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ToggleLa ligne d’Orange au Buis les Baronnies
Comment est née cette petite ligne de chemin de fer cachée au fin fonds du Vaucluse…?
La ligne Orange – Le Buis les Baronnies… l’ O.L.B.
Alors que, en ce milieu du XIXeme siècle, de très nombreux projets d’aménagement ferroviaire existent en Vaucluse, peu d’entre eux concernent le nord du département. Zone à tendance rurale, difficile d’accès et faiblement peuplée, il ne semble pas pouvoir apporter un trafic justifiant la création de lignes de chemin de fer.
Modernisme et industrialisation tardent à remonter les vallées encaissées, radialement au Rhône. Il paraît donc souhaitable pour les élus locaux que de vraies réponses soient apportées pour désenclaver le secteur. Pas ou peu d’industrie donc pas de chemin de fer… Pas de chemin de fer, pas ou peu de développement possible… C’est par le rail que doit arriver la prospérité. Or la « grande » Cie. du P.L.M. est déjà aux prises avec un certain nombre de constructions de lignes à fort potentiel ou imposées par le gouvernement dont le produit ne pourra, de toute évidence, être très important.
Le P.L.M. ne cherche donc pas vraiment à s’embarrasser d’un nouveau projet dont on se doute facilement qu’il sera déficitaire.
Ce sont donc, dans un premier temps, des initiatives privées qui ouvrent la voie. Puis le P.L.M. se verra contraint par l’Etat de prendre en charge cette ligne entre Vaucluse et Drôme. Ne nourrissant aucune illusion sur la rentabilité de l’entreprise, il s’exécutera de mauvaise grâce et en confiera l’exploitation à une Cie. fermière…
Les premières idées…
C’est M François Vigne (négociant en région lyonnaise mais nyonsais d’origine) qui le premier émet le vœu de réalisation d’une voie ferrée reliant Orange et Nyons, remontant la vallée de l’Eygues sur une digue. Nous sommes en 1860. Il demande, en parallèle, la concession de la ligne projetée. Mais sa proposition ne semble pas recevoir d’avis favorable, notamment du côté drômois.
Le principe même d’un chemin de fer construit sur une digue, paraît inadapté à cause des violentes et fréquentes crues de la rivière. La proposition tombe en léthargie. Elle ne réapparaît que cinq années plus tard. C’est un arrêté préfectoral qui relance le dossier, acceptant que des études complémentaires soient effectuées sur le projet de base, sur lequel vient se greffer le projet d’une liaison entre la vallée du Rhône, les Alpes et l’Italie. La loi de 1865 apporte un cadre nouveau et officiel en même temps qu’elle donne un minimum d’organisation à ces projets de chemin de fer.
On se lance dans l’aventure…
Une commission mixte Vaucluse/Drôme est crée à partir de janvier 1866 (à l’initiative du Vaucluse) pour engager des études conjointes de voies ferrées dans cette région du haut Vaucluse et de la Drôme méridionale.
Mais si en Vaucluse, on se dit prêt à accepter une chemin de fer à voie métrique, on en préférerait un « vrai », à voie normale, en Drôme…
Rien de vraiment nouveau ne sort donc de ces diverses commissions.
Ainsi, en 1872, un projet de ligne Vaison/Le Buis est proposé, greffé sur le projet initial… Mais l’enthousiasme retombe. Les administrations locales semblent bouder le projet. Pour autant, les édiles Vaisonnaises souhaiteraient « profiter » de la mise en place éventuelle d’une ligne de chemin de fer. Elles proposent dans ce but, appuyées par les élus de Crestet et Violès, en 1876, un contre-projet visant à faire circuler les trains dans la vallée de l’Ouvéze ou celle du Toulourenc.
collection J. Mazet
Le projet serait inclus dans les études en cours d’une ligne entre l’Italie et la vallée du Rhône via Gap. Elle pourrait également se prolonger sur l’autre rive du fleuve en se raccordant à la ligne d’Orange à Alais (Alès), elle aussi à l’étude. Ainsi, en 1878, le Conseil Général de Vaucluse se trouve t-il face à 2 projets: Le premier (M Vigne) propose d’emprunter la vallée de l’Eygues, le second (proposé par les élus Vaisonnais) empruntant la vallée de l’Ouvéze. Ce dernier tracé serait, l’on s’en doute, plus favorable aux commune rurales du Vaucluse. L’année suivante, une délégation vauclusienne est mandée auprès de M de Freycinet afin de le convaincre du bien fondé de cette seconde proposition.
Une ligne devant relier Orange et Vaison est ainsi inscrite au « plan Freycinet » sous le n° 130 et immédiatement concédée au P.L.M.. Mais la Cie. ne se précipite pas sur l’étude de cette section…
Le décret du 18 juin 1880, confirme l’abandon du projet Vigne au profit de la proposition vauclusienne (alors que le 2 août 1886, la ligne de Pierrelatte à Nyons est concédée à titre définitif).
Mais pour le village de Séguret, rien n’est prévu! Aussi ses habitants signent-ils une pétition, reflet de leur mécontentement, et demandent-ils le déplacement de la gare prévue à Sablet de 500 à 600 m vers le Nord.
Une enquête d’Utilité Publique est ordonnée sur l’avant projet de ligne Orange/Vaison par arrêté du 30 mars 1882. Les documents sont visibles du 10 avril au 10 mai. La commission d’enquête est réunie le 11. Durant cette période d’autres projets sont à l’étude, dont une ligne Orange/l’Isle sur Sorgue via Carpentras.
On propose également, en 1883, un projet de ligne en direction de Vaison, se raccordant entre Sarrians et Jonquiéres, sur la future liaison Orange-Carpentras-L’Isle qui vient d’être concédée.
En mai 1885, les Conseils Municipaux de Carpentras et des communes environnantes proposent de modifier les projets initiaux Orange/L’Isle et Orange/Vaison pour qu’une jonction soit réalisée prés de Violès.
Proposition refusée par le Conseil municipal de Vaison en 1886, principalement à cause de la différence de l’écartement des voies projetées. Une proposition alternative de construction d’un chemin de fer d’intérêt local Orange/Le Buis et Orange/Carpentras avec embranchement vers Malaucène est avancée.
A partir de ce moment, deux personnalités locales, MM Paul Bonfils (maire du Buis, élu au Conseil Général de la Drôme le 12 août 1883) et Ferdinand Rolland (ingénieur de Sablet) vont prendre l’initiative des projets. Ils fondent ensemble le Syndicat libre du chemin de fer à voie étroite de Buis-les-Baronnies à Orange avec embranchement à Sablet sur Malaucéne et Carpentras. Le dit syndicat, demande, en août 1887, la concession du chemin de fer. Une brochure explicative est même diffusée, aux frais de M Bonfils. Le 3 octobre, la commission départementale de la Drôme ordonne une enquête auprès de 55 commune de la Drôme et 36 du Vaucluse. L’enquête fait apparaître un intérêt économique certain.
