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Le tailleur de pierres

La taille de la pierre
L’utilisation de la pierre dans les constructions s’explique par la volonté de l’humain de se sédentariser, de construire des bâtiments durables dans le temps et résistant aux conditions météorologiques.
La taille de pierre est un des métiers fondateurs de notre civilisation humaine. Grâce aux tailleurs de pierre, de simples maisons ont été construites durant des siècles.
Les Romains étaient réputés pour utiliser des pierres d’excellentes qualités qui permettent à leurs monuments de perdurer dans le temps et les Grecs étaient les premiers à utiliser la pierre pour bâtir les temples.
Plus encore, leur savoir-faire et la passion de leur métier nous permettent d’admirer et d’honorer de nombreux édifices et chefs-d’œuvre d’architecture, particulièrement en France.
Au Moyen-Âge et ce jusqu’aux révolutions industrielles, le métier de tailleur de pierres revêt une importance capitale. Sans machine pour l’épauler, l’homme ne possède que le matériau brut et de simples outils pour l’édification des maisons, églises, cathédrales…
Le tailleur de pierres est chargé de façonner ou tailler les blocs arrivant directement des carrières de manière à leur donner les formes et les dimensions que réclame leur destination dans les ouvrages, incluant parfois un travail de sculpture. Il travaille la plupart du temps à ciel ouvert, par tous les temps.
Son travail est indissociable mais différencié avec ceux du carrier chargé de sortir les pierres de la carrière, du sculpteur chargé d’exécuter la décoration de l’édifice, du voiturier chargé de transporter les pierres depuis la carrière jusqu’au chantier de construction ou du maçon chargé de la construction. Toutefois, dans les textes du Moyen Âge, les termes désignant le maçon et le tailleur de pierre sont parfois utilisés indifféremment : car le maçon dit « supérieur », ou le maître maçon, savent tailler la pierre.
Son histoire
Le métier apparaît dès que l’homme désire bâtir des édifices imposants et conçus pour durer (temples, fortifications, etc.) donc dès l’Égypte antique et dans l’Antiquité grecque et romaine. Puis, au fil des siècles, le métier se poursuit sans interruption, conservant parfois les mêmes techniques et outils (certains types d’outillage utilisés par les tailleurs de pierre actuels n’ont pas changé en 2 000 ans). La construction en pierre de taille touche alors tous les domaines de l’architecture : église, cathédrale, château, pont, quai, etc. Au Moyen-âge, des techniques de taille de pierre pointus sont mises au point pour répondre à l’exigence de l’architecture gothique.
A partir des années 1930 avec l’apparition du béton armé et de l’acier dans les constructions, la construction en pierre tombe en désuétude ; dorénavant, les tailleurs de pierre, qui étaient « bâtisseurs », se concentrent alors sur la restauration des édifices en pierre existants. La pierre exposée aux intempéries a une durée de vie limitée. Quand le matériau est altéré ou malade, il est nécessaire de le remplacer partiellement ou intégralement par une pierre équivalente de nature et de forme.

Blocs de pierre dans une carrière
Son travail
Le travail du tailleur de pierre consiste à donner sa forme à la pierre.
Une fois la pierre extraite de la carrière, le tailleur de pierre doit d’abord la couper suivant les dessins et les cartons fournis par l’appareilleur, l’ouvrier qui trace la coupe des pierres.
Pour cela, il va tout d’abord faire le « lit de la pierre », c’est-à-dire l’unir à coups de marteau. Une fois le lit formé, l’appareilleur va tracer la pierre d’après l’emplacement qui lui est destiné puis le tailleur va tracer tout autour et sur les bords du bloc une raie pour le diriger dans sa taille.
L’équarrissage
Une des premières étapes du travail du tailleur de pierre est l’équarrissage qui consiste à tailler le bloc pour en faire un parallélépipède. Dans un premier temps, on taille une ciselure sur l’une des faces. Ensuite on pose une règle en bois et une équerre sur cette ciselure afin d’avoir un repère de départ et l’on taille alors une deuxième ciselure sur le côté opposé de la même face, le but étant ensuite d’aligner les deux afin de pouvoir tailler de façon plane une face du bloc.
On enlève alors la matière en excédent afin d’obtenir un bloc parallélépipédique dont les faces sont taillées grossièrement. Outre la règle et l’équerre, l’équarrissage nécessite l’emploi d’un pic quand la pierre est dure ou ferme, ou d’une polka dans le cas d’une pierre tendre. Plus rarement, c’est à l’aide d’un marteau taillant ou de la bretture que cette tâche est effectuée.
Le dégrossissage
le tailleur procède ensuite au dégrossissage qui consiste à mettre le bloc à la taille voulue par rapport aux besoins du chantier ; c’est ce que l’on appelle le « bloc capable ». Grâce à un gabarit, le bloc est mis aux cotes en taillant tout l’excédent de matière. Outre les pierres de taille équarries destinées aux murs et aux saillies à angle droit, certaines pierres diffèrent de la forme quadrangulaire : les colonnes, les corniches, les décors sculptés. Le tailleur reporte alors sur la pierre les contours de la pièce à fabriquer à l’aide d’un modèle et d’une pointe de fer. On doit ensuite épanneler le bloc, c’est-à-dire préparer les sculptures. C’est la taille préparatoire d’une moulure ou d’un ornement qui consiste à éliminer la pierre excédentaire afin d’obtenir le profil et la forme. Moulures et sculptures sont ensuite effectuées à l’aide d’un ciseau et d’un maillet
Les tailleurs de pierre actuels, hormis le fait qu’ils possèdent des machines pour le levage et le transport des pierres, continuent d’utiliser les mêmes outils, bien que perfectionnés, et les mêmes techniques que les tailleurs de pierre du Moyen-Âge.
Ses outils

