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ToggleAouste sur Sye : les secrets du quartier des Enfers
Dans le centre ancien d’Aouste sur Sye, « le quartier des enfers » est l’objet de fréquentes interrogations : c’est un ensemble de bâtiments, de magnifiques ruelles dont la « rue de la Synagogue ». Aux dires des anciens, lors des fêtes, l’accès à certaines rues aurait, jadis, été fermé par une porte. Un bâtiment – en mauvais état – est communément appelé la « synagogue ». Cet édifice est actuellement propriété communale, il est un élément d’un ensemble plus vaste. De la rue des remparts on observe aisément une baie géminée obstruée datant du XIVe siècle. Diverses questions sont restées sans réponse.
La surface au sol du bâtiment communal, inoccupé, est d’environ 50 m2. On accède par une porte située vers la place des trois balcons et par seconde porte, rue des remparts. Celle-ci ouvre sur un sous-sol, elle semble avoir été creusée, au XIXeme siècle dans la muraille (épaisseur : 3 mètres). Au fond de cette « cave » se trouve une cuve construite en pierres de réemploi, avec carrelage intérieur rouge datant du XIXeme siècle, – cuve identique à de nombreuse cuves de la région – Jacques Planchon, conservateur du musée de Die a repéré un pan de mur d’un mètre carré attestant une fondation gallo-romaine, la voûte de cette salle pourrait être de la même époque. Une arrivée de « bourneaux » (conduite d‘eau en terre) est aussi visible à proximité de la cuve. On accède à l’étage supérieur par un escalier irrégulier creusé dans le rempart. Cet étage donne aussi sur la rue de la « synagogue » ; à ce niveau, datant du Moyen Age, une fenêtre surplombe la rue des remparts, elle est protégée par des barreaux. A l’étage au-dessus, on distingue des ouvertures murées permettant jadis l’accès aux maisons avoisinantes, les alignements réguliers des pierres indiquent une construction de la fin du XIVeme siècle. Enfin, à plus de 6 mètres au dessus de la rue des remparts, se trouve une partie de la fenêtre ogivale, briquetée au XIXeme siècle.
Escalier intérieur de la « Synagogue » creusé dans les remparts
Ce bâtiment ne comporte pas d’information sur une utilisation cultuelle, mais les spécialistes interrogés sont intrigués par la baie de style gothique flamboyant sans équivalent dans le village. L’historien Frédéric Viey, dans un échange de mails avec l’Association Histoire et Patrimoine Aoustois a souhaité que la commune effectue des recherches dans la partie basse de cet édifice ; faute de financements, ceci n’a pu se réaliser.
Présents depuis l’époque romaine, Les Juifs, – séfarades, ashkénazes ou judéo-occitans ? – ont joué un rôle important dans la vie du Crestois et du Valentinois, à la fois dans l’économie, l’administration et la culture. Le début du XIVeme s semble marquer l’apogée de leur rôle. Leur statut a fréquemment changé tant en Dauphiné qu’à Paris, Toulouse ou Avignon.
Ainsi, très actifs en Dauphiné, ils seront à partir de 1348, mis à contribution pour régler les dettes de la collectivité ( comme à « Aoste » en 1396) ; puis, aussi, souvent spoliés et pourchassés sous l’accusation de propagation de la Peste Noire, déjà, à Paris, en 1242, Louis XI avait ordonné le « brûlement du Talmud » Et à partir de 1394, les juifs expulsés de France se réfugient dans le Midi.…En 1449, les juifs seront à nouveau protégés par le dauphin Louis II, futur roi Louis XI. Rappelons aussi qu’en 1492, Isabelle la Catholique expulse les juifs d’Espagne et qu’en 1498, César Borgia est à la fois évêque-cardinal de Valencia et duc de Valence !
Cependant, au début du XIVeme siècle, pour les juifs, « le Valentinois parait être une de leur terre d’élection : ils résident dans les villes de Valence et de Crest, dans les chatellenies épiscopales de Livron et Loriol, dans la basse vallée de la Drôme et d’Aouste sur Sye prés de Crest, dans le chatellenies comtales d’Etoile sur Rhône, Marsanne, Pont de Barret, Bourdeaux mais aussi à Chabeuil tête de pont delphinale »(1) .A Aouste, quelques rares notes indiquent aussi des professions ainsi, en 1351, certains sont alors banquiers, commerçants, médecins (2)- Grâce au pont sur la Drôme, Aouste fut un lieu de passage et d’échange dépendant du comté de Die alors que « Bollène est au pape », Pierrelatte est « la première terre du Dauphiné » et le duc de Monaco administre le Valentinois donc Crest, Grâne… or le « Valentinois présente des frontières indécises » (3) .
Vers 1473, plusieurs familles juives « d‘Aouste, diocèse de Die, émigrent à Saint Rémy de Provence » parmi elles, Jean Tornatoris, docteur en droit,- il pourrait être le procureur d’Aix en 1508, et conseiller au Parlement de Provence en 1553 -. En Dauphiné, à partir du XVIeme siècle, les juifs ne sont autorisés à séjourner que trois jours consécutifs. En 1665, ils ne peuvent plus résider ni commercer. C’est au siècle suivant que leur situation commence à s’améliorer sur l’ensemble de la France.
D’autre part, parmi les biens communaux aoustois, en 1691, le parcellaire indique, rue de la Jaterie (juiverie), « une maison en mauvais état et d’un avenir incertain » avoisinant la maison et les étables de Monseigneur de Vachères, cette maison sert de maison commune pour les assemblées relatives aux affaires de la communauté (4). On se demande si, cette maison ne serait pas l’ancienne salle de réunion du quartier juif. A Aouste, le « quartier des enfers » protège donc ses secrets.
Notes
(1) – Chartrain Frédéric CNRS – La présence juive en Dauphiné au Moyen âge ISBN-3-7752-5623-7, page 17
(2) – Archives de l’Isère B 4417-4418
(3) – Paul Messié Les princes de Monaco ducs de Valentinois Valence-Romans 1957 pages 14 à 17
(4) – Archives Communales Aouste DD 1/13, DD 2 30/31
Nota : On pourra aussi lire les informations sur les divers statuts des Juifs à la fin du Moyen Age dans : Juifs en Dauphiné au 14 et 15ème siècle A Prudhomme éd. G Duport Grenoble 1883/ Gallica.bnf.fr
Le Musée d’Archéologie Tricastine, place Castellane à Saint-Paul-Trois-Châteaux possède un vestige médiéval tout à fait exceptionnel, témoin de la présence juive en Dauphiné : une Arche Sainte Hébraïque (un tabernacle) destinée à abriter les rouleaux de la Torah, c’est un dispositif monumental réalisé en pierre du Midi dans le style gothique flamboyant, fermé par deux portes. Au dessus de celles-ci se trouve la citation hébraïque gravée sur le bouclier de David « La loi de l’Eternel : la pure ». Le quartier juif se situe à proximité de ce musée.
René Descours
Document réalisé grâce à un extrait du livre « AOUSTE –SUR-SYE ….au fil du temps » (266 pages)- Association Histoire et Patrimoine Aoustois- imprimerie du Crestois 26400 Crest -2015 (réédité en 2018), texte paru dans la revue trimestrielle « Etudes Drômoises » n°73, mars 2018, sous le titre Aouste présence juive.