Pour autant la voie normale demandée n’est pas acceptée, tout au plus l’écartement métrique est retenu en remplacement de l’écartement de 0.75 mètre initialement prévu.
En juin 1888 une enquête d’utilité publique est ouverte dans le canton du Buis alors que, le 30 juillet, le Préfet de Vaucluse donne un avis favorable à la construction de la ligne.
Pour autant rien n’est gagné et les Conseils Généraux de la Drôme et de Vaucluse se prononcent, le 11 août, pour la prompte réalisation des lignes Pierrelatte/Nyons et Orange/ Vaison déjà déclarées d’utilité publique.
Rien n’est vraiment simple en ce qui concerne cette ligne.
Deux compagnies prétendent à la construction: Le P.L.M. d’une part et la Cie. des tramways du Buis de Rolland & Bonfils. Le 21 décembre 1888, ce dernier projet reçoit un avis favorable du Conseil Général de la Drôme puis les 4 janvier et 30 mai 1889, de la chambre de commerce d’Avignon. Le 23 avril, une convention est signée entre les Préfets des 2 départements et la Cie. Rolland & Bonfils pour la construction d’un chemin de fer à voie métrique Orange/le Buis avec embranchement sur Malaucéne et Carpentras. Mais le projet n’est pas concrétisé et, pis encore, la société Rolland & Bonfils est dissoute en mars 1890!
Le 16 avril 1892, la Cie. des chemins de fer de la Drôme, en accord avec le P.L.M., dépose une demande de concession d’une ligne à voie métrique Orange/le buis. Le 10 août 1893, elle est finalement concédée au P.L.M.. La section Orange/Vaison est déclarée d’utilité publique.
On discute, on étudie… Le temps passe…
Des études sont entreprises à partir de juillet 1895 et une enquête d’utilité publique est ouverte à partir de 5 août, pour un mois.
La commission d’enquête est réunie juste après. Bien que la ligne ne soit pas encore en construction, une première « avancée » est enfin perceptible par le lancement des actions administratives.
Les communes discutent, les ingénieurs dessinent… Le temps passe… Le 16/07/1896, la section Vaison/Le Buis est à son tour déclarée d’utilité Publique. Le 2/09/1898, le Ministre des Travaux Publics approuve enfin le projet de tracé. Mais cela n’est pas le point final.
Les projets « rebondissent » et le siècle se termine sans que rien ne soit figé.
Quarante années se sont écoulées depuis la proposition de M Vigne!! Enquêtes et contre enquêtes se succédent. Dans le même temps un nouveau projet de « tramways départementaux de Vaucluse et de la Drôme » est lancé à l’automne 1899…
Pour l’instant, entre Orange et le Buis, le nombre et l’emplacement des gares sont l’objet d’âpres négociations.. En ce qui concerne Séguret, par exemple, le projet du P.L.M. comporte uniquement l’implantation d’une halte… Dont le Conseil Municipal réclame immédiatement le remplacement par une « vraie » gare…
Mais, loin d’accéder à sa demande, la Cie. propose la suppression de la halte prévue et son remplacement par une gare sur le territoire de… Gigondas!
Le 27/06/1899, le Conseil Municipal s’élève vigoureusement contre cette décision… Mais il s’avère que le P.L.M. à sacrifié l’intérêt général à l’intérêt d’un Général!
En effet, la gare proposée, au domaine de Saint André, est prévue pour répondre à la demande d’un personnage influent, le Général du Génie Coranson, propriétaire dudit domaine et qui souhaitait la construction d’une gare tout près de son domicile!
Les élus ségurétains n’ont alors de cesse de faire modifier ce projet. Pour donner plus d’ampleur à ces protestations, une lettre reprenant les termes de la délibération du Conseil Municipal est adressée aux parlementaires.
Finalement, le 15/08/1899, le Maire de Séguret peut annoncer à ses administrés que la halte prévue dans le village est maintenue, alors que la gare proposée à Gigondas est supprimée. la gare de Sablet retrouve son emplacement initial.
Le projet est avalisé par le Ministère le 27/01/1900. Il comporte donc une gare à Sablet, une halte à Séguret (« ouverte au service des voyageurs, bagages, chiens, articles de messagerie, y compris les denrées, finances et valeurs dont le poids n’excédera pas 100 Kgs par expédition; les expéditeurs et destinataires seront tenus d’aider à la manutention de leurs bagages, colis et messageries ») et une gare à Roaix (sur le territoire de Séguret). Le 29/03/1902, le Ministre approuve les modifications de plans proposées par la Cie., en accord avec les commissions d’enquêtes.
Le jury d’expropriation est créé en avril 1902 (jusqu’en avril 1903 le ministère avalisera de nouvelles modifications de plans).
Le 19/12/1902, le Préfet désigne les propriétés à exproprier, le 23, le tribunal civil d’Orange prononce les expropriations.
En mars 1903, les avis d’expropriation et les propositions de rachat sont notifiés aux propriétaires.
Les travaux peuvent enfin commencer…
Les travaux sont adjugés le 15 avril 1904 et exécutés à partir de 1905, sous la surveillance du P.L.M.. Le tracé est réalisé en « site propre », il n’emprunte aucune voie déjà existante.
Les chantiers sont ouverts, simultanément, autour de chaque village. La main d’œuvre est trouvée localement, mais également constituée d’ouvriers étrangers (essentiellement des Piémontais).
Le nombre de ceux-ci provoque certaines frictions et même des conflits… En juin 1904, le Conseil Municipal d’Entrechaux demande l’installation d’une gendarmerie pour faire face à l’afflux d’ouvriers de nationalité Italienne… Nomades et maraudeurs…
Le 9 août 1904, des incidents se déroulent à Entrechaux où une centaine d’ouvriers venu de Pierrelongue, Molans, Vaison, etc se réunissent, drapeaux tricolore et… Gourdins à la main! Les chefs de chantier manifestèrent même au chant de ‘l’Internationale ». Il réclament l’application du décret Millerand limitant la proportion de travailleurs étrangers à 10% sur les chantiers de l’Etat… Des Italiens sont licenciés… L’affrontement est évité de justesse.
Le lendemain, 200 grévistes du Buis et de Mollans, se dirigent sur Sablet pour y chasser les ouvriers Italiens qui y travaillent.
A plusieurs autres reprises des actions similaires sont menées visant à réduire le nombre d’étrangers… Souvent abusivement et illégalement employés par les entrepreneurs et, en général, sous payés.
