, même dans les mouvements; de la sixième à la philosophie et pour quitter sa place, il fallait une permission spéciale.

La discipline a depuis ce temps complètement évalué; elle est devenue paternelle : liberté partout et, dans nos lycées, on ne voit plus les rangées uniformes d’autrefois, mais d’irrégulières théories d’élèves animés, parfois même bruyants jusqu’à la porte, et au-delà, dans l’intérieur de la classe.

A travers le règlement que l’on vient d’analyser, on pourrait être tenté de se représenter comme parfaits les élèves des Oratoriens. Il n’en était malheureusement pas ainsi et la réalité était loin de cet idéal réglementaire. L’amour des plaisirs était général parmi eux : les mauvaises notes leur étaient indifférentes, ils paraissaient souvent en classe en exhalant une odeur de vin ou de taverne, ils étaient en effet plus appliqués à la beuverie qu’à l’étude, ils cultivaient aussi le billard et, dans leur fureur des plaisirs, n’hésitaient pas à dépenser l’argent que leurs pauvres parents leur avaient envoyé pour payer les frais de scolarité.

Aussi les dépenses étaient-elles surveillées. Dès la rentrée, on recueillait le montant de la rétribution scolaire pour qu’elle ne fat pas dissipée par les élèves en beuveries et en festins; et, pour empêcher l’élève, trop porté sur sa bouche, de faire des dépenses intempestives, les Pères chassaient les marchands du temple, c’est-à-dire de la porte du collège.

On voit que parents ou élèves d’aujourd’hui – en 1904 – n’ont à regretter en rien le collège du bon vieux temps. La vie y était revêche ou morose, troublée par des plaisirs grossiers peu mesurés, les progrès difficiles, la surveillance tatillonne et cependant insuffisante, sans parler du programme d’études. Les vieux collèges étaient des prisons pour les esprits comme pour les corps et le charme du bon vieux temps n’est souvint fait que de convention.


Source : Article paru en dans la revue « Le Magasin Pittoresque – gallica.bnf/fr

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