COUTUMES MATRIMONIALES AU MOYEN ÂGE

Coutumes matrimoniales du Moyen Age

 

(D’après « La France au temps des croisades – Tome IV » paru en 1847)

Sous la loi féodale, on ne connaissait point la formule des sommations respectueuses et l’héritière d’un fief, dès qu’elle était nubile, recevait un mari des mains du seigneur dont elle relevait. Il fallait absolument que le fief fût desservi, et le fuseau n’y suffisait pas. D’ailleurs, le manoir héréditaire aurait pu courir de grands risques en raison de la jeunesse ou des indécisions de la demoiselle. Comme les amants de Pénélope, ses prétendants auraient pu manger sa dot avant qu’elle lui fût comptée, ou en faire une victime de la violence ou de la séduction.

Jusqu’à l’âge de douze ans, l’héritière restait sous la tutelle du seigneur, ou de sa mère qui donnait caution au seigneur ; mais à cet âge, celui-ci lui cherchait un mari en ayant soin de ne le point déparaiger (mésallier). Suivant les assises de Jérusalem, le baron envoyait des députés à la femme qui lui devait service féodal, lesquels lui offraient trois barons à choisir, et fixaient un terme pour qu’elle fît connaître son choix. Si la mère disposait de sa fille sans le consentement du sire tuteur, la fiancée perdait ses meubles ; on ne lui laissait que deux robes dont une pour les jours de gala, quelques joyaux, un palefroi, une charrette, deux roussins, et un lit… Le même droit seigneurial s’étendait sur les veuves héritières de fiefs.

Conformément à ces us et coutumes, Philippe-Auguste donna des pleges (gages) à Blanche de Navarre, comtesse de Champagne (1200), pour l’observation des conventions faites touchant la garde et l’éducation de sa fille jusqu’à l’âge de douze ans, promettant de ne la marier que par le conseil, et avec le consentement de sa mère, et les barons signataires de l’engagement. Dans une autre occasion le même prince annonça ses vues pour la jeune héritière du comté de Flandre, et se réserva un droit pécuniaire ou prélèvement de cinquante mille livres parisis si l’établissement projeté avait lieu, dont trente mille livres payables le jour des noces, et vingt mille un an après la consommation du mariage. Il voulut probablement s’indemniser de la perte de l’usufruit féodal.

Saint Louis reconnut qu’il ne pouvait marier ses filles qu’avec le consentement de ses barons, et il les consulta pour donner l’une d’elles au roi de Navarre. Il ne permit pas l’union du comte de Champagne avec la princesse de Bretagne ni celle de la comtesse de Boulogne avec Montfort, comte de Leicester, ni celui de Jeanne, fille du comte de Ponthieu avec le roi d’Angleterre. Les barons, dont on voit que l’adhésion était requise et indispensable, relativement aux intérêts des grands fiefs, surveillaient d’un œil jaloux les prétendants à la main de l’héritière. La chronique de Reims fournit un exemple curieux de la force de cet usage en racontant de quelle manière la couronne de Jérusalem fut acquise à la famille des Lusignan.

« Guy de Lusignan était beau et brave. La sœur du roi, Sibylle, comtesse de Jaffa, ayant remarqué sa beauté le souhaita pour mari. Mais elle n’osa avouer son désir au roi son frère, et leur union, d’abord secrète, fut à la fin connue du roi. Il voulut faire lapider Guy de Lusignan. Après beaucoup de menaces et de rigueurs, à la prière, et d’après le conseil des Templiers, il fit grâce à l’un et à l’autre. Il n’avait point de plus proche héritier que Sibylle ; à la fin il lui permit de prendre Guy pour mari… Le roi de Jérusalem étant mort, les Templiers, les hospitaliers, les comtes, les bannis, le clergé et le peuple, choisirent Sibylle pour reine, mais sous la condition qu’elle divorcerait. Tous rendaient justice à la bravoure de Guy ; seulement ils ne la trouvaient pas de noblesse assez illustre pour être l’époux de la fille des rois. La comtesse, se voyant obligée d’accepter secte condition, déclara qu’elle consentait au divorce, se réservant de prendre ensuite le mari qu’elle voudrait.

« Lors il fut arrangé par le conseil des barons que la reine se rendrait devant l’église de Sainte-Croix de la ville d’Acre, et tiendrait la couronne royale eu sa main, que tous les barons seraient autour d’elle, que celui sur la tête duquel elle poserait la couronne serait roi. Au jour convenu tous les barons du royaume l’environnèrent et l’on priait à genoux que le choix de la reine tombât sur un prince qui pût défendre la couronne. La reine, étant au milieu d’eux, les regarda, et dit : – Sire patriarche, et vous tous seigneurs et barons, vous avez déclaré que celui au chef duquel je mettrais la couronne serait roi ? Ils répondirent que c’était la vérité. – Or, je veux donc que vous le juriez sur le corps précieux de Notre-Seigneur.

« Le patriarche et tous les barons prêtèrent le serment qu’elle exigeait. Alors la reine se signa de la main droite, se recommanda à Dieu, s’en alla tout droit à sen seigneur Guion, et lui assit la couronne au chef en lui disant : – Sire, je ne vois ici auprès de moi, homme plus sage et plus loyal que vous, et qui mérite mieux d’être roi de Jérusalem. Je vous octroie donc la couronne, et le royaume, et moi, et mon amour ! » Cette page de la chronique de Reims semble être une des plus belles de l’histoire des femmes françaises, et on ne peut en lire les dernières paroles sans trouver que Sibylle était digne d’être fille de roi, et de donner un diadème à celui qu’elle aimait.