En 1905, 150 ouvriers se mettent à nouveau en grève… Cette fois au sujet de travailleurs Espagnols. D’autres incidents éclatent aux carrières d’extraction de Beaumont du Ventoux relatifs aux conditions de paiement…
L’ouverture des chantiers apporte également une certaine « animation » dans ces contrées un peu à l’écart… Il est à noter que c’est la pierre extraite des carrières de Séguret, qui est choisie pour la construction des ouvrages d’art, des gares et maisonnettes…
Ça y est, le train circule enfin!
Les travaux sont réceptionnés le 29 avril 1907. Le directeur du P.L.M. et le directeur de la Société Générale des Chemins de Fer Economiques, qui va assurer l’exploitation de la ligne pour le compte du P.L.M., sont présents. De nombreuses personnalités et élus locaux participent également à la cérémonie.
Un train… Flambant neuf, quitte la gare d’Orange avec les officiels (auxquels un petit déjeuner a été offert au buffet) à 8 H 01 du matin. Il marque l’arrêt dans toutes les gares où se pressent, en grande tenue, les élus et les habitants des villages. L’événement est d’importance…
Le convoi arrive enfin à son terminus.. Il est 11 H 40. La ville du Buis est tout en liesse. Un banquet est offert par la municipalité. Puis, le train reprend le chemin du retour à 2 heures de l’après midi. Il arrive à Orange à 4 H 22. Les personnalités peuvent alors reprendre leur train pour la capitale. Le 4 mai, le ministre signe le procès verbal de réception définitive de la ligne.
L’exploitation peut officiellement démarrer à partir du 10.
la machine 3994 en gare de Vaison
la 3995 à Orange.
La voiture voyageurs ABef 5
Pour les » spécialistes « … La description et le profil de la ligne
La ligne, à écartement métrique, est construite à voie unique. Elle prend sa source en gare d’Orange au PK 713,253 de la ligne impériale (Dans l’axe du B.V.). D’importantes installations y sont réservées au service de la ligne du Buis, dont un véritable dépôt. Des installations pour l’entretien des voitures et wagons sont également prévues pour le matériel à voie métrique. Il est à noter qu’en gare d’Orange, les voies métriques et normales s’entrecroisent grâce à des appareils de voie spécifiques.
Puis la ligne proprement dite prend son essor en direction du nord et se dirige vers la première gare, celle de Camaret (PK 5.759). La gare possède 3 voies à quai sur lesquelles les trains peuvent se croiser et une voie de débord pour les opérations de chargement et déchargement. La région est peu accidentée et les rampes sont comprises entre 2 et 10 pour 1000. Le trajet se poursuit jusqu’à la station de Violès (PK 11, ). les installations de cette gare, comme celles de Roaix, Malaucéne ou Entrechaux, sont simplifiées par rapport à celles de Camaret, Sablet ou Mollans. Les trains peuvent toutefois s’y croiser et une voie de débord permet les manutentions.
La ligne se dirige ensuite vers Sablet (PK 17.642) , non sans avoir auparavant traversé une première fois l’Ouvéze, sur un ouvrage métallique de 85 mètres de longueur. Dans ce parcours momentané sur la rive gauche, la voie doit affronter des rampes un peu plus prononcées, allant jusqu’à 20 pour 1000. Les 2 établissements suivants sont traversés très rapidement. La halte de Séguret (PK 20. ), simple gare de passage, sans voie d’évitement, et celle de Roaix (PK 22.5), un peu mieux équipée, se suivent à peine à 3 kilomètres l’une de l’autre.
L’Ouvéze est à nouveau franchie sur un magnifique pont en maçonnerie, et le chemin de fer pénètre dans les emprises de la gare de Vaison (PK 28.058). Cet établissement, de milieu de ligne, possède des installations importantes. Deux voies à quai assurent le service des voyageurs, 2 autres sont dédiées aux marchandises et une voie de débord permet les chargements et déchargements. Quand à certaines périodes les trains termineront leur parcours à Vaison, une plaque tournante sera rajoutée pour permettre le virage des machines. La gare est pourvue, également, d’un château d’eau d’une capacité de 100 m 3, alimenté par les eaux du Lauzon, conduites par une station élévatoire à vapeur (puis équipée d’une pompe à moteur diesel). Au sortir de l’ancienne ville romaine, la voie longe l’ancien théâtre, puis revient sur la rive gauche de l’Ouvéze. Le parcours devient très accidenté et les rampes assez sévères. Il ne reste plus en Vaucluse que les gares de Malaucéne-Crestet (PK 32, ) et Entrechaux (PK 34.5) qui se succèdent également en quelques kilomètres. Plusieurs ouvrages et un petit souterrain conduisent la ligne en Drôme.
Elle y croise les gares de Mollans-Propriac, Pierrelongue, franchit une dernière fois l’Ouvéze sur un superbe viaduc Eiffel, traverse la halte de Cost-Montbrun et parvient à son terminus. La gare du Buis les Baronnies (PK 49.505) est pourvue d’importantes installations de remisage, entretien, tournage, ravitaillement des machines et des voitures et wagons. Le heurtoir de fin de ligne est placé au PK 49.700.
La vie quotidienne sur la ligne entre Orange et Le Buis
Durant quelques décennies à peine, le « petit chemin » de fer aura suivi son chemin, paisiblement. Peu d’événements majeurs ont émaillé cette courte carrière, hormis pendant la dernière guerre…
En somme, un petit train, dans un petit coin… Qui ne demandait rien à personne et suivait son petit bonhomme de chemin.
La gare de Roaix
On relève toutefois qu’en 1920, un accident grave se déroule à Vaison. C’est l’un des très rares événements ayant eu pour cadre la petite ligne, mais il est terrible… Un homme et une femme y sont tués par le train!
Le couple dans un déplacement pédestre avait choisi, pour gagner probablement un peu de chemin, de suivre la voie ferrée et de franchir un pont ferroviaire. Mais, voilà que la chaussure de la dame se coince entre rail et contre-rail… Comble de malchance voici que le train apparaît! Il siffle, il ralentit, mais il est déjà trop tard… Malgré l’acharnement de son mari pour la déchausser, malgré le freinage du mécanicien, il n’est plus possible d’éviter la collision. Les deux époux périssent ainsi, sous les yeux de leur fils. S’il est vrai que l’utilisation des ponts par les piétons était interdite par le règlement, elle était malgré tout assez courante. Ce petit train brinquebalant, avec son gabarit réduit, que tout le monde connaissait, ne semblait pas pouvoir être dangereux…
En 1938, diverses lois et décrets complémentaires sont mis en place dans le cadre de la coordination des transports. Les essais de circulations Auto-rails n’offrent pas un rapport suffisant aux compagnies Elles sont donc définitivement arrêtées. Les lignes Avignon-Carpentras, Cavaillon-Apt et Pertuis, Orange-Cavaillon via l’Isle/Sorgue, Avignon-Nîmes, Orange-Le Buis sont frappées de plein fouet et perdent les dernières liaisons voyageur encore en place. La suppression du service des voyageurs provoque la disparition du personnel désormais en excédent. Pour la Cie. des Chemins de Fer Economiques (gérante de la ligne d’Orange-Le Buis) cette compression se traduit par le licenciement de MM Albert Millet, Louis Bernard et René Bés… qui tentent de se reclasser au sein de la SNCF.
