CONSTRUIRE DES PONTS SUR LA DRÔME

Construire des ponts sur la Drôme






« Le pont symbolise la relation, la concrétise à la fois,

et l’idéalise, la représente en bois, fer ou pierre »  

     Michel Serre.

 


Le village d’Aouste semble construit sur un axe est-ouest, en parallèle à la Drôme. Or, historiquement, c’est un axe nord-sud qui permit le développement de ce site, un gué sur la Drôme est à l’origine de l’expansion de celui-ci.

La Drôme rivière de type méditerranéen, (en grec: la rivière qui court) s’est toujours écoulée au niveau du pont actuel, entre deux barres rocheuses ; en amont, l’actuel quartier Saint-Pierre étant parfois, dans le passé, inondé. En aval, au niveau de l’embouchure du Lauzens, se trouvait un espace plus large, avec des courants moins impétueux.

Vers 500 avant J.-C., la Route de l’Étain est créée par les Grecs pour l’acheminement de ce métal entre la région de Nantes et la Méditerranée. La carte des « Voies antiques d’Altonum » indique que la principale voie de l’étain passait par le Pas de Lauzens et l’emplacement d’Aouste, avant de continuer vers Pizançon par les Arras. La voie la plus proche du Rhône n’était que secondaire étant donné les colères du fleuve et ses crues destructrices; ainsi que la présence de trafiquants occupant les îles et donc difficiles à contrôler. On suppose qu’ici le franchissement de la Drôme se faisait à gué vers l’embouchure actuelle du Lauzens; à proximité de ce passage, des mérides (échoppes louées) pouvaient accueillir le voyageur.

Sur cet axe antérieur nord sud, Auguste, désireux de centraliser l’empire, fait installer un relais de poste pour la liaison Valence – la voie d’Agrippa – et Montgenèvre (une des routes de la Voie des Alpes), le pont romain, construit ici en pierres, permet de renforcer les échanges économiques administratifs et militaires avec le sud. On peut raisonnablement estimer à 800 personnes, au minimum, la population gallo-romaine à la fin du IIIe siècle (mais on ne connaît pas l’étendue d’Augusta Vocontiorum).

La cité se situerait aussi sur « l’itinéraire n°15 ou chemin appelé Gontardin ou Costardin dans les textes médiévaux ou modernes » reliant Montélimar et la voie d’Agrippa à la Drôme par le bassin de la Valdaine (1). Il est aussi nécessaire de rappeler que, depuis longtemps, à certains moments de l’année, les barges à fond plat remontaient la rivière, parfois tirées par des esclaves. Ainsi le marbre de Carrare, utilisé pour certaines constructions à Die, paraît avoir été transporté sur le Rhône et sur le cours inférieur de la Drôme puis avoir cheminé, en chariots, jusqu’à la capitale des Voconces. Le reliquat d’assise du pont romain, en amont du pont actuel, atteste que lors de la construction, le lit de la Drôme était plus bas qu’actuellement. Ce pont reposait sur une assise d’environ 6 mètres de largeur. A la fin du IIIe siècle, les changements climatiques et les déforestations ont provoqué une accélération du débit des eaux, donc l’incision des berges et d’importants apports de galets. Ceux-ci ont considérablement élevé le lit de la rivière.

La villa gallo-romaine devait être installée un peu à l’écart des voies de passage, comme le conseillait déjà Caton (-244, -149) : « Si possible qu’elle soit au pied d’une colline,qu’elle soit exposée au midi, dans un endroit salubre. Qu’il y ait abondance de main-d’œuvre et un bon abreuvoir; qu’il y ait à proximité une ville importante ou la mer ou un cours d’eau où circulent les bateaux, ou une bonne route fréquentée (De l’agriculture 1,3) » (1).

Pendant presque 2000 ans, venant du sud, piétons, muletiers, chariots et soldats entrent dans la cité par l’actuelle rue de la Croisière. Le pont romain, en partie détruit au Moyen-Âge, est remplacé par un pont roman à quatre arches, apports de graviers et affouillements se succèdent : ils provoquent de nombreux et coûteux dégâts, ainsi une inondation catastrophique se produit même fin juin 1747 (2).

Du Moyen-Âge à la Révolution, le péage installé au bas de l’actuelle rue de la Croisière sert, en partie, à régler les frais d’entretien du pont et des chemins d’accès.

C’est en 1862 que l’édifice est reconstruit à son emplacement actuel: un pont métallique à deux arches. Aouste est un croisement entre la nouvelle route impériale 93 – qui longe les deux canaux – et la route n°20 de Saint-Jean-en-Royans à Nyons ; la traversée nord-sud d’Aouste se caractérise par les travaux d’alignement entre la gare et la nouvelle église (3). La construction de ce pont nécessite d’importants travaux de remblaiement et, en aval, le prolongement sous galerie, du canal « de Crest » ainsi que la création d’une nouvelle prise d’eau. Quelques années plus tard, le village s’étendra au sud avec la mairie-école et une grande esplanade, elle aussi surélevée.

L’ancien pont roman est détruit en 1863.

En 1940, le génie militaire français fait sauter le pont afin d’arrêter la progression allemande, (ceux-ci s’arrêteront à Romans), les deux parties de la commune sont séparées, il faut traverser à Crest ou Blacons, seuls certains écoliers en sont contents! Une passerelle instable est installée, détruite par la rivière, elle est reconstruite.

Le pont actuel est construit de 1941 à 1947, l’utilisation du béton armé permet la création d’une seule arche de 65,20 mètres de portée, le profil en long est parabolique, la largeur utile est de 7,50 m et la largeur roulable de 5 m. Après la 2e guerre mondiale, l’utilisation des graviers de la Drôme pour les constructions a, en partie, provoqué affouillements et abaissement du niveau du lit de la rivière. Les apports de galets en amont d’Aouste sont aussi, actuellement, plus limités suite à l’extension des zones boisées dans le Diois.

Les crues de 2012 et 2013 et l’efficacité administrative ont enfin permis à la Drôme de mettre à mal l’assise de la dernière pile du pont romain. Deux mille années d’histoire sont emportées par les flots tumultueux. La rivière est donc capable de venir lentement à bout des systèmes de communication édifiés par les plus grands empires.

 

Notes et sources

 

1 – « Le Tricastin Romain : évolution d’un paysage centurié (Drôme, Vaucluse) » – p 64 et 72, sous la direction de François Favory. Association de liaison pour le patrimoine et l’archéologie en Rhône- Alpes et en Auvergne – publication de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Lyon, 2013 ;

2 – voir les articles : 200 ans de calamités et histoire d’eau aux 17e et 18e s iècle;

3 – archives communales d’Aouste, 1o1 ;

On lira avec un vif intérêt les ouvrages de Gérard Coulon, en particulier: « les Voies romaines en Gaule » éditions Errance, collection

« Promenades archéologiques » mars 2013

René Descours

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