La coutume de Montpellier, non moins sévère que celle de Jérusalem, défendait l’alliance des nobles avec les familles bourgeoises (D’Aigrefeuille, Histoire de Montpellier), parce que les roturières apportaient en dot des biens jusque-là sujets à redevance ; acquis par un époux gentilhomme ces biens auraient participé aux immunités et privilèges des terres seigneuriales. Le comte de Montfort, maître du Languedoc, alla plus loin ; pour favoriser les mariages des seigneurs françois, il défendit pour dix ans aux veuves magnates et héritières, à toutes femmes nobles ayant des munitions dans un château, d’épouser un homme du pays d’Oc sans sa permission. Des entraves analogues pesaient lourdement sur les communes, et dans leurs chartes d’émancipation, elles cherchaient toujours à en obtenir l’affranchissement. Les gens libres pouvaient seuls se marier sans permission, mais il restait bien peu d’aleux au XIIe siècle.

D’autres difficultés s’élevaient au sujet des liens de parenté. Ici c’était l’Église qui se montrait sévère. La loi romaine, suivant sa manière de supputer, admettait le mariage entre parents au quatrième degré, c’est-à-dire entre cousins germains. Mais au Moyen Age la supputation ecclésiastique comptant par génération collatérale un degré seulement, la prohibition s’étendait réellement jusqu’au huitième degré lorsque la loi romaine n’indiquait que le quatrième. Il y avait en outre illégalité de mariage pour affinité spirituelle entre parrain et marraine, filleul et filleule. Saint Bernard parle d’un mariage suspendu jusqu’à après le voyage de Rome, parce que le rival du fiancé prétendit, au moment de la cérémonie, que la jeune fille lui avait déjà été promise. De là, force mariages cassés, force appels à l’autorité du Saint-Siège, qui était le dernier ressort de toute judicature. L’on peut même croire que le proverbe : « Tu peux l’aller dire à Rome », remonte pour le moins au XIIe siècle.

La crainte des censures religieuses faisait chercher des femmes en de lointains pays, où l’on était sûr de ne rencontrer aucune parenté. La séparation de corps et de bien des époux, perpétuelle ou temporaire, pouvait avoir lieu pour des motifs graves prévus par les canons, mais le divorce réel, c’est-à-dire la dissolution du lien matrimonial qui avait existé, ne fut jamais admis par l’Église. Pour pouvoir contracter une nouvelle union, il fallait que la première fût reconnue être nulle, et comme telle déclarée non avenue. Il fut probablement question d’un jugement en nullité dans le divorce proposé à la reine Sibylle ; une mésalliance n’eut pas suffi pour le motiver. Quant à la bigamie les usages n’offrent aucune incertitude. Le bigame était placé sur l’échelle et fustigé ; le second mariage déclaré nul.

La valeur de la dot accordée à l’épouse, comme celle du douaire fixé en cas de survivance, varie selon les temps, et la qualité des personnes. Les Etablissements de Saint Louis montrent que la reine Blanche reçut en dot 24 000 larabotins ; Marguerite de Provence, 8 000 marcs d’argent ; ses petites-filles, 3703 marcs. Guillaume, seigneur de Montpellier, donna 100 marcs à chacune de ses petites-filles. Une fois cette dot livrée, la demoiselle, n’eût-elle-reçu qu’un « chapel de fleurs », n’avait plus d’héritage à revendiquer. Lors du mariage du vicomte Ponce de Polignac et d’Alix de Trainel en 1223, le vicomte se soumet à la peine de l’excommunication dans le cas où il enfreindrait les engagements du contrat.

Gilbert de Baux, vicomte de Marseille (XIIe siècle), légua ses immeubles comme douaire à sa femme, mais en cas de remariage elle ne pouvait réclamer que six mille sols royaux coronès, avec ses coffres, bagues, joyaux et meubles, le blé et le vin de la maison, sans prétendre aux armes, aux chevaux, aux terres. Le douaire d’Ingerburge, femme de Philippe-Auguste, fut de dix mille livres parisis ; Louis VIII en laissa trente mille à Blanche. Si les vassaux étaient obligés, ainsi que nous l’avons dit, à contribuer à la dot de leur jeune suzeraine, en revanche ils comptaient sur l’aide de leur seigneur en cas de détresse, et avec un seigneur tel que le comte Henri de Champagne (Henri le Large ou le Libéral), ils ne sollicitaient pas en vain. Un de ses vassaux (vers 1180) lui demandait une dot pour sa fille. Le comte l’accorda ; mais son trésorier lui fit voir que ses coffres étaient vides et qu’il ne restait rien à donner : « Tu mens par la gorge, dit Henri. J’ai encore à donner ; je te donne. Si vaudra le don , car tu m’appartiens. Sire chevalier, faites-lui payer rançon jusqu’à ce qu’il ait de quoi finer (fournir de l’argent) au mariage de votre fille ». Et ainsi fut fait, rapporte Capefigue dans son Histoire de Philippe-Auguste.

 

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