La guerre de l’ O.L.B. …
La position de la ligne d’Orange au Buis Les Baronnies la met dans une situation particulièrement inconfortable. Elle traverse en effet, sur les premiers kilomètres, la zone des aérodromes de Caritat et de plan de Dieu, utilisés par la Luftwaffe. Elle est aussi sous l’influence, dans sa section terminale, du « maquis » du Ventoux. Elle est donc la cible de divers attentats et opérations de « commando », tout en étant soumise aux représailles Allemandes et aux mitraillages alliés…
Mais elle bénéficie d’une situations particulière qui fait qu’entre 1939 et août 1943, elle continue à vivre paisiblement, comme si rien ne se passait…. Les Allemands, installés dans la région et plus particulièrement sur les aérodromes orangeois, finissent par s’intéresser à la ligne et imposent la mise en circulation de navettes à leur usage…
Puis, le 3 mai 1944, les fils téléphoniques placés le long de la voie sont brûlés entre Orange et Camaret… Les Allemands, après une enquête sommaire, mettent en cause le personnel des Chemins de Fer et arrêtent 2 jeunes chauffeurs. L’intervention, particulièrement convaincante de M Thevenot, chef des services sur la ligne, permet la libération des 2 hommes.
Le 25 mai, le train est « attaqué », avec la complicité du personnel, par le maquis peu après Mollans… Et le wagon POSTES délesté de son contenu, argent et courrier. Le lendemain, les fils téléphoniques sont à nouveau incendiés entre Camaret et Violès. Une fois encore M Thevenot, doit intervenir pour convaincre les enquêteurs qu’il ne s’agit pas d’un sabotage, mais d’un incident technique du au mauvais positionnement des fils…
Le 8 juin, un jeune homme est « exécuté » sur la plate forme d’une voiture, en gare de Roaix. « Exécution » à laquelle font écho le 10, de sanglantes représailles à Vaison.
Le 9 juin, le train de voyageurs et un train de service sont saisis par le maquis en gare du Buis… Qui ne les restitueront qu’après de longues négociations.
Le 31 Juillet, c’est le chef de gare de Violès qui est exécuté par les allemands et son épouse arrêtée… Elle n’est libérée que le 9 août.
Le 8 août, un officier de l’armée allemande, accompagné d’une femme ayant emprunté par erreur le train du Buis, sont enlevés par les maquisards, à Vaison, terminus provisoire de la ligne… Le chef de gare est arrêté par les Allemands et ne doit sa libération qu’à l’énergie dépensée une fois encore par M Thevenot… Mais à partir de là le train ne dépassa plus la gare de Violès. Puis, le train est mitraillé en pleine voie par des « Spitfire » lors d’une attaque aérienne de l’aérodrome de Caritat. Action militaire qui ne fait aucune victime mais sonne momentanément le fin de tout trafic sur la ligne… Nous sommes le 22 août.
Les circulations ne reprennent qu’avec la fin du conflit, mais la fin est déjà proche…
En février 1952, le petit train du Buis, presque au crépuscule de sa carrière se « paie le luxe » de faire parler de lui dans la presse, pour autre chose qu’au sujet de sa fermeture prochaine. Tout se passe en gare de Vaison la romaine. Par suite du mauvais fonctionnement d’un aiguillage, plusieurs wagons de marchandises sont dévoyés et se renversent sur les voies… Incident spectaculaire sur cette petite ligne « tranquille », mais heureusement sans gravité.
Le relevage des wagons renversés… Plus de peur que de mal…
Les anecdotes…
Le trésor de l’OLB… par M Yves Favier
Un jour, un maquignon emprunte le train pour se rendre à la foire du Buis en vue d’y acheter des chevaux. Arrivé à à Sablet, un besoin pressant l’oblige à descendre du train pour se rendre au petit édicule prévu à cete effet. Hélas, la place est déjà occupée. » Je ne tiendrai pas jusqu’à Roaix, pense t’il en se dirigeant vers la haie de cyprès.
Mais voilà que le train redémarre déjà!! Notre homme remonte ses brailles en vitesse et se lance à la poursuite du convoi, qui fort heureusement n’a pas l’accélération d’un T.G.V.. Il parvient finalement à se hisser sur la plate-forme de la dernière voiture…
Arrivé au Buis catastrophe!! Il s’aperçoit qu’il a perdu dans l’aventure, la précieuse bourse pleine de Louis d’or qu’il avait attaché à sa ceinture en vue de ses achats…
Au retour, des heures durant, il a cherché son bien perdu… En vain. Il s’en revint donc chez lui, déçu et amer…
On a pu voir ensuite, des semaines durant, toutes sortes de gens déambuler le long de la voie… Tête baissée. Peut être encore aujourd’hui, se trouvent quelques amateurs qui, poêle à frire en mains, cherchent le trésor perdu…
Fausses notes…
Le théâtre antique d’Orange accueille régulièrement, chaque été depuis 1869, des spectacles lyriques (Chorégies) attirant une foule nombreuse, y compris têtes couronnées et Présidents de la République.
Si ces derniers s’y rendaient à bord de leurs magnifiques trains, nombre de spectateurs le faisaient par les omnibus locaux.
Une anecdote est rapportée, à ce sujet, dans l’ouvrage « Le Petit Train du Buis ».
Exceptionnellement le fameux « tacot » circulait nuitamment, l’été… Un train spécial « descendait » les spectateurs en fin d’après-midi, puis les « remontait », après le spectacle, vers les 3 H du matin… Des trains existaient, en sens inverse, pour le « feu d’artifices du Buis » ou pour les spectacles Vaisonnais. C’est là, précisément, que se déroule ladite histoire.
A chaque fois que nous amenions un train à Vaison, le comité des fêtes offrait des places au personnel du train », témoigne un ancien mécanicien. Le théâtre voisinant de la gare, les cheminots, après un sommaire débarbouillage, assistaient donc aux spectacles.