Outils du tailleur de pierre – crédit photo wikipédia licence CC-BY-SA-2.0-DE)
L’outillage du tailleur de pierre n’a pas changé depuis trois millénaires si ce n’est l’apport de la mécanisation et de la révolution numérique.
Le tailleur de pierre doit être méticuleux et précis dans toutes les étapes de son travail. Pour cela il utilise des outils adaptés à chaque phase de son travail. De même, il doit connaître les différentes qualités de la pierre, pierres dures ou tendres affectées aux constructions.
D’abord le tailleur de pierre doit tracer le bloc avant de procéder à la taille de celui-ci. Il utilisait autrefois des instruments tels que : plusieurs modèles de règles graduées ou non, en bois dont la longueur varie de trois pans (environ 0, 75 m) à trois cannes et demie (environ 7 m), équerre, fausse équerre ou sauterelle, trusquin, compas, gabarit, pointe à tracer.
Ensuite il utilise des outils de débitage. Pour être capable de débiter les pierres dont il aura besoin, dans les blocs de carrière, il utilise pour cela des outils à main et des outils mécanisés : pied-de-biche, scie passe-partout, scie à chaîne, tronçonneuse, débiteuse, refenderesse. La broche ou poinçon est formée d’une tige de fer de section circulaire ou orthogonale dont une extrémité est acérée et présente une forme pyramidale à quatre faces. L’extrémité opposée, appelée tête, est légèrement biseautée. Elle sert à équarrir les blocs, à dégrossir les pierres dures, à réduire une surface… Elle permet également d’ébaucher des sculptures. Cet outil est toujours utilisé en association avec une massette de fer.

