Le canal de Soubeyran
Ce canal ancien existe depuis » non seulement depuis dix ans ny depuis cinquante et cent et aussi depuis si longtemps qu’il nest memoire dhomme qui puisse justifier du contraire… «
D’après un document aux Archives départementales de la Drôme, le 11 juillet 1339, suite à une transaction contenant cession Noble Aymard de Poitiers autorise le couvent des frères mineurs de Crest à prendre l’eau dans le canal de leurs moulins « dans le lieu vulgairement appelé Soubeyrant « , servant aussi à » l’arrousage des près, jardins et vergers « .
Mentionné sur un rapport droit d’arrosage en 1438. Il est à noter aussi que sur ce rapport extrait des minutes du tribunal de première instance de Die, il est porté aux pages 14 et 15 : « d’un mémoire sans date et sans signature portant pour titre « mémoire concernant le droit que les cordeliers de la ville de Crest auraient de détourner une partie de l’eau du canal des moulins de Soubeyran pour arroser leurs propriétés», ils font remonter ce droit à une époque antérieure à 1339 en citant un acte portant cette date et un autre de 1380 dans lequel il est fait mention « il résulte qu’en 1381 le 29 mars Louis de Poitiers comte de Valentinois et Diois alors propriétaire des moulins de Soubeyran abandonne à Pierre Blayn un pré avec son droit d’arrosage, lequel pré fut acquis par les Cordeliers par acte du 8 février 1438 reçu par Jean Ruffé notaire….. »
Autre notification nous informe : « ce droit remonte à une époque si reculée qu’il en est fait mention dans un acte du 11 juillet 1339 intervenu entre Guigues de Montoison, bailly du seigneur Aymard de Poitiers, comte de Valentinois et Diois d’une part, Hugues Teullier procureur du couvent des Cordeliers d’autre part … »
En 1380, le 8 août, Louis de Poitiers comte de Valence et de Die autorise les religieux du couvent des Frères Mineurs de Crest à avoir » la faculté d’arrouser leur pré, jardin et verger de la manière qu’ils en ont accoutumé de jouir » dans le béal de leurs moulins appelés de Soubeyran.
En 1380, Louis de Poitiers, comte de Valentinois, accorde par acte notarié du 17 avril 1382 accorde le droit d’arrosage à Sr Pons Dupré dans le béal du moulin supérieur.
Le 15 juillet 1402, Louis de Poitiers comte de Valentinois et Diois résidant en son château d’Etoile (ou Crest suivant les documents) fit une fondation dans l’église des Cordeliers de Crest et que » pour jouir des obligations qu’il leur impose et qu’ils acceptèrent il leur céda en toute propriété les dits moulins, écluses, béals et toutes les autres choses nécessaires avec droit de prise d’eau « . A cette époque le canal servait à faire fonctionner deux moulins à farine, foulons et autres artifices.
Le 13 juillet 1419, suivant acte, il fut revendu avec les moulins à Jean Roux qui les revendit à Dreson Chabus le 10 mai 1422.
Par acte du 30 mars 1515, Noble Jacques Bonnier propriétaire des moulins de Soubeyran accorde à Aymar Giraud la faculté d’arroser son pré, confirmé dans un acte de transaction du 26 juillet 1535.
Plusieurs propriétaires se succèdent après Jacques Bonnier, qui ensuite les revendit en 1538 à François de Passis puis, à Jean Gamon.
Le 6 mai 1621 une convention est passée entre Jean Berlhe bourgeois de Crest et Jean Depassis notaire royal, pour une modification du passage du canal que Depassis prétend faire du béal de ses moulins appelés de Soubeyran. Le 23 mai 1644, Depassis accorde une permission à Jean Berlhe de construire un » esparcier » ( écluse mobile en bois servant à fermer une rigole d’irrigation) en chaux, pierres et sable pour arroser son pré sans abus.
En 1678, ils furent acquis par Etienne Gailhardon, puis aux Richards.
Parmi de nombreux contentieux afférents à l’utilisation de l’eau du canal, un procès durera de 1699 à 1707, entre feu Gailhardon Etienne et Antoine son fils marchand et Jacquamet Jean Claude maire de Crest » pour préjudices dans ses terres des ouvertures du pont de bois fait sur le canal servant aux artifices et moulins du dit sieur Gailhardon « . Jacquamet sera condamné à faire démolir le pontillard et ôter l’esparcier et défense de prendre l’eau dans le canal consécutive à la sentence du 5 décembre. Le contentieux continuera jusqu’en 1707 pour des questions d’arrosage avec divers témoignages contradictoires.
Le 27 décembre 1711, Monseigneur Gabriel de Cosnac, évêque de Die autorise Mr Gailhardon bourgeois de la ville de Crest, alors propriétaire des moulins de Soubeyran, de prendre dans le terroir de la ville d’Aouste l’eau de la rivière d’Aouste pour l’usage de ses moulins de Soubeyran si cela lui était nécessaire pour le temps seulement où il ne pourrait pas la prendre sur le terroir de Crest. » Nous permettons au sieur Gaihardon, bourgeois de Crest, de prendre dans le terroir de notre terre d‘Aouste l’eau à la rivière de Drôme pour l’usage de ses moulins et artifices
qu’il a au terroir de Crest ; laquelle permission nous lui donnons pour le temps qu’il ne peut prendre l’eau de la ditte rivière dans le terroir du dit CREST, et à condition encore qu’ il dédommagera ses particuliers de nostre terre d’Aouste dans le fonds desquels il ferra passer laditte eau de Dromme, ou qu’il pourrita leur causer d’autres dommages. A Die le vingt sept décembre mil sept cent onze. Gabriel de Cosnac évêque de Die. «
Par acte du 11 octobre 1788, le propriétaire à cette époque Antoine Richard vend les moulins y compris le canal aux frères Borel, représentés par Louis Borel.