Or, un beau jour, les billets ne furent pas offerts… Vexés, mécanicien et chauffeur ont attendu l’heure réglementaire du départ du train, minuit, puis, ont « appelé » à grands coups de sifflet strident leurs passagers. Le spectacle n’était pas encore terminé!. Il est aisé d’imaginer, dans le tiédeur d’une nuit d’été provençale, le mélange des genres… Sifflet à vapeur d’un coté, chanteurs lyriques d’un autre… Cette cacophonie valut, évidemment, sévères remontrances au personnel des CdF économiques mais il n’y eut plus jamais d’oubli de la part du comité des fêtes…
La « cueillette » des grives: Par Y. Favier (Extrait de « Le petit train du Buis »)
Celui qui n’a jamais dégusté une bonne brochette de grives dorées à la cheminée, farcies aux croûtons et truffées, bien entrelardées et arrosées de leur jus, ignore un des sommets de l’art culinaire. Ce n’est, bien sûr, par le cas des gens de la campagne de Provence pour lesquels la chasse constitue souvent un passe-temps agréable et un appoint culinaire appréciable.
Certains membres du personnel roulant du train étaient des connaisseurs et savaient apprécier, à l’occasion, quelques oisillons dorés à souhait. D’ailleurs, il n’était pas rare qu’un riverain leur en donne une brochette en échange d’une « bonne manière ». De quoi donner l’eau à la bouche et des idées… En période de travail, ils avaient trouvé le moyen de joindre l’utile à l’agréable. Certains hivers sont rudes, même en Provence et, au petit matin, le givre recouvre complètement la végétation et le sol. Ce dernier est trop dur pour que les oiseaux engourdis par le froid de la nuit, puissent y trouver leur pitance. Ils doivent attendre le dégel qui viendra plus tard dans la journée, si le soleil apparaît. Ils sont donc affaiblis et vulnérables.
A notre époque, donc, les volatiles en question dormaient sur les fils télégraphiques en bordure de la voie, encore engourdis par le froid de la nuit. Certains d’entre eux, complètement gelés, étaient tombés et gisaient à côté des rails ce qui, on le conçoit aisément, n’échappait pas à l’œil vigilent du mécanicien ou du chauffeur. C’est dans ces cas que l’esprit d’équipe se manifeste le plus spontanément. Nous nous sommes laissés conter que certains tandems mécanicien-chauffeur n’hésitaient pas à rouler au pas (ce qui souvent n’était pas bien difficile) dans les coins propices, permettant à l’un d’eux de descendre du train pour recueillir les malheureux volatiles gelés et de les fourrer rapidement dans la musette avant que les passagers ne s’en aperçoivent… De quoi améliorer l’ordinaire, mais qui s’en plaindrait?
La grand-mère et la chèvre : par M Yves Favier
Vers 1920, une grand-mère s’évertuait à faire grimper sa chèvre dans le compartiment des voyageurs… « Holà! lui dit le chef de train, votre chèvre il faut la mettre dans le fourgon… » Et la mémé de lui répondre, en provençal bien sûr, « Maï Moussu, aî paga, ma cabre tembên… (mais, Monsieur, j’ai payé et pour ma chèvre aussi) ». Et il fallut en passer par la volonté de la mémé… à la « grande joie » des voyageurs, on l’imagine… Profitons de cette occasion pour rappeler que le chemin de fer assurait souvent, ancien temps, le transport d’animaux vivants (mais bien sûr, dans le fourgon à bagages ou dans une niche spéciale intégrée au fourgon, pour les chiens). Pour les déplacements aux foires et marchés, il n’était pas rare que les paysans emmènent avec eux chèvres, moutons, veaux, cochons… mais le train transportait aussi chevaux, lapins, poules et … escargots (dont on raconte qu’une fois, tout un chargement s’est échappé sur le quai de la gare de Carpentras!).
L’autel de Vaison : par M Yves Favier
9 H 30 du soir… Le petit train Orange-Le Buis les Baronnies entre en gare de Violès. Un seul voyageur en descend et, après avoir regardé des deux côtés de cette gare un peu déserte, il s’adresse à une personne qui se trouve là, sur le quai, à regarder le train…
– Pardon Monsieur, vous ne connaîtriez pas un hôtel à Violès?
– Un hôtel? Bien sûr, j’en connais même un très beau. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous y conduire…
Tous deux traversent le village et se dirigent vers l’église. Ils entrent dans la maison de Dieu, arrivent au chœur et… s’arrêtent… devant l’autel! Et là notre violèsien de se retourner, tout fier, et de déclarer au voyageur:
– Té mon brave, il est pas beau celui là?… Et le pauvre touriste de le regarder, tout déconfit… Il était tombé, le « pôvre », sans le savoir sur le « râvi » (lire « l’innocent » pour ceux peu familiarisés avec le Provençal) du village…
« Un chef de train acrobate: Par Y. Favier, extrait de « Le petit train du Buis »
Etant enfant, je me souviens que ma mère m’autorisait, après mes 7 ans, à effectuer le voyage debout dans le petit recoin de la plate-forme du wagon de voyageurs. Je sentais qu’elle me surveillait du coin de l’oeil, prête à m’envoyer une gifle si je faisais mine de m’approcher de la petite porte en fer forgé de la plate-forme. Mon plaisir était de regarder défiler le ballast et les traverses sous les marchepieds en tôle grillagée.
Mais ma joie suprême se situait au moment où le chef de train sortait de son fourgon pour venir poinçonner les tickets des voyageurs. Entre le fourgon et la voiture de voyageurs il était possible de circuler à condition que les plaques d’intercirculation soient abaissées et que les deux portillons en bout soient ouverts et verrouillés… ce qui n’était jamais le cas.
Pourquoi? Mystère. Aussi, le chef de train, sacoche en bandoulière, descendait sur le marchepieds du fourgon, faisait le grand écart, s’aggripait en voltige à la rampe de la voiture de voyageurs et se retrouvait sur la plate-forme où je me tenais, immobile, dans mon petit coin, admirant sans réserve et avec même un petit frisson dans le dos, la virtuosité du chef de train, véritable acrobate du rail. C’est à cette époque que je rêvais d’être chef de train quand je serais « grand ».
Le train et la charrette : par Y. Favier, (Extrait de « Le petit train du Buis »)
Pour une raison qui nous échappe aujourd’hui, durant les premières années d’exploitation, il y eu un différent, quelque part sur la ligne (du côté de Sablet ou de Séguret, semble t’il), entre la Société des CdF économiques (SE) et un riverain. Ce dernier jugea bon d’écluser ce passif à sa manière et, pour ce faire, ne trouva rien de mieux que d’obstruer la voie en y abandonnant une vieille charrette, bonne pour la casse. Vous imaginez les têtes du mécanicien et du chauffeur, forcés de s’arrêter devant l’obstacle! L’équipe du train sua sang et eau pour basculer la charrette sur le bas côté car, à la différence du paysan vindicatif, ils ne disposaient pas du cheval.