Ensuite, les outils de la taille, il en existe un très grand nombre, adaptés selon la dureté de la pierre : pointe ou pointerolle, ciseau, ciseau à grain d’orge, ciseau à bout rond, chasse, gradine, gouge, massette, taillant à dents amovibles pour dégrossir les pierres tendres, le marteau têtu, marteau-pic, marteau-polka, boucharde pour régulariser le travail des pics et des taillants, chemin de fer pour bien aplanir et affiner la surface des pierres, rabotin, râpe, ripe, scie, sciotte, etc. Les plus répandus sont le pic, le marteau taillant et surtout la polka. Les ciseaux ou les gouges, sont utilisés avec un percuteur (maillet ou massette). Ils servent à enlever la matière en excédent lorsque l’on taille le bloc, mais sont également utilisés dans la sculpture. Quant au ciseau, c’est un outil à tranchant aciéré, rectiligne, effilé à double biseau. Le tranchant est toujours plus large que le reste du corps de l’outil. C’est un outil très commun pour la taille de la pierre au Moyen Âge. Il sert à régulariser en l’aplanissant la surface déjà dégrossie d’un bloc, mais permet aussi d’effectuer des arêtes rectilignes ou encore de faire des tailles de ciselures, décoratives et des évidements. Selon la dureté de la pierre, on utilise des modèles différents. Des ciseaux munis d’une soie et d’un manche en bois sont utilisés pour les pierres tendres tandis que pour la pierre dure, ils sont entièrement métalliques. Pour faire des effets de finition, un autre outil proche du ciseau est utilisé au Moyen Âge, la gradine qui se différencie du ciseau par la division de son tranchant en dents plates. Ces instruments sont par ailleurs employés pour réaliser des creusements divers et parementer les blocs d’appareil, mais surtout pour la sculpture.
Le pic est sans doute l’outil le plus ancien dans le travail de la pierre. La lame en fer se termine par deux pointes pyramidales et acérées. Elle est montée sur un manche en bois. Cet outil permet d’équarrir les blocs de pierre en enlevant les plus grosses aspérités.
Le marteau taillant sert essentiellement à travailler les pierres tendres. Il permet de les dégrossir et d’enlever les épaisseurs en excédent par petits éclats, et sert à parfaire la face d’une pierre tendre en l’aplanissant après l’opération de dégrossissage. Il est muni de deux tranchants lisses et droits qui sont parallèles au manche. Il ressemble un peu à une double hache dont le tranchant serait droit au lieu d’être arrondi. Quand les tranchants sont découpés de manière à former des dents plates, avec le marteau-brette, il s’agit d’une bretture.
Le marteau-polka sert à équarrir et parementer les pierres tendres grâce à son tranchant vertical. Pour creuser des évidements et dégager les moulures, les tailleurs de pierre utilisent la polka du côté où son tranchant est disposé perpendiculairement au manche. À partir du 14e siècle, mais surtout au 15e, elle est fréquemment munie de dents et dénommée alors polka brettée. Cet outil est composé d’une lame métallique à deux tranchants disposés l’un, perpendiculairement au manche, l’autre, parallèlement. La lame de la polka simple ou brettée est montée sur un manche d’environ 50 cm de long. Comme le montrent les images médiévales, à la fin du 14e siècle et encore plus fréquemment au 15e siècle, beaucoup de tailleurs de pierre manient la polka assis sur des tabourets ronds à un ou trois pieds. Une telle posture rend le travail plus confortable en position assise. Le manche se tient à deux mains.
Un autre outil, la ripe qui est un outil dit à percussion posée à main puisqu’il ne nécessite pas de percuteur. Elle est composée d’une tige de fer dont les extrémités, aplaties et recourbées en sens opposé, constituent les tranchants. Cet outil est toujours tenu à deux mains, la droite appuyant verticalement sur l’outil près du tranchant, la gauche le tirant vers lui ou sur le côté. Grâce aux marques spécifiques laissées par la ripe sur les parements et en particulier sur les moulures, il est attesté que cet outil a été utilisé assez couramment aux 14e et 15e siècles. Cet outil sert aussi bien pour la finition des lits et l’égalisation des faces de la pierre que pour l’élaboration des moulures.
Le maillet qui sert à frapper d’autres outils tels que les ciseaux ou les gradines, permet de travailler avec des outils qui sont munis d’une « tête champignon » spécifique pour la pierre dure. Le manche comme le corps du maillet sont en bois, ce qui permet d’amortir les vibrations créées par l’impact de la percussion sur la pierre. Le corps de l’outil peut adopter des formes très diverses : tantôt un cylindre (droit ou cintré), tantôt une sphère ou encore un trapèze.
Exceptionnellement est attesté l’emploi d’un foret. Cet outil est constitué d’une mèche dont la rotation peut être entraînée par divers systèmes. Les deux principaux outils de forage employés durant le Moyen Âge sont le foret à archet et le foret à pompe. Le premier est actionné par la corde d’un arc ; le second est lancé par un mouvement vertical de haut en bas déroulant une corde initialement disposée en double spirale autour d’un axe prolongeant la mèche ; le retour de la corde à son point de départ est assuré par la force d’inertie d’un poids, également fixé sur l’axe. Cet outil peut servir pour creuser des détails dans des sculptures (oreilles, yeux, plis du vêtement).
Outre les outils de débitage et de taille, il utilise des outils de bardage. Le bardage comprend les techniques de déplacement des blocs. On trouve par exemple : louve, diable, brancard, cric, élingue, roules de bois, palan électrique, etc.
Finalement des outils de pose qui sont identiques à ceux du maçon, auxquels il faut ajouter cales en bois de 1 centimètre, 8 ou 5 millimètres d’épaisseur, coins en bois, fiche et pince de pose. La pince de pose permet de déplacer la pierre de taille avec une extrême précision. Le tailleur utilise un mortier de chaux pour poser les pierres. Les tailleurs de pierre qui effectuent la pose des pierres travaillent par deux de part et d’autre d’un mur, et sont appelés poseurs et contre-poseurs.
Les marques de tâcheron