Déjà à cette époque, le canal alimentait les usines de Soubeyran qui s’étaient accrues d’une fabrique de soie et une fabrique de papier, puis d’une fabrique de drap.
En 1863 la famille Borel est toujours propriétaire du canal.
Par lettre au préfet, du 29 juillet 1865, Louis Borel s’opposant à la construction d’une prise d’eau établie sur la rive droite de la Drôme et mentionne qu’il est « propriétaire des usines de la rive gauche, usines établies au moins depuis 1379. il demande à ce que cette prise d’eau ne soit pas étable en dehors des limites fixées par l’acte de 20 novembre 1520 qui permet d’établir un canal depuis le pont d’Aouste jusqu’à la ville de Crest. Je m’oppose formellement au pouvoir d’accorder de porter le débit de l’eau de 850 l à 1100 l elles se composent de 2 fabriques draps dont d’une est la plus importante des environs, une filature et une fabrique à soie, 3 moulins à farine, presse à huile. Le canal sert aussi à arroser tout le quartier des Plantas, celui de Massepanier et toute la plaine de Mazorel. «
Le 10 juin 1899, un plan d’architecte est établi pour le prolongement du canal à l’initiative de Mr Louis Borel propriétaire du canal. Ce prolongement d’environ 350 mètres en direction de Aouste s’est avéré nécessaire pour le bon fonctionnement des moulins de Soubeyran. Cette prise est détruite en 1900.
À la mort du dernier des Borel, Louis-Nicolas Borel en 1899, les usines et le canal de Soubeyran furent légués par héritage à ses petits-enfants la famille Guérin, banquier d’affaire à Lyon.
Ferdinand Guérin décède en 1921, la société devient en commandite (1921) la maison « Veuve Guérin et fils » , puis elle est dissoute lors de l’Assemblée générale extraordinaire du 11 décembre 1931.
L’usine et le canal deviendront la propriété des Etablissements Rey avec la société anonyme des »Moulinages de Soubeyran » puis les »Moulinages Rey « .
Suivant un rapport d’expertise du 12 octobre 1942 de Mr Aubert René expert fait à la demande du Syndicat d’arrosage de Mazorel :
» En 1823, le canal appartenant à Mr Borel alimentait ses moulins en eau au moyen d’un canal construit en amont le long de la Drôme. En 1898, il se produisit un phénomène permanent d’affaissement du lit de la Drôme au point que le Mr Borel ou ses successeurs se trouvèrent dans l’obligation de prolonger leur canal de plusieurs centaines de mètres (400 m) en amont de la rivière afin de pouvoir recueillir les eaux indispensables au fonctionnement de leur usine. Ce qui s’avéra suffisant pour alimenter le canal en permanence. Cette ancienne prise supprimée en 1900. «
» En 1941 on constate que le même phénomène poursuit ses effets, au point que le canal ne peut recueillir l’eau qu’au moment des crues et que lors des périodes de sécheresse le dit canal est complètement à sec. Les crues de la Drôme ont créé un important banc de graviers de 0,70 m de hauteur au dessus des basses eaux occupant une partie du lit de la rivière et empêchant une alimentation suffisante du canal. Les crues sont suffisantes pour détruire les barrages et ouvrages provisoires que l’on peut édifier dans le lit pour détourner les eaux vers la prise. Le barrage provisoire existant ayant été emporté par une crue en mai 1941. «
» En résumé, on peut dire, alors que vers 1860, le lit de la rivière était plus élevé, les eaux arrivaient presque naturellement vers la prise et il suffisait en cas de besoin et de très peu de travail pour les diriger à travers les graviers. Par la suite, le lit se creusant, est apparue la nécessité d’exécuter des barrages pour compenser son abaissement. Ces barrages ont pris de plus en plus d’importance et on est arrivé à une époque où en période de basses eaux, ils perdent totalement de leur efficacité, le relèvement d’eau étant devenu trop important pour pouvoir être obtenu par des moyens sommaires. De plus, lorsqu’il suffisait au début de refaire ces travaux à intervalles éloignés, il a fallu les reconstruire de plus en plus fréquemment. »
» La seule solution possible était celle de prolonger le canal de trois cents mètres en amont dans le banc de rocher de manière à retrouver une différence de niveau suffisante même par les plus basses eaux. Il est impossible aujourd’hui d’allonger le nouveau canal. De plus les Services administratifs s’opposent à ce que des barrages fixes soient établis sur la Drôme, la Drôme est classée comme rivière navigable bien que torrent. «
A la suite du règlement judiciaire prononcé par le tribunal de commerce de Die, le 7 février 1985, la société anonyme »Moulinages Emile Rey », domiciliée quartier Soubeyran à Crest, est amenée à cesser ses activités. Au printemps 1986, Me Granjean, syndic est chargé de la liquidation des biens.
La prise d’eau en 1942 …
… et en 2020
Cette prise sera la dernière fonctionnelle et après cette date, le canal sera délaissé et abandonné aux broussailles. Le temps et l’évolution industrielle ont eu raison de cet ouvrage et n’en laissant que des traces encore visibles de son passage et l’oubli du canal de Soubeyran.
Sources : Archives départementales de la Drôme