Le train ayant pris un retard plus important que de coutume, le chef de train fit un rapport ce qui provoqua une enquête de gendarmerie aboutissant, sans peine, à la découverte du coupable… Celui-ci dut payer une forte amende. Cela fit évidemment jaser dans les chaumières et, durant un certain temps, le paysan devint un peu la risée du coin. On aimait à le taquiner en lui demandant à combien s’élevait l’amende dont il avait dû s’acquitter… Ce à quoi il répondait immanquablement (en provençal): »Tu n’as qu’à mettre la tienne de charrette en travers de la voie et tu le verras bien! ».
Nous rajouterons à cette sympathique anecdote, qu’une affaire assez proche s’est déroulée en notre gare d’Aubignan-Loriol… Un différent ayant opposé le chef de gare et un expéditeur local, s’était soldé par un acte peu élégant de la part de celui-ci… Qui avait déposé le chariot de la gare au ras du quai mais… avec les brancards tournés du côté des voies… Ce qui devait arrivé s’est produit et le premier train entrant à renversé et complètement « écrabouillé » le chariot qui évidemment n’avait pas la taille suffisante, à l’instar de la charrette, pour arrêter le convoi.
Le quotidien tout au long de la « Petite » ligne vauclusienne…
Le chemin de fer à voie métrique d’Orange au Buis les Baronnies ne va pas beaucoup évoluer durant sa courte carrière.
Quelques jours avant l’inauguration officielle de la ligne une petite faute administrative met le village de Crestet en émoi… Alors qu’il est d’usage de donner aux gares le nom des communes qui les hébergent la gare de Crestet, qui dessert également le village de Malaucène, mais qui est implantée sur le domaine administratif de cette première commune, se trouve ainsi dénommée: Malaucène-Crestet! Le conseil Municipal proteste énergiquement contre cette inversion de nom lors de sa séance du 5 mai 1907… Si la commune n’a pas réagi auparavant c’est que « l’inscription a été faite « subrepticement », contrairement aux autres gares, le dimanche 28 avril, veille du jour de la réception de la gare… ». Cette bizarrerie administrative restera pourtant telle quelle jusqu’à la fin de l’exploitation de la ligne… De fait, c’est une patache à chevaux qui assure la liaison entre la gare de Malaucène-Crestet et Malaucène « ville ». Puis, à partir de 1924, c’est un autocar qui assure cette liaison jusqu’à la fermeture définitive de la ligne en 1952.
Les habitants de Vaison réclament, par la suite, l’installation d’une halte supplémentaire entre leur commune et celle et Roaix. Mais, le 23 septembre 1907, le Sous-préfet d’Orange signifie le refus de la Cie.. Bien que maître Berthet, notaire à Vaison, ait proposé de céder gratuitement le terrain pour son implantation la halte est refusée. Elle se trouverait, est il dit, à une distance trop faible de la gare de Vaison ou de celle de Roaix. De plus, le nombre de voyageurs attendu ne permettrait pas de justifier cette nouvelle installation.
Le 23 octobre 1910, le Conseil Municipal de Vaison émet le vœu qu’une boite à lettres soit accrochée au premier train descendant du matin et au dernier train montant du soir, afin que les habitants puissent y déposer leur courrier. Elle le sera effectivement sur les trains, à partir du 1er octobre 1911.
Bon an mal an, l’exploitation s’effectue sans grandes évolutions. Le chemin de fer traverse le temps et les guerres sans trop de dommages, mais sans aucune modernisation. Aussi, c’est sans grande surprise que les premiers coups de boutoir de la concurrence routière viennent ébranler l’édifice. La halte de Pierrelongue (Drôme) est fermée en 1933. Le coordination des transport met un terme provisoire au service des voyageurs à partir du 2 octobre 1938… Lequel service est repris, provisoirement mais sommairement, durant la guerre.
Mais dès la fin de la guerre, la paralysie gagne peu à peu la petite ligne oubliée du Vaucluse. Les habitants des communes desservies par la ligne voyant sa fin proche tentent, par divers moyens de retarder, voire d’arrêter, ce processus de mort lente. En février 1946, on réclame à Vaison la mise à voie normale de la ligne afin d’y faire circuler des autorails modernes et rapides. On appuie cette demande, le 31 mars suivant, à Violès. En novembre 1952, un grand journal parisien, consacre un article en forme de « plaidoyer pour le petit train » (Il est à noter que six ans après la fermeture de la ligne, en Décembre 1958, le quotidien Le Provençal, consacrera une enquête longue et minutieuse au train du Buis, sous la plume de Jean Boissieu).
Mais, malgré les actions administratives du Comité de Défense et de Modernisation de la ligne Orange buis les Baronnies, malgré les manifestations des habitants, malgré plusieurs réunions avec le ministère des travaux publics, le chemin de fer cesse toute activité dans la vallée de l’Ouvéze à partir du 15 décembre 1952.
La mort lente…
Les installations sont donc mises en sommeil. Le petit train ne siffle plus dans la vallée, le silence est retombé. Peu à peu, la végétation reprend ses droits. Les voies sont envahies par les herbes folles, le matériel garé et les éléments métalliques sont attaqués par la rouille… Et puis, au printemps de 1955, une sonorité oubliée se fait à nouveau entendre dans la vallée.
Le bruit d’une locomotive à vapeur!
Le train reprendrait-il son service? les politiques seraient-ils revenus sur leurs terribles décisions? Las, si la petite « Corpet » 3998 déroule à nouveau son panache dans la campagne vauclusienne, ce n’est que pour aider à finir la besogne. Les voies et les installations sont déposées depuis le terminus du Buis. Cette fois, la machine ne tire plus wagons et voitures mais pousse devant elle quelques wagons plate-forme sur lesquels sont chargés des outils.
Il n’y aura plus jamais de petit train…
Arrivée au « bout » des rails, le train s’arrête. Les hommes cassent les tire-fond à coup de masse, puis soulèvent rails et traverses et les chargent sur les wagonnets… Puis le « convoi » recule de quelques mètres et le manège recommence. A chaque aller-retour, le train effectue un chemin de plus en plus court. A l’automne 1955, cette ligne que beaucoup avaient attendue, que d’autres avait construite, n’est plus.
De leur coté, les éléments métalliques (tels le pont Eiffel de Pierrelongue) sont découpés sur place par les ferrailleurs (Face aux difficultés pour venir à bout de l’ouvrage… il doit finalement être … dynamité! en mars 1955). Certains ouvrages maçonnés sont utilisés pour la circulation routière. Quant aux éléments mobiliers et immobiliers, après inventaire, ils sont vendus aux enchères (comme la gare de Camaret et deux maisons de P.N. vendues en avril 1960). Les bâtiments du dépôt à Orange, occupés encore temporairement par la S.N.C.F. pour du remisage de matériel, sont finalement démolis en 1958, pour faire place à la cité des Veyrières.