Chaque tailleur de pierre (mais également chaque carrier) possédait un signe distinctif qu’il gravait sur l’une des faces de la pierre taillée. Quand le tailleur était embauché à la tâche, ces marques permettaient au chef de chantier de vérifier la qualité de son travail et de dénombrer le nombre de pierres équarries pour le payer en conséquence. La variété des signes employés est grande. Ce sont des figures géométriques telles que des triangles ou des pentagones, des instruments de travail comme le pic ou le marteau, des croix, des lettres, peut-être l’initiale de l’ouvrier. Beaucoup de ces signes gravés sur la face engagée de la pierre ne sont découverts que lorsqu’on détruit les murs.

Tailleurs de pierre à Crest en 1900 …

… et en 1991
Les difficultés de la profession
Hormis l’aspect physique de cette profession et sa rudesse d’exercice, on observe de nombreuses maladies entraînées à l’époque par l’exposition des tailleurs de pierres aux poussières.
Depuis la première moitié du XVIIIe siècle, on constate une surmortalité parmi les tailleurs de pierre due une affection dénommée «maladie des tailleurs de pierre » qui provoque une ulcération des poumons.
Une autre difficulté de ce métier, et non des moindres, demeure celle du nomadisme. En effet, une partie des tailleurs de pierres est amenée à se déplacer régulièrement et longtemps au gré des chantiers ayant besoin de bras, parfois sur d’assez longues distances.
En raison de la pénibilité et de la dangerosité de leur travail, les tailleurs de pierre sur les grands chantiers d’églises au Moyen Âge touchent un salaire supérieur à la moyenne des autres artisans. Ils reçoivent parfois une prime de risque lorsqu’ils montent sur des échafaudages. Le tailleur de pierre travaille sur les chantiers de taille situés soit en sortie de carrière, soit sur les chantiers de construction. Il n’est pas rare que les pierres soient d’abord dégrossies et pré-calibrées directement dans la carrière, en raison du prix de transport élevé des pierres (on évalue en effet que le prix du transport d’une charrette de pierres de la carrière au chantier distant de 18 km équivalait au prix de la pierre achetée dans la carrière). À Troyes, par exemple, vers la fin du XIIIe siècle, ce sont les ouvriers du chantier de la cathédrale eux-mêmes qui se rendent à la carrière pour y tailler, en compagnie de l’architecte, et qui y restent le temps voulu.
Après l’incendie de Notre-Dame de Paris , les tailleurs de pierre ont consolidé les structures touchées par les flammes (frettage de deux piliers, renforcement des pignons…) et les maçonneries endommagées par l’incendie et reconstruit les voûtes effondrées ainsi que les éléments sculptés les plus fragiles. Lors de la phase de restauration, ils sont intervenu à l’intérieur de la cathédrale et en atelier. Dans l’édifice, ils ont réalisé les opérations de dessalement, destinées à assainir l’ensemble des pierres puis ont participé au nettoyage de l’ensemble des murs, voûtes et colonnes de la cathédrale. Dans un même temps, ils travaillaient en atelier dans lesquels ils taillaient les blocs de pierre qui ont été installés dans la cathédrale. 700 tonnes de la pierre naturelle ont été extraites de la carrière de Comblanchien (Bourgogne), repérée pour sa résistance et sa couleur inaltérable dès le Moyen-Âge.
Bien que les tailleurs de pierre sont encore rares actuellement. On compte ainsi environ 15 000 actifs en France. La construction d’édifices neufs en pierre reste toujours marginale, malgré une demande croissante. C’est surtout la rénovations d’ouvrages historiques qui donne de l’activité aux tailleurs de pierre, même s’ils peuvent honorer quelques commandes de particuliers amoureux de cette matière. Les métiers de la pierre sont en pleine évolution. Les machines et les robots à commandes numériques sont de plus en plus présents. La combinaison des techniques traditionnelles à des procédés plus innovants déterminera l’avenir de ce métier. Aucun doute pourtant, la profession ne risque pas de disparaître… Elle est même en train de renaître !
Sources :
www.fr.m.wikipedia.org/wiki/Tailleur_de_pierre
www.passerelles.essentiels.bnf.fr/fr/metier/