Ainsi donc s’efface la petite ligne à voie métrique du Vaucluse. Les rails sont emportés par une société marseillaise pour la refonte.
Ironie du sort, c’est le mécanicien Rondey, ancien mécano de la ligne maintenant en quête de travail, qui est engagé pour conduire le train de dépose. Il retrouve ainsi pour quelque temps son ancienne compagne de route qui bénéficie ainsi d’un petit sursis.
Mais il n’en est pas de même pour le restant du matériel roulant. Machines, voitures et wagons sont garés provisoirement à Orange. C’est là qu’arrivent un matin quelques hommes armés de burins, chalumeaux, masses et marteaux. Et, petit à petit, les flammes vont ont raison de tout ce matériel. Il est à noter que les ferrailleurs ayant éprouvé quelques difficultés à occire les machines à vapeur, il a été fait appel à une équipe spécialisée du dépôt d’Avignon. Mais, parmi ces hommes préposés au charcutage, M Marc Pélacuer, ouvrier qualifié, refuse cette mission, répugnant à aller « abattre » d’aussi belles machines… Seules 2 voitures échappent à la curée. Rachetées, à l’époque, par Mme Chesneau, directrice d’une maison de rééducation pour enfants handicapés à Peyrins, dans la Drôme. Ces deux voitures seront installées dans le parc du château plutôt que des bâtiments préfabriqués…
Mais il est bien dommage d’avoir détruit un matériel qui, aujourd’hui, ferait les beaux jours de quelque réseau de chemin de fer touristique. Mais à l’époque ce n’était pas encore à la mode..
En 1983, l’ancienne gare de Violès est transformée pour servir de salle des fêtes. Elle était déjà utilisée à des fins similaires et baptisée « la gare à musique », depuis un certain temps.
Mais, finalement, que transportait ce joli petit train ?
L’exploitation officielle débute donc le 10 mai 1907. Durant une période de « rodage », qui dure jusqu’au 1 août suivant, le train ne circule qu’à la vitesse de 35 Km/h…
Deux trains réguliers, mixtes (marchandises et voyageurs simultanément sur les mêmes trains), assurent quotidiennement les aller/retour sur la ligne. Ils sont épaulés par une circulation facultative que la société des Chemins de Fer Economiques (!!) transforme rapidement une troisième circulation régulière.
Le parcours est effectué en 2 Heures et 47 minutes, c’est dire la vitesse moyenne des circulations! Mais, pour l’heure, les habitants de ce haut Vaucluse un peu déshérité, trouvent ce petit train qui ressemble à un gros jouet, extraordinaire. Il incarne le modernisme et est l’objet de tous les regards. Une foule considérable vient admirer les premières circulations. Beaucoup l’empruntent pour le plaisir de tester un système aussi novateur. Mais s’il est rapide(?), confortable(?), sûr, il reste malgré tout beaucoup plus cher que les anciens moyens de transport.
Aussi, pour ceux, plus hardis, qui tentent « l’aventure », le voyage se limite souvent à un parcours réduit entre deux gares consécutives avec un retour… A pieds. Le train est l’occasion de promenades dominicales. On vient à pieds des campagnes pour le voir circuler… Puis, peu à peu, le train devient partie intégrante de la vie quotidienne. Hiver comme été, il rythme les activités des hommes… On se sert du passage du train, comme on se servait des cloches du village, pour connaître l’heure… Les enfants jouent dans les voitures ou les wagons stationnés sur les voies de garage… L’exploitation du chemin de fer, se fait également de façon « humaine »… Nous ne sommes pas là sur la ligne Impériale, où la moindre minute de retard est une catastrophe… Ici, tout le monde connaît le personnel de la Compagnie. Il n’est pas rare que certains ralentissements, fort opportuns, dans la marche des trains permettent à des voyageurs habitués de descendre tout près de chez eux.
Tel est donc le démarrage du chemin de fer d’Orange au Buis les Baronnies. Les modestes performances de celui ci, si elles apparaissent à cette époque fort honorables, ne seront que peu améliorées. Lorsque les derniers jours de circulation arriveront il effectuera le même parcours dans pratiquement le même temps… Pour l’heure, le train circule, sans grandes modifications du service malgré quelques demandes et des réclamations concernant l’état du matériel (le 1 octobre 1910, le Conseil Municipal du Buis signale le mauvais état de certaines voitures)… En août 1911, des trains spéciaux sont mis en circulation en correspondance avec les spectacles du théâtre antique d’Orange. Pour autant, le résultat d’exploitation est très faible et l’augmentation des trafics modérée.
Ce n’est que dans les toutes dernières années avant la guerre, que le trafic s’accroît de manière sensible, au point d’inciter la compagnie à créer un train facultatif de marchandises entre Orange et Vaison et à acquérir du matériel roulant neuf. En 1913, un train mixte est mis en service pour le marché de Vaison, alors que du matériel remorqué et deux nouvelles locomotives sont acquises auprès de la société Decauville.
Mais l’embellie est de courte durée. L’entrée en guerre provoque une pénurie de main d’œuvre, de matériel et de combustible. Après avoir transporté les hommes vers le front, la Société des Chemins de Fer Economiques finit par limiter le nombre des circulations à 1 seul aller retour quotidien. Quelques wagons sont, par ailleurs, réquisitionnés par l’autorité militaire.
Le retour de la paix voit, en parallèle, le retour des transports. Les trafics d’avant guerre sont rapidement atteints et même dépassés vers 1920. Trois trains mixtes et un train de marchandises circulent chaque jour. Une nouvelle machine est mise en service en 1929.
Mais la montée en puissance des moyens de transport routiers commence à faire de l’ombrage au petit train que, progressivement, on finit par trouver de moins en moins extraordinaire. Les travaux de coordination des transports et la crise économique de l’entre deux guerres frappent durement le petit « tortillard » vauclusien. L’ordre du jour du Conseil Municipal de Vaison du 16 décembre 1920 comprend un point à examiner sur la création d’un service d’autocars entre Nyons et Vaison et entre Nyons et Bollène la Croisière… A partir de 1931, le développement des transports routiers provoque, en parallèle, l’effondrement du trafic ferroviaire. La S.N.C.F. décide, en réponse à une demande préfectorale, de reporter le trafic voyageurs sur route. A l’automne 1938, le 2 octobre, c’est chose faite. Le service est supprimé sur la ligne et remplacé par un service d’autocars. Quelques faibles protestations sont soulevées du coté du Buis, mais l’affaire est entendue. Les élus locaux s’entendent répondre que leur indignation arrive un peu tardivement pour être recevable. Il ne subsiste donc plus que deux aller/retour marchandises quotidiens. Mais survient la seconde guerre. Le trafic est totalement suspendu durant la première partie puis reprend, tant bien que mal à la signature de l’armistice. Peu à peu le trafic des marchandises parvient à retrouver un semblant de régularité. La pénurie de matériel routier et d’essence conduit la compagnie à rajouter (à partir du 6 octobre 1940 et temporairement) une voiture au train de marchandises. La vie reprend peu à peu. Les convois circulent malgré les conditions difficiles. Le petit train assure vaillamment la livraison du ravitaillement et même le transport des réfugiés d’Alsace-Lorraine qui affluent en fin 1940.
Le 4 août 1944 les autorités allemandes réclament la mise en route de navettes entre Orange et la base aérienne de Caritat. Les discussions sont âpres et finalement 4 (seulement) des 8 navettes demandées sont mises en service à partir du 18 août… Sous couvert de manque de personnel. Plusieurs entreprises allemandes s’installent ensuite dans le secteur ce qui implique la création d’une nouvelle navette et l’allongement du parcours jusqu’à Vaison. La Société profite de l’occasion pour embaucher 17 agents supplémentaires… Ce qui leur évite au moins le S.T.O.. En janvier 1944, il ne reste plus que 4 navettes, puis 3 à partir du 10 août. A cette même période et suite à divers attentats et attaques du train, le voyage est limité à Violès. Le train n’est utilisé que pratiquement qu’à l’usage de l’armée allemande qui fait installer, à divers endroits, des estacades de bois pour faciliter la montée ou la descente des voyageurs en rase campagne. Tout service est finalement arrêté le 22 août, suite au mitraillage du train en gare d’Orange par l’aviation alliée.
Le service reprend après la libération sur fond de difficultés économiques et de restrictions de combustible. Fort heureusement, à l’inverse des « grandes » gares de la ligne impériale, la petite ligne à voie métrique n’a pas subi de dégradations durant la guerre. Mais cette petite ligne d’intérêt local est la cible privilégiée des pourfendeurs du chemin de fer de tout poils. L’Etat doit faire des économies, le chemin de fer est fortement sollicité: Fermeture de lignes, suppression de personnel etc… Il est clair que les lignes à trafic restreint et à faible rendement sont les premières victimes des opérations de « rationalisation ». Le bon vieux chemin de fer du Buis avec ses petites machines et ses voitures brinquebalantes ressemblant à de gros jouets, n’a plus les moyens de lutter. Pourtant, conscients du danger qui le guette, les riverains vont tout tenter pour le sauver. Le 12 février 1946, le Conseil Municipal de Vaison demande que le chemin de fer soit établi à voie normale et qu’un service d’autorails performants soit mis en place. Le rail semblerait pouvoir alors à nouveau être compétitif face à l’automobile… Le 31 mars, le Conseil Municipal de Violés émet le même vœu.
Las, le 22 septembre 1948, une arrêté ministériel annonce la fermeture prochaine de la ligne. Annonce qui provoque quelques réactions, notamment à Violès et au Buis et des propositions de modernisation de la part de la société des chemins de fer économiques. La société pourrait acheter des locomotives diesel pour remplacer les anciennes vapeurs et des autorails pour le service des voyageurs.
Le 28 juin 1949, un Comité de Défense et de Modernisation de la ligne Orange Buis les Baronnies est créé pour affronter les pouvoirs publics qui de leur coté souhaitent accélérer le processus de disparition du train. La chambre de commerce d’Avignon, plusieurs conseils municipaux, la presse et même le président E Daladier, prennent la défense du petit train. Le 17 novembre le C.D.M.O.B. entame des démarches auprès des chambre de commerce de la Drôme et de Vaucluse ainsi qu’auprès de la S.N.C.F. de Marseille. Le 9 décembre, une délégation est reçue par le ministre des travaux publics, M Morice, alors que M Lemaire, député, prononce un discours devant l’assemblée. Le comité de défense est soutenu par les communes de la ligne qui lui votent plusieurs crédits. Alors que la menace devient de plus en plus précise, l’année 1950 voit le C.D.M.O.B multiplier les démarches dans toutes les directions.
Le 21 janvier 1951, une nouvelle rencontre se déroule à Marseille avec M Sauvajol, directeur de la région S.N.C.F. et, le 1 avril 1952, une nouvelle entrevue est acceptée avec le Ministre. Le comité est à nouveau reçu par la direction régionale de la S.N.C.F. le 16 avril suivant. Les populations, à la demande du comité de défense, manifestent leur opposition au projet de démantèlement et leur souhait de réouverture au trafic voyageurs.
Le 7 mai 1952, un stand du comité de défense est installé à la foire du Buis… 150 cartes de membres y sont vendues en une seule journée. Mais il est trop tard, le processus est inexorablement enclenché et le dernier voyage du train s’effectue le samedi 13 décembre 1952.
Il fait froid en ce funeste matin mais cela n’empêche pas une foule considérable de venir faire ses adieux au petit train. Comme le jour de l’inauguration, de nombreuses personnalités locales et de nombreux curieux se pressent dans les gares de la ligne, pour venir voir passer le dernier train. Mais le climat est lourd et l’ambiance tendue. Après avoir fait son demi-tour au buis, après que la foule se soit pressée pour serrer les mains du mécanicien et du chauffeur, après que les élus aient prononcé leur discours d’adieu, après avoir sifflé tristement, le dernier train s’est mis en marche pour rejoindre Orange. Dans chacune des gares le scénario se reproduit à l’identique. Quand le train est finalement hors de vue tout le monde s’en va le coeur lourd…
Comme si chacun venait d’assister à un enterrement. Sur la dernière voiture du train un écriteau est accroché: « Nous voulons un autorail… ». Sur la machine, un crêpe noir… Dans la campagne de longs coups de sifflet, tristes et lugubres, les derniers…
Et les marchandises, alors?
En guise de conclusion, indiquons que l’essentiel des transports de marchandises était constitué de produits agricoles, notamment les vins de Gigondas et les haricots de Mollans. Malgré les importantes sujétions occasionnées par le transbordement des marchandises à Orange, le trains transportait également du bois, de vieux chiffons pour les papeteries, des houilles, de l’engrais, des machines agricoles, des betteraves à sucre… Cinq carrières d’albâtre, une sucrerie et diverses industries locales apportaient leur part de produits au rail.
Et si nous nous laissions aller à rêver un peu, nous pourrions aisément imaginer le petit train d’Orange au Buis les Baronnies transformé en chemin de fer touristique, comme l’est aujourd’hui son alter ego du Vivarais…
Mais l’O.L.B. a disparu bien trop tôt, à une période où l’engouement des chemins touristiques n’existait pas encore et où il fallait, à tout prix, faire disparaître les traces de ce qui fût une voie ferrée, de ce que fût le transport ferroviaire… Un moyen « ringard », qui devait faire place au progrès… à l’automobile.
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